mardi 31 janvier 2012

Les éclaireurs revinrent


Les éclaireurs revinrent vers le groupe.
- Starcat ienotcme stobrca (Il y a des loups noirs).
Quiloma hocha la tête.
- Teixs! (restez-là).
Sstanch n'avait rien compris au dialogue. Muoucht lui traduisit.
- Y a des problèmes. Y a des loups !
- Ils vont se battre ?
- L'prince a l'air de vouloir y aller seul.
Quiloma s'était mis en marche. Il remit l'épée au fourreau et sortit un court bâton rouge. Il avança doucement vers la clairière. Quand il dépassa la lisière de la forêt, il découvrit les loups couchés entre ou sur les pierres. Il s'arrêta, parcourant du regard les différents membres de la meute. Les loups l'avaient vu. Les plus jeunes s'étaient mis debout. Ils regardaient alternativement vers la louve sur la pierre et vers Quiloma. La louve était restée couchée mais avait levé la tête. Quiloma braqua son regard sur elle. Prenant le bâton à deux mains, il l'éleva à l'horizontale devant lui, tout en mettant un genou à terre :
- Qschamia stobrca ... ( Que mon salut aille vers toi, louve noire, maîtresse de la meute. Je viens en paix chercher les dépouilles des traîtres à la nation des Êtres Debouts. ).
Le bâton rougeoyait entre les mains du prince. La louve posa son regard dessus. Il y eut comme un éclair dans ses yeux. Elle se leva doucement, leva le nez au ciel et poussa un long hululement. Les autres loups se mirent sur leurs pattes. Sans se presser la louve noire sauta en bas de la pierre où reposaient les restes des étrangers. Elle prit le chemin de la forêt suivie par les siens en file indienne comme il sied à des loups en paix.
Quiloma n'avait pas bougé. Derrière un arbre, le dislocateur regardait cela sans comprendre. Un grondement près de lui, le fit se retourner. L'alpha de la meute était là. L'ordre était clair. Le dislocateur comme les loups, se retira.
La clairière était silencieuse sous la neige qui tombait. Il n'y avait plus de mouvement perceptible. Quiloma se releva, rangea le bâton dans son étui à la ceinture. Sans se retourner, il cria :
- Sxiet! (Venez!)
Les guerriers de l'extérieur prirent position autour des pierres. Ils restaient sur leurs gardes. Muoucht glissa à l'oreille de Sstanch :
- C'est pas des loups qu'ils ont peur. Ils craignent une embuscade.
Sstanch et son escorte s'arrêtèrent au milieu de la clairière près de la pierre de Hut. Quiloma s'avança vers les restes sur la pierre cassée. Il examina avec soin ce qui restait là. Il ramassa les affaires de la femme, de l'enfant. Il passa un long moment à plier ce qui restait des affaires et à en faire un paquet. Il se retourna et tendit le tout qui fut immédiatement récupéré par un guerrier. Il se dirigea alors vers les restes de l’étranger. Les vêtements comme pour les deux autres avaient été peu abîmés. Il vit la main droite posée sur la roche avec les armes. Il prit l’épée et la mit dans son fourreau à la place de celle qu’il portait. De nouveau il plia les affaires avec précaution et tendit le tout à un soldat. Ne restait sur la roche que la main avec l’anneau. Quiloma la contempla longuement.
- Qu’est-ce qu’il fait ? demanda Kalgar.
- Je ne sais pas, lui répondit Sstanch. Tu le sais toi ? Veut-il l’anneau ?
- J’sais pas, je connais pas leurs rites. L’anneau est signe de pouvoir, c’est sûr. L’prince en a un au doigt. Y en a d’autres qu’en ont un aussi mais moins beau et moins gros.
Sstanch commença à scruter les mains des hommes qui l’entouraient. Il en repéra cinq, porteur d’anneau ou de gant avec un anneau de couleur sur le majeur.
Quiloma avança la main vers la pierre puis se ravisa. Il recommença son ébauche de geste et de nouveau se ravisa. Il regarda autour de lui. La neige tombait. La visibilité était faible. Un ciel bas et gris avait déjà des airs de crépuscule.
- Il ne veut pas prendre l’anneau ? demanda Sstanch.
- I’peut peut-être pas, répondit Muoucht. A un col à trois jours de marche d’ici, ils ont fait toute une cérémonie parce qu’ils avaient vu une trace dans le rocher. Quand j’ai d’mandé c’qui s’passait, i’m’ont dit qu’un grand être s’était posé là. En écoutant c’qui disaient, j’ai compris que cela voulait dire qu’on était sur la bonne piste.
- Stracbnh…( Rentrons, nous ferons une offrande ce soir. Qu’un groupe garde ce lieu !).
Quiloma reprit le chemin vers la ville sans un regard pour Sstanch et les siens. Un guerrier à l’anneau rouge, leur fit signe d’avancer. Bientôt, il ne resta plus qu’une dizaine d’hommes dans la clairière.

samedi 28 janvier 2012

Kyll bougeait comme en rêve


Kyll bougeait comme en rêve. Il errait dans la ville sans vraiment savoir par où sortir. La majorité de la population était en haut de la ville, attendant le résultat de la rencontre. Il avait été quelques fois à la grotte de la médiation, toujours accompagné d’un guide. Il se demandait comment il allait se débrouiller. Depuis des années, il ne s’occupait plus de son quotidien. Les disciples de premiers niveaux s’en chargeaient. Il suivait la pente, se laissant aller. Les visions avaient disparu. Il avait bien entendu l’esprit du sol, pourtant un sentiment d’irréalité l’accompagnait. Les rencontres qu’il faisait dans les rues lui prouvaient qu’il était toujours invisible aux yeux des gens. Il arriva place de la fontaine. Il était maintenant presque en bas de la ville. Il pensa que jamais il ne pourrait bouger la porte. La peur commença à s’insinuer en lui. C’était bien beau de suivre les ordres des esprits quand ils étaient précis mais là, place de la fontaine, que devait-il faire ? Il se dit que s’il remontait maintenant, il retrouverait sa position et son rang, qu’il n’aurait pas besoin de s’en faire pour son quotidien. Il se disait cela tout en sachant qu’il se mentait. Il ne savait pas vivre sans se poser des questions. Pourquoi une chose plus que l’autre ? Pourquoi entendait-il les esprits, ce qui l’avait amené à la position de maître sorcier alors que d’autres à l’allure plus altière semblaient ne même pas savoir comment faire ? S’il partait comme cela qu’est-ce qui allait se passer ? Natckin prendrait la tête du temple. Il présentait bien. Kyll était persuadé que Chan serait heureux de l’avoir en face de lui. Seulement Natckin ne voyait rien, n’entendait rien. Le monde des esprits lui était fermé. Kyll le savait. S’il était devenu deuxième disciple dans la hiérarchie, c’était en mimant et en trichant. Le vieux maître sorcier s’était laissé prendre par ce beau parleur. Quand le Maître lui avait expliqué ses difficultés à rencontrer les esprits, Kyll n’avait pas compris. C’était évident, soit les esprits s’imposaient à toi, soit tu convoquais les esprits avec l’offrande. Kyll avait eu besoin de temps pour s’apercevoir qu’il était le seul à penser cela. Pour les autres sorciers, contacter le monde des esprits nécessitait une ascèse et un entraînement de tous les jours.
- SUIS-LA.
Comme toujours, Kyll ne se posa pas la question de savoir d’où venait la voix, ni quel esprit avait parlé. Il regarda autour de lui. La Solvette passait avec un panier. Il lui emboîta le pas. Une fois ou deux elle se retourna, scrutant derrière elle, sans rien voir. «  Elle me sent mais ne me voit pas», pensa Kyll. Ils marchèrent ainsi dans les ruelles de la ville basse, se rapprochant des zones où on traitait les machpes. L’odeur de la plante saturait l’air du quartier. La Solvette passa entre deux entrepôts. Quand Kyll déboucha du passage, elle avait disparu. Il eut un instant de panique. Il était sur une placette, à sa droite, la ruelle remontait, à sa gauche, un escalier de quelques marches donnait accès à une autre zone d’entrepôts. Devant lui, il y eut un éclair lorsque la Solvette alluma sa torche. Elle était entrée sous le porche en pierre qui signalait l’entrée des grottes à machpes. Kyll se rapprocha doucement. De nouveau la Solvette scruta derrière elle sans rien voir. Elle se retourna et rangea les braises qui lui avaient servi dans un brasero. Kyll n’était pas venu souvent ici. Le feu était indispensable. Chacune des entrées de grottes, chaque maison fonctionnaient pareil. On entretenait le feu. Personne ne savait le faire renaître s’il s’éteignait. Une légende racontait la quête d’un nouveau feu un jour de désastre, où tous les feux de la ville s’étaient éteints. La pluie, l’humidité du combustible et la paresse des habitants de l’époque avaient amené cette catastrophe, en pleine saison des pluies. C’est un jeune garçon qui avait réussi à capturer un nouvel esprit du feu alors que celui-ci se promenait en forêt à côté du point de chute d’un éclair d’orage. Kyll faillit perdre de vue la Solvette pendant qu’il repensait à la légende. Heureusement la lumière de la torche le guida. Kyll pensa qu’il ne savait rien de la vie des gens de la ville. Inversement, ils ne savaient rien de la vie dans le temple. Ils avançaient dans un dédale de grottes, qu’il était incapable de mémoriser. De temps en temps, ils croisaient des gens. La Solvette échangeait un mot, un bonjour, une phrase avec chacun. Parfois elle s’arrêtait plus longtemps, sortait quelques plantes de sa besace et les remettait à son interlocuteur qui la remerciait en s’inclinant très bas. Puis le réseau des grottes se fit plus lâche, ils traversaient une zone de galeries qui semblaient devenir de plus en plus naturelles. Kyll avançait toujours derrière la Solvette sans bruit. Le silence était devenu extraordinaire. Seuls les frottements des bottes de la Solvette s’entendaient. A un carrefour, elle s’arrêta. Se retourna brusquement et tendit sa torche devant elle.
- Sors de là !
Kyll se crut démasqué. Il avança dans le cercle de lumière. La Solvette regardait toujours au même endroit alors que lui passait sur le côté.
- Si je me mets à entendre des esprits, je n’ai pas fini, dit-elle à voix haute, en reprenant son chemin. Ils marchaient maintenant dans un ensemble de salles souterraines aux parois lisses et arrondies. De l’eau coulait quelque part. Bientôt, ils arrivèrent près d’un torrent dont les cascades brillaient à la lumière mouvante de la torche. Kyll n’en revenait pas. Jamais il ne s’était douté de ce réseau et de ce torrent souterrain. Il sentit un souffle d’air. La sortie ne pouvait pas être loin. La Solvette s’était arrêtée pour gratter des lichens sur la roche. Kyll suivit l’air. Plus il s’éloignait de la Solvette, moins la lumière était forte. Il se retrouva dans le noir presque complet. Devant lui, il y avait comme une clarté. Il se dirigea vers elle pour voir. Elle augmentait à chacun de ses pas. Enfin il déboucha dehors. Il neigeait. Il était au pied d’une barre rocheuse, juste au-dessus du bassin dans lequel coulait le torrent qu’il avait suivi. Il se reconnut. La grotte de la médiation était proche. Il pensa que même s’il voulait faire demi-tour, jamais il ne trouverait son chemin dans ce labyrinthe souterrain. Il réajusta son baluchon et se dirigea vers sa destination.

mercredi 25 janvier 2012

Sstanch fut chargé de rencontrer


Sstanch fut chargé de rencontrer les extérieurs. Il avait demandé à Kalgar de l'accompagner. Sa haute stature et son courage étaient un atout. Il avait aussi choisi trois autres gaillards de la même taille. Il sortit ainsi avec quatre hommes d'escorte, laissant ses miliciens à l'intérieur. Il avait donné ses ordres à Filt au cas où. Il voulait faire bonne figure devant le prince étranger, en tout cas lui faire comprendre qu'une bataille contre la ville, lui coûterait cher, alors qu'il était loin de ses bases de ravitaillement. Sur la palissade rebaptisée remparts, les archers se tenaient prêts, l’air aussi menaçant que possible. C’était surtout une idée de Chan. Sstanch lui avait expliqué que les extérieurs connaissaient la portée des arcs de la ville, qu’il était inutile d’aligner des archers incapables de lui venir en aide voire pire, susceptibles de lui lâcher une flèche dans le dos par maladresse. Chan était resté sur ses positions. Sstanch et son escorte marchaient vers le camp des extérieurs en espérant que personne ne ferait de bêtises derrière eux. Ils furent soulagés de dépasser la pierre qui bouge. Ils étaient maintenant à l’abri des flèches amies. Devant eux, les sentinelles les avaient regardés arriver sans manifester le moindre sentiment. Elles ne s’étaient même pas mises en alerte. Sstanch avait vu le signal annonçant leur arrivée. Le petit groupe passa entre les deux sentinelles. Celle de droite, lui fit un signe, indiquant une direction. Sstanch s’avança pour découvrir un camp impeccablement aligné. Les hommes le regardaient passer sans manifester d’intérêt particulier. Il remarqua qu’ils avaient tous une arme à portée de main. « Belle armée ! » pensa-t-il. Il rêva un instant d’en diriger une semblable. Il aperçut le prince Quiloma assis sur une couverture posée sur un bloc de neige. Muoucht était debout près de lui. Le prince discutait avec des guerriers devant une peau de bête étalée devant eux. Dessus Sstanch aperçut des dessins dont il ne comprit pas le sens. Une lance le stoppa dans son élan. Un garde l’avait bloqué dans sa progression. Sstanch prit la lance courte qui lui barrait le passage. Il l’aurait bien repoussée s’il n’avait entendu le bruit des armes sortant de leur fourreau autour de lui. Une dizaine de guerriers extérieurs l’arme au poing, entourait le petit groupe. Sstanch n’insista pas et recula légèrement. Comme un rouage bien huilé, la lance disparut de devant lui et les armes regagnèrent leurs étuis.
- Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Kalgar à mi-voix.
- Rien, on attend le bon vouloir de l’extérieur.
Le ciel se voilait doucement. La neige arrivait pensa Sstanch. Le froid serait bientôt là. Il se dit que cela ne changerait rien pour ces hommes aguerris. Il ne voyait pas les habitants de la ville se battre dans une bourrasque. Chan vivait dans l’illusion qu’il y avait assez d’hommes pour repousser et vaincre les extérieurs. Sstanch savait qu’hormis la vingtaine de volontaires qui accompagnaient habituellement la milice, tous les autres combattants ne valaient rien sur un champ de bataille. L’attente se prolongeait. Les premiers flocons se mirent à tomber quand le prince fit un geste. Immédiatement la lance qui lui avait barré le chemin, servit à le pousser dans le dos. Quand son escorte voulut avancer, on lui barra le chemin. Sstanch s’arrêta, se retourna et leur fit signe de ne pas bouger.
- Enahrlsir dinanrpa dje nmqirndau.
- Il demande ce que tu as à lui dire, traduit Muoucht.
- Nous avons vu les personnes qu’il cherche et je peux le conduire là-bas…
Muoucht traduisait en même temps. Sstanch vit les yeux de Quiloma s’allumer d’une lueur d’intérêt.
- … mais ils sont morts.
Muoucht n’avait pas fini de traduire que Quiloma avait attrapé Sstanch par le devant de sa veste de fourrure.
- Starinfuo qahdjoz
- Qu’est-ce que tu veux dire ? traduit Muoucht.
Sstanch se mit en devoir de raconter les loups noirs, la bataille de la porte des hautes terres, la fièvre de la femme, la blessure de l’homme, la faiblesse de l’enfant. Quiloma scrutait la bouche de Muoucht pour en déchiffrer les paroles. Traduire était difficile pour lui. Muoucht parlait un peu la langue des extérieurs mais avait des difficultés à traduire tout ce que Sstanch disait. Sur la fin du récit, il se dit que Quiloma avait compris. Celui-ci se retourna pour lancer deux ordres brefs. Vingt guerriers et dix archers furent immédiatement prêts.
- Conduis-nous ! traduit Muoucht.
Sstanch allait obéir quand il vit le regard de Kalgar et des autres.
- Je ne peux pas sans mon escorte. La clairière est sacrée. Je ne peux y aller seul.
Pour donner du poids à ses paroles, il se croisa les bras sur la poitrine, refusant de bouger.
Quiloma le regarda, sembla le jauger, puis donna un ordre.
- Il dit : « Attention à toi, si ce que tu dis est faux ! »
Les dix hommes qui entouraient Kalgar et ses compagnons se mirent en position autour d’eux. Sstanch leur fit signe d’approcher. Ils reprirent leur position autour de lui.
Du haut de la tour malgré la visibilité qui baissait à cause de la neige, Filt vit partir Sstanch et son escorte entourés d’une quarantaine d’extérieurs l’arme à la main.

dimanche 22 janvier 2012

Kyll sentit monter


Kyll sentit monter en lui la vision. Il fut étonné de sa netteté. Il voyait les étrangers comme en plein jour alors que le soleil était parti pour la nuit depuis une chandelle. Ils avaient monté un camp fait de toiles protégé par un muret de blocs de neige découpés. Des sentinelles veillaient, l’arc à la main, une flèche prête. Puis Kyll eut comme un sursaut. Il survolait la clairière de la dislocation. La grande louve au regard de feu surveillait les dépouilles des étrangers. Son esprit était en repos. Elle était là où elle devait être. Le grand être avait suggéré et elle obéissait. Les petits charognards qui auraient bien aimé se repaître des carcasses, maudissaient dans leur langage ces loups qui les empêchaient d’assouvir leur faim. Kyll ne fut même pas étonné d’entendre les pensées des animaux. Un nouveau bond l’emmena dans la maison commune. Il appréhenda dans un éclair de pensée, ce qui s’était dit et ce que voulaient faire Natckin et Chan. Tout s’éteignit pour se rallumer instantanément. Il était dans une des maisons de la ville. La lumière irradiait d’un des êtres près du feu. Il dormait. C’était un enfant. Une femme, lasse, à l’aura vacillante écoutait les péroraisons d’un gaillard fort en gueule à l’aura rouge sang. Chountic ! Lui seul avait cette aura de mauvais œil. Ses serviteurs venaient lui faire le compte-rendu de ce qui se passait et dans la maison commune et au-delà de la palissade. Nouvelle coupure. Kyll planait dans le temple. Natckin faisait l’offrande à Hut le fondateur. Son aura était striée de noir. Celle de Tasmi flageolait d’incertitude. Les gestes étaient faits, les herbes brûlées mais nulle trace de la belle et forte présence de Hut… Kyll s’interrogea en voyant les pensées de Natckin préparant déjà son discours à Chan. Il fallait qu’il intervienne !
- NON !
Le cri le déstabilisa. Il reprit conscience dans sa cellule de méditation. Il se leva péniblement pour aller arrêter Natckin.
- RESTE !
- Mais il blasphème.
- JE SAIS. CE MAL EST NÉCESSAIRE.
Dans l’esprit de Kyll, la voix était nette et forte. Il connaissait cet esprit. Il était le maître de la terre de la ville. Il avait de nombreuses fois sacrifié pour qu’il leur soit favorable au moment des récoltes de machpe.
- L’ESPRIT DE HUT TE DEMANDE DE TE RETIRER À LA GROTTE DE LA MÉDIATION.
- Pourquoi ?
- OBÉIS TOUT DE SUITE. NE DIS RIEN ET PARS. HUT T’ATTEND LÀ-BAS.
Kyll se retrouva seul dans sa cellule et dans sa tête. L’esprit de la terre l’avait quitté. S’interrogeant beaucoup, il rassembla ses affaires. Empruntant les couloirs qui conduisaient vers une sortie latérale, il comprit que personne ne le voyait. Tous ceux qui le croisaient, l’ignoraient.
Dans la grande salle du temple Natckin officiait. Il avait presque fini le rite et rien ne s’était passé. Nulle possession, ni de message écrit dans les fumées odorantes. Il fit ce qu’il pensait des autres officiants. Il inventa, simulant la possession et les dialogues. Il en arrivait au message principal. Il avait décidé que le mieux était de céder au prince des extérieurs en lui révélant où étaient les dépouilles et où était l’enfant qu’il cherchait. Dans son jeu scénique, il commença d’une voix grave, à révéler ce qui devait être fait. Il en avait fini avec la femme et l’homme. Au moment où, reprenant son souffle, il allait sceller le sort de l’enfant. Une autre voix s’éleva, forte impérieuse, faisant trembler les murs. Tous les officiants regardèrent Tasmi debout, transfiguré, disant :
- QUE JAMAIS CE QUI A ÉTÉ DONNÉ À LA MÈRE EN LARMES NE SOIT REPRIS !
Natckin fut déstabilisé mais préféra intégrer cela dans son augure. Finissant le rite, il demanda comme cela doit être fait aux témoins de lui rapporter ce qui avait été dit par les esprits lors de la possession.
Tonlen, le maître officiant du temple prit la parole :
- Les Esprits ont parlé : que l’on donne les dépouilles aux extérieurs, mais que l’enfant de Chountic reste l’enfant de Chountic. Les Esprits ont échangé les vies. L’enfant des étrangers est celui qui repose avec leurs dépouilles dans la clairière de la dislocation.

jeudi 19 janvier 2012

Chan était passé par le temple


Chan était passé par le temple. Kyll l'avait de nouveau déçu. Les esprits ne lui avaient rien dit. Chan jurait intérieurement. Il avait mis le maître sorcier au courant de tout ce qui s'était passé. Il avait été reçu en présence du grand conseil du temple. Natckin avait posé de bonnes questions. Chan devait reconnaître qu'il aurait préféré l'avoir comme maître sorcier à la place de Kyll. D'ailleurs c'est lui qui était venu et non le maître sorcier trop fatigué par ses visions pour la rencontre des anciens. Les remarques à mi-voix avaient fusé. Chan avait réclamé le silence et Natckin avait fait celui qui n'avait rien entendu. Derrière lui Tasmi était mal à l'aise de cette situation. La réunion se passait dans la maison commune en présence de tous ceux qui le désiraient. Il y avait le cercle de ceux qui pouvaient parler et le cercle des habitants qui regardaient et écoutaient.
- Il faut lui donner ce qu’il veut. Après il partira.
- Ce n’est pas possible. Nous irions contre l’hospitalité. Il est venu en arme, les étrangers sont venus en réfugiés.
- Je ne veux pas la guerre. Cette armée est trop forte.
- Nous sommes tellement plus nombreux, au moins cinq contre un. Nous pouvons vaincre.
- Le capitaine n’y croit pas. Ils sont trop biens armés et savent trop bien s’en servir. Vous avez vu leurs arcs. Ils sont petits mais portent plus loin que nos meilleures armes.
- Nous ne leur devons pas hospitalité.
- Tu as raison, mais veux-tu la mort des nôtres ?
- Quel est ton avis, Sorcier ?
Natckin se rengorgea. En l’interpellant ainsi, Chan venait de lui accorder autant d’importance qu’au maître sorcier lui-même. Bien sûr, il n’avait pas eu droit au titre de maître, mais siéger au conseil des anciens comme représentant du temple était une vraie jouissance.
- Les esprits se refusent à parler au maître sorcier. Je ne sais rien de plus que ce que je vous ai rapporté. Nous devons rester fidèles à nos coutumes. Ce qui arrive est une épreuve pour tester notre foi. Je pense qu’un sacrifice à l’esprit de Hut le fondateur pourrait nous éclairer.
Chan regarda Natckin et supputa ses chances de prendre le pouvoir au sein du temple. Il réfléchit rapidement.
- Tu as raison, Sorcier. Nous allons suspendre le conseil pendant que tu fais l’offrande. Puis avec l’aide de Hut le fondateur nous prendrons la décision.
Natckin faillit crier de plaisir. Chan venait implicitement de lui donner l’ordre de faire ce qui était réservé au maître sorcier. Il acquiesça en silence et se retira, Tasmi sur ses talons.
- Sorcier Natckin, allez-vous faire ce que le maître de la ville a dit ?
- Bien sûr, disciple Tasmi. La situation exige.
- Mais… mais… mais Sorcier Natckin, que va dire le Maître Sorcier si vous officiez ?
- J’ai l’entière confiance du Maître Sorcier et mon devoir est de le soulager de toutes ces contingences pour lui permettre de se concentrer sur ce qui lui est essentiel, les esprits qui le visitent. Si je n’avais pas sa confiance, crois-tu qu’il m’aurait adjoint un disciple à former tel que toi en qui il a mis de grands espoirs ?
Tasmi se rengorgea en entendant cela, tout en se disant qu’il avait beaucoup à apprendre avant d’atteindre le savoir de ses maîtres.

lundi 16 janvier 2012

Les bruits les plus étranges


Les bruits les plus étranges circulaient en ville. On y parlait de monstre, de guerre, d'armées, de guerriers sur des monstres. Les récits étaient tous plus terrifiants les uns que les autres. C'est à celui qui en dirait le plus. Kalgar n'aimait pas ces manières. Quand il avait eu la demande du chef de ville, il était venu avec ses apprentis les plus vigoureux et les moins peureux. Sur la place près de la porte des hautes terres, c'était la cacophonie. Chaque maître de maison présent était venu avec quelques serviteurs, armés de faux, de piques ou de marteaux. Sstanch regardait ce rassemblement hétéroclite. Sur les cent maisons de la ville, il n'y avait pas la moitié des maîtres. Il savait pouvoir compter sur Kalgar et ses gaillards. Il y avait aussi ceux qui aidaient la milice, venus avec leurs hommes. Si en nombre, ils surpassaient ceux qui arrivaient, que valaient-ils au combat?
- Ils arrivent!
Le cri figea toutes les gorges. Le silence se fit. On entendit juste un bruit de glissement. Sstanch grimpa le plus vite qu'il put à la tour. Il arriva en haut pour voir la troupe sortir du bois. En tête courait un homme. Gand, très grand, couvert de fourrures de loup blanc, il tenait une cadence que personne de la ville ne pouvait soutenir en raquettes plus de quelques minutes. Derrière lui, dans un alignement parfait, dans un synchronisme absolu, des guerriers sur des planches glissaient en s'aidant de leurs bras pour pousser sur des lances courtes. Les premiers étaient déjà sortis de la forêt et cela continuait.
Sstanch se pencha vers la place:
- Que ceux qui ont un arc montent sur la palissade. Les autres, regroupez-vous près de la porte. Calt, préviens Chan!
- Je suis là, dit-il en sortant de la maison d'arme. Que vois-tu?
- Des guerriers, bien armés. Leurs arcs sont petits, ils ont deux lances courtes, deux armes à la ceinture et deux carquois pleins. Le premier vient de s'arrêter!
Sstanch regarda le géant qui avait fait halte derrière la pierre qui bouge. Il était à plus d'une portée de flèche. Derrière, les guerriers habillés de blanc aussi, arrivaient et se mettaient en rang. Il en vit dix partir d'un côté et dix de l'autre. Ils formèrent une ligne de part et d'autre de l'homme en raquettes. Un autre guerrier blanc se détacha du groupe et vint se placer près de celui que Sstanch appela l'éclaireur. Derrière, les hommes continuaient d'arriver et se rangeaient selon un ordre impeccable. Sstanch qui avant de devenir capitaine de la ville, avait servi dans la plaine, savait reconnaître une armée quand il en voyait une. Devant lui, le spectacle qu'il voyait confirma ses pires craintes. Même si ses hommes disposaient de grands arcs et de lances longues, même s'ils étaient plus nombreux, il pensa qu'ils ne faisaient pas le poids.
Aux ahanements qu'il entendait, Sstanch comprit que Chan arrivait sur la tour.
- Qu'est-ce qu'ils font? demanda-t-il entre deux respirations sifflantes.
- Ils se mettent en position. Ils sont bien armés, bien entraînés. Je ne sais pas ce qu'ils veulent, mais il faudra faire attention.
- Nous sommes beaucoup plus nombreux qu'eux.
- Oui, maître de ville, mais ils vont nous surpasser en combat.
- Nos grands arcs les tiendront à distance.
Calt intervint:
- Regardez, ils se préparent.
La vingtaine de guerriers avaient mis genoux à terre et bandé leurs arcs courts. Celui près de l'éclaireur fit de même. Il cria:
- Scantalquiloma!
- Qu'est-ce qu'il dit? demanda Chan.
Il n'avait pas fini sa phrase qu'une flèche à empennage noir se planta à deux doigts de la tête de Chan. Celui-ci devint blanc.
- C'est pas possible! C'est pas possible! Ils sont trop loin, dit-il en s'accroupissant derrière la protection les planches de la balustrade.
- Scantalquiloma!
- Relevez-vous, maître de ville, vous ne risquez rien. S'il avait voulu, il vous aurait touché. C'est le signe qu'il a repéré qui était le chef. Ça doit être un signal.
Le géant en raquettes s'approcha en hurlant:
- Ne tirez pas, je viens parlementer.
Sstanch cria à son tour :
- Laissez-le approcher, ne tirez pas.
Les archers baissèrent leurs arcs. L'homme ôta ses raquettes pour marcher sur la neige tassée des abords de la ville.
- C'est Muoucht. Je le reconnais! C’est Muoucht, un des hommes de l'extérieur.
Quand il fut plus près, il parla d'une voix forte.
- Écoutez bien gens d'ici! Le prince Quiloma exige audience auprès du chef de ville. Soit sa requête est acceptée, soit sa colère sera grande.
Du haut de la tour Sstanch cria:
- Je descends, homme de l'extérieur.
Chan toujours blotti derrière sa protection de planche, dit :
- Mais qu'est-ce que vous faites?
- Cet homme nous est connu. Il faut que nous en sachions plus. Faut-il nous battre ou non?
- Allez-y vous avez toute ma confiance.
- Calt et Filt vous restez en couverture.
Haussant le ton, il s'adressa aux autres :
- Que personne ne fasse rien pendant que nous parlementons.
Sstanch descendit sans hâte. Arrivé en bas, il mit son casque, prit un bouclier et une épée.
- Sitca équipe-toi, tu viens avec moi.
Pendant qu'il obéissait et prenait ses armes, Sstanch se tourna vers Kalgar :
- Reste avec Tilson, avec les tiens vous protégerez la porte.
Muoucht les bras croisés sur la poitrine regardait la porte s'entrouvrir. Il vit Sstanch et un milicien sortir. Il avait déjà rencontré Sstanch, mais le visage de l'autre ne lui disait rien. Muoucht venait une à deux fois par an à la ville pour échanger ses peaux contre ce qui lui manquait trop. Il avait eu à faire avec Sstanch lorsqu'il avait déclenché une bagarre après avoir trop bu de malch noir et accusé un habitant de lui avoir volé son bien. Sans l'intervention de Sstanch, il y aurait eu un mort.
Arrivé à cinq pas, Sstanch s'arrêta. Il fit bien attention de laisser son bouclier entre lui et la ligne d'archers. L'autre ligne lui était cachée par la pierre qui bouge. Il ne risquait rien de ce côté.
- Parle, Muoucht.
- Ils me sont tombés dessus, alors que je visitais mes pièges après que Sioultac se soit calmé. De rudes gaillards...
Sstanch regardait Muoucht. Il avait le visage marqué d'ecchymoses.
...J'ai pas vraiment voulu coopérer au début. Leur chef, le prince Quiloma m'a convaincu avec ses poings que je ferais mieux de me ranger de son côté. Voilà toute une main de jours que nous marchons sans arrêt pour arriver ici.
- Que cherche-t-il?
- Un enfant sacré, si j'ai bien compris, a été enlevé par sa nourrice et un presque prince. Ils sont à sa recherche. Ici est le seul lieu où ils ont pu aller avec une chance de survie.
- Tu parles leur langue?
- Oui, un peu. Je fais du troc aussi là-bas.
- Qui sont-ils?
Une flèche à empennage noir se ficha contre la botte de Muoucht.
- L'entrevue est terminée. Le prince Quiloma attendra jusqu'à demain une réponse favorable. Sinon, il viendra fouiller la ville. Je viendrai chercher la réponse demain quand la lumière naîtra sur la montagne.
Muoucht fit demi-tour. Sstanch et Sitca reculèrent jusqu'à la porte qui se referma sur eux.

vendredi 13 janvier 2012

Chan était un homme prudent


Chan était un homme prudent. Il mit tous les miliciens en alerte et fit prévenir tous les hommes capables de se battre. Dans le même temps, il demanda au maître sorcier son avis sur ce qu'avait vu le guetteur.
- Chef de ville, les esprits sont silencieux. Depuis leur visite qui m'a tant secoué, ils ne parlent plus. Je sens des forces puissantes sans pouvoir dire si elles sont bienfaisantes ou non.
Chan le remercia, tout en maudissant intérieurement ce jeune maître sorcier, incapable de faire ce que faisait son prédécesseur. Il avait le sentiment de ne pas pouvoir compter sur lui. On arrivait en milieu de la matinée sans savoir quelle bête étrange arrivait. Il se rendit à la maison d'arme. Il ouvrit la porte : personne. Il resta sur le seuil un moment interloqué. Il entendit des voix au-dessus de lui. Sstanch était sur la tour avec deux hommes. Il avait l'air assez excité. Chan l'appela.
- Non, je ne descends pas, montez, Chef de ville. Il faut que vous voyiez cela.
Chan faillit répondre vertement à Sstanch. C'est bien la première fois qu'il osait lui donner des ordres. Il devait se passer de drôles de choses! Ravalant son orgueil, Chan fit l'effort de monter l'échelle, ce qui vu son embonpoint n'était pas facile. Arrivé en haut, il entendit les trois hommes parler en regardant du côté de la pierre qui bouge.
- Qu'est-ce qui se passe, Sstanch? Vous ne croyez pas que vous exagérez un peu?
Celui-ci ne répondit même pas, mais prenant le bras de Chan, il lui dit en pointant un doigt vers la forêt :
- Regardez là-bas !
- Et qu'est-ce que je dois voir?
- Là, au-dessus de la forêt, on voit l'arbre foudroyé, si vous montez votre regard vers le col de l'homme mort, vous verrez!
Chan suivit du regard la direction que Sstanch lui indiquait mélangeant paroles et geste. Il vit.
- Mais qu'est-ce que c'est que ça?
- Ça ne me dit rien qui vaille. On dirait une colonne d'hommes en marche.
- Ce n'est pas possible! Avec toute cette neige, ils ne pourraient pas aller à cette vitesse.
- Si vous regardez bien, on voit devant un homme en raquettes, il a le déplacement bondissant qu'on voit quand arrivent les coureurs des montagnes.
- Oui, d'accord mais les autres?
- Ils glissent sur la neige en s'appuyant sur des bâtons.
Calt ouvrit la bouche à son tour. Il était celui qui avait la meilleure vue.
- Ils sont sur des planches et ne s'aident pas de bâtons mais on dirait plutôt des lances courtes. En plus ils ont chacun un arc dans le dos.
Chan pâlit.
- C'est une armée! Combien sont-ils?
- Je dirais plusieurs dizaines, une dizaine de dizaines.
- Dans combien de temps seront-ils là?
- Dans trop peu de temps, Chef de ville. Le soleil ne sera pas au sommet de sa course qu'ils seront devant nos murs.
- Prévenez le maximum d'hommes et qu'ils soient tous avec une arme près de la porte avant ça.
Tout le monde descendit sauf Calt qui assurait la surveillance.

mardi 10 janvier 2012

Le dislocateur ne comprenait plus


Le dislocateur ne comprenait plus. Il avait pu s'occuper de toutes les dépouilles sauf de celles des étrangers. Les loups noirs étaient venus camper dans la clairière. Chaque fois qu'il approchait de ce qui restait des étrangers, la grande louve grognait. Il connaissait ce sourd grondement. Il savait qu'il était employé dans le langage de la meute. Ce grondement était un signal. Celui qui l'entendait obéissait ou alors il devait défier le dominant. Jamais le dislocateur n'avait pensé qu'un loup le considérerait un jour comme faisant partie de sa meute. Il n'avait pas insisté mais avait brûlé plusieurs fois du spimjac. La grande louve avait posé son regard rouge sur lui pendant qu'il lui offrait la fumée du spimjac. Il avait vu brûler ses yeux avec plus d'intensité devenant presque comme deux petits soleils. Puis elle les avait fermés se mettant à ronronner comme un gros chat. Un mâle s'était approché et avait grondé. Le dislocateur avait jugé prudent de prendre du recul. Le loup noir l'avait regardé partir sans le poursuivre, a priori satisfait de sa soumission. Il s'était alors couché près de la louve. Un deuxième mâle s'approchait à son tour. Le dislocateur connaissait ce rite pour l'avoir déjà vu dans la meute. Tous les mâles allaient venir le défier. S'il se rebellait, il y aurait bataille et le vainqueur aurait rang avant le vaincu. S'il ne disait rien, il serait l'oméga de la meute, celui qui prend tous les coups et qui sert d'exutoire aux autres. Le dislocateur recula encore une fois. Quand le troisième s'approcha, il vit que la louve le regardait. Il s'accroupit en mettant une main à terre. Le loup s'arrêta non loin et se mit à gronder. Le dislocateur répondit sur le même ton. Il vit le loup se ramasser prêt à bondir. Il bondit le premier. Le choc eut lieu dans les airs. Plus lourd et plus massif que le loup, le déplacement tourna à son avantage. Le loup retomba sur le dos. L'homme réussit à lui tomber dessus avant qu'il ne soit sur ses pattes. Puissant et nerveux le loup tenta de se redresser. Le dislocateur était presque trois fois plus lourd que lui. Il avait refermé ses mains sur le cou de loup et tenait la tête à distance en serrant de toutes ses forces. Le loup poussa un jappement et cessa le combat. L'homme le lâcha. Le loup partit la queue basse. Le dislocateur regarda les autres mâles de la troupe. Aucun ne s'approcha. Il regarda autour de lui, se méfiant d'une possible attaque, mais la louve avait redressé la tête et les oreilles. Les autres loups retournèrent à leurs occupations sauf un jeune mâle de l'année qui vint défier son vaincu. Le combat fut aussi bref. Le jeune fut mis sur le dos d'un seul mouvement. Il n'insista pas et présenta son cou. L'autre grogna une fois et partit vers la forêt. L'homme se releva de toute sa hauteur. D'un pas lent, il partit vers sa grotte.

dimanche 8 janvier 2012

Un vent glacial soufflait.


Un vent glacial soufflait. Voilà deux jours que les miliciens se relayaient sur la tour de guet. Filt maugréait. Il avait encore tiré le mauvais numéro. Le petit jour était le moment le plus froid. Les quelques planches qui formaient la tour, étaient assez disjointes pour laisser passer l'air. Il s'était entièrement couvert de fourrures. Même ses yeux étaient protégés par les lunettes de bois percé, indispensables pour guetter malgré l'intense réverbération du soleil. Il fit encore une fois le tour, s'arrêtant à chaque coin pour fixer l'horizon. Dans la vallée, il voyait au loin les fumées du village de Tichcou sans voir les maisons cachées dans un repli de terrain. Vers le soleil levant, rien ne se distinguait sur les nombreuses terrasses. Tout était blanc. Vers le couchant la forêt était très proche des terrasses de culture. Elle bouchait la vue. Cela n'inquiétait pas Filt, il savait que les barres rocheuses qui la parsemaient, rendaient quasi impossibles les déplacements. Il se tourna enfin vers le côté des hautes montagnes. La forêt commençait à deux portées de flèche, après la pierre qui bouge. Plus loin, sur le flanc de la montagne, elle laissait place à une vaste étendue blanche qui devenait des pâtures d'été. Plus loin encore la barre des sommets était coupée par le col de l'homme mort. Il fronça les yeux. Il crut voir un mouvement. Il scruta avec attention, peut-être des clachs. Si c'était le cas, ce serait une bonne nouvelle. Une chasse pourrait bien être organisée. De la viande fraîche serait la bienvenue. Son instinct lui disait que cela n'était pas cela. Il prit une pierre et la lança sur le seuil de la maison d'arme. Le bruit qu'elle fit, attira l'attention de Sstanch. Filt le vit apparaître sur le seuil. Il lui fit signe. Sstanch grimpa l'échelle et rejoignit la plateforme.
- Qu'est-ce qui se passe?
- Là-bas, vers le col de l'homme mort. On dirait un troupeau. J'ai cru que c'était des clachs mais ils se déplacent en ligne.
Sstanch regarda avec attention. Filt avait raison ce n'était pas des clachs. Un troupeau de clachs se serait déplacé en éventail sur la pente assez douce au sortir du col. A l'avant, il voyait un mouvement montant et descendant, derrière il percevait une agitation pendulaire. L'image qui lui vint à l'esprit était celui de ces mille-pattes qui grouillaient dans les feuilles en décomposition lors des étés trop chauds. Son intelligence lui disait que c'était impossible. Un mille-pattes de cette taille aurait eu des centaines de pas de long. Il voyait nettement ce serpentement sur le flanc de la montagne.
- Prévenons Chan. Je sens le danger.
Il descendit rapidement.

jeudi 5 janvier 2012

Chan ne fut pas enchanté


Chan ne fut pas enchanté d'apprendre la nouvelle. Dans la maison commune avec les anciens, ils parlaient des difficultés de la récolte du machpe. Les plants venaient mal cette année. Les grottes avaient été trop exposées à l'humidité à la saison qui aurait dû être celle du soleil. Trop de pluie, trop de ruissellement avaient fait revoir à la baisse les espoirs de récolte. Déjà que les réserves étaient basses. Ils discutaient pour savoir s'il fallait penser à rationner ou pas. L'arrivée de Natckin vexa Chan. Même s'il était fatigué, c'était au maître sorcier de venir. Il écouta Natckin, le remercia et lui offrit le malch noir comme il se doit. Après son départ, les discussions allèrent bon train. Pas tant sur les visions de Kyll, trop floues pour prendre des décisions valables, que sur ce qu'avaient raconté Natckin et son disciple. Alors qu'ils venaient par la rue d'en-haut et qu'il allait passer devant les greniers de la famille de Stamoul, ils avaient entendu le hurlement des loups. Ce n'était pas la première, ni la dernière fois qu'ils les entendaient, mais ce hurlement-là leur avait fait peur. Et puis la lumière de la lune, pleine ce soir, avait subitement disparu. Le temps de se bouger, elle était revenue. Tasmi avait vu une ombre passer devant la lune, sans pouvoir préciser ce que cela pouvait être. Un esprit malin arrivait-il dans la région? La mémoire des anciens ne disait rien. Cela n'était jamais arrivé. Encore quelque chose qui n'était jamais arrivé avant. Seules les légendes parlaient des êtres volants capables de cacher le soleil. On alla chercher le conteur. Il parla de légendes qu'il ne racontait jamais. Les gens de la ville préféraient entendre ou réentendre les mêmes légendes sur Hut le fondateur et sur les combats des anciens pour domestiquer la vallée. Il existait des récits sur des êtres presque aussi gros que des collines qui volaient. Ils avaient dominé la terre. On les appelait "Dragon". A ce nom, tout le monde s'entreregarda.
Chan prit la parole:
- Quand a-t-on vu ces "dragomes" pour la dernière fois?
- Dragon, Chef de ville, on dit "dragon". Dans les légendes, ils ne sont déjà plus mentionnés quand Hut vient pour fonder la ville.
- Alors, il vaut mieux chercher une autre raison.
- Vous avez sûrement raison, Chef de ville, mais je ne connais pas d'autres bêtes capables de faire cela.
Le conseil dura une bonne partie de la nuit. On finit par tomber d'accord sur une garde renforcée ce qui ne réjouit pas Sstanch.
Après une dernière libation de malch noir, on se sépara. Sstanch envoya Filt pour la première veille.

mardi 3 janvier 2012

Kyll avait une nouvelle crise mystique


Kyll avait une nouvelle crise mystique, comme disaient ses disciples. Longue et forte, elle l'avait laissé sans voix. Les visions avaient manqué de cohérence. Le mal approchait, le mal était là tout près. Chountic était apparu, ainsi que Kalgar, mais plus petits, plus jeunes.
Les étrangers aussi étaient présents, en tout cas leurs esprits qui criaient la peur. Il avait vu aussi les êtres géants des vieilles légendes ainsi que le regard rouge d'un loup noir. Il lui fallait prévenir Chan de se tenir sur ses gardes. Quelque chose venait et ce n'était pas bon. Il était fatigué, trop fatigué pour bouger. Il fit venir Natckin, son suivant dans la hiérarchie du temple. Kyll lui donna l'ordre de prévenir le chef de ville d'un danger. Pour le moment, il ne pouvait préciser. Demain il ferait un rite divinatoire, mais dès aujourd'hui, il fallait se méfier. Il vit dans l'œil de Natckin une lueur de convoitise. Le vieux sorcier l'avait mis en garde contre lui. Trop ambitieux, il n'attendrait peut-être pas la mort naturelle de Kyll pour prendre la place. Kyll décida de lui adjoindre Tasmi pour le surveiller. Il lui était tout dévoué. C'est Kyll qui avait insisté pour qu'il soit reçu au temple. Cela lui avait sauvé la vie. Tasmi avait fait de Kyll presque l'égal des dieux.
Natckin remercia Kyll pour lui avoir donné un disciple à former. Intérieurement, il pesta. Avec cet imbécile dans les jambes, sa marge de manœuvre serait réduite. Il se retira laissant Kyll se reposer. Il avait hâte de remplir sa mission et de se faire valoir aux yeux de Chan. Tasmi l'accompagna. Il pesta de nouveau intérieurement. La loi du disciple voulait que quoi qu'il fasse, son élève l'accompagnerait. Il ne lui restait plus qu'à inventer une nouvelle stratégie pour accélérer le passage du pouvoir.

dimanche 1 janvier 2012

La femme de Chountic

La femme de Chountic, Sealminc, fut heureuse de soulager la tension de ses seins. L'enfant buvait bien. Brtanef, puisqu'il fallait lui donner ce nom, semblait se satisfaire de son sort. Il avait bien dormi. Sealminc vivait la peine de la perte de son fils. Elle savait qu'elle ne pouvait rien dire. Chan avait donné un enfant de remplacement. Il n'y avait rien d'autre à faire que de l'élever comme s'il était vraiment Brtanef. Elle savait que nulle part dans la ville, elle ne pourrait se plaindre. Peut-être chez La Solvette mais même là, Sealminc ne savait pas si elle serait à l'abri des préjugés et des obligations de la société de la ville. Elle recoucha Brtanef en ruminant ses pensées. L'enfant l'avait regardée de longues minutes lors de leur première rencontre. Elle s'était sentie jugée, jaugée. Elle ne savait pas elle-même si elle en voulait vraiment. Puis l'enfant avait commencé à pleurer. Elle lui avait donné le sein. Il s'était calmé. Elle avait l'impression qu'ils venaient de passer une sorte de pacte entre deux êtres blessés, elle sans fils, lui sans parents.
Chountic avait accueilli cet enfant avec plaisir. Déjà âgé pour un homme de la région, il n'avait pas une grande descendance. Il avait un autre fils vivant. C'était peu pour assurer les travaux dans les champs et dans les grottes. Chountic avait déjà été marié. Sa première et ses enfants avaient été emportés un sombre hiver par une coulée de neige. On ne les avait retrouvés qu'au printemps suivant en bas de la combe aux loups. Les parents de Chountic et ses frères avaient, eux-aussi, connu une fin tragique. Tous ces morts avaient donné à Chountic la réputation d'avoir le mauvais œil. Malgré cela, il avait retrouvé une femme facilement. Il était plus riche que la plupart des habitants de la ville puisqu'il avait regroupé les biens de plusieurs par le jeu des successions. Il avait été flatté d'avoir une femme jeune à son bras et dans son lit. Il avait déchanté rapidement. Les grossesses ne venaient pas. Malgré les soins de La Solvette et les rites de fertilité, elle ne faisait pas d'enfant ou si peu. Il avait un premier fils vivant mais un peu chétif, quant au deuxième... Et bien, il verrait si le remplaçant valait mieux que l'original. Pour le moment, il devait louer les bras de journaliers pour que le travail soit fait. Cela ne lui plaisait pas. Il aimait garder son bien.