lundi 29 juillet 2013

Le chef du protocole était désespéré. Depuis que le roi-dragon était arrivé à la Blanche, il essayait de lui inculquer les bonnes manières. Il se prenait à regretter le Prince-majeur ou Jorohery, non pas pour les personnes qu'ils étaient mais parce qu'il faisait selon les règles. Il soupira. Jorohery lui faisait peur et le Prince-majeur était devenu un mort-vivant. On le nourrissait, on l'entretenait mais il semblait avoir perdu toute personnalité. Les marabouts ne pouvaient rien pour lui. La magie de Jorohery l'avait marqué trop profondément. Le roi-dragon l'avait rencontré. Le chef du protocole était présent ainsi que d'autres princes. Le roi-dragon s'était mis au pied de son lit. Leurs regards s'étaient croisés. Celui du Prince-majeur était devenu gris. Tout le monde avait senti la tension extrême entre les deux hommes. Il y avait eu comme un dialogue sans voix. Monocarna qui était présent lui avait dit une partie de ce qu'il avait ressenti. Lyanne rendait le Prince-majeur responsable de ce qu'il n'avait pas connu ses parents et de tout ce qu'il avait vécu avant de faire Shanga.
- Il pourrait le guérir, je pense qu'il en a le pouvoir. Je crois même qu'il lui a redonné de la conscience. Mais je sens son désir de le punir. En le laissant comme cela, c'est comme s'il le mettait en prison en lui-même.
Le chef du protocole avait hoché la tête en entendant Monocarna. Il avait essayé d'enseigner les bases de ce que devait faire un roi à Lyanne mais celui-ci avait du mal à suivre les consignes. Il agissait parfois d'une manière très déstabilisante comme la fois où il avait interrompu une audience pour aller chasser.
- Les dragons doivent chasser, avait-il dit en se levant, et le temps de la chasse est venu.
Ici dans le fort de Moune, le chef du protocole n'avait pas à sa disposition tout le personnel nécessaire. Il bricolait un peu. Il avait regardé venir la tempête presque avec plaisir. Il allait avoir du temps avec le roi-dragon pour l'amener à l'écouter un peu plus, et puis l'arrivée inattendue du représentant du pays de Pomiès allait lui permettre de ne pas faire une mise en scène mais de travailler sur la réalité. Il manquait de mobilier digne de ce nom dans ce relais de chasse. Il avait quand même pu amener diverses choses qui allaient l'aider. Il eut une pensée pour son passage à travers les Montagnes Changeantes. Il avait tremblé tout le temps de la traversée. Il trouva Lyanne dans le couloir de glace claire. Il était seul et semblait pensif.
« Il doit rêver de chasse. », pensa le chef du protocole.
- Majesté !
Lyanne tourna vers lui un regard absent.
- Il faut vous préparer.
Lyanne lui fit un sourire contraint et se dirigea vers lui. Être roi-dragon n'avait pas que des avantages, il devait gérer le royaume ce qui déjà en soi était lourd, mais il devait aussi supporter les obligations d'un protocole auquel il ne comprenait rien et qui lui était comme étranger. Lyanne ne voulait pas tout bousculer, pas encore. Il fallait du temps pour que les choses évoluent. Il pensa : « qu'est-ce qu'il va encore me trouver ? ».
- Le représentant du pays de Pomiès arrive à point, dit le chef du protocole d'un air guilleret, nous allons pouvoir travailler votre présentation. J'ai justement là quelques vêtements adaptés à cet usage.
Le fort de Moune avait beaucoup changé depuis la première fois que Lyanne y était venu. Le rempart bricolé par les phalanges avait été consolidé, agrandi, renforcé. À l'abri des montagnes, et dans le courant d'air froid venu d'une haute vallée toujours enneigée, la glace qui le composait restait dure toute l'année. Suivant les critères des gens du royaume blanc, il y faisait même bon. Lyanne au cours de ses différents passages avait aidé à sa réalisation. S'il maîtrisait le feu comme tous les dragons, il maîtrisait la glace comme tous les rois-dragons. Il l'avait montré de main de maître lors de son combat contre Jorohery. Moune était l'architecte de ce palais qui portait encore le nom de fort. Il avait conçu un ensemble aux multiples recoins avec des espaces suffisants pour un dragon et des espaces plus intimes pour un homme et ses invités. De grandes dépendances adossées à la montagne permettaient de loger hommes, bêtes et provisions.
Le représentant du pays de Pomiès avait été très étonné par ce qu'il avait découvert. Il était parti avec les préjugés habituels de son peuple. Si les guerriers blancs étaient leurs suzerains, ils étaient tout juste bons à faire la guerre et aussi rustres que les crammplacs qu'ils combattaient. Arrivant devant le fort de Moune, il avait découvert un palais de glace à la beauté sobre et élégante. Ce fut pour lui le signe que l'arrivée d'un roi-dragon après toutes ces saisons sans roi, représentait un bouleversement radical. Il fut accueilli avec déférence par des serviteurs qui lui avaient appris la présence du roi-dragon. Sa fille avait battu des mains en s'écriant : « On va voir le roi ! ». Il lui avait jeté un regard noir pour lui demander de se tenir. Elle l'accompagnait à la demande de sa mère pour lui apprendre le monde. Les femmes au pays de Pomiès jouaient un rôle certain dans la vie publique. Elles pouvaient être autonomes, ce qui n'était pas le cas dans le royaume Blanc. Chioula, selon sa mère, devait apprendre à se conduire en toutes circonstances et c'est bien connu : « les voyages forment la jeunesse », avait dit la mère pour obliger son époux à emmener sa fille. La délégation avait été conduite à son arrivée dans l'aile la plus près des montagnes. La vue ne s'étendait pas loin. Chioula en avait été déçue et avait décidé d'aller voir de l'autre côté la tempête arriver. Elle avait un peu erré dans le palais avant de découvrir ce passage de glace transparente. Elle avait eu l'impression bizarre d'être dehors sans y être. Le vent fouettait la façade sans qu'elle n'en ressente les effets. Elle admirait le spectacle quand était arrivé l'homme qui venait contempler aussi. « Un seigneur de la suite du roi-dragon, sans doute ! » pensa-t-elle devant l'impression de familiarité qu'il donnait. Pour jouer, elle l'avait défié au jeu des regards. Il avait accepté. Son père était venu l'interrompre. Elle allait encore devoir jouer à la princesse devant des officiels ennuyeux à mourir. Elle se promit de revoir ce seigneur et de finir la partie.
Elle écouta d'une oreille discrète son père parler de la chance qui était la leur. La présence du roi-dragon allait leur permettre de le rencontrer loin de la foule de la capitale. Il pourrait entamer le dialogue de bonne qualité que le Seigneur de Pomiès espérait.
- Est-il beau ? demanda Chioula en interrompant son père.
Celui-ci s'interrompit un instant.
- Je ne connais rien à la beauté des dragons.    
- C'est un dragon ?
- Bien sûr. Le roi-dragon est un dragon.
- Et il est gros comment ?
- Je ne sais pas. On nous a rapporté que c'était un dragon rouge aux yeux d'or mais je n'en sais pas plus.
Chioula vit le pourpre de certaines étoffes telles que les tissaient les paysannes du haut plateau durant les soirées d'hiver. Cette laine teintée par le suc d'une plante prenait une vivacité qui faisait la réputation de la région. Elle fit un effort pour imaginer un dragon. Elle vit une silhouette de laine rouge avec deux pièces d'or dans les yeux. Elle le voyait gros comme... comme... non, elle ne pouvait pas vraiment imaginer les petits tissages de dragon qu'elle avait pu voir en plus grande taille. C'est avec une certaine appréhension qu'elle emboîta le pas à son père à l'invitation des serviteurs.
À travers les espaces de glace transparente, elle vit que la tempête soufflait toujours. Se tournant vers son père, elle dit :
- Je n'avais jamais vu une glace aussi pure avant.
- C'est l'œuvre du roi-dragon, répondit un serviteur. Il est le seul à savoir faire cela.
- Et elle ne fond pas ?
- Non, princesse. C'est cela la magie du roi-dragon. La Blanche est en grande partie construite comme cela. L'autre partie est de glace vulgaire qui doit être réparée quand revient l'hiver.
- Le responsable du pays de Pomiès est logé dans un ancien palais du roi-dragon, intervint le père de Chioula.
- Je le connais, ajouta le serviteur. On dit qu'il date de l'époque du roi-dragon Rasunsoto. Il l'a construit pour celle qu'il aimait.
Chioula faillit battre des mains. Cette idée d'un dragon amoureux lui plaisait beaucoup. Elle se retint devant le regard que lui jeta son père.
Devant eux une porte s'ouvrit. La salle était grande et haute. Au fond il y avait une estrade avec un siège appuyé sur le mur. À droite Chioula vit de grandes portes. Elle pensa immédiatement au dragon et estima sa hauteur à trois fois celle d'un homme. Une certaine appréhension l'envahit. Comment devait-on se comporter avec un dragon ? Elle eut un certain sentiment de panique jusqu'à ce que la voix de son père résonne dans sa tête pour lui rappeler que le protocole était justement fait pour codifier la rencontre et éviter les surprises. Le serviteur les guida jusqu'à deux sièges non loin de l'estrade. Des gardes étaient répartis le long des parois. Dans son éducation, Chioula avait eu droit à l'explication des grades et des signes distinctifs des différents guerriers, princes, personnages du royaume. Elle fut intriguée par le liséré rouge qu'arborait la tenue des guerriers. Le serviteur qui les guidait leur expliqua qu'il était en présence de la phalange personnelle du roi-dragon, recrutée dans sa tribu d'origine. La réponse laissa Chioula perplexe. Comment un dragon pouvait-il avoir une tribu ? Elle n'eut pas le temps de s'interroger plus. Les grandes portes venaient de bouger.
Chioula retint sa respiration... et fut déçue. Ce n'était qu'un groupe de soldats accompagnant un homme.
- Le chef du protocole ! lui souffla son père.
Ils se saluèrent. Chioula fit une révérence, comme sa mère lui avait appris. L'homme la regarda à peine.
- Le roi-dragon va vous recevoir bientôt, noble Sariska.
Il les fit asseoir avant de repartir par les grandes portes. Le temps passa. Par les grandes baies, Chioula vit que le vent faiblissait. Elle s'absorba dans la contemplation des tourbillons de neige pendant que passait le temps qu'elle jugea long.
Elle fut surprise par le mouvement brusque des gardes qui se mirent au garde-à-vous. Son père se leva, elle fit de même. Rien n'aurait pu la préparer à ce qu'elle découvrit. L'être qui pénétra dans la pièce la laissa sans voix. Elle en oublia de faire la révérence.

Lyanne rigolait intérieurement en voyant Chioula, bouche ouverte, à moitié penchée en avant pour une révérence qu'elle oubliait de faire. Le chef du protocole avait tenu à ce qu'il respecte les formes. Un roi-dragon se devait d’accueillir en dragon. C'est sous cette forme que le protocole enjoignait de se présenter. Lyanne aimait cette forme aux écailles rutilantes, véritables miroirs de rubis. Il avança dans la salle. Les guerriers de sa phalange étaient encore au garde-à-vous. Le représentant du pays de Pomiès était incliné, la tête touchant presque le sol. Lyanne se positionna sur l'estrade.
- Bonjour à toi, noble Sariska.
- Je vous salue noble roi-dragon de la famille de Louny. Le noble et puissant Szeremle...
Lyanne écoutait d'une oreille distraite ce beau parleur. Il avait senti de l'or. Cela le rendait nerveux. Sariska aurait-il de l'or sur lui ? Il faillit lui demander brutalement mais se rappela les conseils du chef du protocole et de ses conseillers. Le royaume Blanc avait besoin du pays de Pomiès. Il fallait rester diplomate. Lyanne décida d'interrompre ce discours qui s'éternisait en focalisant l'attention sur Chioula qui n'avait pas bougé.
- Votre fille est-elle souffrante ?
- Non, majesté, répondit Sariska en se retournant à moitié, puis tout à fait quand il découvrit comment sa fille regardait le roi-dragon. Il lui prit la main pour la secouer et immédiatement se jeta à plat ventre pour implorer le pardon pour la conduite inqualifiable de sa fille. Le regard de Chioula se remplit de colère en voyant son père ainsi.
- Père, relevez-vous ! ...
Lyanne sentit le choc que vécut le chef du protocole. Cette fille bousculait tous ses codes. Déjà qu'il avait concédé à Lyanne sa présence à une audience de présentation, voilà qu'elle interpellait les protagonistes comme si elle était leur égale. Il avait bondi en avant mais un geste-ordre du roi-dragon l'avait immobilisé.
- … Notre roi est plus grand que ces règlements absurdes qui vous obligent à vous rouler dans la poussière.
Lyanne admira la répartie.
- Connaîtrais-tu à ce point les dragons pour tenir un tel discours, jeune princesse ?
Chioula esquissa une révérence :
- Mon intuition me dit que vous êtes un grand roi cherchant le bonheur de ses sujets.
- Le roi-dragon Rasunsoto dont vous occuperez le palais, aurait déjà soufflé le feu ou la glace devant tant d'impertinence, répondit Lyanne.
Sa réponse déstabilisa Chioula qui ne pouvait interpréter l'humour derrière les paroles. Elle n'avait pu imaginer la beauté d'un dragon, ni cette impression de puissance qui en émanait. Elle resta interloquée, un instant, juste un instant.
- Gloire lui soit rendue pour le palais qu'il a construit. Mais vous n'êtes pas Rasunsoto. Quelle gloire ajouteriez-vous à vos exploits en réduisant une princesse en cendres ?
Le noble Sariska ne savait que faire. S'adresser directement au roi sans attendre qu'il vous parle était un crime de lèse-majesté. Sa fille risquait de compromettre sa mission.
- Dans les légendes, les princesses sont parfois plus dangereuses que les armées ennemies.
Lyanne se déploya. Chioula recula, un peu.
- Je ne voulais pas vous offenser, nous sommes venus avec des idées de paix.
- Mon savoir va jusque là, jeune princesse. L'or est un métal réservé dans le royaume Blanc.
Sariska se mit à trembler. Il portait de l'or pour en faire cadeau au roi-dragon, mais avec ces événements n'avait pas eu le temps de l'offrir.
- Ton savoir est incomplet, jeune princesse. Depuis que vos pas foulent mon royaume, je sens votre or. Si vos intentions étaient mauvaises, vos cendres reposeraient sur la neige depuis longtemps. Sois rassurée, Rasunsoto est mon ancêtre. Son nom est absent de la liste de mes maîtres.
- On dit de lui qu'il a aimé à en construire un palais pour sa belle.
Lyanne se mit à rire. De nouveau Chioula fut déstabilisée.
- La légende est belle et vraie. Quand il a rencontré celle qui est devenue sa compagne, il a fait pour elle le palais que vous habiterez. La reine-dragon y séjournait quand elle venait dans le royaume. Mais cessons pour que le noble Sariska puisse achever sa mission. Relève-toi, noble représentant du pays de Pomiès. 
Sariska sembla hésiter, mais se mit debout. Il reprit son discours et quelques instants plus tard, il avait retrouvé toute sa superbe et son verbiage. Il offrit l'or récupéré des grandes plaines lors des échanges. Il en profita pour parler de sa mission qui était d'obtenir de nouveaux avantages et pour cela n'hésita pas à promettre de ramener encore de l'or.
Chioula s'était reculée et se tenait tranquille, sous le regard noir du chef du protocole qui se demandait bien comment il allait se débrouiller pour l'éloigner le temps du banquet prévu après l'audience.

samedi 20 juillet 2013

Quatrièmes saisons

La saison des récoltes était passée. Comme souvent le premier blizzard était arrivé brutalement clouant dans les demeures ou dans les abris tous les habitants du Royaume blanc. Lyanne avait été surpris comme tout le monde, alors qu'il se reposait dans son pied-à-terre après les Montagnes Changeantes. Il soupira. Ce n'est pas aujourd'hui qu'il pourrait aller voler et découvrir le pays d'en-haut. La Blanche le fatiguait. Les intrigues étaient nombreuses, complexes et ne lui laissaient pas le loisir d'aller voler. Les courtisans ne semblaient pas comprendre qu'il voyait en eux plus loin qu'eux-mêmes. Il avait pris l'habitude d'aller quelques jours se reposer dans ce palais que l'on nommait le Fort de Moune.

- L'hiver sera précoce et violent.

Lyanne se retourna pour voir qui avait parlé.

Une petite silhouette se tenait non loin de lui contemplant à travers les parois de glace pure qui servaient de fenêtres les bourrasques de flocons qui se précipitaient sur eux. Elle se retourna et fit une révérence :

- Chioula, seigneur, je m'appelle Chioula !

Elle prononçait son nom avec un sifflement charmant qui la désignait comme une native des hautes terres qui surplombaient la plaine. Il la détailla. Elle portait encore les lourds habits des voyageurs, seule sa tête était nue et sa chevelure noire et blanche ondulait en vagues hypnotisantes sur ses épaules. Lyanne n'avait jamais rencontré un tel regard. Les iris bleus lui évoquèrent les ciels sombres des nuits d'hiver sans nuage. Ils s'étaient fixés sur lui sans crainte mais sans provocation. Lyanne soutint son regard de ses yeux d'or. Elle lui sourit.

- Il y a un jeu chez nous qui consiste à savoir qui baissera les yeux le plus vite.

Lyanne eut un sourire. Décidément cette jeune femme ne manquait pas de courage.

- Jouez-vous avec tous ceux qui passent à votre portée, dame Chioula ?

- Non, Seigneur, seulement avec ceux qui ont le regard franc.

Dans ce couloir, deux silhouettes immobiles semblaient s'opposer aux tourbillons de la tempête extérieure.

- D'où venez-vous, dame Chioula ?

- Des hautes terres du pays de Pomiès. Mon père vient d'être nommé auprès du nouveau roi-dragon pour nous représenter.

- Vous êtes princesse de votre peuple, alors !

Sans ciller, elle se mit à rire.

- C'est ce que dit ma mère pour essayer de me faire tenir tranquille.

Ce fut au tour de Lyanne de rire.

- Si j'en juge par vos jeux, elle est loin d'avoir réussi...

Le sourire aux lèvres, les yeux bleus rivés dans l'or des pupilles de Lyanne, Chioula souriait.

- Il est tard dans la saison pour voyager. Le pays de Pomiès avait-il oublié d'envoyer un représentant ?

- Non, Seigneur. Le seigneur de Rère qui nous représentait est malheureusement mort brusquement.

Sans plus ciller que Chioula, Lyanne se remémora cette histoire.

L'homme avait disparu. Vu sa position, on avait prévenu le roi-dragon. Une enquête avait été ouverte. Dans la maison du seigneur Rère, rien n'avait disparu. Ses serviteurs l'avait vu partir un début d'après-midi pour une rencontre avec... L'identité du personnage était inconnue. Aucun élément n'était venu expliquer. Le scandale avait éclaté une main de jours plus tard. On avait retrouvé le corps déchiqueté du représentant du pays de Pomiès. Ceux qui l'avaient vu, décrivaient avec force détails, les lésions horribles faites par de puissantes mâchoires. Certains n'attendaient que cela pour dénoncer la présence des crammplacs poilus. Le nouveau corps d'armée conjoint ne plaisait pas à la Blanche. Lyanne avait cantonné un groupe d'action à une distance d'arc de la ville. Un groupe d'habitants avait assez mal réagi à la présence des grands fauves aussi près de chez eux. On y retrouvait les mêmes qui n'avaient pas apprécié l'arrivée de Lyanne. Ils s'étaient résolus à supporter le dragon quand un disciple de Jorohery avait essayé de le tuer. Leurs idées de rendre au Prince-majeur sa primauté, avaient fondu comme neige au soleil. À cette époque Lyanne était entré en ville depuis peu. Bien sûr, on l'avait acclamé. Yaé avait bien fait son travail et personne n'aurait osé aller contre lui. La tentative de l'assassin avait eu lieu alors que Lyanne et Yaé allaient visiter l'emplacement prévu pour les crammplacs. La cour suivait pour une fois à quelques distances de son roi-dragon. L'explication officielle était pour lui laisser la place en cas de transformation. Les princes suiveurs n'avaient pas été déçus. L'homme de Jorohery avait attaqué sournoisement alors que Lyanne et Yaé lui tournaient le dos pour commenter ce qu'ils voyaient. Le tintement du métal sur les écailles du dragon s'était entendu jusqu'à la Blanche. Même Yaé fut surpris par la rapidité de la transformation. Si l'homme avait levé une deuxième fois son épée, il ne l'avait jamais rabaissée. Une gueule énorme et rouge l'avait réduit en morceaux. Le dragon avait posée son regard d'or sur les princes suiveurs. Son hurlement de colère avait fait trembler toute la plaine. Rares furent les princes à rester debout devant le souffle, heureusement froid, qui jaillit de la gueule du dragon rouge. Lyanne en nota les noms dans sa tête tout en reprenant sa forme humaine. Yaé n'avait pas bougé, pas bronché devant le cri.

- Trouve qui est à l'origine de ça, lui avait dit Lyanne.

Et Yaé s'était exécuté. Son enquête avait duré quelques jours et il avait fait son rapport. Il en ressortait que deux princes-cinquièmes avaient trempé dans l'histoire. Lyanne les avait fait venir dans la grande salle du palais qu'on appelait salle du combat car dans ce lieu se déroulait le rituel de punition des princes. Ils avaient racheté leur faute en mourant dignement en combattant le roi-dragon.

Pour Lyanne, la mort du représentant du seigneur de Rère était un piège autrement plus redoutable. Le pays de Pomiès possédait une autonomie réelle. Ses us et coutumes différaient. Ils avaient une justice en propre. Le pays blanc était leur suzerain mais pas leur maître. Le seigneur de Rère faisait partie de la famille régnante. Il était le cousin au deuxième degré du frère du Seigneur de Pomiès, ou quelque chose comme cela. Lyanne n'avait pas très bien compris. Ce qu'il avait compris était que le bonhomme avait l'oreille du Seigneur de Pomiès et qu'il fallait compter avec lui. En regardant au fond de sa personne, il avait vu un être bouffi de suffisance et de certitudes. Il n'y avait pas de sujet qu'il ne connaissait pas. À l'écouter, son avis était précieux et son jugement sûr. Le seigneur de Pomiès lui avait d'ailleurs donné tous les pouvoirs pour négocier avec le nouveau roi-dragon, comme il l'avait fait avec le Prince-majeur. En fixant ses prunelles d'or dans les yeux sombres du seigneur de Rère, Lyanne avait aussi découvert toutes les compromissions de l'individu, toutes ses dépravations. Même sous son apparence d'homme, il sentait ses griffes sortir. Il avait alors demandé à Yaé de le surveiller un peu. Le pays blanc ne pouvait se fâcher avec le pays de Pomiès. Il était leur principale source d'approvisionnement. Dans ses vallées réchauffées par des sources volcaniques, poussait tout ce qui manquait à ce pays de glace et de neige. Il y a bien longtemps, il y avait eu la guerre entre eux. C'était lors de la grande famine sous le règne du roi-dragon Polhenc. Pour le pays blanc le choix était simple, c'était vaincre ou mourir. Depuis le seigneur de Pomiès avait fait allégeance. S'il fournissait des vivres, il en échangeait aussi contre des armes et des produits manufacturés qui plaisaient dans la plaine lointaine. Le seigneur de Rère aurait aimé avoir de l'or. Lyanne l'avait senti. Mais dans le pays blanc, l'or est réservé aux trésors des dragons. A défaut, le seigneur de Rère recherchait les faveurs comme signe de son pouvoir. Il trempait dans toutes sortes de trafics. Après sa disparition, Lyanne avait appris le pire. Le mort avait eu des goûts sexuels dispendieux. Yaé, d'habitude si direct dans ses rapports, avait employé toutes sortes de formulations pour les décrire. Si les crammplacs n'avaient pas été mis en cause, Lyanne n'aurait pas fait chercher plus loin. La mort de ce personnage ne l'attristait même pas. Seulement, il fallait trouver le coupable pour innocenter les crammplacs. Il s'était fait conduire sur le lieu de la découverte du corps, comme toujours, accompagné d'un certain nombre de princes. Ils s'étaient retrouvés dans un des quartiers les plus sordides de la Blanche. Un de ces quartiers qu'on tolère car on ne peut les supprimer sans qu'ils renaissent ailleurs plus discrets et plus sombres.

- La pluie et le vent ont balayé les traces, lui avait dit Yaé.

- Je vois, avait répondu Lyanne. Son esprit était déjà loin quand on a abandonné son corps ici.

Il suivit du regard les traces imperceptibles à d'autres yeux que les siens. Doucement, il se déplaça, remontant une ruelle. Par un geste-ordre, il avait interdit aux autres prince de le suivre. La phalange noire gardait les lieux et les princes, pendant qu'il progressait, suivi de Yaé, dans un dédale de venelles toutes plus sinistres les unes que les autres. Ils avaient abouti à une porte à l'aspect capable de décourager tout agresseur.

- Où est-on ? avait interrogé Yaé, nous sommes dans une impasse.

- Les yeux qui nous regardent le savent très bien.

Lyanne s'avança et frappa à la porte. Yaé n'était pas à l'aise. L'endroit était idéal pour un guet-apens. Le roi-dragon pourrait-il manœuvrer dans un espace aussi réduit ? Il dégaina ses deux épées quand à sa grande surprise, la porte tourna sur ses gonds.

- Bonjour, Maître.

La voix était sirupeuse et le regard fuyant.

- Rares sont les gens qui prennent cette entrée. L'autre est beaucoup plus confortable.

L'homme sursauta quand ses yeux se posèrent sur Yaé. Sa voix se fit suraiguë :

- La garde ! À moi, la garde !

Dans le même temps, il essaya de fermer la porte. Quand il vit qu'il ne pourrait pas le faire puisque Yaé avait planté son épée dans le chambranle, il s'enfuit vers l'intérieur en continuant à crier. Lyanne pénétra dans un couloir. Au fond il aperçut l'homme qui s'enfuyait par un passage sur la droite. Il dégagea son marteau et avança. Il jeta un œil à chaque pièce qui s'ouvrait dans le couloir. Chacune d'elles était encombrée d'un bric-à-brac indescriptible. Dans la dernière, il vit même une mâchoire de crammplacs. Il voulut s'en emparer quand...

- Sus ! Sus !

Lyanne n'eut pas le temps de s’appesantir sur sa découverte. Une main d'hommes armés venait de jaillir dans le couloir. Le premier moulinet de son marteau brisa net deux lames. Les autres en retrait, étaient gênés et ne pouvaient intervenir. Lyanne les repoussa. Ils se retrouvèrent dans une cour intérieure. Une autre main d'hommes en armes surgit d'un autre passage. Yaé déboucha derrière Lyanne et attaqua. En quelques instants, il ne resta qu'eux debout, à leurs pieds dix corps sans vie.

- Par là ! fit Yaé en désignant une porte.

D'un coup de marteau, elle s'ouvrit à toute volée. Un autre couloir s'allongeait devant eux. Des gens s'enfuirent devant eux dans des tenues indécentes.

- Où sommes-nous ? demanda une nouvelle fois Yaé.

- Dans un lupanar !, répondit Lyanne, et un de la pire espèce.

Avançant au pas de charge, il faisait sauter les portes qui lui résistaient. Dans certaines pièces des hommes nus essayaient de se cacher dans des recoins qui n'existaient pas. Tout ici était fait pour la torture. Des corps de femmes pantelants étaient exposés. Des orgres habillés comme des caricatures de serviteurs du palais se tassaient les uns contre les autres. Lyanne s'arrêta un instant. Devait-il tuer tous ces hommes ?

L'arrivée d'une main d'hommes de la phalange noire le dispensa de répondre. Il leur fit signe de les garder. Continuant son trajet, il déboucha dans une pièce plus grande. Le personnage qui avait ouvert la porte se tenait là, protégeant avec une épée de pacotille un homme livide, dos au mur. Lyanne s'avança. Le serviteur leva son arme :

- N'avan...N'avancez pas ou gare à vous ! dit-il en déglutissant avec difficulté.

Lyanne dégagea le serviteur d'un revers de son marteau et immobilisa l'homme en le bloquant contre le mur avec son arme.

- J'ai toujours payé, Seigneur ! J'ai toujours été régulier, pourquoi cette attaque ? balbutia l'homme.

- Qui es-tu ?

- C'est le Sange, dit Yaé.

Lyanne tourna vers lui un regard interrogatif.

- Je l'ai vu chez Jorohery.

- Raconte, dit Lyanne sans lâcher la pression de son marteau.

C'est comme cela que le roi-dragon apprit que celui qui s'était fait nommé le Bras du Prince-majeur avait beaucoup plus de mal que ce qu'il pensait. Il avait perverti la société même du Royaume Blanc en favorisant l'existence des perversions. Lyanne avait fait poursuive l'enquête.

Le Sange avait tout avoué, et donné tous ses complices et ses contacts. Favorisé par Jorohery, il avait créé un lieu de plaisirs sadiques où les plus puissants pouvaient tout se permettre. C'est là que le seigneur de Rère, ivre de plaisir mauvais et de boissons fortes avait trouvé la mort. Certains princes avaient profité de cet événement. À l'aide de la mâchoire de crammplacs que Lyanne avait aperçu, ils avaient défiguré le corps et l'avait abandonné là où on pourrait accuser ceux que leur haine poursuivait.

S'en était suivi une véritable purge. Certains vinrent se jeter aux pieds du roi-dragon pour implorer sa clémence, d'autres tentèrent de fuir, mais la majorité tendit le dos en espérant passer à travers.

- Si le regard est fixe, l'esprit est ailleurs !

Lyanne sortit de ses pensées.

- Votre perspicacité est grande, dame Chioula.

Un bruit de pas leur fit tourner la tête.

- Ah ! Tu es là ! Je te cherche partout. Nous devons nous préparer. Je viens d'apprendre que le roi est là et qu'il va nous donner audience.

L'homme qui venait d'interrompre le jeu ressemblait à Chioula.

- Excusez ma fille Seigneur, elle ne connaît pas bien les usages de votre pays.

Lyanne s'inclina légèrement.

L'homme tendit la main vers sa fille. Cette dernière se retourna, lança un dernier regard vers Lyanne et lui dit :

- Nous avons été interrompus. Le jeu n'est pas fini. J'espère que nous pourrons le reprendre.

De nouveau Lyanne s'inclina :

- À votre service, dame Chioula.


dimanche 14 juillet 2013

Lyanne était parti vers la Blanche avec Monocarna. Les phalanges allaient rentrer à leur rythme. Les princes-troisième auraient voulu accompagner leur roi mais Lyanne avait décidé de faire le trajet en volant. Il y voyait au moins un avantage. Il arriverait à la Blanche sans toute une cour cherchant à se placer auprès d'un nouveau maître. Il avait pris sa forme de grand dragon rouge pour le plus grand bonheur des guerriers blancs qui lui avait fait une ovation. Il avait décollé une fois Monocarna attaché à sa patte avant. Il avait salué l'armée en passant en rase-motte au-dessus des différents groupes. Puis il avait pris de la hauteur avec de puissants battements d'ailes. Monocarna commençait à apprécier de voler. Cela lui plaisait de voir le monde de haut. Il repéra une tribu Gowaï. Il le signala à Lyanne. Il était toujours étonné de la capacité du dragon à entendre la moindre de ses paroles. Lyanne lui répondit en virant sur l'aile pour se diriger vers la tour du chef. Les palabres durèrent jusqu'à la fin du jour. Les Gowaï avaient tenu à nourrir le dragon. Ils avaient rabattu des macocas pour que Lyanne puisse chasser facilement. Il ne s'était pas fait prier. Après le repas, il expliqua qu'il était trop lourd. Monocarna et lui resteraient sur place jusqu'au lever du jour. On monta une tente pour eux. Lyanne dit au Gowaï qu'il restait sous son apparence de dragon même pour dormir. La nuit était noire et sans lune. Les guetteurs Gowaï ne s'aperçurent de rien. Lyanne était parti. Il rigolait tout en volant. Il s'était allongé près d'une colline qui rappelait  sa forme si bien que lorsqu'il avait changé de taille pour décoller,  il avait pu le faire sans se faire remarquer. Le pays qu'il survolait était une succession de vallées séparées par des barres de montagnes. Aller de l'une à l'autre imposait beaucoup de détours. Il repéra ça et là quelques campements isolés. Il prit de l'altitude. La topographie du pays lui apparut plus nette encore. Quand il fut au-dessus du grand glacier, il se laissa planer, remontant vers sa source la plus haute. Le froid devenait plus vif. Il arriva enfin à un cirque dans la plus haute montagne. Malgré la nuit, il remarqua la falaise. Elle s'était inscrite dans sa mémoire. La langue de glace la contournait en passant  de part et d'autre. De profondes crevasses fracturaient la glace rendant impossible toute progression à pied. On ne pouvait atteindre le bord de l'escarpement qu'en volant. Après  un dernier virage, il se posa. Peu visible de loin un porche permettait d'atteindre une grotte. Lyanne y pénétra. L'odeur qui lui toucha les narines, réveilla ses souvenirs. Il se fit plus petit. Alors il retrouva les restes de ce qu'il cherchait. Il avait vécu là si longtemps sans le savoir. D'un coup de museau, il il remua les débris de sa coquille. Maintenant que Shanga était accompli, il pouvait revenir dans cette grotte. Il regarda autour de lui, en reprenant sa taille la plus habituelle. Sur les murs, il vit les signes que font les griffes de dragon. Il savait qu'ils étaient porteurs de sens. Il mit ses griffes là où un autre dragon ou plutôt une dragonne, sa mère, avait posé les siennes. Dans son esprit les mots prirent forme. Il entendit ce qui avait été gravé pour lui:
- Shanga est fait puisque tu es là...
L'émotion emplit le cœur de Lyanne. Sa mère dragon lui parlait à travers le temps.
- ....Les temps que nous vivons sont des temps troublés. L'avenir est incertain. Chaque œuf est important. Je te dépose ici sans savoir ni quand ni où naîtra celui avec qui tu feras Shanga. Tu représentes l'avenir pour notre monde. Nous sommes de moins en moins nombreux. Viendra une époque où nous serons devenus des légendes. Mais tu es là pour que nous ne soyons pas une ombre qui ne laisse aucune trace. Le passé est fini. Le réécrire est impossible. Tu es l'avenir. Sois, mon enfant !

FIN DES TROISIÈMES SAISONS.

jeudi 11 juillet 2013

Les jours qui suivirent furent très chargés. Lyanne dut recevoir les princes mais aussi les chefs Gowaï sans oublier le peuple des grands traîneaux. Monocarna l'avait secondé efficacement. Beaucoup de décisions avaient été prises. Restait maintenant à les appliquer. Lyanne devait rentrer à la Blanche, capitale de son royaume. Surtout, il devait rencontrer le Prince-Majeur que Jorohery avait mis sous sa coupe. Les messagers étaient partis pour préparer son arrivée et avec eux Yaé. Si la lumière s'était faite dans son esprit, il restait Yaé, prince rebelle. Lyanne ne lui avait rien demandé, ni excuse, ni repentir. Il l'avait confirmé comme responsable de la phalange noire.
- Même si vos habits sont redevenus blancs, avait-il ajouté.
Yaé avait sourit à l'évocation de ce double miracle sur la couleur. Après les Montagnes Changeantes, tous ses guerriers s'étaient retrouvés habillés de noir. Après l'intervention du Dieu-Dragon, ils avaient retrouvé le blanc commun. Pour rappeler cet épisode, Lyanne avait autorisé Yaé à mettre une marque noire sur l'équipement de ses hommes. Puis lui avait donné comme mission d'accompagner les messagers à la Blanche afin de briser toute révolte de la part des hommes de paille mis en place par Jorohery et de tenir la Blanche jusqu'à son arrivée.
- Crois-tu pouvoir lui faire confiance ? demanda Monocarna.
- C'est un prince noir mais sa fidélité est sans faille. Sans l'intervention du Dieu-Dragon, il aurait été jusqu'au bout de son engagement.
- Puis-je une question, mon Roi ?
- Je t'écoute.
- Qui était vraiment Jorohery ?
- Connais-tu l'histoire de Nanter ?
- J'en connais ce qu'en dit la légende.
- Nanter a utilisé les marabouts pour continuer à vivre et à régner.  Tu sais comme certains de ton ordre sont avides de puissance. Nanter leur offrait cela s'ils lui donnaient le pouvoir assez longtemps. Ils ont offert des sacrifices humains. Leur action a été insuffisante. Nanter continuait à vieillir. La seule solution était de sacrifier un dragon. En l'absence d'un tel sacrifice, le pouvoir des marabouts serait limité à l'empêcher de mourir. Nanter a persisté à faire égorger des innocents. Cela lui a laissé le temps d'attendre la découverte de l'œuf de son successeur. C'est Rojorhyé qui a ramené la nouvelle. Pour le remercier Nanter lui a promis qu'il serait le sacrificateur. Rojorhyé savait qu'il en tirerait assez de puissance pour rivaliser avec les dieux. Il était de l'expédition qui est partie le chercher. Si Rojorhyé connaissait la région où était l'œuf, il échoua à mettre la main dessus. Il y avait là un maître marabout qui enseignait.
- L'école de Mathibot !
- Exactement ! L'école de Mathibot qui forma tant de grands marabouts dont Mandihi.
- Mais ils furent tous massacrés !
- Certains en réchappèrent et leur témoignage fut consigné dans les grottes des dragons. Rojorhyé a convaincu Nanter d'offrir les marabouts de Mathibot en sacrifice pour découvrir le lieu où était l'œuf.
Le visage de Monocarna exprima l'horreur. Les marabouts connaissaient cette histoire mais elle n'avait jamais été reliée à ce que racontait Lyanne.
- Ce fait est inconnu de la plupart des gens. La disparition de Nanter et de sa suite d'assassins a fait tomber dans l'oubli ce qui s'est passé. Nanter a consenti. C'est Rojorhyé qui a officié, trop heureux d'augmenter son pouvoir. Quand est arrivé le tour d'un novice dont personne n'a retenu le nom, ce dernier a imploré la pitié du roi. Celui-ci a regardé Rojorhyé qui fait non de la tête. Le novice a paniqué et a parlé de l'œuf. C'est ainsi que Nanter a découvert la cachette. Rojorhyé a immolé le novice sur le lieu même de la découverte pour supprimer tous les témoins. Son sang a giclé à en éclabousser l'œuf. Ces taches existaient encore lors de sa récupération. Nanter refusait de courir le risque d'un mauvais sacrifice du dragon. Rojorhyé appuyait sa demande. Il disait qu'il fallait le faire au palais de la Blanche pour en tirer tous les bénéfices. Ils ont repris le chemin du retour sans même prendre le temps de donner une sépulture aux morts qu'ils avaient assassinés. Leur chemin était long. Nanter a decidé de prendre le chemin des Montagnes Changeantes pour gagner du temps. Les rois-dragon ont pouvoir sur les Montagnes Changeantes, Nanter comme les autres. Notre maîtrise nous permet de nous déplacer comme nous le voulons. Ils sont entrés par la plaine où nous avons rencontré les Gowaï. C'est un chemin que tous empruntent habituellement. Mais ce jour-là, un brouillard est arrivé. Il était étrange avec des reflets bleutés. Plus ils avançaient et plus il était dense. Bientôt ils se perdirent de vue. Les grottes ignorent ce qui est arrivé à Nanter. Le Dieu-Dragon a dit que cela était préférable pour nous. Rojorhyé a reçu sa punition en devenant le monstre qu'il était et qu'il est redevenu. Les autres ont subi un sort semblable.
- Comment a-t-il pu revenir ?
- Quand l'actuel Prince-Majeur a pris la décision d'évincer mon père de la succession, il a ouvert une porte toujours mal fermée, celle du mal. Tu m'as expliqué que Jorohery était un serviteur plutôt quelconque du palais. Son ascension en a troublé plus d'un. La vérité est ailleurs. Ce mauvais et obscur messager est parti porter des ordres à une phalange. Il a emprunté un des chemins des Montagnes Changeantes. Rojorhyé l'attendait comme il en a attendu d'autres depuis des générations et des générations. Jorohery a quitté le sentier. Rojorhyé en a tout de suite profité pour le phagocyter et c'est lui qui est revenu à la Blanche. La suite de son histoire, tu la connais mieux que moi.

lundi 8 juillet 2013

Le serviteur du Bras du Prince-Majeur leur avait dit de rester là. Ils avaient posé Lyanne tout en le laissant encapuchonné. Ils devaient l'amener devant Jorohery au lever du jour. Les ordres étaient clairs. Pendant que le Bras du Prince-Majeur s'occuperait de lui, ils devaient garder les javelots noirs prêts au lancer.
Lyanne écoutait tout cela sans rien dire. Le temps de l'action arrivait. Quand le soleil dont on devinait la venue, se coucherait, Lyanne aurait fini de faire Shanga ou il serait mort.
- Faut-il lui donner à manger ?
- T'inquiète pas ! Quand Jorohery aura fini avec lui, il aura plus jamais faim...
Lyanne frissonna. Le soleil apparut, grand disque rouge à la limite de l'horizon.
- On aurait une tempête que je s'rais pas étonné, dit un des guerriers.
- Le Bras du Prince-Majeur va être content. Il aime les tempêtes.
- C'est un augure favorable.
Lyanne reconnut la voix de Yaé.
- Emmenez-le, ajouta-t-il.
Sans ménagement quelqu'un poussa Lyanne dans le dos.
- Allez avance, ça va pas être très long.
Lyanne élargit ses perceptions. La phalange noire marchait autour de lui. De part et d'autres, il sentait la présence des autres phalanges et des princes-troisièmes. Ils avançaient dans un couloir entre les deux groupes.
- Place ! Place ! Service du Prince.
Ce fut comme un signal. Tous les guerriers se mirent à frapper leurs armes l'une contre l'autre. Lyanne pensa que cela devait s'entendre dans toute la plaine. Cela servirait aussi de signal pour les autres. Il compta cinq cents pas avant d'arriver devant Jorohery. Avant même de le voir, il en sentait la puissance. Quelqu'un l'arrêta et le fit tourner rapidement sur lui-même. On lui enleva brutalement la cape qui l'empêchait de voir. Si son corps humain était déstabilisé, le dragon en lui était insensible à ces perturbations. Il resta droit, fixant Jorohery dans les yeux. Le bruit des armes se tut. Cela se fit aussi brusquement qu'au commencement. Jorohery montrait ainsi la puissance de sa magie. Tous les guerriers lui obéissaient comme un seul homme.
- Te voilà, imposteur, fils du mensonge et de la tromperie.
La voix de Jorohery était puissante et portait loin. Toutes les phalanges devaient l'entendre. Lyanne répondit avec autant de force :
- Je suis là pour réclamer ce qui est à moi, ce qui est moi.
Lyanne vit que Jorohery ne s'attendait pas à cette puissance dans la voix. D'un geste il donna un ordre et un javelot noir se planta devant les pieds de Lyanne.
- Crains et prosterne-toi et peut-être que ta vie sera épargnée ! Mais avant, proclame ton nom que tous ici apprennent comment sont traités les ennemis du Prince-Majeur.
- De glace et de feu, je suis.
Lyanne vit Jorohery faire rapidement quelques gestes. Il sentit les ondes de puissance magique en émaner. Elles cherchaient mais ne trouvaient pas. Alors il comprit. Jorohery cherchait son nom. Il comprit alors la force qui y résidait. Il se remémora ce qu'il avait appris dans la grotte des dragons.
Voyant le manque d'effet de son action Jorohery tendit son bras restant et un bâton de pouvoir vint s'y loger.
Lyanne fut surpris à son tour. Il le regarda et sut. C'était le bâton de pouvoir perdu du roi-dragon Nanter. Il avait lu avec son propre bâton de pouvoir l'histoire de ce roi mort dans des circonstances étranges. La légende disait qu'il avait disparu avec ses serviteurs dans les Montagnes Changeantes. Devenu vieux et ne voulant pas mourir il aurait eu recours à de sombres magies aidé en cela par des marabouts aux pouvoirs dévoyés. C'est en volant l'œuf de son successeur qu'il avait déclenché la colère du Dieu Dragon qui lui avait retiré sa protection. On l'avait vu entrer sur un des chemins des Montagnes Changeantes avec sa suite honnie de tous. Quatre guerriers portaient la boîte où était l'œuf. Personne ne les avait plus jamais revus. Une patrouille qui traversait les Montagnes Changeantes longtemps après, avait eu la surprise de trouver au bord du chemin l'œuf de dragon qui avait donné vie au nouveau roi.
Lyanne ne savait pas comment Jorohery avait obtenu le bâton de pouvoir de Nanter. Il y voyait le signe de sa collusion avec les marabouts dévoyés de cette ancienne époque. Lui aussi tendit le bras et son bâton de pouvoir s'arracha des mains du guerrier noir qui le tenait.
- Tu es signe d'un pouvoir mort qui veut entraîner le monde dans la mort, dit Lyanne. Tu es mort depuis longtemps et tu l'ignores.
Jorohery sembla grincer des dents. Il hurla des mots anciens et du feu jaillit de son bâton... pour se perdre dans les volutes d'or venues de celui de Lyanne. Voyant le peu d'effet de son action, il se mit à grandir devenant comme un géant.
- Regarde et prosterne-toi. Le Dieu Dragon m'a choisi pour être son serviteur.
Lyanne répondit en prenant sa forme de dragon. Les guerriers noirs eurent un mouvement de recul. Certains doutèrent de Jorohery. Leur bras se fit moins ferme. Les javelots descendirent. Le géant face au dragon sentit sa puissance diminuer. Dans le premier cercle le doute gagnait. Voir un grand dragon rouge là où était le prisonnier déstabilisait les moins convaincus. Pire, les phalanges ne le soutenaient plus comme elles auraient dû. Le Bras du Prince-Majeur fit un geste vu de tous. Geste de puissance magique, il obligeait chacun à répondre à son serment. Ce ne fut qu'un cri :
- Gloire au Prince-Majeur et à son Bras puissant !
Dans le même temps Lyanne continuait à grandir. Il occupait presque toute l'aire centrale que Jorohery avait délimitée. Il dit d'une voix douce et forte :
- Tu crois que ce serment les lie à toi. Tu es dans l'erreur. Depuis le début tu es dans l'erreur, Rojorhyé, fils de Tsoulba...
Entendant cela, Jorohery fut possédé par la rage. Il n'avait pas trouvé, pas deviné le vrai nom de son ennemi, mais ce dernier avait dit à haute voix ce nom secret qui était le sien. Si quelqu'un s'en emparait, il serait plus lié qu'un dragon au sortir de l'œuf. Il fit un deuxième geste de commandement. Avec un parfait ensemble tous les javelots prirent leur envol.
Lyanne vit les guerriers noirs lancer leurs traits. Il eût conscience de la masse des javelots qui allaient s'abattre sur lui. Même lancés de loin, ils filaient vers lui comme aimantés par sa personne. Il les avaient déjà vus à l'œuvre. Il hurla :
- Que monte le chant des adorateurs du Dieu Dragon !
Plus fort que le serment au Prince-Majeur, s'éleva le chant du serment au Dieu-Dragon. Des milliers de bouches crièrent à l'unisson :
- Graph ta cron ! Graph ta cron !
Se joignant à eux, il y eut une autre clameur toute aussi forte. Le peuple Gowaï poussait le même cri.
Le temps semblait être suspendu... le temps d'un cri.
Et puis les javelots un instant figés, reprirent leur vol.
Devant la mort qui volait ainsi, tous les cœurs furent comme broyés sauf celui de Jorohery empli d'une joie mauvaise. Un instant, cela n'avait duré qu'un instant. Un rictus de joie éclaira le visage de Jorohery quand le premier des noirs javelots se planta dans le grand dragon rouge. Cela fit un bruit clair et tintant. Puis ce fut comme la grêle sur la glace. À chaque choc la grande silhouette rouge devenait plus noire. Quand tout s'arrêta, au centre du dispositif prévu par Jorohery, il y avait une grande forme informe et noire herissée de piquants.
Dans le cœur des guerriers, coexistaient des sentiments divers et contradictoires.
 Jorohery exultait :
- Regardez ! Regardez tous comment sont traités les ennemis du Prince-Majeur. Face à la vraie puissance, les imposteurs ne peuvent exister...
- Pour une fois, tu dis vrai même si ton cœur n'est que ruse.
Du haut de sa taille de géant, Jorohery chercha d'où venait cette voix. Devant lui le grand dragon devenu noir se rétrécissait. À ses pieds, s'écoulait une eau noirâtre et nauséabonde.
- Ta présence salit le monde, continua la voix.
- Qui es-tu ? s'inquiéta Jorohery.
- Je suis celui que tu voudrais être. Je suis glace et feu, feu et glace. Regarde à ton tour la puissance, la vraie puissance, celle du Dieu-Dragon.
Un homme s'avança tenant à la main un bâton. Il le leva. Jorohery poussa un cri en reconnaissant Lyanne. Il pointa son propre bâton de pouvoir et récita de vieilles formules au parler ampoulé. Un torrent de feu en jaillit pour aller se fracasser contre un mur de glace brusquement apparu. Elle était pure et plus brillante que le métal. Le feu éclata en mille gerbes tout autour. C'est alors que gronda le tonnerre. Des nuages accourus du fond de l'horizon formèrent un vaste tourbillon où régnaient la grêle et la foudre. Si des grêlons plus gros que le poing martelaient Jorohery, la foudre frappait ce qui restait du leurre fait par Lyanne. Sous les yeux des phalanges, les eaux noires redevinrent transparentes. Les guerriers noirs ou blancs virent Jorohery tenter de se défendre de cette tornade de grêle. Il pointa à plusieurs reprises son bâton vers le ciel hurlant des imprécations. Le seul résultat visible fut l'arrivée de la foudre qui frappa le bâton à plusieurs reprises. Dans un gigantesque craquement, le bâton de Jorohery se rompit. On entendit crier le Bras du Prince-Majeur. Il sembla se boursoufler sans perdre sa taille de géant. Bientôt un cou puis un autre cou apparurent surmontés chacun d'une tête de cauchemar. Yaé hurla :
- Le monstre à deux têtes !
La vision de l'être monstrueux se précisa. Il était énorme couvert de piquants noirs où chacun put reconnaître les javelots que Jorohery avait si largement distribués. Ses bouches hurlaient des insanités pendant qu'il lançait ses piquants. Du ciel, la foudre frappait à coups redoublés chacun des traits qui jaillissaient des flancs de Jorohery.
Lyanne les bras tendus vers le ciel, demanda:
- Dieu-Dragon qui a fait ce que je suis pour que je serve ton peuple et qu'ainsi ton nom soit honoré sous les cieux, envoie ton gardien qu'il vienne chercher Rojorhyé fils de Tsoulba.
Le tonnerre répondit. Dans les nuages tourbillonnant, tous virent s'ouvrir l'espace en un malstrœm noir et blanc. Une tête de dragon plus grosse qu'une colline apparut. Elle était blanche et noire, crachant un feu aux reflets bleus qui enveloppa le monstre. Le cri qu'il poussa glaça le sang de tous les présents et bien des saisons passèrent sans qu'ils ne puissent l'oublier.
Le silence se fit. La grêle avait cessé, la foudre aussi. Le monstre à deux têtes s'agitait sans bruit dans une bulle de feu bleuté. Le grand dragon noir et blanc dont on ne voyait que la tête, ouvrit largement la gueule et la referma sur ce qu'était redevenu Jorohery. Après on la vit disparaître dans les nuages qui se refermèrent.
Tous les regards restèrent tournés vers l'endroit de la disparition. Dans le ciel sombre qui couvrait la plaine, apparut une fente par où filtrèrent les rayons du soleil. Quand ils touchèrent terre, ils illuminèrent Lyanne l'auréolant d'or.
Quand il vit cela Yaé fut le premier à mettre genou à terre :
 - Mon Seigneur et mon Roi.

samedi 6 juillet 2013

Jorohery le sentait. Il était là quelque part. Il avait fait une partie du Shanga mais n'avait pas fini. Il n'était pas reconnu par le peuple. Tout allait se jouer là. Les phalanges allaient dire qui était qui. Jorohery allait infléchir le court des choses. Il avait déjà mis le Prince-Majeur sous influence. Il ne lui restait plus qu'à circonvenir celui qui se faisait appeler roi-dragon. Pour cela il lui fallait son nom. Il savait qu'il avait à faire à un Louny mais lequel. Sa magie la plus forte avait besoin du nom. S'il ne le trouvait pas, il lui resterait la magie des javelots. Il avait envoyé les phalanges vers la bourgade perdue pour deux choses: éliminer l'homme et si par malheur ils échouaient, récupérer son nom. Yaé était le seul à être revenu. Jorohery l'avait rencontré. Il avait ainsi récupéré un nom Bartnef ou quelque chose comme cela. Cela ne lui avait pas plu. Ce nom sentait le surnom. Yaé n'était même pas sûr de la manière de le prononcer. Le pire était que Jorohery présentait autre chose en lien avec la nature même de ce qu'il avait découvert lors de son funeste voyage dans ces contrées. Il frotta le moignon de son bras. Il haïssait les crammplacs... ainsi que les Gowaï et tous ceux qui s'opposaient à lui. Yaé lui avait raconté ce qui s'était passé dans la pièce avec Quiloma et l'imposteur. Jorohery avait repris les envoûtements de ce prince au cœur noir. Ce pseudo roi avait fait quelque chose qu'il ne comprenait pas. Yaé avait au centre de sa personnalité comme une bulle qui échappait aux effets des rites que Jorohery accomplissait. Il avait circonscrit cette zone en l'entourant de sombres entrelacs de magie.
C'est alors qu'il pensait encore à lui que le messager de Yaé arriva. Jorohery fut parcouru par une onde de plaisir. Enfin! Il allait l'avoir en son pouvoir. Il avait juste le temps de se préparer pour l'obliger à avouer son nom et  le mettre en son pouvoir. Il avait préparé son plan de longue date. Les phalanges lui donneraient la puissance dont il avait besoin. Son dispositif comprenait plusieurs cercles. Il se tiendrait au centre. Comme une araignée au centre de sa toile, il y attendrait le prisonnier. Ses gardes et la phalange noire feraient le premier cercle. Leurs âmes noires étaient une cage parfaite. Autour la masse des guerriers blancs servirait de réserve de puisance. Si besoin les milliers de javelots entreraient en action. Pour finir son dispositif, il avait besoin des ennemis. Comme s'ils l'avaient compris, ils arrivaient. Jorohery se doutait bien qu'il devait sûrement cela à l'action de l'imposteur qui voulait faire pression sur les guerriers blancs. Quel que soit son plan, il était voué à l'échec. Jorohery jubilait. Il allait enfin retrouver un monde à son image. Appelant ses serviteurs, il donna ses ordres.

mercredi 3 juillet 2013

Nyagorot était content. Il ne savait pas pourquoi mais il était content. Il remarquait que son entourage semblait surpris de ce qu'il faisait. Cela ne l’inquiétait pas outre mesure. Il était bien. Il était sorti sur le pas de la grotte qui lui servait de logement. Il avait vu le soleil se lever inondant de reflets violines la surface du glacier.
- Mlion, prépare un gruau, j'ai faim !
Il n'avait pas vu le regard étonné de son serviteur qui arrivait avec la chicha du matin. Nyagorot était parti en petites foulées faire le tour du camp. Il n'avait pas trop la forme. Il se sentait essoufflé alors qu'il ne courait pas très vite. Ce fut comme un nuage dans un ciel bleu. À son retour, il dévora la bouillie chaude qui l'attendait. Tout en mangeant, il réfléchissait. Le moment décisif approchait. Il le sentait.
- Mlion !
- Oui, mon Prince.
- Convoque les princes, tous les princes ! Les ordres vont arriver, je le sens. Nous devons être prêts à faire mouvement.
Le regard posé sur le lointain Nyagorot ne vit pas le regard une nouvelle fois étonné de son aide de camp. Celui-ci partit porter les ordres avec une célérité qu'il n'avait pas connue depuis bien longtemps.
- Grard ! Grard !
- Te voilà bien essoufflé, Mlion ! Où cours-tu comme cela ?
- Il faut convoquer les princes, tous les princes. Le Prince Nyagorot a changé depuis ce que je t'ai raconté. Pas une goutte de chicha ce matin, pas un mouvement d'humeur !
- Pas une goutte ?
- Non, il a voulu du gruau.
- Du gruau ?
- Oui, je suis sûr que c'est un signe du Dieu-Dragon. Notre Prince a été choisi...
Mais déjà Mlion était reparti vers les tentes des princes-troisièmes. À chaque fois il dut s'expliquer et vit le regard inquiet du prince. Qu'arrivait-il à Nyagorot ? Jamais il n'avait fait cela.
Assis face au soleil qui montait à l'orient, Nyagorot était loin de se douter de ce qu'il déclenchait. Il méditait. Il s'en trouvait bien. Il se dit qu'il devrait faire cela plus souvent. Il vit arriver les princes les uns derrière les autres. Il se mit debout. Son aspect frappa ses interlocuteurs et alimenta la rumeur de la visite du Dieu-Dragon.
Il mena sa réunion de bout en bout sans s’asseoir et sans boire. Les princes-troisièmes échangèrent des regards. Eux qui avaient pris l'habitude de faire un peu comme ils l'entendaient, se retrouvaient face à un prince exerçant pleinement son autorité. Ils firent comme si tout était naturel et qu'ils ne se disputaient jamais pour prendre la place de Nyagorot. Quand les messagers de Jorohery arrivèrent, ils trouvèrent les phalanges prêtes à bouger. Nyagorot eut un sourire en entendant les ordres, il avait bien anticipé. Les phalanges devaient se positionner là où il l'avait prévu. Au centre du dispositif, Jorohery serait avec ses gardes, autour les trois princes-seconds et leurs phalanges. Nyagorot aurait Vrestre à sa droite et Falker à sa gauche. C'est lui qui recevrait le premier le choc de l'attaque des Gowaï. Si les informations étaient justes, ils avaient commencé à bouger pour prendre position. Nyagorot pensa qu'on allait vers une bataille de plaine. Il fit équiper ses hommes dans ce sens. La seule inconnue était de savoir s'ils pourraient utiliser ces javelots noirs pour autre chose que tuer le dragon de l'imposteur.
Dans l'après-midi, il apprit que des crammplacs avaient été aperçus du côté du désert mouvant. Nyagorot ne fut pas étonné. Ils avaient disparu des combats un moment mais leur haine devait être grande et ils revenaient pour participer au carnage. Il rangea l'information dans un coin de sa tête. Comme ils avaient été vus du côté du désert mouvant, c'est Vrestre qui avait à gérer cette question. Du côté du glacier, tout semblait calme. C'est tout juste si on signalait quelque chose. Nyagorot ne croyait pas que tout y soit clair. L'étroitesse des chemins et le dédale des crevasses permettaient à un petit groupe de tenir en respect toute une armée. Il chargea un aide de camp de voir avec Falker s'il avait plus de nouvelles.
Quand la nuit tomba, les hommes étaient là où ils devaient être pour faire face à l'ennemi. Les rumeurs se précisaient. Jorohery gratifia les troupes d'une apparition. Toujours aussi maigre et encore plus impressionnant maintenant qu'il avait une manche vide, le Bras du Prince Majeur, fit sensation en annonçant la capture de l'imposteur par la phalange noire. Puis il fit signe aux princes-seconds de le suivre.