mardi 18 juin 2013

Vrestre venait de rentrer dans son abri. Prince-second, il venait de finir une réunion, une de plus, avec les princes-troisièmes. Le moment décisif semblait approcher. Les éclaireurs et autres avant-gardes avaient ramené des nouvelles graves. Les Gowaï étaient en grand nombre. Eux aussi devaient penser que le lieu et le temps de la confrontation étaient arrivés. Heureusement, toutes les phalanges étaient là. Vrestre comprenait mal le Bras du Prince-Majeur. Lui aurait bien attaqué plus tôt pour ne pas laisser le temps aux ennemis de se préparer. Jorohery était focalisé sur cet imposteur qui se disait roi-dragon. La phalange de Yaé l'avait, paraît-il, repéré. Pourtant depuis leur arrivée ici, ils n'avaient relevé aucun signe de sa présence. À force de tergiverser, les Gowaï avaient eu le temps de faire venir beaucoup de combattants. Ils campaient à une ou deux journées de marche derrière les collines. Les patrouilles de reconnaissance n'avaient pas vu de meutes de crammplacs dans les campements qu'ils avaient pu inspecter. Quand Vrestre avait soulevé l'importance du nombre, Jorohery avait balayé l'argument d'un geste du bras.
- Nous aurons l'avantage quand l'imposteur sera éliminé... Les Gowaï tirent leur force de sa présence. Dès qu'il sera éliminé, l'ordre du Prince-Majeur régnera, car c'est lui le vrai roi-dragon !
Jorohery avait fait distribuer de lourds javelots noirs. Vrestre s'était étonné de leur nombre. Ils n'étaient pas dans le convoi qui avait passé les fjords. Le Bras du Prince-majeur disposait d'une magie puissante, pensa-t-il. Ses aides de camp l'aidèrent à se préparer et se retirèrent. Il en vit un comme à son habitude, se coucher sur le bas de la fourrure de crammplacs qui fermait le passage, ses deux épées à portée de la main. Vrestre s'allongea. Demain, peut-être y aurait-il combat ? Il en ressentit une certaine excitation.
Quand il se réveilla quelque chose n'allait pas. Il faisait encore nuit. S'il y avait une silhouette dans son abri de glace, elle n'avait pas les caractéristiques de son aide de camp. Une curieuse luminosité baignait la pièce.
- Qui êtes-vous ? dit Vrestre en sortant son épée.
L'homme tourna vers lui un regard d'or. Il posa un bâton au sol. Celui-ci laissa s'échapper des volutes aussi dorées que ses yeux.
- Tu es prince-second et tu poses cette question. Que diras-tu à tes vassaux quand ils te la poseront ?
Vrestre debout, sentait sa main trembler. Dans sa tête, tournait un kaléidoscope d'images, de sensations, de souvenirs.
- Est-il possible... ? dit-il.
- Regarde ! dit Lyanne.
Se tordant, se liant, se séparant, se réunissant à nouveau, les volutes dessinèrent mille et une figures sous le regard figé de Vrestre. Intérieurement, il sentit le bouleversement arriver. Ce fut un maelström d'émotions ataviques. Sous ses yeux défilait ce qu'il avait toujours su, le savoir immémorial de son peuple. Quand cessa le phénomène, Vrestre savait. Lâchant son épée, il mit genou à terre.
Au bruit du métal sur le sol, le garde accourut. Il vit son prince à genoux en signe de soumission. Il fouilla la pièce du regard, elle était vide. Vrestre jeta sur lui un regard vide, puis sembla prendre conscience de sa présence.
- Tu peux retourner te coucher, Smael. Il n'y a pas de danger.
Voyant l'hésitation de l'homme, Vrestre ajouta :
- Le Dieu Dragon est venu me visiter. Gloire lui soit rendue !
- Graph ta cron ! dit Smael en repartant.
Vrestre se recoucha, tout en restant songeur. Comment le roi-dragon était-il arrivé et parti ? Il y avait là aussi une magie. Comment allait-il faire face à Jorohery ? Et puis qui était vraiment Jorohery puisque, maintenant, Vrestre en était persuadé, le Prince-Majeur n'était pas le roi-dragon ?
Ce dont Vrestre ne pouvait se douter c'est de l'effet de ses paroles sur Smael. Celui-ci ne put garder la joie et la fierté qu'il ressentait pour lui. Le Dieu-Dragon avait rendu visite à son prince. La nouvelle était inouïe, immense, merveilleuse... Il manquait de mots. Il en parla avec les autres gardes qui en parlèrent à d'autres et bientôt dans toutes les phalanges sous le commandement de Vrestre circula le bruit de cette visite. Toute une gamme de rumeurs circula, allant de la victoire sur l'imposteur à la reconnaissance de Vrestre comme roi-dragon. Une seule chose était sûre : Vrestre détenait maintenant la vérité. Dans le camp, tous attendaient sa parole. Comme un seul homme, ils le suivraient et jusqu'à la mort s'il le fallait.
Avec Falker, ce fut encore plus simple. Alors qu'il se réveillait, il vit Lyanne. Dès qu'il rencontra le regard d'or du roi-dragon, il fit acte de soumission, genoux à terre.
- Les légendes disaient vrai ! Mon roi est devant moi. Graph ta cron !
Son dernier cri alerta son aide de camp. Ce dernier passa la tête derrière la fourrure tenture et découvrit l'incroyable lumière dorée qui régnait. Son prince était à genoux, comme hypnotisé par ce qu'il regardait. Il fit comme lui et tourna son regard vers...
Ce fut un choc intérieur, en lui passèrent toutes les images de toutes les légendes. Quand cela s'arrêta, il ne savait pas si cela avait duré un instant ou une vie. Il savait mais il s'aperçut qu'il avait du mal à le dire quand il voulut le raconter à ses camarades. Il multiplia les comparaisons et les images pour finir par dire que le Dieu-Dragon était avec eux et que le vrai Roi-dragon allait venir, et que Jorohery n'était sûrement pas ce qu'il disait. Pendant que se répandait le bruit de cette visite dans la partie du camp sous les ordres du Prince-second Falker, ce dernier était parti se recoucher et dormait d'un sommeil profond et réparateur.
Nyagorot avait choisi de rester près des montagnes. Il avait trouvé, ou plus exactement ses éclaireurs avaient trouvé une grotte dont il avait fait son camp de base. Quand Lyanne arriva dans l'endroit où il dormait, il ne se réveilla même pas. Il le regarda. Son teint rouge lui rappela Chountic.  Il grimaça intérieurement. Un prince-second sous l'influence des boissons fermentées n'était pas un exemple. Naygorot aimait le luxe. Contrairement aux gens de la plaine qui aimaient l'or, dans le Royaume blanc on préférait ce qui était signe de pouvoir. C'est ainsi que Nyagorot avait choisi de se déplacer avec tout son confort. Il dormait sur un lit. Son simple transport avait dû mobiliser une armée de serviteurs. Toute la vaisselle que Lyanne découvrait autour de lui sur des étagères démontrait la même chose : Nyagorot était Prince-second. Le roi-dragon regarda longuement le dormeur. Il soupira puis un sourire naquit sur son visage. Il posa son bâton de pouvoir sur le sol et l'y enfonça. Immédiatement des volutes dorées en émergèrent et s'écoulèrent comme un ruisseau emplissant la pièce de leurs tourbillons. Comme des serpents qui auraient trouvé leur proie, elles convergèrent vers Naygorot quand l'une d'elles le toucha.
Caché sous le lit en bon serviteur prêt à satisfaire tous les besoins de son maître, Mlion se mit à trembler. Il s'était réveillé quand la lumière avait augmenté dans la pièce, inquiet de savoir ce qu'il allait encore devoir faire pour satisfaire les caprices de ce prince. La découverte de cet étranger aux yeux d'or l'avait sidéré. Incapable du moindre mouvement, il avait vu ces serpents de lumière s'approcher de lui, le palper le contourner et monter vers le prince. Bientôt ils l’enveloppèrent, le soulevant de son lit. Il vit son maître flotter au milieu de l'espace, des faisceaux de lumière dorée sortant par tous les orifices. Mlion ferma les yeux un instant pensant qu'il faisait un cauchemar. Quand il les rouvrit, il sursauta. La pièce avait disparu. Le prince flottait dans un espace fait d'images mouvantes de dragons et de guerriers blancs. L'étranger avait disparu. À sa place un grand dragon rouge parlait d'une voix douce :
- Regarde Nyagorot, regarde bien. Ce que tu vois est vrai et tu le sais. Regarde bien l'histoire de ton peuple et de ta famille. Apprends ce que tu dois apprendre. Laisse la vérité t'emplir maintenant, ainsi tu n'auras plus besoin de t'emplir d'autre chose.
Mlion regardait tour à tour le dragon et le prince. Ce dernier semblait agité de soubresauts. La voix du dragon continuait à s'écouler doucement comme le murmure d'un ruisseau. Mlion perdit contact avec la réalité et s'endormit. 
Brusquement il se réveilla. Il faisait nuit, au-dessus de lui, son maître dormait. Il poussa la tenture qui fermait l'espace sous le lit et se leva. Tout semblait normal et pourtant, ses sens lui disaient le contraire. Il avait fait un drôle de rêve. Était-ce cela qui le perturbait ? Il regarda le prince et eut un sursaut. Sa peau était parcourue de fines irisations dorées qui luisaient dans la pénombre. Il s'approcha. Alors, il comprit ce qui l'avait réveillé. La respiration du prince avait changé. Il ne ronflait plus. Il dormait paisiblement. Était-il possible que le Dieu-Dragon lui-même soit venu ? Il regarda le sol. Là où le bâton avait été planté, il y avait un trou dans la roche. Lui qui priait chaque jour le Dieu-Dragon de le protéger du prince, était maintenant convaincu. Il avait été écouté et exaucé.
- Graph ta cron ! Murmura-t-il, Graph ta cron !
Il sortit de la pièce pour en faire part à Grard, son meilleur ami. Il fallut moins d'une journée pour que la nouvelle fasse le tour des phalanges du prince Nyagorot. La nouvelle courut d'autant plus vite que ce dernier ne but rien de fermenté de toute la journée et ne se mit même pas en colère.

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