samedi 12 juin 2021

Ainsi parla Rma, le fileur de temps...102

Les jours suivants se ressemblèrent. Riak et Sink se retrouvaient pour lutter contre le géant. Ils luttaient avec lui pendant quelques heures et repartaient vers leurs camps respectifs après avoir fait le constat qu'ils n'avaient trouvé aucune solution radicale. Leurs troupes se côtoyaient parfois. Les regards de haine avaient disparu. Seule restait la méfiance.
Le Rmanit, après avoir reculé pour se battre contre ses adversaires, reprenait son avancée en recreusant ce qu'il avait déjà terrassé.
Ce jour-là, ils trouvèrent le géant creusant encore plus profond le sillon qu'il avait déjà creusé. Ils virent avec horreur qu'il s'était arrêté d'avancer pour dégager quelque chose dans le sol et que ce quelque chose ressemblait à un deuxième Rmanit.
Ils attaquèrent sans attendre. Un géant était déjà de trop, deux représentaient le début de la fin du monde. Leurs espoirs de le faire bouger furent vains. Le Rmanit ne reculait pas, n'avançait pas. Tout en virevoltant autour, Riak interpella Sink :
   - Il en a trouvé un autre !
   - Un... C'est compliqué… mais deux, on va être impuissants…
La main du géant passa si près d’eux qu’elle les frôla. Riak et Sink firent un vol plané pour se retrouver entassés au bord de la trouée du géant. Un peu étourdie, Riak ne bougea pas tout de suite. Elle se sentait curieusement bien. La tête de Sink avait rencontré une pierre. Son casque l’avait protégé, mais il était assommé. Riak reprit doucement ses esprits. Elle se releva et s'aperçut que Sink avait amorti sa chute. Elle était debout l’arme à la main, faisant jouer ses muscles pour les étirer après le choc. Elle pensa que le corps de son ennemi l’avait protégée. Il était là inconscient devant elle, à sa merci. Ses hommes étaient loin, incapables de le défendre. Elle avait son arme à la main et… ne pouvait s’en servir. Une part d’elle voulait en finir tandis qu’une autre ne pouvait se résoudre à tuer l’homme inconscient à ses pieds. La première part disait, avec raison, qu’il était le roi des seigneurs et que sa mort signerait sa victoire, mais l’autre rétorquait qu’il l’avait épargnée quand elle était avec les novices et qu’il n’y avait aucune gloire à tuer un ennemi à terre et d’ailleurs était-ce un ennemi ? Son médaillon ne la brûlait pas quand il approchait. Peut-être… Pourtant lors de la bataille, il avait essayé de la tuer. Elle se pencha vers Sink et l’examina. Elle l’avait pensé plus vieux. Dans l’abandon de l’inconscience, il lui sembla jeune.
Elle fut tirée de sa rêverie par un grondement sourd accompagné par un tremblement du sol. Elle se retourna. Devant elle, un deuxième Rmanit se levait. Riak se sentit découragée. Le Ramnit les avait envoyés dans la tranchée qu’il avait déjà creusée plusieurs fois. Ils étaient sur le chemin des deux Rmanit. Elle regarda autour d’elle. La chaussée du géant était encadrée par deux falaises hautes comme trois hommes. Riak savait que ses soldats devaient faire mouvement pour venir la chercher, tout comme les gayelers n’allaient pas tarder à se montrer. En les attendant, les deux géants s’étaient maintenant dressés. Ils s’immobilisèrent un instant. Le plus ancien plongea les mains dans la terre dans un grand bruit pendant que le nouveau venu, aux reflets rouges, fit la même chose en silence. Ce silence inquiéta Riak. Il n’était pas normal. Elle commença à s’inquiéter quand des lueurs rougeâtres apparurent. Son inquiétude vira à la panique quand elle comprit que ce nouveau Rmanit faisait fondre la roche devant lui. La roche fondue forma un ruisseau s’écoulant en suivant la pente tout en gagnant en taille et en puissance. Riak n’eut pas besoin de réfléchir pour savoir qu’elle et Sink étaient sur le chemin de cette mort brûlante. Elle regarda vers Sink toujours inconscient. La chance lui souriait. Ces créatures allaient débarrasser le monde du roi des seigneurs sans qu’elle n’en soit la cause. Elle allait appeler Tchitoua et s’en aller, laissant les géants faire leur œuvre de mort. Une pensée lui traversa l’esprit. Qui méritait une telle mort ? Elle hésita.

Koubaye vit se tendre les fils dans les navettes de Rma, le tisseur du temps. L’heure était aux choix. Il avait vu Rma prendre un nouveau fil primitif et l’introduire dans la trame du tissu du temps. D’autres navettes de ces mêmes fils existaient. Le monde était à la croisée des chemins d’avenir. Rma lança ses navettes pour faire un nouveau rang. Les fils se tendirent encore plus. Alors il sut que le choix était aussi le sien. Dans l’atelier de Rma, il était spectateur. Un autre chemin existait. Le prendrait-il ? Quand la navette de Riak revint dans la main de Rma, Koubaye savait ce qu’il avait choisi. Il prononça alors le mot que nulle gorge du temps ne peut prononcer. Il savait qu’on ne prononce pas impunément ce mot qui est le nom du dieu des dieux. En prononçant ce nom, il entrait dans la dimension qui est hors du temps et hors de l’espace. Il devint le “un qui est dans le tout, le tout qui est dans le un”. Son regard devint infini, sa connaissance devint infinie. Les univers étaient devant lui et lui avait accès au tout. Il partagea le savoir et vit tous les dessins possibles des avenirs possibles. Il sut que Rma n’était pas le seul tisseur de temps, d’autres existaient dans d’autres temps, d’autres univers. Il se concentra sur son univers natal, sur son monde natal, sur son pays natal. Il vit tous les avenirs possibles. Il vit la nécessité de nouer les fils pour choisir un avenir. Il sut le choix du dieu des dieux de laisser le choix aux hommes. Il sut que Riak poserait un choix et que ce choix engagerait l’avenir. Hors du temps, hors de l’espace, face à tous les choix possibles, il sut son impuissance à choisir pour elle. Ses choix étaient ailleurs. Pouvait-il aider Riak ? Il pensa que la question était mal posée. Il pouvait aider Riak. La question était : “ Comment ?”. Les dessins d’avenir se révélaient infinis. Riak avait un pouvoir dont il ne disposait pas. Elle pouvait choisir à chaque instant de sa vie. Le savoir était maintenant pour Koubaye comme un fardeau qui le paralysait. Savoir tous les avenirs revenait à ne rien pouvoir faire car tous étaient un mélange de joies éphémères et de peines durables. Il prit la décision pour son avenir. Rester hors du temps et hors de l’espace baigné de savoir lui sembla ne plus correspondre à son désir. Il entrevit dans les milliers de futur, un possible pour les hommes. Il lui fallait s’engager à rentrer dans le monde du temps et de l’espace, en accepter joies et peines. Il sut le sourire du dieu des dieux quand il choisit de retourner dans la salle du lac souterrain où Résal l’attendait. Il vit l’atelier de Rma. Des milliers de fils attendaient, parmi eux, de nombreux fils de Rmanit. Dans les possibles, existait une recréation du monde où les hommes n’auraient plus de place. Koubaye ne se laissa pas envahir par le doute. Il avait choisi. Maintenant, le temps qu’il réintégrait, était le temps de l’action.
Résal sursauta quand Koubaye bougea. Il s’était installé dans la salle avec l’accord des grands savoirs du mont des vents. Depuis il attendait. La joie l’envahit. Son maître revenait. Koubaye était faible et marchait avec difficulté. Résal lui tendit une galette et de l'eau. Koubaye mangea et but avec un plaisir évident.
   - Merci, dit-il à Résal.
Ce dernier bafouilla une réponse où se mêlaient les mots de devoir et d'espérance. Koubaye lui sourit pendant qu'il le regardait s'emmêler dans une tirade confuse. Il reprit la parole :
   - Ton fil est solide, Résal. Rma l’utilisera longtemps. Le temps présent est le temps du changement. Rockbrice est maintenant un grand chef. Des rois sont morts et d’autres se sont révélés. Mais rien n’est acquis. Le monde peut encore basculer. Les Rmanit ressurgissent et avec eux l'anéantissement pour un monde remis à neuf. Riak a besoin de moi, de nous.  
   - Que doit-on faire ?
   - Manger… et attendre !
Résal fut déçu par la réponse. De nouveau Koubaye se mit à rire.
   - Tu aurais préféré de l’action, n’est pas ?
Résal acquiesça en hochant la tête.
   - Ne t’inquiète pas cela viendra bien assez tôt.
Koubaye, après le repas, se remit à méditer au bord du lac. Résal, voyant cela, partit vers l’extérieur. Il allait porter la nouvelle de retour du Sachant. Il fallait aussi des provisions puisque Koubaye voulait rester dans cette salle souterraine.Il avait laissé des branches de feuluit et pensait qu’il lui faudrait au moins une journée pour faire l’aller-retour si ce n’est deux. Koubaye l’avait à moitié rassuré en lui disant qu’il lui fallait attendre la décision de Riak.
Comme à chaque fois, il dut attendre quelques minutes avant de sortir à la lumière. Il cligna des yeux au bord de la cascade pour se protéger du soleil du matin qui éclairait frontalement la paroi rocheuse. Il avait installé une corde pour circuler. Arrivé au pied de la cascade, il reprit sa respiration. Il avait devant lui une longue ascension. Il voulait faire vite craignant que Koubaye ne disparaisse à nouveau. Là-haut, les grands-savoirs allaient encore lui poser mille questions. Il prit sa décision. Il allait se faire discret. Un simple passage aux intendances, sans perdre de ce temps, qui lui semblait précieux, à donner des explications à des gens aux savoirs immenses mais à la compréhension lente. Il attaqua la montée avec la joie de celui qui a pris la bonne décision. Sur le chemin qui montait en lacet jusqu’à l’entrée officielle du Mont des Vents, il ne rencontra personne. Quand il arriva un peu en dessous du porche principal, gardé par deux serviteurs, il quitta le sentier pour une trace à peine visible. Il ne voulait pas que l’on annonce son arrivée. Ces sbires gardiens avaient la voix forte et criaient à pleins poumons le nom des nouveaux arrivants. Ils pouvaient aussi, le cas échéant, faire tomber dans le ravin les quelques solives qui servaient de pont-levis et fermer les lourds vantaux d’un portail millénaire. Résal les entendit discuter entre eux en passant en contrebas. Il suivait une trace plus qu’un chemin et dut utiliser ses mains plus d’une fois. Il avança comme cela un bon moment, contournant le Mont des Vents. Il arriva enfin à une fenêtre donnant vers l’ouest. Elle était juste assez grande pour qu’il s’y glisse. Il se retrouva dans une pièce encombrée de denrées en réserve. Avec discrétion, il se servit dans les différentes caves chargeant son sac de tout ce qui lui était nécessaire. Le retour fut beaucoup plus difficile. Chargé comme il l’était, il se sentait déséquilibré. Le sac le tirait en arrière. Plusieurs fois, il crut tomber. Seule sa souplesse et sa force lui sauvèrent la vie. La descente se révéla heureusement plus rapide. Quand il arriva au pied de la cascade, le soleil déclinait. Il était au milieu de sa montée, se hissant sur la corde quand la terre trembla. L’eau, qui coulait à côté de lui, sembla onduler un instant puis la chute se tarit. Résal eut peur et se plaqua contre la paroi. Un instant plus tard, tout redevenait normal. Il termina son ascension la peur au ventre. Il fut soulagé de voir qu’un rocher avait glissé. L’eau s’étalait derrière, formant une mare. Il pensa que bientôt, la vasque ainsi formée allait déborder. Il se glissa par l’ouverture sombre d’où venait le ruisseau. Il retrouva la fraicheur, l’humidité et le noir. Il alluma une branche de feu-luit et accéléra le pas. Il glissa une fois ou l’autre mais, avant que dehors le soleil ne soit couché, il arriva dans la salle où une lueur bleutée lui dévoila la silhouette de Koubaye. Il fut soulagé de le voir bouger. Et puis, il découvrit d’autres silhouettes. L’ombre de deux grands félins luisait d’un blanc laiteux. Résal sursauta en entendant Koubaye prononcer le nom de Riak.
   - … Riak ! Maintenant tu as posé un choix !
   - Je ne pouvais pas le laisser mourir ainsi !
   - Bien sûr que si, tu en avais le pouvoir.
   - Non, je n’avais pas le choix. Je ne suis pas une seigneur ! Si je l’avais laissé, je n’aurais pas valu mieux qu’eux !
La voix de Riak était chargée d’une colère contenue.
   - Pourtant ta haine des seigneurs est grande.
   - Oui ! Mais pas envers lui.
   - Je sais. À Cannfou, il n’a rien dit. Ce jour-là, tu es devenue double. Cette ombre noire qui t’accompagne est née à cet instant, une part de haine et de violence, comme un double sombre de la Dame Blanche. C’était son choix. Cela t’a changée. Aujourd’hui ton choix vient aussi de changer l’avenir, comme le choix de Résal tout à l’heure ! N’est-ce pas, Résal ?
Résal qui s’était immobilisé s’avança vers Koubaye tout en dévorant Riak des yeux.
   - Oui, Résal, c’est bien Riak, Bébénalki et reine du Royaume de Landlau.
En entendant cela, Résal mit genou à terre :
   - Majesté !
Riak regarda le nouveau venu avec un regard interrogateur. Koubaye fit un geste comme pour écarter la question.
    - Il te sera un excellent gouverneur des Tréïbens, si tu gagnes la guerre. Mais il y a plus important à gérer tout de suite. Lui ne risque rien.
Résal suivit du regard le geste de Koubaye et découvrit une autre silhouette allongée au sol. Il n’osa interroger Koubaye. Comme ni Riak, ni Koubaye ne s'intéressaient à lui, il se releva. Koubaye avait commencé un récit. Il expliquait comment le dieu des dieux avait choisi de préparer la terre pour ses créatures divines. Les Ramnit étaient ses outils. Ils avaient terraformé cette planète pour que les dieux puissent y jouer. Quand tout fut prêt, il enterra les Ramnit et donna ses premiers fils à Rma, le tisseur de temps. Il suscita l'existence de Thra, de Youlba et des autres dieux premiers. Chaque dieu, à sa manière, interféra avec ce monde pour se créer des serviteurs et gagner en pouvoir sur les autres dieux. Aujourd’hui les Rmanit ressortaient de leur gangue. Riak et Kaja en connaissaient deux. Demain, leurs rangs allaient se densifier. À terme, la terre deviendrait informe et vide, prête pour une nouvelle histoire.
Riak cria d’étonnement et de colère en entendant cela. La silhouette à ses pieds bougea. Résal vit une de ses mains venir frotter la tête, tout en regardant autour de lui.
   - Où suis-je ?
   - Au Mont des vents, Baron Sink.
Ce fut au tour de Résal de retenir un cri d’étonnement. L’ennemi était là, devant lui, devant Koubaye, et son maître  continuait à parler.
Kaja s’assit. Émoque reposait à son côté. Il regarda autour de lui. Encore sonné, il réagit avec lenteur. Riak, debout, le dévisageait. Elle avait mis son épée au fourreau. Dans cette pâle lumière bleutée, assis par terre, il n’avait rien d’un personnage arrogant. Il semblait tellement fragile à cet instant qu’elle se sentit émue. Kaja reprit la parole avec une certaine lenteur :
   - Mais comment je suis arrivé là ?
   - Riak, la reine blanche, vous a amené ici. Votre mort était assurée. Elle a choisi de vous sauver la vie, comme vous avez choisi un jour de ne rien dire devant une jeune novice aux cheveux blancs.
Kaja enregistra ce que disait Koubaye.
   - Les Rmanit vont gagner ?
   - C’est dans l’ordre des possibles, Baron Sink, mais ce n’est pas sûr. Riak et vous êtes des grains de sable dans les rouages du monde. Vos décisions peuvent changer le dessin de ce que tisse Rma.
   - Je ne comprends pas. Nous n’avons pas le pouvoir face à ces géants destructeurs.
   - C’est exact, baron Sink. Seuls vous ne pouvez rien. Mais vous n’êtes pas seuls.
L’étonnement se lut sur les visages de Riak et Kaja.
   - Mais qui… ?
   - Les dieux sont vos alliés dans cette affaire. Si les Rmanit ramènent la terre à un monde informe et vide, ils n’auront plus d’adorateurs…
   - J’ai vu ce que donne la magie qui contraint les dieux.
   - Oui, Baron Sink. C’est même cela qui a réveillé le Rmanit. Vous avez dépassé les limites et déclenché l’apocalypse. Mais aujourd’hui, vous n’aurez pas à contraindre les dieux. Les Rmanits réveillent la peur y compris dans le monde des Dieux.
Riak intervint :
   - Et que doit-on faire ?
   - Choisir ! Choisir de s’allier ou rester seuls. Là est votre choix et ce choix contraindra le monde. Que vous choisissiez une voie ou l’autre, vous connaîtrez le malheur. Mais une seule est porteuse d’un espoir de vie, l’autre ne sera qu’une longue fuite.
   - Un espoir ?
   - Oui, Riak, un espoir. Rma n’a pas tissé l’avenir. À ses pieds, tous les fils sont déjà dans les navettes. Pourtant le dessin n’est pas sur la trame. Il attend.
   - Mais qu’est-ce qu’il attend, demanda Kaja ?
   - Vos choix.
Riak et Kaja se regardèrent. Kaja s’était mis debout. Il rengaina Émoque sous le regard attentif des léopards des neiges.
   - Il semble que nous soyons liés malgré nous…
Kaja hésita avant de reprendre.
   - … Comment dois-je vous appeler ?
   - Mon nom est Riak.
   - Le mien est Kaja.
Résal fut troublé de les voir ainsi face-à-face. Il n’en voyait dans le sombre de la grotte que deux ombres. Pourtant il ressentait la tension entre les deux souverains. L’eau noire et immobile du lac, reflétant les branches de feuluit se mit à vibrer. La Pierre de Bénalki se mit aussi en mouvement. Les quatre humains regardèrent cette pierre s’agiter dans un cliquetis rapide. Koubaye la quitta des yeux pour reprendre la parole :
   - La Pierre de la déesse parle pour elle. Elle tremble comme tremble la déesse. Voilà le premier signe que les dieux peuvent faire corps avec vous face à cette menace.
À ce moment-là, Kaja poussa un cri et se démena en fouillant dans son habit sous sa cotte de maille pour extirper une feuille brillante et argentée. Il la jeta au sol :
   - Elle brûle !
   - Et voilà la réponse de Thra, reprit Koubaye.
La feuille de l'Arbre Sacré de Kaja, toute étincelante, toucha le sol. La dalle de granit se mit à son tour en vibration. Au point de contact, un tourbillon se forma. De la poussière de granit s’éleva en trombe pendant que la feuille de plus en plus brillante s’enfonçait dans le sol créant un entonnoir de plus en plus large. Kaja dut reculer, puis Riak à son tour fit de même. Koubaye ne bougea pas. Quant à l’excavation, elle grandit jusqu'à arriver à ses pieds d’un côté et au bord de l’eau de l’autre. D’un coup une vague se précipita dans le fond de l’entonnoir entraînant la Pierre de Bénalki. La trombe de poussière se changea en colonne de vapeur surchauffée sifflante et tourbillonnante. Puis ce fut le silence et la fin de la lumière argentée.  Koubaye se pencha, plongea la main dans l’eau redevenue calme. Il chercha un instant au fond de l’entonnoir et ressortit la feuille de L’Arbre Sacré et la pierre de Bénalki.
   - Voici les signes que vous adressent les dieux...
Koubaye n’avait pas fini de parler qu’on entendit gronder le tonnerre dans le lointain des couloirs.
   - … et voici la réponse de Youbla.
Il se tourna vers Riak :
   - Fais nous sortir d’ici immédiatement, la puissance de Youbla arrive !
   - Titchoua !
Ils se retrouvèrent tous sur la falaise à côté du ruisseau venant de la grotte. Un violent orage s’en donnait à cœur joie, associant trombes d’eau, rafales de vent, éclairs et tonnerre. Ils furent immédiatement trempés de la tête aux pieds, abasourdis par le spectacle grandiose du déchaînement des forces du ciel. Ils virent le ruisseau enfler au point d’occuper toute la surface du porche de la grotte. Résal n’avait jamais vu une telle montée des eaux à une telle vitesse. S’ils étaient restés à l’intérieur, ils se seraient noyés. Hurlant pour couvrir le bruit, Koubaye s’adressa à Riak et à Kaja :
   - Voici la Pierre et la Feuille ! Quel est votre choix ?
Ils tendirent la main et prirent qui la Feuille, qui la Pierre. Koubaye se mit à sourire. Rma pouvait retisser le temps.