vendredi 29 mars 2013

Quiloma ressentit le malaise dès son entrée dans la troisième salle. Ses guerriers étaient l'arme au poing et, au centre de la pièce, Yaé était entravé et couché par terre. Le roi-dragon regarda l'homme couché et ses gardiens. Il vit les hématomes et les contusions. Il dit :
- Combien de blessés ?
- Une main d'hommes sans compter les simples contusions.
- Bien, déliez-le et sortez avec la lumière. Le Prince Yaé aime le noir.
- Mais mon roi, il est pire qu'un crammplacs !
- Oui, pourtant telle est ma volonté.
Yaé regarda le roi-dragon d'un œil noir. Les hommes bougèrent lentement et à reculons sans quitter le prince-dixième des yeux. D'un geste-ordre, le roi-dragon dit à Quiloma de se mettre contre la porte.
Une fois la porte refermée, la nuit s'installa. La vision du roi-dragon s'adapta tout de suite. Il vit par contre les deux hommes écarquiller les yeux pour distinguer quelque chose. Le peu de lumière qui passait par les fentes de la porte disparut quand les guerriers mirent une lourde tenture devant. La nuit fut complète.
Quiloma sursauta en entendant la voix du roi-dragon. Il lui était impossible de situer d'où elle venait. Elle semblait faire partie de l'air lui-même. Il dégaina son épée courte, l'oreille aux aguets. Son instinct lui disait que Yaé allait attaquer. Il se baissa guettant le moindre bruit.
- Vois, Prince Yaé comme je te vois.
Des volutes prirent naissance au centre de la salle. Simples ombres, elles ne semblaient pas dégager de lumière. Ombres moins noires que la nuit, on en distinguait comme un reflet. Quelques frottements laissèrent à penser que Yaé se déplaçait. Quiloma se raidit. Pourtant le choc le prit par surprise du côté où il n'attendait rien. Ses réflexes de combattant lui sauvèrent la vie mais il perdit son épée. Il sortit sa dague. Il eut peur. Yaé était le parfait exemple de ces phalanges de francs-tireurs, aussi dangereux que des crammplacs. Un ordre était un impératif que rien ne pouvait interrompre sinon son accomplissement. Yaé ne se soumettrait pas avant d'avoir accompli ce pourquoi on l'avait envoyé, à moins qu'il ne soit mort.
- Tu mets ton espoir dans ta force, Prince Yaé. Regarde ce qui descend. C'est l'image de ton chant.
Malgré lui, Quiloma regarda, le noir brillant des spirales qui naissait près du plafond pour descendre vers le sol. Le bruit métallique et les étincelles qui scintillèrent non loin de lui le prirent encore une fois au dépourvu. Yaé, maintenant armé, avait attaqué à nouveau. Alors que son arme allait toucher Quiloma, un coup de marteau l'avait désarmé, envoyant la lame se planter dans la cloison de l'autre côté. Il y eut des bruits de mouvements rapides et puis plus rien. Seule persistait une luminescence sur l'épée qui vibrait encore.
- La crainte t'est inconnue, Prince Yaé. C'est bien. Tu as choisi la voie noire et obscure. Aujourd'hui tu fais face à qui est plus grand que ton prince. Quel est ton chant ?
Le silence fut la seule réponse. Une ombre se glissa contre la cloison pour arracher l'épée du mur. Quand sa main toucha l'épée, Yaé cria.
- KA MA FIO TAS MABA
TRANCA SIM COMBA...
Ce n'était pas un chant, c'était un hurlement.
- TUE, DE GLACE est ton cœur.

ÉGORGE, FROID EST TON SANG.
NOIRE EST LA VIE.
ROUGE EST LA MORT...
Au centre de la pièce, du bâton planté, jaillissaient des flots d'éclairs rouges et noirs, donnant un aspect irréel aux trois hommes. Yaé se précipita l'arme haute sur le roi-dragon. Son arme vola une nouvelle fois. Souple et rapide, il la récupérait pour recommencer. Quiloma fut subjugué par la rapidité des deux hommes. Si Yaé se déplaçait vite, le roi-dragon semblait être partout à la fois. Le tintement de leurs armes retentissait dans toute la pièce.
- De glace est ton cœur, mais de feu est le mien ! dit le roi-dragon. Froid est ton sang, mais feu est le mien. Alors aujourd'hui choisis ton maître.
Les volutes se teintèrent d'or. La lumière changea à nouveau. Chaque attaque de Yaé rencontrait le marteau du roi-dragon dans un puissant tintement. À chaque fois, Yaé était désarmé. À chaque fois, il plongeait pour récupérer l'épée. À chaque fois les volutes d'or augmentaient. Bientôt la lumière fut assez forte pour voir tous les détails de la pièce. Quiloma se sentait hors jeu. Les deux hommes se faisaient face. Yaé était essoufflé et épuisé, penché en avant. Le roi-dragon était debout face à lui le marteau à la main. Il avança sur Yaé. Celui-ci leva l'épée. Le marteau la fit voler au loin. Yaé se jeta sur le côté pour la récupérer. Il ne l'avait pas atteint que le roi-dragon était debout le pied sur la lame.
- La lumière te fait peur, Prince Yaé. Acceptes-tu de me servir ?
- Jamais !
De nouveau, des vapeurs tels de noirs serpents se tordirent dans l'air. La lumière s'obscurcit.
- Alors, attaque !
Le Prince Yaé se précipita en avant, mais déjà la roi-dragon était passé derrière lui le poussant fermement. Il s'étala par terre. Sa main se referma sur l'épée devant lui. Il frappa de toute sa vitesse en arrière, ne rencontrant que l'acier du marteau dans un tintement de gong. De nouveau désarmé il bondit. Le marteau le cueillit à la tempe. Le prince Yaé s'effondra.
Les éclairs noirs devinrent des vapeurs, les arabesques d'or jaillissant du bâton les absorbèrent.
Quiloma regardait alternativement le roi-dragon et Yaé :
- Est-il mort ?
- Je l'ai rendu inconscient.
Le roi-dragon s'approcha du Prince Yaé :
- Il vivra. Les racines du sombre sont profondes en lui. Sa rage et sa colère sont de bons terreaux pour celui qui sait y planter ses graines de mal. La liberté lui est, pour cela, inconnue. Du temps sera nécessaire à sa découverte. Je vais le lier à moi contre ce mal.
Le roi-dragon retourna Yaé sur le dos, lui mit la main droite sur le cœur. Il prit son bâton de pouvoir qui continuait à déverser des flots d'or dans la pièce et le posa sur la main de Yaé :
- Tsin ta la molvéo
Tsin tal la molvéo
Le chant s'éleva tel un murmure pendant que les volutes d'or enveloppaient Yaé le cachant aux yeux de Quiloma.
- En toi est la source.
En toi est ma source.
En toi se déverse l'or.
En toi se déverse le feu.
En toi habite le dragon-roi.
Ta colère est ma colère.
Ta violence est ma violence.
Le froid de ton cœur est brûlant
Du feu de mon cœur.
Quiloma regardait fasciné le corps de Yaé qui semblait s'imprégner de ce qui le baignait. Quand tout fut fini, le roi-dragon se redressa :
- Il sera prince-dixième. Sa phalange est la phalange noire. Sans ombre, il mourra et ses guerriers avec lui. J'ai mis la lumière en lui,... un peu, assez pour qu'il vive. Son chemin sera long. Là où je vais, il a un rôle à jouer.
Pendant que le roi-dragon ouvrait la porte, Quiloma pensa aux légendes, la phalange noire en faisait partie. Elle était la phalange des parjures et des renégats. La légende la plus célèbre racontait comment ils s'étaient rachetés en servant le roi-dragon. Il pensa aussi à l'autre, la noire légende, peut-être la plus vieille, qui racontait comment la phalange noire avait trahi son roi.

mardi 26 mars 2013

Bagochalis se tenait bien droit, les mains attachées derrière le dos.
Le konsyli chargé de sa garde s'avança vers le roi-dragon et dit :
- Il a tenté de prendre une épée pour s'enfuir.
- Bien, dit le roi-dragon, déliez-le et sortez.
Bagochalis frotta ses poignets, tout en se tournant vers Quiloma et le roi-dragon.
- Explique ! dit ce dernier.
- Le Prince Sanki a reçu mon chant et il avait donné le sien au Prince-majeur. Mon serment n'est pas pour vous.
- Tu es de la famille de Coïtti. Elle a toujours été fidèle aux rois-dragon dans les temps anciens. Pourquoi changerait-elle aujourd'hui ?
L'homme tournait doucement autour de la pièce. La lumière était très faible. Les guerriers étaient sortis avec les torches. Quiloma pensa à un crammplac en cage. Bagochalis ne s'était pas soumis, il attendait le moment favorable.
- Le Bras du Prince-majeur a parlé de vous au Prince Sanki. Il a parlé de votre magie. Il a dit qu'elle n'était qu'illusion. Je crois mon Prince.
- Le bout de bâton de ta ceinture, où est-il ?
- Il a brûlé à votre arrivée, encore une magie.
- Qu'attends-tu ?
- Mon maître !
- Bien alors regarde !
Il dévoila le bâton de pouvoir à l'instant même où Bagochalis venait de décider d'attaquer le roi-dragon. L'homme sembla se bloquer sur place alors que les volutes de lumières s’élevaient dans la pièce jetant des lueurs changeantes sur les murs. Le rouge se mélangeait à du gris. Du orange vint s'ajouter à des arabesques dont la complexité défiait l'esprit humain.
- Bien, très bien ! Avance maintenant Prince Bagochalis.
Les yeux fixés sur le jaune qui venait d'arriver dans les tourbillons aériens, il approcha du centre de la pièce. Quiloma se tenait contre le mur, immobile, le regard aussi fixe que celui du prince-dixième. Le roi-dragon se mit en mouvement. Reculant doucement, il guida Bagochalis jusqu'au centre de la pièce.
- Plus profond, Prince Bagochalis, va encore plus profond et écoute ce que disent en toi ceux qui ont vécu avant toi.
Les volutes se teintèrent de bleu, de violet, et de vert. Elles se tordaient, tourbillonnaient évoquant les fumées d'un feu de bois. Bagochalis se mit à haleter comme s'il souffrait. Il tomba à genoux en se prenant la tête dans les mains.
- Qu'entends-tu, homme fils de prince ?
- Bioulo tamakatis
Casamta bigalis
Sinatal Bagochalis

Le chant était saccadé, grinçant.

- Au pouvoir tu seras
Ton bras tu donneras
Bagochalis ainsi tu vivras

Combattant tu seras
Ta vie tu donneras
Bagochalis tu seras

En chemin tu seras
Ton destin tu donneras
Bagochalis tu seras

Prince tu seras
Ton pouvoir tu donneras
Bagochalis tu seras

Alors que son chant continuait tel un courdy désaccordé, le roi-dragon s'approcha de l'homme à terre et le toucha. Ce dernier hurla et de nouveau les arabesques changèrent. Le noir vint se mêler aux autres couleurs, les altérant, leur faisant perdre leur brillance. D'une voix grave et douce, le roi-dragon se mit à chanter comme une berceuse :

- Tial ban cha, Bagochalis,
Tial ban cha...
Coum tel gat, Bagochalis,
Coum tel gat...

- Sois qui tu es Bagochalis,
Sois qui tu es...
Avec fidélité, Bagochalis
Avec fidelité...
De tes aïeux, Bagochalis
De tes aïeux...
Reçois la vie, Bagochalis
Reçois la vie...
Autour de toi, Bagochalis
Autour de toi...
Regarde-les, Bagochalis
Regarde-les...

Du bâton de pouvoir s'élevait un arc en ciel ourlé d'or. Il sembla se tordre pour se lover dans les creux des volutes qui déjà volaient dans la pièce. Leur rencontre faisait éclater des symphonie de couleurs plus riches les unes que les autres. Bientôt une voix s'éleva, timide au départ, elle gagna en assurance :

- Milta gama voya chima
Milta choya gami chayo...
- Quand naît la lumière se lève l'homme.
Les yeux de lumière révèlent le vrai.
Quand des racines montent la sève,
Plus beau est le litmel.
D'or seront mes rêves
Puisque d'or sont les yeux qui m'ont regardé.
Simple et serein le chant s'éleva pendant que spiralaient les couleurs. Il prit le temps de se dire. Il prit le temps de se recevoir. Le roi-dragon termina la cérémonie par le don d'un cylindre de pouvoir.

Puis de nouveau, il fit jurer la phalange de Bogachalis, tout en écartant ceux qui ne pourraient tenir leur serment.

vendredi 22 mars 2013

Quiloma n'avait pas bien compris l'agir de ce roi-dragon. Qunienka était de son avis. Il avait essayé d'en parler avec la Solvette mais elle avait donné raison au roi-dragon. Selon le code de l'honneur en usage dans le pays Blanc, les trois princes et leurs phalanges étaient coupables et auraient dû être châtiés. Non seulement il avait fait grâce aux guerriers mais il avait rendu leur rang et leur commandement à Saÿnnu et à Bagochalis. Quiloma avait été très réticent à cette démarche. Mais le roi-dragon avait donné des ordres. On avait séparé les trois princes et mis chacun dans une salle sous haute surveillance. Accompagné de Quiloma, toujours sous sa forme simplement humaine, le roi-dragon était entré là où l'on retenait Saÿnnu. Celui-ci s'était mis au garde-à-vous en le voyant entrer. Tous les gardes sortirent. Il ne resta que Saÿnu, Quiloma et le roi-dragon.
- Bien, très bien, Prince Saÿnnu. Vient le moment pour moi de choisir ton avenir.
Saÿnnu avait avalé sa salive tout en regardant le roi-dragon enlever le fourreau qui recouvrait son bâton de pouvoir. Les arabesques dessinées dessus capturèrent ses yeux.
- Bien, Prince Saÿnnu. Regarde bien les lignes. Tu vois comme elles sont belles. Elles sont le reflet de ton chemin.
Sous les regards capturés des princes, des lignes sinueuses s'élevèrent du bâton pour se tordre, s’enlacer, se tresser dans les airs en un scintillement coloré fait de bleu, de vert, de blanc et d'un peu de noir qui venait souligner la brillance des autres couleurs.
- Bien, Prince Saÿnnu, maintenant, chante ton chant propre.
Il y eut comme une hésitation chez Saÿnnu. Le chant propre d'un prince est le chant du serment, le chant de sa vassalité. Propre à chacun, il est inconnu des autres et si nul ne doit le chanter en dehors de la cérémonie d'initiation, tous pourtant, doivent le répéter chaque jour pour être prêt à le proclamer si le roi ou le Prince-majeur le demande. Ce chant était tombé en quasi désuétude depuis l'arrivée au pouvoir de ce Prince-majeur. Saÿnnu lutta, fronçant les sourcils, pour se rappeler ce qu'on lui avait appris. Sur son visage, les sentiments s'exprimaient sans retenue. La peur y succédait à la surprise. Il balbutia :
- Je... Je...., non, je ne m'en souviens pas....
Des larmes coulèrent sur ses joues.
- Bien, Prince Saÿnnu, entre dans la confiance, regarde et chante !
Les arabesques s'enrichirent d'autres couleurs, changèrent de rythme. Puis un fin filet doré qui prit de l'ampleur vint se mêler aux dessins complexes qui flottaient dans l'air.
Un sourire apparut sur le visage de Saÿnnu :
- Yolo cum ba yolo
Simba Saÿnnu
Yalo tim sa Yalo
Vinca Saÿnnu...
La pièce se remplit des images du pays des vents.
- Quand souffle le Yolo,
Viens maintenant Saÿnnu.
Quand brûlent les combats,
Vaincs maintenant Saÿnnu.
Les plaines blanches brillent
de l'éclat de tes armes.
L'honneur du roi est tien.
La gloire du Dragon est tienne.
Que viennent les ennemis.
Que coule leur sang.
Rouge est le roi-dragon,
Dorée est sa victoire.
À jamais Saÿnnu est son sang !
À jamais Saÿnnu est sien !
Le chant continua pour s'achever dans un murmure.
Quiloma prit conscience du silence. Le roi-dragon avait recouvert le bâton de pouvoir. Il porta la main au morceau de bois sculpté qu'il avait dans son étui rouge. Plus précieux que le morceau du bâton brisé qu'il avait, le roi-dragon lui avait remis un cylindre de bois ouvragé porteur de pouvoir. Il vit que le roi-dragon remettait un insigne semblable au prince-dixième Saÿnnu.
- Allons voir ta phalange ! dit le roi-dragon.
Les trois hommes sortirent pour découvrir, impeccablement alignés, tous ceux qui avaient survécu au combat.
Saÿnnu montra le signe de son adoubement. Quand ils virent le morceau de bois, tous les guerriers mirent genou à terre et prononcèrent le serment de fidélité à leur prince. Toutes les têtes baissées brillaient dans le soleil du jour sauf une par-ci, par-là. D'un ordre geste Qunienka fit intervenir ses guerriers qui les firent mettre à part. Quiloma jeta un regard interrogatif au roi-dragon.
- Leur cœur est impur. Leurs voix sonnent comme un gong désaccordé. Ils seront infidèles. Allons voir Bagochalis.

mardi 19 mars 2013

L'arrivée du dragon changea le cours de la deuxième bataille de la ville. Si l'assaut des forces de Yas était arrivé par la vallée, l'attaque d'aujourd'hui se faisait sur la porte du haut. Le dragon-homme vit les corps étalés dans la neige, percés de flèches. Son premier passage à basse altitude figea les combattants. Son deuxième passage alors qu'il crachait le feu sur les attaquants, provoqua une panique. Lors de son virage sur l'aile, il prit conscience que les assaillants avaient des tenues de guerriers blancs. Des gestes-ordres étaient donnés pour bloquer la fuite. Il vit le regroupement des forces près de la pierre qui bouge. Il décida de se poser entre eux et la ville. Le souffle puissant de ses ailes déstabilisa les archers et les flèches partirent dans tous les sens. Il allait rôtir tout ce petit monde quand il vit quatre hommes jeter loin d'eux des étuis rouges. Ses yeux d'or se fixèrent sur eux :
- Alors princes, vous attaquez ma ville !
Il repéra les regards et les gestes incertains des guerriers blancs. Les légendes étaient trop présentes dans leurs esprits pour qu'ils ignorent la réalité du dragon. Ils se tournèrent vers les quatre princes. Trois d'entre eux avaient mis genou à terre. Le quatrième la lance à la main, déclara :
- Tremble, esprit du mal. Tes illusions ne tiendront pas devant la puissance du vrai roi !
Ayant dit cela, il lança un javelot noir comme la nuit. Le trait vola vers son poitrail. Le dragon-homme sentit le mal qui l'habitait. Le dragon-homme se transforma. Devenu le roi-dragon, il leva son bâton de pouvoir. Le feu s'empara de l'arme. Tout le monde regarda cette flamme volante se transformer en boule noire. Elle alla s'écraser sur la neige non loin de la porte haute. On vit une fumée noire s'élever pendant que fondait la couche neigeuse. Le phénomène alla jusqu'à la terre qui prit une teinte noire. Le lanceur de javelot reprit le même type d'arme. Le roi-dragon vit qu'il portait au doigt un anneau de prince neuvième comme Quiloma. Alors que l'homme armait son bras, le roi-dragon fit usage de sa puissance. Le noir javelot s'embrasa dans la main du prince formant une boule de feu et d'obscurité. Sous les yeux des combattants, l'ombre cerclée de flamme prit de l'ampleur, cachant le corps de l'homme. Un hurlement en sortit crescendo pour finir dans un borborygme indistinct. Dans le silence qui s'était installé, il ne restait plus que le grésillement d'un amas noir au sol faisant fondre la neige. Les trois autres princes portant un anneau de prince dixième, genou à terre, mirent le poing droit fermé sur le cœur. Devant ce spectacle, tous les attaquants firent de même. Derrière le roi-dragon monta l'ovation.
Quiloma sortit en boitant suivi de sa phalange en position de combat. Les autres se laissèrent désarmer sans résister, la tête basse.
Le roi-dragon et les princes se retrouvèrent dans la grande salle de Montaggone. Les trois princes-dixième étaient genoux à terre. Quiloma s'était assis. Une flèche lui avait déchiré la cuisse. Il avait eu de la chance. Seuls les javelots semblaient avoir été recouverts de ce poison noir. Il s'était avancé pour accueillir ceux qu'ils avaient pris pour des amis. Ses réflexes lui avaient sauvé la vie. On avait retrouvé une dizaine de guerriers morts de chaque côté. Maintenant, il voulait des réponses et la vengeance. Les trois princes le savaient et tremblaient. Qunienka les regardait avec un mépris non dissimulé. L'autre prince dixième de la ville n'était pas là. Il s'agissait de Sstanch qui avait été nommé ainsi pour sa mission à Tichcou. Qunienka en était heureux. Ce qui se passait ici ne regardait que les hommes du pays des glaces.
Le roi-dragon fit un signe à Quiloma. Ce dernier sans se lever, prit la parole :
- Votre rébellion contre le roi-dragon mérite la mort.
Son regard se promena sur les trois hommes qui ne bougeaient pas. Il laissa un temps de silence. Puis il reprit :
- Le roi-dragon ne veut pas la mort de ses serviteurs. Il souhaite vous entendre avant de prononcer sa sentence.
Étonné, un des hommes releva la tête pour jeter un coup d’œil au roi-dragon. Bien vite il reprit une attitude d'humilité. Sur un signe-ordre de son roi, Qunienka s'avança vers lui :
- Quel est ton nom et ton histoire ?
De nouveau le prince dixième releva la tête. Il regarda Qunienka puis les autres puis enfin le roi-dragon aux pupilles d'or.
- Mon roi, je ne mérite que la mort. La seule clémence que j'implore est pour ma phalange qui n'a fait que m'obéir.
- J'entends ton souhait, prince-dixième. Pourtant une nouvelle fois, tu contreviens à un ordre.
L'homme se mordit la lèvre inférieure. Il s'étala par terre en signe de soumission absolue. Le roi-dragon rugit :
- DEBOUT, PRINCE ! OBÉIS !
L'homme se redressa comme si un fouet l'avait frappé. Tremblant il se tint debout au garde-à-vous.
- Je suis Saÿnnu, fils du prince-cinquième Tatvaliu. Je suis né il y a cinq saisons dans le pays des Grands Vents que dirige mon père. Ma venue fut une joie puisque j'étais le cinquième enfant et le premier fils. Ma mère m'a raconté que la fête fut grandiose à cette occasion. Ma première épée fut mon premier souvenir. Je l'ai reçue, je savais à peine marcher mais le prince-cinquième Tatvaliu voulait que tout le monde sache que la succession ne serait pas à prendre. J'ai fait ce que je devais faire pour tenir mon rang. J'ai appris durement le métier des armes. J'ai appris durement à être un bon konsyli puis un bon prince-dixième lors de la campagne de la saison dernière quand le Prince-majeur a décidé de reprendre le contrôle des territoires que les Gowaï avaient reconquis. J'étais avec lui dans la forteresse quand les crammplacs attaquaient sans répit. J'ai été blessé et n'ai eu la vie sauve que grâce à l'arrivée du Bras du Prince-majeur qui a mis en fuite ces monstres. Mon père, le prince-cinquième du pays des grands vents a été parmi les premiers à reconnaître que le Bras du Prince-majeur tenait en main le bâton de pouvoir pour ce temps. J'ai été reconnu prince-dixième quand mes blessures ont été cicatrisées puisque j'avais su assurer l’intérim de mon prince tué au combat. J'ai alors participé aux efforts pour que règne la paix du Prince-majeur sur le pays Blanc. Je suis un bon stratège et mes campagnes ont été couronnées de succès. J'ai vaillamment défendu les frontières du pays Blanc pendant que mon père défendait les pays des Grands vents. J'ai servi mon pays et celui qui était le détenteur du bâton de pouvoir pour ce temps. J'ai servi fidèlement jusqu'à ce jour où est apparu le rouge dragon dans le ciel de mes combats.
- Qui t'a envoyé et pourquoi ? demanda le roi-dragon.
- Nous revenions à la Blanche quand est tombée la nouvelle. Les charcs annonçaient la venue d'un dragon au pouvoir du mal. Le Bras du Prince-majeur a réuni tous les princes présents. Assis aux pieds du Prince-majeur, il a ...
- Le Prince-majeur était là ! interrompit Quiloma.
- Oui, raide et droit sur le trône, le regard fixe. C'est ainsi que doit siéger celui qui détient la puissance du bâton... Enfin, c'est ce que nous a dit le Bras du Prince-majeur, ajouta le prince en baissant la tête.
- Continue, dit le roi-dragon.
L'homme se redressa et reprit la parole.
- J'étais au fond de la salle avec les autres princes-dixième. Le discours du Bras du Prince-majeur a été long. Je ne me souviens que des grandes lignes. Un imposteur venait de se déclarer dans la région en marge du pays Blanc, là où avait péri l'enfant héritier quand des traîtres l'avaient enlevé. Cet imposteur s'était lié avec un dragon et celui qui avait été un prince-neuvième digne de son rang avait déchu en s'alliant à l'imposteur. À la fin de son discours, nous étions tous prêts à courir sus à l'imposteur et à son dragon. Mais d'autres mauvaises nouvelles suivaient. Le peuple Gowaï semblait se rassembler. Il fallait les arrêter avant qu'ils ne puissent marcher sur nous. Le Bras du Prince-majeur a alors choisi le plus brave et le plus téméraire pour porter la loi du Prince-majeur détenteur de la puissance du bâton. Il a choisi le prince-neuvième Sanki pour être le représentant du Prince-majeur en ces lieux de désolation où mouraient les héritiers et où naissaient les imposteurs. Les bruits du palais disaient que le Prince Quiloma ne disposait pas d'une phalange complète et que ses troupes autochtones n'étaient pas à la hauteur. Le prince Sanki a demandé trois phalanges pour mener ce combat. C'est lui qui nous a choisis. Nous avons alors mené grand train pour arriver avant que fonde la neige. Je ne connaissais pas ces javelots noirs qui empoisonnent. Je les ai découverts quand le prince Sanki les a utilisés.
- Bien, dit le roi-dragon.
Se tournant vers un autre prince à genoux, il dit :
- Toi, lève-toi et présente-toi.
Le deuxième prince se mit debout. Il semblait moins assuré que Saÿnnu :
- Je suis Bagochalis, prince-dixième de la famille du prince Coïtti, cousin du Prince-majeur. Mon histoire est simple. J'ai été élevé pour être au service du Prince-majeur. J'ai gravi les échelons comme tous ceux de ma famille. Ma phalange a toujours bien combattu. J'étais konsyli quand Sanki était prince-dixième. Je suis devenu second de la phalange quand il est devenu prince-neuvième. C'était un homme de valeur, courageux, fidèle. Quand Jorohery est revenu alors que la défaite frappait aux portes de la Blanche, il a participé avec lui à la campagne victorieuse. Il l'a vu, m'a-t-il raconté, entrer dans les cavernes des rois-dragon pour y trouver le bâton de pouvoir pour ce temps. Il en est sorti auréolé de la lumière des dragons et le bâton a fait merveille au combat en sauvant le fort Smiloun. Sanki s'est alors dévoué corps et âme pour celui qu'il prenait pour le roi-dragon. Il y a eu d'autres combats. Mon prince-dixième est mort vaillamment au combat. Sanki m'a nommé à ce moment-là. J'ai été le plus proche du prince Sanki. Ma phalange était sa garde personnelle. Nous voyagions avec lui, nous vivions avec lui, nous combattions avec lui. J'étais présent à la réunion des princes. J'ai aussi accompagné Sanki lors de sa rencontre avec Jorohery, puisque je commandais sa garde rapprochée. Nous sommes arrivés au palais du Prince-majeur. Le Bras du Prince-majeur nous attendait dans la salle de réception. J'ai été étonné de le voir ainsi assis sur le trône du roi-dragon. À côté de lui était le bâton de pouvoir pour ce temps. Nous sommes restés en faction près de la porte. Sanki s'est avancé et s'est incliné comme devant le roi-dragon. Ils ont parlé à voix basse un long moment. J'ai vu Sanki se relever brusquement comme si Jorohery lui avait dit des choses inconvenantes. Le Bras du Prince-majeur a pris le bâton de pouvoir pour ce temps et Sanki a repris sa position de vassal. J'ai vu des gardes amener des lances lourdes. Ils ont pris une peau de crammplac et l'ont étendue à terre. Les deux javelots y ont été déposés. Jorohery s'est levé. Il a levé les bras vers le ciel tendant bien haut le bâton de pouvoir pour ce temps. Il a imploré les esprits des dragons et a touché les lances du bout du bâton. Pendant un instant, ce fut comme si la lumière avait disparu de la pièce. Puis la noirceur reflua pour se fixer sur les javelots. Sanki s'est approché. Jorohery l'a aussi touché du bout de son bâton. Je l'ai vu pâlir malgré la distance. Après, il a roulé la peau de crammplac avec les lances et est venu vers nous. Elles ne l'ont plus quitté jusqu'à votre arrivée, Oh vrai Roi-dragon.
- Comment sais-tu que je suis le vrai roi-dragon ?
- Quand mon fragment du bâton de puissance s'est enflammé et que j'ai vu les autres fragments faire de même, les légendes ont pris sens. J'implore vôtre clémence pour ma phalange. Ce sont de bons guerriers qui n'ont fait qu'obéir aux ordres.
- J'entends tes paroles prince-dixième Bagochalis.
Il fit un geste vers le dernier prince agenouillé. Qunienka s'approcha de lui :
- À ton tour, lui dit-il.
L'homme se leva d'un bond. Il avait le regard fier et fixa le roi-dragon dans les yeux.
- Je suis Yaé, fils de Ham, de la lignée des Princes-majeur. Ma témérité et mon courage aux combats m'ont fait reconnaître prince-dixième dès mon plus jeune âge. Ma phalange est la phalange des francs-tireurs. Je recevais mes ordres directement du Prince-majeur. Et quand est arrivé le bâton de pouvoir pour ce temps, c'est le Bras du Prince-majeur qui nous transmettait ses ordres en direct. La rencontre avec le Prince-majeur pouvait être fatale pour nous s'il devenait comme un dragon.
- Quel était ton rôle prince Yaé ? l'interrompit le roi-dragon.
- Nous devions éliminer tous les dangers pour le Prince-majeur et arrêter tous ceux qui pouvaient lui vouloir du mal. Avant même qu'une pensée hérétique ne naisse dans l'esprit d'un de ses sujet, notre Prince-majeur la connaissait. Ils nous envoyaient pour mettre hors d'état de nuire ceux qui auraient pu nuire au Royaume Blanc. Nous l'avons fait et nous l'avons bien fait. Tous ont avoué lors de nos interrogatoires dans les sous-sols du palais.
- Tous ?
- Non, pas tous ! Les marabouts ont préféré mourir que de se reconnaître hérétiques devant le Bras du Prince-majeur.
- Qu'est-il arrivé aux autres ?
- Ils sont morts pour la plupart dans les grottes sous les montagnes chaudes pour extraire les métaux avec les autres hérétiques qui ont eu droit à la clémence du Prince-majeur. Il aurait mieux valu les éliminer. Leur vie même constituait une menace. Mais le Prince-majeur est trop bon. Nous revenions de conduire un convoi quand la nouvelle de l'hérésie majeure est arrivée. Un homme et un dragon réclamaient le pouvoir du Prince-majeur en se disant Roi-dragon. Mon sang n'a fait qu'un tour. Le Bras du Prince-majeur a écouté ma requête et a donné l'ordre au Prince Sanki de nous choisir. Nous avons failli avec l'arrivée du dragon. Je n'implore ni grâce ni clémence. Nous savions que notre mission pourrait être un échec, que l'imposteur serait séducteur. Le Bras du Prince-majeur nous a prévenus. Mieux vaut la mort que servir un faux roi !
À ces paroles Qunienka avait dégainé son épée.
- Suffit, Prince Qunienka, dit le roi-dragon. Le prince-dixième Yaé pose la question de ma reconnaissance. Il a raison. Un homme tel que lui ne peut lâcher la proie pour l'ombre. Il a vu la puissance du Bras du Prince-majeur. Alors, il me faudra lui répondre de la seule manière qu'il puisse entendre.

vendredi 15 mars 2013

Son retour en ville avait réjoui le cœur des habitants. Le roi-dragon s'était entretenu longuement avec Quiloma sur ce qu'il convenait de faire. Les gens de Tichcou avaient des vivres et allaient les partager. Pouvait-on leur faire suffisamment confiance ? Le roi-dragon ne le croyait pas. Il voulait un contrôle. Il avait proposé à Quiloma de prendre le commandement des deux villes. Ce dernier avait accepté mais avait refusé de descendre à Tichcou.
- Il n'est pas bon que l'ennemi d'hier commande aujourd'hui. Il serait préférable d'envoyer quelqu'un issu d'ici, avait-il déclaré.
L'idée avait plu au roi-dragon. Ils s'étaient arrêtés sur le nom de Sstanch qui avait montré sa valeur dans les évènements passés. C'est ainsi qu'une demi-phalange était partie vers Tichcou. Ce n'étaient que des guerriers du cru. Le détachement n'était composé que d'hommes nés dans la ville. Les guerriers blancs restaient sous les ordres directs de Quiloma. Le roi-dragon avait décidé d'accompagner Sstanch dans son voyage.
Il avait soigné son entrée. Ayant rejoint le groupe en volant et s'étant assuré de leur bonne progression, il avait mis le cap sur la ville. Les guetteurs l'avaient repéré à ce moment-là comme il débouchait au dernier tournant de la vallée. Il avait entendu leur cri d'alerte. Il avait laissé le temps aux hommes de se préparer en décrivant des ronds autour de Tichcou. Quand Sstanch s'était présenté aux portes de la ville, il avait atterri. Le dragon-homme rouge s'était stabilisé au sol de deux coups d'ailes vigoureux et avait laissé la place à l'homme-dragon son bâton de pouvoir à la main. Derrière lui Sstanch pénétra sur l'esplanade à la tête de ses guerriers tout de blanc vêtus.
À leur arrivée, Kaltrim s'était avancé pour rendre hommage. Si son bras gauche était en écharpe, son maintien était celui d'un prince-roi. Derrière lui se tenaient trois groupes, au centre les flamintiens en tenue de parade, de part et d'autre les soldats du fort avec à leur tête les commandants respectifs. Kaltrim avait profité des quelques jours d'absence du roi-dragon pour ordonner la ville à la nouvelle vassalité.
- Prince-roi, tu as bien agi. Je te présente celui qui sera comme un compagnon pour toi.
Il fit signe à Sstanch d'avancer. Il craignait cet instant. Si les deux hommes ne se plaisaient pas, des difficultés en seraient la conséquence. Sstanch se présenta devant le prince-roi et mettant le poing fermé sur la poitrine, il s'inclina :
- Que ta gloire soit grande comme ton combat fut grand !
Le roi-dragon vit Kaltrim plisser les yeux comme s'il cherchait quelque chose dans sa mémoire.
- Qui t'a apprrris cccette sssalutation ?
- J'ai combattu dans la plaine lors des grandes guerres, répondit Sstanch, sous les ordres de ton père dans les unités de mercenaires.
Un sourire éclaira le visage du prince-roi.
- Ah ! Les Grrrandes Guerrrrrres ! Il était plus facccile alorrrs de prrrouver sssa vaillanccce.
Pendant la cérémonie qui suivit, Sstanch ne quitta pas le prince-roi. À la fin de la journée, ils étaient inséparables. Le roi-dragon souriait de les voir ainsi. Il pensait surtout aux vivres. Le prince-roi avait tout prévu. Les approvisionnements préparés pour la victoire lui étaient réservés puisqu'il avait vaincu. Maintenant que l'hiver semblait s'éloigner, des convois allaient arriver pour voir le roi-dragon et le lieu où était enseveli le prince-roi, mort les armes à la main. Puisque la vieille légende disait vrai, alors eux, les flamintiens avaient la gloire à gagner en le suivant. Ils viendraient avec des vivres mais aussi de l'or et des choses précieuses. Les caisses allaient se remplir.
En attendant ce temps, les ordres étaient donnés. D'ici quelques jours une caravane partirait chargée de provisions. D'autres suivraient en fonction des besoins et selon les ordres du roi-dragon ou de Sstanch.
Les jours qui suivirent furent agréables. Les températures remontaient. Par endroit la neige fondait. Plus haut dans la vallée, une fois le fort passé, le froid était vif. Il y avait là comme une frontière entre l'influence des dieux. Le roi-dragon marchait avec Sstanch. Il avait décidé d'accompagner le premier convoi. Il était prévu qu'il aille jusqu'au fort. Une fois là, il faudrait décider comment poursuivre le voyage. Les hommes passeraient partout en portant peu. Les clachs portaient beaucoup plus mais connaissaient des difficultés pour progresser dans la montagne. Les tiburs seraient mieux adaptés. La difficulté était de les faire venir. Sstanch et le roi-dragon en discutaient quand :
- MON ROI ! MON ROI !
Le roi-dragon dirigea son regard vers le cri. Prenant des risques insensés, un guerrier blanc dévalait la pente raide de la vallée. Il admira sa maîtrise alors qu'il passait les barres rocheuses. L'homme atteignit la hauteur du roi-dragon et s'arrêta dans un nuage de neige.
Déchaussant et mettant un genou à terre, il dit :
- Mon roi, ils sont là et c'est la guerre !

mardi 12 mars 2013

La fête fut courte. La guerre avait laissé peu à manger. Le froid revint et avec lui la neige. Les gens de la ville survivaient grâce aux machpes et à la chasse. Les tiburs manquaient de fourrage. Ceux qui mouraient, donnaient peu de viande. L'espoir né de la première pluie et de l'arrivée du roi-dragon s'amenuisait.
- Beaucoup mourront encore, dit la Solvette.
- Les vivres vont manquer, dit Chan.
- Je ne voudrais pas être obligé de réprimer des émeutes, dit Quiloma.
- Les esprits sont perturbés, dit Kyll. Le retour du froid les perturbe. Ils le pensent mauvais.
Le roi-dragon eut un geste interrogatif. Kyll reprit :
- Il est possible que les forces du mal soient à l’œuvre. Cette nouvelle colère de Sioultac étonne les mondes spirituels. L'équilibre semble s'éloigner.
Le roi-dragon sembla se renfrogner. Il soupira :
- Moi qui pensais que mes ennuis seraient terminés...
Le roi-dragon se leva. Les autres l'imitèrent. Sabda lui demanda :
- Que vas-tu faire ?
- Réfléchir..., lui répondit-il.
Sabda l'accompagna jusqu'à la porte de la ville et le regarda s'envoler. Cette transformation était toujours pour elle un émerveillement. Qu'il était beau !
Plus dragon que roi, il retrouvait la paix en se laissant porter par les vents et par ses désirs. Les bourrasques le bousculaient, la neige le fouettait, pourtant il se sentait libre. Que pouvait-il face aux malheurs de tous ? Lui revinrent en mémoire des scènes gravées dans la grotte que le marabout Mandihi lui avait montrées. On y voyait des dragons nourrir les hommes qui les servaient. Glissant sur les vents, il se retrouva dans une zone plus calme. Il fut surpris de constater ce phénomène. Il regarda où il était. En bas si la neige tombait, elle voletait sympathiquement. Il se laissa descendre, trouvant près du sol des courants plus doux. Il arriva au-dessus de Tichcou. Il sentit ce dont il avait besoin. Virant sur l'aile, il se dirigea vers la place située devant le fort. Il vit les gardes donner l'alerte. Il survola la place-forte. La cour ressemblait à une fourmilière. Tout le monde courait avec qui un arc, qui une lance. Il frôla le donjon et d'un coup d'ailes bien placé il se freina pour se poser. Continuant à battre des ailes, il fit s'envoler la neige en un brouillard blanc. Des flèches et des lances se plantèrent un peu partout. Quand le brouillard se dissipa, il y eu un temps d'arrêt chez les soldats. Le dragon avait disparu. Au centre de la place, il y avait juste un homme debout, un bâton à la main se dirigeant vers la porte du fort. Sur les remparts, les hommes se tournèrent vers leurs chefs pour quêter des ordres. Le capitaine fidèle à Altalanos, arriva le premier. Il regarda le marcheur et fit un signe. Obéissant sans délai, les archers tirèrent. Une volée de flèches se dirigea tel un nuage mortel vers l'homme. Ce dernier ne s'arrêta pas, et leva juste la main et le bâton. Les flèches se bloquèrent comme si elles avaient rencontré un mur. Le bruit de leur chute se fit dans un silence quasi général. Les troupes fidèles à Saraya lancèrent leurs lances sur l'homme qui était maintenant tout proche des remparts. Elles subirent le même sort que les flèches. Puis l'homme leva son bâton devant la porte et cria :
- CLINTAMO ! (OUVRE-TOI !).
Il y eut comme un grand bruit et la porte vola en éclats, ébranlant les remparts comme un tremblement de terre. Au milieu de la fumée, avança une silhouette. Les hommes présents dans la cour jurèrent que si on voyait une silhouette d’homme, on devinait aussi celle d'un dragon. Tramto, dit le géant, des troupes de Altalanos, fut le premier à mettre genou à terre en criant :
- Le porteur du feu ultime, c'est le porteur du feu ultime.
Les autres le voyant faire, l'imitèrent. Sur les remparts, tous s'agenouillèrent même le capitaine.
Le commandant des troupes de Saraya qui, contrairement aux mécréants du camp d'Altalanos, ne croyait qu'à l'ange de la mort, s'avança la lance à la main. Les hommes d'Altalanos se mirent en position de combat. L'homme au bâton cria :
- Laissez-le venir !
Le commandant s'approcha :
- Moi, Dramtel, commandant du détachement du général Saraya, adorateur de l'ange de la mort, serviteur des dieux combattants, je te défie !
- Seul ? répondit le roi-dragon.
Pour toute réponse Dramtel attaqua. Il n'avait pas fait trois pas qu'il mordait la poussière, assommé d'un coup de bâton. Ses hommes se précipitèrent pour lui porter secours. Ce fut un spectacle inoubliable, un combat rare entre des soldats aguerris et une silhouette floue bougeant plus vite que le vent et dont chaque coup était incapacitant. Cela dura jusqu'au réveil de Dramtel qui hurla :
- Halte aux combats ! C'est un avatar du Dieu combattant !
Il répéta plusieurs fois son ordre en avançant les mains au-dessus de sa tête, paumes bien ouvertes pour montrer qu'il était sans arme.
Le soleil n'avait pas parcouru la moitié de sa course que Tichcou était devenue un fief du roi-dragon.
Il réunit les officiers dans la grande salle. Son apparition avait fait se concrétiser leurs rêves. Enfin, ils étaient là où il fallait au moment où il fallait. Alors que les deux groupes de soldats en étaient presque venus à se battre pour savoir qui de Altalanos ou de Saraya devait devenir roi, ils se réconcilièrent sous la bannière du roi-dragon. Dramtel se rêvait déjà général. Quant à Tamlaco, sa fidélité à Altalanos avait fondu aussi vite que la neige au soleil d'été. Le roi-dragon comprit que les troupes ici présentes n'étaient qu'un ramassis de laissés pour compte. Il avait l'impression d'entendre Schtenkel. Les deux commandants d'unité avaient décidé d'offrir une fête au roi-dragon. Les ordonnances apportèrent de quoi boire et manger. Des instruments sortirent, le malch noir coula. Le roi-dragon buvait peu et écoutait beaucoup. Il entendit les rêves de ces hommes, rêves de gloire et de richesse, rêves d'être quelqu'un. La fête dura une bonne partie de la soirée et de la nuit mais le roi-dragon était parti.
Ses pas l'avaient dirigé vers le Milmac blanc. Il avait encore la tête pleine de ce qu'il avait entendu. S'il avait impressionné les militaires, avait-il obtenu leur loyauté ? Il en doutait. Il aurait besoin que Quiloma vienne pour mettre de l'ordre dans tout cela. Il en était là de ses pensées quand il découvrit le Milmac blanc illuminé comme un jour de fête. La porte était ouverte. Même s'il ne faisait pas très froid, ce n'était pas l'habitude de laisser ainsi les entrées en plein courant d'air. Il entendit qu'on y parlait fort, il s'approcha.
- ET MOI, JE TE DIS QU'IL VA RRREVENIRRR AVEC LA PRRREUVE DE SSSA VICTOIRRRE...
- BIEN MOI, JE PRRRÉTENDS QU'IL SSS'EST FAIT OCCCCCIRRRE PARRR LE DRRRAGON.
Dans la salle, il y avait deux répliques du prince-roi de Flaminto. Les deux protagonistes se faisaient face. Bien qu'à l'intérieur d'un bâtiment, ils étaient avec leur cotte de maille et leurs épées à la main. Le roi-dragon se glissa dans la grande pièce sans se faire remarquer. Les gens du Milmac blanc semblaient surtout se préoccuper de pousser les tables et les bancs. Les deux hommes la chope d'une main, l'épée de l'autre se mirent à tourner l'un autour de l'autre.
- TU N'ES QU'UN RRRENÉGAT !
- TU CRRROIS QUE T'ES MEILLEURRR !
Le premier assaut fut violent. Le choc des deux armes fit jaillir des étincelles.
- Qu'est-ce qui se passe ? chuchota le roi-dragon à l'oreille de son voisin.
Sans se retourner vers lui, l'autre lui répondit sur le même ton :
- En blanc, ccc'est le prrrinccce Kaltrrrim, il est prrremier dans la sssucccccessssssion et l'autrrre ccc'est Frrralssstak qui aimerrrait bien prrrendrrre sssa placcce. Il est meilleurrr mais il n'est que le cousssin
Le combat continua. Manifestement son voisin était ouvertement pour Fralstak. Il tapait du poing sur la table en criant ses encouragements. Le spectacle était aussi intéressant chez les spectateurs qui manifestaient bruyamment leur préférence.
L'assaut avait été féroce entre deux farouches combattants très bien entraînés. Les deux princes reprenaient leur souffle en sifflant force chopes de malch noir. C'est à ce moment que Michta entra suivie de serviteurs portant des pots de boisson. En voyant le roi-dragon, elle ne put retenir un cri. Certains dirigèrent leurs yeux vers lui. Un des flamintiens se leva d'un bond :
- IL ÉTAIT AVEC LE PRRRINCE-RRROI ! dit-il en tendant un index accusateur.
Ce fut le branle-bas dans l'auberge. En moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, tout le monde était debout une arme à la main sauf le roi-dragon qui était resté assis.
Kaltrim s'avança suivi de Fralstak. L'expression des visages reflétaient leurs sentiments contradictoires. La nouvelle de la mort du prince-roi était-elle arrivée jusqu'à Tichcou ? Le roi-dragon l'ignorait. Pointant son épée sur lui, Kaltrim lui demanda :
- Où est le prrrinccce-rrroi ?
- Il est mort. Il est mort comme il a vécu, les armes à la main et l'orgueil au front.
- QUI ES-TU POURRR INSSSULTER LE PRRRINCCE-RRROI ? hurla Fralstak.
- Celui qui l'a vaincu.
Ces simples mots firent l'effet d'un coup de tonnerre. Il y eut un mouvement de recul, ample dans la salle, imperceptible chez Kaltrim.
- TRRRAITRRRE ! cria Kaltrim en se fendant. MEURRRS !
Il ne rencontra que le vide. Là où était l'homme, il n'y avait plus rien. Il se retourna pour le chercher. Il le retrouva au milieu de la pièce.
- Regardez-moi, tous ! Tous les présents, regardez-moi !
Sa voix était douce et calme. Le roi-dragon les regardait, belle brochette de soldats prêts à tuer. Il avait pourtant besoin d'eux. Il avait découvert son bâton. Celui-ci irradiait comme une lueur rouge qui fixa tous les regards. Alors il leur fit le récit de la mort du prince-roi. Il termina par ces mots :
- Moi, j'ai vaincu et je sssuis devenu comme le drrragon. Que cccelui qui veut la morrrt me défie, que les autrrres ssse sssoumettent.
L'assemblée reconnut le serment sacré traditionnel de ses rois. Il n'avait plus été prononcé depuis des années, depuis... depuis la disparition du dernier roi de Flaminto lors du massacre des meilleurs au gué du Klabott. Flaminto était alors passé sous la domination de rois étrangers. Les hommes se regardèrent, les princes aussi. L'alternative était simple, jurer fidélité ou se battre à mort. Le récit du roi-dragon sonnait juste. Ses paroles avaient même pris l'accent de Flaminto. Une vieille légende qu'on racontait aux enfants, parlait du retour du roi tel un dragon. Les choses étaient-elles aussi simples que cela ?
Kaltrim s'avança. D'une voix blanche, il dit :
- MOI, je te défie !
Il vit celui qui se prétendait roi-dragon poser son bâton contre le comptoir. Quand il se retourna pour lui faire face, il avait à la main un marteau de combat. Kaltrim fit un geste, un écuyer lui apporta un lourd bouclier. Pendant ce temps le roi-dragon avait rejoint le centre de l'espace dégagé. Kaltrim s'approcha bien protégé par son bouclier. Il dominait l'homme au marteau de plus d'une tête. Il frappa d'estoc pour tester le personnage. L'épée ne rencontra que le vent. Il le chercha des yeux. Il était derrière lui. Il sursauta et reprit sa position défensive derrière son bouclier. Il s'élança de nouveau mêlant des attaques de taille et d'estoc. Il eut un sourire mauvais quand il vit son arme se diriger vers le bras de ce soi-disant roi-dragon. Le bruit qu'elle fit en rebondissant le déstabilisa plus que tout le reste. C'est comme s'il avait frappé de la pierre. Dans le même temps, il vit Fralstak porter la main sur le bâton appuyé contre le comptoir et il sentit un coup de marteau exploser son bouclier. La douleur lui vrilla l'avant-bras. Il serra les dents sans quitter des yeux le roi-dragon qui ne portait même pas une écorchure. Ce fut la dernière chose qu'il vit. Un éclair d'une puissance inouïe lui ôta la vue ainsi qu'à tous les présents. Sa dernière impression avant de perdre conscience fut visuelle. Dans la lumière plus brillante que le soleil, il eut le sentiment d'une silhouette de dragon. Rouge !
Le roi-dragon regardait autour de lui. Il soupira. Ce n'était que plaintes et gémissements. Au sol un tas de cendres achevait de se consumer à travers une cotte de mailles fondue. Mais pourquoi ce Fralstak avait-il touché au bâton de pouvoir ? Seuls les rois-dragon pouvaient les toucher sans danger. Michta approcha de lui en se cachant un œil.
- Je ne vois presque plus rien ! Qu'as-tu fait Névtelen ?
- Névtelen était un nom pour vous. Aujourd'hui je suis le roi-dragon. L'homme que tu appelais Fralstak a fait ce qui est interdit. Il a touché le bâton et libéré ma puissance. Vos yeux ont vu ce qui doit rester caché à la vue. Alors ils ont cessé de voir. Tu as vu la scène d'un œil, alors il a cessé de voir. Vous ignorez trop de choses pour comprendre. Maintenant, il est bon que je remette de l'ordre.
Rangeant son marteau, il prit son bâton :
- Que cessent les plaintes, vous allez revoir, dit-il. QUE CEUX QUI SONT CACHÉS, SORTENT !
Des silhouettes apparurent aux portes, ils avancèrent dans des positions serviles.
- Occupez-vous du prince Kaltrim. Il a besoin de soins. Puis aidez les autres.
- Bien majesté.
- Tout de suite majesté.
- À vos ordres majesté.

vendredi 8 mars 2013

Sur le chemin du passage vers les grottes à Machpes, le Roi-dragon rencontra des guerriers blancs. Le konsyli le regarda. Il arrêta son groupe de jeunes recrues.
- Nous nous sommes déjà rencontrés.
Il avait dit cela sur le ton de l'évidence. Le Roi-dragon l'avait reconnu. Il s'agissait d'un plus jeune que lui qui avait commencé sa formation à Montaggone après lui.
- Oui, il y a bien des lunes, répondit-il.
- Je ne me souviens pas que tu aies participé aux combats. Un guerrier avec un marteau, cela se remarque.
- Tu as raison. J'étais sur d'autres combats.
- Bien éloignés, je ne t'ai jamais vu aux rapports.
- Très éloignés ! J'ai été envoyé pour m'occuper du dragon. Cela a pris beaucoup de temps.
Le konsyli se renfrogna.
- Le dragon a toujours été proche, dans sa vallée. J'ai participé à plusieurs missions, dont la dernière, il y a quelques jours pour détruire un détachement de ces chasseurs en armure de métal. Je ne t'ai pas vu non plus là-bas.
Il fit un geste ordre de se préparer au combat. Le Roi-dragon continua comme s'il ne remarquait rien.
- Quelques jours, dis-tu ? Le temps est passé plus vite que je ne le pensais.
- Il serait bien que tu ailles te présenter au Prince pour faire ton rapport.
- Oui, le Prince Quiloma m'espère depuis longtemps. M'accompagnerez-vous ?
Il sentit le soulagement du konsyli qui devait chercher comment le ramener sans combat.
- L'idée me semble bonne, dit ce dernier.
Il donna des ordres à sa main de guerriers qui fit demi-tour.
« Bien disciplinés ! Le prince ne perd pas la main ! » pensa le roi-dragon. Il vit les gestes ordres donnés. Au fur et à mesure qu'ils avançaient dans les grottes, il les vit sortir qui une dague, qui une épée. Le roi-dragon souriait. La situation l'amusait beaucoup. Quand ils arrivèrent un peu plus loin dans les sombres couloirs, un brusque courant d'air fit s'éteindre la lumière que portait le konsyli. Le roi-dragon l'entendit jurer. L'obscurité était complète.
- Tiembo, prends le pot à feu et rallume la lampe.
Le roi-dragon regardait le visage anxieux de ces hommes et la maladresse du dénommé Tiembo qui n'arrivait pas à faire ce qu'on lui demandait. Le konsyli avait tiré son épée et tendait l'oreille, inquiet de la possible fuite de son prisonnier.
- Un peu d'aide peut-être ? dit le roi-dragon en touchant la lampe du bout de son bâton. La lumière revint plus vive, plus claire. Le konsyli regarda le roi-dragon en ouvrant des grands yeux.
- Qui es-tu ? demanda-t-il en prenant du recul.
- Quelqu'un qui revient. Mais ne faisons pas attendre le prince, allons !
Les hommes obéirent sans discuter. Ils traversèrent les grottes à machpes. Ceux qu'ils rencontraient leur jetaient un simple regard et retournaient à leur ouvrage. En cette saison, les machpes étaient indispensables. Quand ils arrivèrent à la lumière sous le porche, Tiembo souffla sur la flamme. Elle refusa de s’éteindre même après plusieurs essais.
- Évite de la toucher, dit le roi-dragon quand il vit que Tiembo voulait étouffer la flamme.
Il fit un geste et la lampe devint obscure. Un charc perché non loin, décolla en criant.
- Allons, dit encore le roi-dragon, on dirait que vous voulez prendre racine.
Le konsyli sembla se réveiller. Il donna avec retard, des ordres pour aller vers Montaggone. Le roi-dragon avait déjà pris le chemin vers la citadelle. Les guerriers lui coururent après.
La ville avait connu des combats. Le roi-dragon avait vu en bas des maisons détruites par le feu. Il espérait que Sabda et sa mère étaient sauves. Quand il arriva devant la porte de Montaggone, les sentinelles se mirent en alerte. Le konsyli s'approcha d'elles en courant. Il leur parla à voix basse. L'une d'elles se tourna vers le groupe et dit :
- Attendez-là !
L'autre était entrée dans la citadelle. Il ne fallut que quelques instants à plusieurs mains de guerriers pour arriver équipées et prêtes à en découdre. Certains avaient pris position sur les remparts. Le roi-dragon eut un sourire, certains qui avaient l'arc à la main et une flèche encochée, baissèrent leur arme en se regardant. Il lut sur leurs lèvres : « On dirait... ».
Qunienka sortit à ce moment-là. Il regarda la situation. Son regard hésita un instant sur le roi-dragon. Il y eut comme un voile, puis il se reprit :
- Que tout le monde reprenne son poste ! Vous, dit-il en désignant le groupe qui accompagnait le roi-dragon, et toi, venez !
Il fit demi-tour. Le roi-dragon entra à son tour suivi par la main d'hommes. Ils se dirigèrent vers l'habitation du prince. Alors qu'ils approchaient, Quiloma sortit. Il donnait des ordres à quelqu'un qui s'éloignait vers la grande salle. Il reporta alors son attention vers ceux qui arrivaient.
Brutalement, les présents le virent arracher de sa ceinture l'étui contenant l'insigne de sa fonction et le jeter à terre. Quiloma regarda le morceau de bois qui rougeoyait, puis le roi-dragon, puis le bâton à terre. A l'étonnement de tous, il mit genou à terre, le poing droit fermé sur le cœur en courbant la tête.
Qunienka fut le premier à comprendre et fit de même. Puis le mouvement s'amplifia. Tous les guerriers venus du pays blanc mirent genou à terre. Les autres les imitèrent sans comprendre. Quiloma releva la tête :
- Graph ta cron ! Graph ta cron Mjatsa ! (Gloire au Dieu-dragon ! Gloire au fils du Dieu-dragon!).
Qunienka et les guerriers blancs reprirent en chœur. Seul le roi-dragon était debout appuyé sur son bâton.
- Quiloma tra...( Prince Quiloma tu m'as bien servi sans me connaître. Ta fidélité est un bien précieux que je ne gaspillerai pas. Tes nombreuses cicatrices et les blessures que tu portes encore sont les meilleurs des témoins de l'attachement à ton roi. Maintenant il est temps de reconstruire ce que d'autres ont détruit.)
S'approchant de Quiloma, il le toucha de son bâton. Ce dernier sentit la force affluer en lui. Ces plaies qui cicatrisaient mal se fermèrent.
- Rtem...(Tu as géré cette ville et cette région. Tu as bien fait. Tu l'as bien fait. Tu as choisi de m'éloigner quand ce fut nécessaire sans savoir si c'était un bon choix. La fidélité au Dieu Dragon est forte en toi. Tu seras celui sur qui je m'appuierai. Ton second Qunienka a suivi ton exemple, il mérite d'être appelé prince...)
C'est alors qu'on entendit une voix :
- Et il est où le dragon ?
Le roi-dragon avait beaucoup ri en entendant Sabda poser sa question.
- Il est moi ! avait-il répondu.
Elle l'avait alors regardé avec le même regard que la Solvette.
- La puissance est en toi. Je souhaite qu'elle ne corrompe pas ton cœur.
- C'est un cœur de dragon, lui dit-il. Les charcs t'ont prévenue. Ils ont bien fait. Les charcs vont répandre la nouvelle. C'est une bonne et une mauvaise chose. Tout dépendra des oreilles qui écouteront.
Lui tendant la main, il ajouta :
- Si la force de la région est dans les mains du prince, le cœur de cette région, c'est toi et celles qui sont comme toi.
- Et tu fais quoi des sorciers ? avait-elle répondu mutine.
- Ils ont leur rôle dans l'équilibre de ce monde.
- Quel est ton nom ?
- Mon nom est un secret qui m'est réservé depuis la nuit des temps. Il est bon pour l'instant qu'il ne soit pas connu.
Le roi-dragon tenait la main de Sabda.
- Fêtons mon arrivée, dit-il.

mercredi 6 mars 2013

Kyll profitait de ces premiers rayons de soleil pour se réchauffer. Aujourd’hui était une journée favorable. Les esprits lui avaient confirmé lors de sa cérémonie de divination journalière. Il marchait en s'appuyant sur son bâton sculpté. Il avait laissé les autres se reposer dans la grotte de la médiation. Depuis la guerre, puisqu'il fallait bien appeler les choses par leur nom, la voie entre la ville et la grotte était devenue plus fréquentée. Affronter les mêmes dangers avait rapproché les gens de la ville et les guerriers blancs. Kyll avait ressenti l'arrivée de la foule des soldats et du roi Yas. Il avait senti la colère de Sioultac contre cette intrusion des gens de Cotban aux marges de sa terre. Il savait que les quelques affrontements qu'ils avaient vécus, bien que violents et meurtriers, n'étaient que des escarmouches. Sans les pluies et les volpics, ils n'auraient pas tenu plus de quelques jours face à la plus grande des armées de la terre. La mort de Yas avait été une bénédiction. Il pensait à tout cela en marchant. Il aimait ce chemin. C'est celui qu'il avait suivi quand Stamscoia était parti. Les souvenirs affluaient à chaque fois qu'il l'empruntait. Il arriva au plateau de l'adieu. C'est alors qu'il les vit. La meute était au repos. La grande femelle aux yeux rouges regardait dans sa direction. Ses compagnons lui en avaient parlé quand ils étaient venus le rejoindre. La présence des loups noirs avait toujours à voir avec le destin. Il pensa à nouveau qu'il allait vivre un nouveau signe en les rencontrant. Il s'avança.
Quand le loup lui bondit dessus, il eut peur. Son bâton était encapuchonné. Il le regretta. Allongé sur le dos, une gueule pleine de crocs à quelques pouces de sa jugulaire, il ne fit qu'entrapercevoir la grande ombre qui se posait. Le vent des ailes lui fit fermer les paupières. Quand il les rouvrit, le dragon avait disparu. Le loup le laissa et se dirigea vers l'homme qui tenait la tête de la louve aux yeux rouges entre ses mains.
Kyll se redressa. Il s'épousseta en comprenant que l'animal n'avait fait que le sauver d'un accident avec le passage du dragon. Il regarda le ciel, mais ne le vit point. Ce n'était pas grave. Il le verrait quand le dragon le déciderait. Il avait toujours le bâton sculpté à la main. Il reporta son regard vers l'homme qui était arrivé. Il sursauta, ne comprenant pas ce qu'il voyait. Il y avait bien un homme mais c'était tellement plus grand... enfin non, mais si. Il ne trouva pas les mots pour décrire ce qu'il percevait. Si ses yeux voyaient l'homme, ses perceptions extra-sensorielles voyaient un dragon. Il se frotta les yeux. Rien ne changea. Il s'approcha, ne sachant que penser. L'homme se tourna vers lui. Kyll balbutia :
- Toi, vous !
- Bonjour, être debout Kyll.
Il reconnut la voix du dragon. Il ferma les yeux un instant. Quand il les rouvrit, une masse rouge brillante se tenait devant lui.
- Bonjour, Maître Dragon.
- Je vois que tu as fini le bâton. Il est très beau.
Kyll regarda le bâton, avec tous ses entrelacs, il avait un côté hypnotique. Quand il releva les yeux, en face de lui se tenait un homme qui lui évoquait Tandrag.
- Je suis venu le chercher.
- Es-tu ?... Êtes-vous ?... Je ne sais pas.
- Oui, Maître Sorcier, je suis. Les autres vont m'appeler Roi-dragon. Tu es un des rares à pouvoir choisir comment tu me vois. Alors choisis...
Il y eut un moment de silence. Kyll remarqua que l'image d'homme devant ses yeux cessait de vibrer. Le Roi-dragon reprit la parole :
- Tu as choisi, c'est bien. Puis-je prendre le bâton ?
Kyll le lui tendit. L'homme le prit. Dans sa main, il se mit à briller d'un éclat que Kyll ne put supporter. Puis la luminosité baissa jusqu'à se réfugier dans les lignes gravées pour enfin disparaître dans le bois.
- Tu as fait un bon bâton de pouvoir, Maître Sorcier. Vois comme il a bu l'énergie que je lui réservais.
- Alors le dragon n'est plus ?
- Comme souvent, Maître Sorcier, les choses sont plus compliquées et plus simples à la fois. Le dragon était un être en devenir qui ne savait pas son nom. Celui que tu as connu et dénommé Tandrag, a eu d'autres noms et aucun ne lui allait vraiment. Le dernier que j'ai porté était Névtelen. Si Tandrag portait en lui l'idée du dragon, Névtelen porte en lui l'idée de l'absence et du manque. Maintenant que je suis, alors je pourrais avoir un nom. Un jour tu as proposé de m'en donner un. Celui qui était le jeune dragon a eu raison de refuser. Aujourd'hui, je sais où est mon nom. Pour cela, il me faut mon bâton de pouvoir.
- Les esprits, ce matin, m'ont dit que la journée était favorable. Je vois qu'ils avaient raison.
Le Roi-dragon toucha Kyll du bout de son bâton. Il sentit en lui couler le feu. Le monde prit des couleurs comme il n'en avait jamais pris. Il vit un instant la réalité de l'être qui était en face de lui, de tous les plans dans lesquels il existait et de la pauvreté de la réalité quotidienne. Kyll mit genou à terre.
- Mon Roi !
- Maître sorcier, je te donne la mission qui est la tienne : guider ceux de la ville puisque cette ville est mienne. Lève-toi !
Kyll se releva. Devant ses yeux la nature avait repris son aspect normal et le Roi-dragon n'avait l'air que d'un homme pas très bien habillé appuyé sur un bâton, un marteau de guerre à la ceinture.
Il se tourna vers les loups.
- RRling aux yeux rouges, toi qui as toujours été fidèle à l'appel des miens, sois remerciée. Que tes chasses soient bonnes. Va, compagne fidèle.
La meute hurla d'une seule voix et se mit en marche.
Le Roi-dragon se tourna vers Kyll :
- Maintenant, Maître Sorcier, mon temps est venu.
Ayant dit cela, il le quitta.