mardi 22 septembre 2015

Césure 11

Quand ma vue se stabilisa j’étais sur une place. La tension était palpable. Une foule en colère bouillonnait autour de moi. Jeunes et vieux semblaient s’être rassemblés pour faire justice. J’entendis Des paroles sans tout comprendre. La Loi disait que… Sans comprendre précisément les mots, je comprenais parfaitement que, ce que disait la Loi, était terrible. On y parlait de mort en oubliant la vie. Je me frayais un chemin parmi ces braillards, évitant de les bousculer, choisissant les passages où les poings n’étaient pas fermés sur des pierres. Je me retrouvais au premier rang d’une sorte d’arène délimitée par la foule. Au centre de ce cercle improvisé, deux personnes se tenaient dans des attitudes différentes. Debout une femme, raide de peur, jetait des regards anxieux à tous les hommes qui formaient un mur vociférant l’entourant de toutes parts. Elle tentait par des gestes maladroits, d’ajuster une robe qu’elle n’avait manifestement pas eu le temps de mettre correctement. Devant elle, un homme se tenait accroupi. Il dessinait sur le sable. L’enchaînement des courbes faisait un tracé harmonieux que je reconnus tout de suite. L’enfant du désert avait bien grandi. Il avait cette même attitude, calme et sereine, ne défiant personne. Il semblait étranger à la scène.
Le premier cercle des participants criaient haut et fort son indignation devant cette femme prise en flagrant délit d’adultère. Ils recrachaient comme un venin cette loi qu’ils n’avaient pas digérée. Ils en appelaient aux pères de leurs pères pour punir ces turpitudes. Devant cette foule hostile la femme tenant sa robe déchirée, gardait la tête baissée. Je ne savais quoi dire ni que faire quand brusquement il se leva. À ses pieds, les dessins attirèrent mon regard et celui de la femme.
Un silence se fit, encore plus inquiétant que le tohu-bohu précédent. La femme jeta un regard circulaire chargé de peur et de défi. Je vis des mains blanchir en serrant plus fort les pierres ramassées.
Plusieurs hommes sortirent du rang pour porter leurs accusations. La tension monta encore d’un cran. Je compris le piège. Ce n’était pas elle qui était visée. Bien sûr, elle avait transgressé la loi et cette loi punissait de mort par lapidation ceux qui le faisaient. Le plus important était ailleurs. C’était un combat sans merci entre les accusateurs et l’homme qu’était devenu l’enfant du désert. Soit il disait de la laisser aller et c’est lui qu’on lapiderait pour trahir la Loi, soit il la condamnait et il serait en contradiction avec ses propres paroles.
L’homme se leva. Il regarda autour de lui non pas une foule mais des hommes, ses yeux accrochant un à un les regards. Comme tout le monde, je retins ma respiration...
- Que celui qui n’a jamais péché, lui jette la première pierre.
Se baissant, il se remit à dessiner sur le sol.
Je m’attendais à beaucoup de choses mais pas à cela, les autres non plus d’ailleurs. Il y eut un moment de flottement. Des regards interrogatifs furent échangés. Le temps fut comme suspendu. Puis on entendit le bruit d’un caillou tombant à terre. Je me tournais juste à temps pour voir une couronne de cheveux blancs s’éloigner. D’autres suivirent dans le silence. On était loin des vociférations. Chacun était maintenant seul avec sa propre conscience.
J’entendis sur ma droite quelqu’un murmurer :
- On va pas partir comme ça ?
Un grognement lui répondit. L’homme qui l’avait poussé se détourna pour s’éloigner.
Il y eut un cri de rage poussé par un colosse. Il jeta sa pierre avec une telle violence qu’elle s’enfonça dans la terre à ses pieds. Se retournant, il s’en alla presque en courant bousculant tout et tous sur son passage.
Pendant ce temps, celui dessinait semblant étrangement étranger à ce qui se passait. Ses doigts couraient, traçant des semblants de mots sur le sol sableux. Je m’éloignais aussi, doucement sur la pointe des pieds. Personne ne fit attention à moi… Pourtant j’eus la sensation qu’il ne me quittait pas des yeux.
J’errais encore dans la ville ne sachant vers où diriger mes pas quand survint la nuit. C’était une nuit profonde sans lumière pour guider mes pas. J’avançais à tâtons. Cela me rappela mes premiers pas dans la cathédrale. Je désespérais de retrouver une issue. De nombreuses questions se bousculaient dans ma tête, sur ma vie, mes actes, mais surtout revenait sans cesse la question du pourquoi j’étais là.
Le découragement me prit après plusieurs heurts dans des obstacles aussi invisibles qu'improbables dans ce néant. Je me couchais là contre le mur, appelant la mort puisque ma vie s’était enfuie, ne me voyant pas continuer ainsi de situations incroyables en rencontres sans à venir. 

mercredi 9 septembre 2015

Césure 10

On amena un âne déjà chargé pour le voyage. Sedma prit la bride et après un dernier signe à son maître, il se mit en chemin. Je lui emboîtais le pas.
- Le prochain point d’eau est à deux jours, me dit mon guide, alors que nous allions redescendre une dune.
J'acquiesçais de la tête, levant les yeux pour voir la prochaine difficulté sur le chemin et jetant un coup d’œil en arrière. Dans le soleil, trois silhouettes avançaient vers le camp d’Abraham et le chêne de Mambré.
Notre marche était régulière. Nous étions au milieu de rien, sous un ciel sombre transpercé d’un pâle soleil. L’âne nous suivait la tête basse mais le pas sur. Mon guide évitait certaines zones.
- Mauvais sable ! me disait-il.
Le premier puits sembla surgir d’un horizon sans relief. Le lendemain ressembla à la veille et au jour d’avant, me laissant croire que le jour d’après serait pareil. Je marchais comme l’âne, la tête basse mais le pied moins sûr. Un point attira mon attention une des rares fois où je tentais de regarder au loin. Je le montrais à Sedma :
- As-tu vu ? Qu’est-ce ?
- J’ai vu. On dirait un voyageur et sa monture, à moins que ce ne soit le vent qui nous joue des tours.
Une impression étrange me serra le cœur. C’était une émotion forte, une attente anxieuse.
- Est-il dangereux ?
- Si c’est le vent, nous ne risquons rien.
Sa réponse ne fit qu’augmenter ma peur. Notre chemin se dirigeait vers cette forme au loin. Après quelques milliers de pas, il fut évident que cela venait vers nous. Le vent n’avait rien à voir dans l’histoire. Je tentais de détailler ce que je voyais sans pouvoir préciser.
- Ils sont plusieurs ?
- Je dirais deux, répondit Sedma. Un homme marche devant.
Les paroles de mon guide me permirent de préciser ce que je voyais. Oui, c’était bien un homme qui marchait devant. Sa silhouette carrée se prolongeait d’un solide bâton bougeant au rythme de sa marche. Il devait être grand. Derrière, je pariais pour un âne portant sa femme à moins que cette petite forme ne soit sa fille.
Notre rencontre eut lieu quand le soleil était au zénith. Après les salutations d’usage, nous partageâmes le sel et le pain. L’homme voyageait avec sa femme et son fils. Ils revenaient de la lointaine Égypte. Pendant que nous parlions, la femme installa le bivouac. Ses gestes étaient doux et précis. L’enfant la regardait jouant tranquillement. L’homme n’était pas bavard et la conversation avait tourné court. Je m’étais levé, supportant mal ce silence qui se prolongeait. Le vent soufflait par petites rafales. Je m’approchais de l’enfant pour voir son jeu. Il traçait des signes dans le sable. Je m'accroupis à côté de lui. Je commençais à suivre son doigt agile qui courait sur le sol traçant d'étranges figures qu'il effaçait pour en recommencer d'autres. Son père avait juste dit leur fuite devant la violence mortelle et aveugle d'un dirigeant obsédé par sa peur de perdre son pouvoir. Ayant appris sa mort, il revenait vers le pays de ses pères, sentant bien qu'il serait toujours un étranger dans un pays qui ne l'avait jamais attendu.
Les doigts de l'enfant virevoltaient au-dessus de la terre comme des hirondelles chassant dans la lumière du soir. Plus je le regardais, plus je devenais attentif. Même s'il n'avait pas dit un mot, ce que dessinait l'enfant me regardait.
J’y vis comme un visage aux yeux doux et accueillants. Je retrouvais mon âme d’enfant, m’émerveillant de chaque nouveauté dans un monde où pour moi, tout était nouveau. Chaque instant était magique. Je m’entendis rire de cette petite voix haut perchée que j’avais perdue depuis bien longtemps. De nouveaux traits apparurent. Un instant, rien qu’un instant j’eus peur. Ma gorge se serra au souvenir de ce mensonge qui avait fait tant de malheurs autour de moi. Ce ne fut pas le faciès terrifiant de ce vieil homme qui avait pris plaisir à m’humilier qui se dessina sous mes yeux, mais un visage de bonté et de tendresse dont le regard me rassura, m’enveloppa, me transforma.
Ce fut comme si une grande main ferme tenait la mienne et me guidait dans ce dédale où je m’étais perdu moi-même. Tout se brouilla autour de moi.