mardi 30 avril 2013

Il arriva dans la grande salle qui précédait le porche. Lyanne avait repris sa forme humaine. Il avança jusqu'à l'ouverture. Dehors, le jour se levait. Tout semblait calme. Il pensait que jamais Jorohery ne laisserait le lieu sans surveillance. Les poings du Bras du Prince-majeur devaient être en poste non loin de là. Il est très probable qu'ils surveillaient ceux qui arrivaient. Les guerriers de Jorohery ne pouvaient penser que quelqu'un pouvait sortir des grottes. Lyanne s'assit sur un rocher. Il posa le bâton de pouvoir à terre, en retira le capuchon. Le tenant à deux mains, il pencha la tête pour que son front le touche. Ses perceptions s'affinèrent, s'agrandirent. Il sentait les êtres vivants autour de lui. Dans une sorte de brume, il vit à travers la roche. Deux mains d'hommes étaient à droite, et trois à gauche pour patrouiller. Plus loin vers l'aval du ruisseau, il y avait deux poings complets plus celui dont venaient les patrouilles. Il sentait les forces négatives des javelots noirs. Chaque main d'hommes en possédait au moins un. Brutalement une perturbation lui apparut nettement. Les ombres qu'il percevait se mirent en mouvement rapide. Elles convergèrent vers la grotte. Une alerte avait été lancée. C'est trois poings de guerriers qui allaient attendre sa sortie, à moins qu'il n'y ait autre chose. Il étendit sa perception aussi loin qu'il pouvait. Quelque chose approchait. C'était fort et trop blanc pour être du côté de ses ennemis. L'image des crammplacs s'imposa à son esprit. Monocarna et Malmosfia allaient arriver. Il décida de sortir. Il médita encore sur ces corps et les images qu'il en avait. Quand il se mit debout, il avait une aura rouge de la taille et de la forme d'un dragon qui l'accompagnait.
C'est ainsi qu'il apparut sous le porche. Les trois javelots noirs brûlèrent en vol sans même atteindre l'image de dragon qu'il avait déployée. Il sentit le repli prudent des guerriers. Les renforts ne tardèrent pas et avec eux les autres javelots noirs. Lyanne avait opéré un repli qu'il voulait stratégique vers le fond. Il ne fit avancer la forme leurre qu'à l'arrivée des autres guerriers, provoquant le tir des traits destinés à le tuer. Il les détruisit en plein vol. Courageusement, les hommes de main de Jorohery passèrent à l'attaque quand s'effaça l'image de dragon.
- Ce n'est qu'un homme ! cria l'un d'entre eux.
Le roi-dragon, marteau en main, les attendait. C'est ce moment que choisirent les crammplacs pour attaquer. Les trois poings contre une dizaine de crammplacs et un roi-dragon ne firent pas le poids. Le combat cessa rapidement. Les corps des guerriers jonchaient le sol.
Une grande crammplacs arriva, portant un homme sur le dos. Elle s'approcha du roi-dragon. Elle lui fit un salut de soumission comme l'avait fait Malmosfia. Monocarna en profita pour descendre. Il était pâle. Ses genoux tremblaient.
- Je n'aurais jamais cru cela possible, mon roi.
Lyanne le regarda sans comprendre.
- Les crammplacs !
Devant l'incompréhension du roi-dragon, il continua :
- Je n'arrivais pas à croire les récits que l'on racontait sur eux. La vérité est encore plus impressionnante !
- Oui, Monocarna. Le peuple des crammplacs est un peuple vaillant taillé pour le combat. Il est bien dommage que depuis toutes ces saisons, on les ait mal jugés. Il est temps de leur rendre leur honneur et leurs territoires.
Malmosfia émit un bruit qui ressemblait à un ronronnement. Monocarna n'en croyait pas ses oreilles. Lyanne se dirigea vers deux crammplacs qui gardaient un homme. Celui-ci semblait tétanisé. Son regard avait quelque chose de fou quand il le tourna vers Lyanne. Les crammplacs s'écartèrent pour laisser le roi-dragon passer. Il s'assit face à l'homme.
- Il serait bon que tu me racontes ce que tu sais, dit Lyanne. Les crammplacs s'énervent quand on me contrarie.
Le regard de l'homme passa d'une gueule à l'autre puis se fixa sur le bâton de pouvoir devant lui. Il hésita un instant puis il prit la parole :
- Je m'appelle Tchalbatch. J'étais dans le poing cinquième.
- Que faisais-tu avant ?
Il y eut un silence. L'homme de nouveau regarda les babines des crammplacs qui se retroussaient.
- J'étais... j'étais au camp de Balsfou.
Tachlbatch baissa la tête et continua :
- Je purgeais une peine pour avoir extorqué les biens du fils d'un prince-sixième. Je suis innocent de tout cela...
- Qui t'a enrôlé ?
- Un konsyli est venu. Il a expliqué que la liberté serait donnée à ceux qui s'enrôleraient dans les poings du Bras de Prince-majeur. J'ai failli ne pas être pris. Il enrôlait d'abord ceux qui s'étaient déjà battus. Après il nous a emmenés dans un autre camp près des montagnes de l'Alarbecht. La discipline a été dure. Ceux qui craquaient repartaient pour Balsfou. Les bruits couraient qu'ils n'y arrivaient pas vivants...
- As-tu prêté serment ?
- Oui, après deux lunes. Le Bras du Prince-majeur est venu nous transmettre les félicitations du Prince-majeur pour nos efforts et notre réussite. Nous étions, a-t-il dit, plus forts qu'une phalange. Nous allions être le fer de lance de la volonté du Prince-majeur. Nous avons tous bu la coupe qu'on nous avait remise et nous avons entonné le chant du serment.
- Peux-tu le chanter ?
- Ici ? Maintenant ? demanda Tachlbatch avec une expression d'horreur.
- Oui, répondit Lyanne.
- Je préfère encore les crammplacs, répondit l'homme. Si je le faisais ma mort serait trop horrible.
- Continue alors, reprit le roi-dragon.
- Après nous avons enchaîné les missions. Il fallait maintenir l'ordre et éliminer ceux qui pouvaient nuire au Prince-majeur. Nos konsylis recevaient leurs ordres du chef de poing, et lui les recevait directement du Bras du Prince-majeur.
- Que faisiez-vous ici ?
- Le chef de poing avait dit qu'un imposteur accompagné d'un dragon rouge, viendrait dans les grottes pour essayer de s'approprier ce qui revenait au futur roi-dragon, le fils du Prince-majeur.
- Quand est-il né ?
- Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est qu'il nous a fourni des javelots noirs tueurs de dragon. La puissance du Bras était dedans et nul ennemi du Prince ne pouvait y résister. Mais c'est faux puisque vous êtes là.
- Qui suis-je ?
- Je n'ose le dire. Tu n'es pas un imposteur, ta puissance est trop grande, les crammplacs trop dociles à ta voix. Ma grand-mère me racontait que le roi-dragon serait comme un berger avec son bâton, et tu as un bâton. Elle me disait aussi qu'il saurait guérir comme les marabouts et tu as une cape de marabout.
- Veux-tu guérir ? Guérir de ton serment, de ton mal ?
- Le peux-tu ?
- Le crois-tu ?
Dans les yeux de Tachlbatch, divers sentiments se succédèrent. Subitement, il sembla prendre sa décision, il se leva pour mettre un genou à terre et son poing droit fermé sur le cœur.
- Ma grand-mère était une femme sage et la seule qui m'ait aimé.
- Alors chante son chant !
- Smilatioo bila ido mi tou.
  Batch bral kah sim tou.
  Va petit enfant qui naît
  D'or et de soleil sont
  Les rêves que tu vis
  Entends la source en toi,
  Sur ses eaux, laissons
  Voguer ce qui sera ta vie.
  Mon cœur en émoi
  Entends ton simple cri
  Pour moi, aime-moi.
  ...
Monocarna regardait. Ce guerrier au passé si sombre, avait des airs d'enfant pendant qu'il chantait le chant lointain de son enfance. Le bâton de pouvoir l'enveloppa d'effluves d'or, révélant une sombre silhouette dans le corps de Tachlbatch. Bientôt comme une eau pure lave une plaie, l'ombre noire sembla se dissoudre. Le chant premier du guerrier devint comme une berceuse et finit dans un sourire murmure. Quand cessa le phénomène, l'homme semblait plus jeune. Son visage détendu se tourna en tous sens prenant la mesure du monde qui l'entourait.
- Tachlbatch tu étais, sombre et triste était ce nom. Wafadar tu seras. 
Le roi-dragon lui toucha l'épaule droite de son bâton. Wafadar chanta un nouveau chant plus rauque, plus fort.
- Je t'accepte, Wafadar. Sois celui qui me sert.
- Que dois-je faire, mon Roi ?
- Je te nomme gardien de ce lieu. Tu seras chargé de diriger les crammplacs qui t'aideront dans ta mission. Aujourd'hui, Malmosfia est là avec les siens, demain, d'autres viendront t'aider.
Wafadar regarda le grand crammplacs. Ce fut comme si un dialogue s'engageait entre eux.

dimanche 28 avril 2013

Lyanne Louny regardait autour de lui. La grande grotte qui l'abritait était le cœur sous la montagne du complexe des cavités qui avaient abrité le monde des dragons à une époque. Il y découvrait les trace des griffes sur le sol ou le plafond, et sur les murs les tracés que ses ancêtres avaient dessinés. Il serait bien resté là sans l'ombre de l'ombre du Dieu Dragon.
- « Sinueux roi-dragon, tu as reçu le nom qui est tien. Suis ta voie et ta vocation. Cette caverne est un lieu mémoire. La vie est maintenant ailleurs »
- J'entends, Ombre de l'ombre de mon Dieu. Ici le monde semble si calme et tranquille. Dehors j'ai souvent connu guerre et violence.
- « Ce qui est, est. Ce qui advient dépend de ceux qui sont ce qui les animent. De nombreuses forces ont été nécessaires pour que aujourd'hui arrive un roi-dragon. Toutes ne sont pas bonnes. Il est de la vocation du roi-dragon d'être roi et de mettre de l'ordre dans le monde qui est sien. »
- Je sens en moi, violence et guerre. Pourrais-je être autre chose ?
- « Tu connais ce qui est en toi. C'est bien. Seul celui qui connaît ses outils s'en sert bien. Il y a plus en toi que guerre et violence. Le sens-tu ? »
- Oui, je sens aussi le désir de paix et de joie.
- « Alors, Sinueux roi-dragon, tu as en toi ce qui est nécessaire à te diriger. Dans l'éternel combat de la lumière et de la nuit, tu as ta place, plus proche de la lumière, plus loin de la nuit. Ta venue a suscité la force opposée. À toi de la vaincre pour que vive le Dieu-Dragon »
- Aurai-je la force de ce que me demande le Dieu-Dragon ?
- « Les pouvoirs t'ont été donné. Utilises-les ! »
Ayant dit cela, l'ombre de l'ombre du dieu-Dragon sembla refluer comme reflue la mer quand elle se retire. Resté seul, Lyanne contempla la caverne, s'imprégnant des savoirs et des mystères qu'elle contenait.
Quand il se sentit prêt, il se mit en route.

jeudi 25 avril 2013

- Le chemin est pour moi, Monocarna. Me suivre est trop dangereux. J'ai appelé et vont venir ceux qui vont te protéger. 
La journée se passa tranquillement. Ils parlèrent du pays Blanc. Bien qu'élève de Mandihi, Monocarna ne connaissait pas la Blanche et l'entourage du Prince-majeur. Quand la lumière baissa, le roi-dragon dit :
- Ils sont là. Sois, sans crainte !
Mis mal à l'aise par ces dernières paroles, il jeta un coup d’œil dehors. Il sursauta. Il allait devoir faire confiance à ce qui lui avait toujours fait peur. Le roi-dragon était sorti à la rencontre du groupe de crammplacs poilus.
- Merci d'être venu, Maltmosfia. Je vois que tu as amené tes femelles. C'est une belle harde que tu as là.
Le crammplac redressa la tête en regardant le roi-dragon.
- Non, Monocarna est différent de l'être debout Kyll. Sa compréhension est plus intuitive. Si sa peur se tait, il sentira ce que tu lui transmets. Prends soin de lui et amène-le dans la vallée des grottes quand cela sera la moment.
Le roi-dragon se tourna vers Monocarna.
- La femelle dominante va être en charge de toi. C'est elle qui te transportera. Tu verras, leur fourrure est étonnamment douce et agréable.
- Mon inquiétude est grande, majesté. Depuis des saisons et des saisons, les crammplacs poilus sont nos ennemis.
- Oui, il faut que cela cesse, Monocarna. Ils sont aussi sujets du roi-dragon. Laisse ta peur de côté et tu prendras plaisir au voyage.
Ils se dirigèrent vers le fond de l'abri. Dans la nuit qui tombait, une faible luminescence bleue venait du tunnel qu'ils avaient découvert.
- Écoute et tu comprendras quand Maltmosfia t'invite à chevaucher. Alors accroche-toi à la fourrure du cou et profite du voyage. Ce temps arrivera quand j'aurais reçu mon nom.
Ayant dit cela, le roi-dragon se laissa glisser dans le tunnel.
- « Mon plaisir est grand,  sinueux roi-dragon du clan Louny ! »
L'ombre de l'ombre du dieu dragon l'entourait pendant qu'il descendait dans le noir, glissant sur la pierre recouverte de glace.
- « Tu as trouvé la vraie porte, celle des commencements ! »
Sa glissade se termina sans encombre dans une salle. Il se remit debout. La faible luminescence de l'ombre de l'ombre n'éclairait rien. Dans le noir, ses yeux d'or virent les entrelacs sur le mur. Il reconnut ceux de son bâton. Le maître-sorcier Kyll avait vraiment été bien inspiré. S'approchant de la paroi, il remarqua leur point de départ. Il posa le bout de son bâton dessus. Son esprit vacilla. Le temps devint fluctuant. Il vit, il sut.
Devant lui le Dieu Dragon entrait dans la grotte. Il tenait le feu et la glace et son souffle était vent. Dehors le monde tressaillait du combat des dieux Cotban et Sioultac. Le premier dragon prit naissance. Il était beau de tous les arcs en ciel qui habillait ses écailles. Il était fort du feu et de la glace que le Dieu Dragon avait sculptés. Il était grand comme le vent que le Dieu Dragon lui avait insufflé. Le Dieu Dragon se mit à rire aux éclats. Son œuvre était belle. De rire en rire, le dragon aux écailles multicolores éclata en milliers de dragons aux couleurs chatoyantes. Ils prirent possession de la terre pendant que Cotban et Sioultac se reposaient de leur combat. Ce furent des temps heureux. Le Dieu Dragon était adulé par ce flot multicolore de grands sauriens. Cotban qui avait beaucoup souffert dans son combat contre Sioultac jalousa ce dieu qui tirait sa puissance de ses adorateurs. Il fit des hommes qui prirent la belle couleur de ceux qui connaissent le soleil. Il les fit nombreux pour qu'ils lui rendent un culte puissant. Sioultac dans le lointain de ses terres froides vit s'avancer ses hordes de bipèdes. Il en conçut ressentiment et rage. Il cria sa colère dans un souffle glacé qui blackboula les dragons et congela les créatures de Cotban qui fuirent vers les terres chaudes. C'est alors que Wortra intervint. Il sauva les dragons en échange du feu qui ne s'éteint pas. Le Dieu Dragon affaibli par les blessures de ses adorateurs y consentit. C'est ainsi que naquirent les grandes grottes des rois-dragons. Ce furent des temps plus sombres repliés sur le petit royaume des grottes. Les blessures cicatrisèrent lentement. Et lentement remonta le nombre des dragons. Le Dieu Dragon pensa qu'il fallait des aides pour les dragons. Prenant exemple sur Cotban, il fit des hommes chez qui il mit l'amour des dragons. Contrairement aux dragons, les hommes ne peuvent vivre dans le monde des grottes. Il fallut quitter le monde rassurant des grottes pour les grands espaces du monde blanc. Sioultac avait lui aussi créé. C'est ainsi que de la confrontation entre Gowaï et hommes naquit le conflit.
Le roi-dragon progressait dans les grottes. Son bâton suivait les lignes. Lui suivait son bâton. Il voyait les temps anciens des premiers conflits entre  peuples. Il vit le Dieu Dragon choisir le clan Louny pour y susciter un champion qui aurait à cœur son Dieu. Il vit naître le premier des rois-dragons. Tracmal fut son surnom. Il ramena dans le droit chemin les hommes qui s'égaraient, unifia les clans et fonda la Blanche. Les dragons et les hommes vécurent des temps heureux.
Inexorablement le temps passa. Sioultac et Cotban devinrent des légendes. Le Dieu Dragon lui-même malgré ses adorateurs, s'en alla où s'en vont les dieux.
Les dragons qui vivaient en symbiose avec lui, perdirent leur énergie. Leur nombre diminua. Les rois-dragons se firent rare. Vint le temps des Princes-majeurs.
Si la ligne gravée était devenue ténue, elle n'avait pas disparu. De loin en loin naissait un roi-dragon qui renouvelait la puissance du Dieu Dragon.
Le roi-dragon avançait dans les grandes salles où avaient vécu les dragons aux couleurs chatoyantes. Il sentit qu'il était redevenu dragon lui-même, suivant de son œil d'or les sinuosités de la ligne du temps. Fine comme un cheveu, elle oscillait au gré des évènements. Son émotion devint intense quand il la vit porter fleurs et fruits, bourgeonner et se scinder pour s’entremêler. Elle dessinait son nom pour celui qui savait lire ses lignes. Telle une plante se jouant de la gravité, elle allait et venait décrivant les sinuosités de sa vie.
Alors il connut la joie de celui à qui est révélé son nom : Lyanne. Il était Lyanne du clan de Louny, dragon rouge porteur de l'espoir d'un Dieu et d'un peuple.

lundi 22 avril 2013

Ils avançaient dans une forêt de résineux, sombre et silencieuse. Seuls leurs pas faisaient craquer la neige encore présente à cette altitude. S'appuyant sur leur bâton, ils avançaient régulièrement.  Il y avait deux lignes de crêtes à passer avant d'arriver à la vallée où étaient les grottes. Monocarna estimait qu'il fallait encore une main de jours pour arriver. Sa crainte était que Jorohery bloque l'entrée de la vallée. Il préférait passer par la forêt pour ne pas se faire repérer. Il connaissait la région pour y avoir maintes fois voyagé. Il savait que dans la région vivaient plusieurs groupes de renégats. Ils avaient fui lorsque le Bras du Prince-majeur avait pris le pouvoir. C'est ce qu'il expliquait au roi-dragon tout en progressant. Ils montaient vers la première crête. Le roi-dragon fit un geste de silence. Monocarna se figea sur place. Par terre des taches brunes sur le blanc faisaient comme un chemin. Ils s'approchèrent. Ils découvrirent des traces de pas, nombreuses et différentes :
- On s'est battu ici, murmura le roi-dragon.
Suivant les traces, ils découvrirent des corps.
- Difficile de dire quand la vie les a quittés, dit Monocarna.
- Difficile aussi de dire à qui ils étaient fidèles, répondit le roi-dragon.
De nombreux cadavres gisaient autour d'eux. Les combats avaient été violents. Les corps gelés prouvaient l'ancienneté relative des évènements. Ils se déplacèrent lentement sur le champ de bataille, les sens aux aguets. Le roi-dragon sentait encore la vie et pourtant tous ceux sur qui il se penchait étaient morts.
- Regardez ce qui nous arrive !
La voix les fit sursauter. Ils découvrirent un guerrier blanc l'épée au poing qui venait de surgir de derrière un gros tronc. D'autres combattants surgirent tout autour, les encerclant.
- Deux marboots !
Si Monocarna sursauta sous l'insulte, le roi-dragon ne bougea pas. Se tournant vers ses hommes le konsyli, goguenard, reprit :
- Le Bras du Prince-majeur avait raison. Cette montagne est un vrai nid de rebelles.
- Faire du mal à un marabout porte malheur, dit le roi-dragon.
Le konsyli se mit à rire.
- Alors le malheur est sur moi vu le nombre que j'ai occis !
- Si tu le dis, petit homme au cœur noir et à la queue basse !
Le konsyli cessa brutalement de rire.
- Comment as-tu osé m'appeler, marboot, hurla-t-il au roi-dragon.
- Ma vérité te dérangerait-elle ?
- Attachez-les, dit-il à ses hommes, ils vont regretter d'être ce qu'ils sont.
- Mais sommes-nous ce que tu crois, dit le roi-dragon, en rejetant sa cape et en prenant son marteau.
Le konsyli sursauta. Dans ses yeux une lueur de peur passa.
- Sus ! hurla-t-il.
Avant que l'écho de son cri ne se soit éteint, il était seul vivant, hurlant la douleur de son genou broyé.
Monocarna avait juste eu le temps de se mettre en garde. Le roi-dragon avait connu à nouveau cette accélération de son temps lors des combats. Il avait décimé les deux mains d'hommes avant que ceux-ci ne puissent comprendre. Il s'approcha du konsyli à terre.
- Tu vas me dire ce que tu sais, maintenant, dit-il en découvrant son bâton de pouvoir.

L'homme avait raconté comment Jorohery avait formé des poings à l'insu de tous. Contrairement aux phalanges, les poings ne comportaient que cinq de mains d'hommes. Ce n'étaient pas des guerriers mais le ramassis des rebuts de la société. Jorohery les avait fait passer devant lui et les avait fait jurer fidélité à sa personne avec un chant sombre parlant de mort et de haine. Depuis il les utilisait pour ses basses besognes. Il avait décidé de nettoyer la région des grottes. Les poings du Bras écumaient la région depuis plusieurs lunes, massacrant les groupes de renégats et les marabouts qui pensaient trouver refuge dans les bois. L'homme au genou broyé dirigeait les deux dernières mains d'hommes qui traînaient dans le coin. Il avait ordre d'aller vers le regroupement dans la vallée des grottes pour intercepter tous ceux qui viendraient.
Le roi-dragon lui ferma les yeux alors que tombait la nuit. Monocarna semblait atterré par ce qu'il avait entendu. Lui qui pensait être près du but prenait conscience que des forces de haine et de mort les attendaient. Le roi-dragon le rassura.
- Que peuvent-ils face au rouge dragon-homme porteur du bâton de puissance ? Leur existence est certaine mais leur force insignifiante. Seule la peur leur donne des allures de crammplacs poilus. Connais-tu bien la vallée des grottes ?
- Oui, majesté. D'ici, il y a plusieurs chemins possibles mais plus nous approcherons moins ils seront nombreux. Malheureusement après la dernière crête, nous n'aurons plus qu'une voie possible.
- Nous allons veiller car ces bois pourraient nous réserver encore des surprises. Je prends la première garde.

Le lendemain sous un ciel lourd de nuages, ils reprirent leur route. Vers le milieu de la journée, la neige se mit à tomber. Ils marchaient à couvert non loin de l'orée du bois. Des grandes étendues découvertes allaient en pente douce vers le fond de la vallée. Rien ne semblait troubler le silence. Pourtant ni l'un ni l'autre ne cessaient de guetter. L'idée du danger ne les quittait pas. Deux jours passèrent ainsi. Ils passèrent la première crête sans difficulté. Le paysage changea. Moins d'arbres, plus de rochers et des passages abrupts. Ils restèrent un moment à observer la vallée qu'ils découvraient. Dans leurs capes de la couleur des rochers, ils étaient presque invisibles. Monocarna montra au roi-dragon la direction pour aller vers le fond de la vallée.
- Il y a un autre chemin par là, dit-il en désignant la crête, mais il va nous rallonger.
Le roi-dragon laissa son regard errer sur le paysage. Les yeux plissés, il tendit son bâton de pouvoir devant lui, décrivant un demi-cercle.
- La violence nous attend sur un chemin comme sur l'autre.
Après un moment, il ajouta :
- Il y a un passage au milieu hors des sentiers. Nous allons le prendre pour éviter les poings de Jorohery.
Le roi-dragon s'engagea sur le chemin de la crête pour bientôt bifurquer. Monocarna le suivit. C'est à peine s'il voyait les indices signalant un passage. Il pensa plus à la trace d'une bête qu'à un chemin pour des humains. Ils avancèrent toute la matinée comme cela. Le roi-dragon montait ou descendait en suivant des marques que lui seul semblait voir. La neige tombait de plus en plus serrée. La visibilité était maintenant réduite à quelques pas.
- Là, un bois ! Nous allons nous y arrêter !
Monocarna qui le suivait sans se poser de question, fut heureux de la pause. En entrant sous les ramures, ils découvrirent un espace sans neige, où ils purent s'installer. Ils ouvrirent leurs besaces. - Que nous reste-t-il ?
- De quoi tenir quelques jours, Majesté. Après il faudra chasser.
- Mes ailes me démangent, Monocarna et mon estomac réclame plus. Il sera peut-être nécessaire que j'aille chasser plus tôt.
Dans la pénombre sous l'arbre, Monocarna jeta un regard surpris vers le roi-dragon. Il n'avait jamais eu ce type de pensées. Il prit conscience qu'il marchait aussi avec un dragon même s'il ne voyait que l'enveloppe humaine. Un froissement derrière eux les mit en alerte. Le roi-dragon, découvrit son bâton pour en faire naître une lumière. Deux yeux brillants apparurent. Une bête avançait en rampant dans un silence étonnant.
- Un crammplac, hurla Monocarna en sautant sur ses pieds.
Il était déjà tendu vers la fuite, sachant que face à une telle bête cela ne servait pas à grand chose, quand l'attitude calme du roi-dragon l'arrêta. Son regard se reporta sur le crammplac poilu. Celui-ci avançait dans une attitude de soumission.
- Oui, je suis celui-là, disait le roi-dragon, et le bâton qui porte la lumière est bien celui que grava Kyllstatstat.
Il sembla écouter puis reprit la parole :
- Stamscoia sera heureux. Dis-lui que je vais vers les grottes et que des ennemis les gardent.
Il pencha un peu la tête sur le côté.
- Oui, ceux-là même qui sentent la haine et la mort. Ils sont comme les guerriers blancs mais l'intérieur est noir.
Le roi-dragon se mit à rire doucement comme si on lui avait raconté quelque chose d'amusant.
- Oui, oui, il est toujours aussi distrait et pense encore à lui. Va, ami, Stamscoia fera ce qui est bien.
Le crammplac poilu sembla incliner la tête puis partit en rampant à reculons toujours aussi silencieux. Monocarna le regardait partir tout en tremblant.
- Vous avez compris ce monstre !
Le roi-dragon se tourna vers Monocarna.    
- Tu vois selon ta peur. Maltmosfia, car tel est son nom, est un grand chez les crammplacs. Ils ont senti mon arrivée. Ils voulaient savoir si je suis celui qui avait appelé Stamscoia.
- Que va-t-il faire ?
- Porter la nouvelle de mon arrivée.
Monocarna avait eu besoin de temps pour se remettre de cette rencontre. Le roi-dragon avait préféré bivouaquer sous l'arbre que de tenter de passer sans visibilité.
La nuit avait été calme. Quelques bruits avait fait sursauter les deux hommes sans que ne se concrétise un danger. La lumière du matin était chiche en raison d'un brouillard assez épais. Ils avançaient en silence suivant une trace de plus en plus improbable. Il n'y avait pas de bruit. Le roi-dragon écrasait la neige et Monocarna mettait ses raquettes aux mêmes endroits.
Le son d'une voix les figea sur place.
- As-tu vu quelque chose ? demandait-elle.
- Non, y a rien ! Moi, j'te dis qu'i passeront par en haut, répondit une voie excédée. Ça fait deux jours qu'on est là, sous la neige. On pourrait s'abriter.
La conversation continua sur un ton acerbe. Le roi-dragon fit un signe à Monocarna. Tranquillement ils reprirent leur progression. Avec les capes blanches qui les enveloppaient, ils étaient des ombres dans la neige. Attentifs à ceux qui parlaient, ils distinguèrent les silhouettes des guerriers qui étaient en embuscade autour du chemin. Ils furent bientôt  en bas. Le ruisseau marquait la terre créant une faille qu'il fallait franchir. Ils cherchèrent un passage. Le pont possible était trop près de l'embuscade. Ils allèrent vers l'aval. Ils progressèrent difficilement dans la neige et la végétation bordant le ruisseau. Ce n'est qu'au soir qu'ils trouvèrent ce qu'ils cherchaient. Un bouquet d'arbres était tombé au milieu de la vallée créant une petite retenue et permettant un passage sur ce barrage naturel. Ils escaladèrent les racines, s'accrochant aux branches pour traverser sans tomber. Ils remontèrent vers une barre rocheuse. Profitant des buissons qui poussaient contre les rochers, ils firent un abri pour bivouaquer. Ils mangèrent en silence. Si la neige se calmait, le vent prit de la vitesse dans la gorge. La nuit se    passa ponctuée des longues plaintes des bourrasques montant de l'aval.
Le roi-dragon réveilla Monocarna sur le petit matin, en lui mettant la main sur la bouche pour qu'il ne fasse pas de bruit. Des paquets de neige tombaient autour d'eux. Par gestes, il expliqua la présence d'hommes au-dessus d'eux. On entendait des voix sans comprendre ce qui se disait. Cela dura un moment et le bruit décrut. Manifestement des guerriers descendaient la pente qu'ils voulaient monter. Comme il n'y eut pas de bruit de combat, ils en conclurent que des poings de Jorohery faisaient mouvement.
Ils reprirent leur cheminement en suivant la barre rocheuse. S'il y avait du vent, la neige avait cessé et la visibilité devenait meilleure.
- Nous serons bientôt trop visibles. Il faut trouver un abri et ne repartir qu'à la nuit, dit Monocarna.
- Tu as raison, mais nous perdons du temps. Là, regarde cette corniche, elle a une zone sombre où nous serons invisibles.
La neige ne s'était pas accumulée sous l'auvent de pierre. L'usure de la pierre montrait que la rivière avait coulé là en d'autres temps.    
- Nous allons rester là jusqu'au coucher du soleil et puis nous traverserons le chemin. Essaye de dormir, il faudra marcher cette nuit.
- Bien, majesté.
Monocarna se positionna le long de la paroi pendant que le roi-dragon s'asseyait pour guetter. Il avait décapuchonné son bâton et en suivait les sinuosités avec les doigts, tout en gardant les yeux sur le paysage devant lui.
Jorohery devait savoir qu'il irait aux grottes. Ses poings de guerriers couraient partout. Il n'avait pas envie de livrer bataille. Son nom et ses réponses étaient dans les grottes. Il s'aperçut qu'il n'avait pas le choix. Il lui fallait y aller. Il se demanda si sa forme de dragon ne serait pas plus appropriée pour s'imposer. L'image d'un javelot noir lui traversa l'esprit. Jorohery avait dû en fournir à ses troupes. Le mal était inscrit dans leur couleur. Il ne savait pas comment Jorohery avait pu se procurer de telles armes. Il en sentait le danger pour lui. S'il arrivait crachant ses flammes, avait-il une chance ? Monocarna avait probablement raison. Passer discrètement était le meilleur moyen pour réussir. Cette nuit s'ils marchaient bien, ils pourraient atteindre la crête. Restait le problème des traces. La neige avait effacé celles des jours précédents. Malheureusement, elle avait cessé de tomber. Le vent allait en effacer certaines mais pas toutes. Les poings de Jorohery devaient avoir des pisteurs.
Il en était là de ses cogitations quand il sentit la présence. Il crut un instant que c'était un homme. C'était à la fois plus ténu et plus fort. Après un dernier coup d’œil autour de leur abri, il s'avança vers la paroi. Monocarna s'était allongé, emmitouflé dans son manteau et sa couverture pour essayer de dormir. Derrière lui, la paroi avait le lissé des pierres usées par l'eau. Pourtant cela venait de par là. Il sentait mieux. Il sursauta. Il avait déjà croisé cette présence. Il en était sûr, mais où ? Un léger courant d'air lui donna l'idée de bouger des pierres. Cela réveilla Monocarna qui regarda faire le roi-dragon, en clignant des yeux sans comprendre.
- Il y a là un mystère, Monocarna. Regarde, on dirait un tunnel !
En bougeant une grande pierre plate, il avait découvert une ouverture sombre. Il y eut comme une fumée.
- « Viens, petit roi-dragon qui ne sait pas son nom ! Viens ! »
Le roi-dragon sursauta. Se tournant vers Monocarna, il dit :
- Je crois que les réponses m'attendent !

vendredi 19 avril 2013

Le roi-dragon avait tenu à prévenir Sméloeb qu'il allait dans la montagne avec Monocarna sans lui préciser ni pourquoi ni pour où. Ils avaient marché une bonne partie de la nuit et avaient trouvé un abri aux petites heures du matin.
- Tu sais que je pourrais te porter et pourtant tu nous fais marcher. Pourquoi ?
- Il y a des esprits noirs qui rôdent entre les grottes et nous. S'ils te voient passer, ton combat sera plus rude.
Le roi-dragon n'avait pas insisté. Le lendemain, ils avaient repris leur progression. Monocarna ne marchait pas très vite mais régulièrement. Derrière eux, restait la trace de leurs pas dans la neige.
- Celui qui veut peut nous suivre, dit le roi-dragon.
- Oui, majesté. Sméoleb ne pourra prévenir son Styrlming que demain. Ses messagers n'atteindront pas la capitale avant notre arrivée aux grottes.
- Il peut envoyer des poursuivants.
- C'est ce qu'il fera. Son amour du pouvoir a noirci son âme. Il fera sûrement arrêter Sméoleb et enverra ses troupes sur nos traces.
- Ils iront vite, plus vite que nous.
- J'y compte bien, majesté. Nous allons arriver au bord du gouffre de Vorjiak.
- Qu'est-ce que le gouffre de Vorjiak ?
- C'est une sombre faille dont nul n'a sondé le fond. Ses ramifications sont tordues et nombreuses. Les légendes en font la cicatrice du combat des dieux.
- Tu connais le gouffre.
- Personne ne connaît le gouffre de Vorjiak hormis celui qui l'a fait. Ses parois sont si abruptes que les poursuivants ne nous suivront pas. Il n'est pas dans la direction des grottes. Si nous en suivons les méandres nous pourrons ressortir loin d'ici sans que personne ne sache où.
Ils continuèrent à marcher sous le couvert des arbres. À la fin du deuxième jour, on entendit au loin une sonnerie de trompe.
Monocarna s'arrêta et écouta. Le roi-dragon fit de même. Il y avait dans ces modulations quelque chose d'organisé.
- C'est un message, majesté. Il signale que deux hommes et peut-être un dragon sont en route vers les hauts monts. Ils veulent que tous se mettent à leur recherche et les signale.
Quand l'écho eut fini de renvoyer le premier message, un second résonna. Il venait de plus près.
- Ce sont les gens de Sméoleb qui répondent qu'ils voient nos traces dans la neige.
- La chasse va partir, dit le roi-dragon. Sommes-nous loin du gouffre ?
- Nous y serons avant la tombée de la nuit.
Le roi-dragon ne s'attendait pas à ce qu'il vit. Dans la pénombre du soir, le gouffre de Vorjiak apparut. Il comprit la description que Monocarna en avait faite. Ce n'était pas un gouffre, c'était une plaie béante faite dans la terre. La nuit y régnait déjà. Il laissa ses perceptions s'étendre vers cet espace. La vie semblait y être absente. La roche y était noire et même la neige présente partout ailleurs, ne s'y accrochait pas. Des ondes de chaleur émanaient du fond de la faille. Des courants chauds ascendants faisaient vibrer l'air.
- Le vol dans cet espace va être difficile.
Monocarna regarda le roi-dragon penché au-dessus du gouffre. Il percevait la présence du grand-être avec une joie presque douloureuse. Il n'avait jamais osé rêver ce qui allait lui arriver. Il allait voler avec un dragon. Avant qu'il n'ait compris ce qui se passait, il n'y avait plus d'homme à côté de lui mais une massive présence aux écailles chatoyantes. Toutes les fibres de son être vibraient à cette proximité.
La tête du dragon se mit à sa hauteur.
- Regarde, être debout Monocarna, entre mes griffes, tu verras un espace où tu pourras t'asseoir et  t'attacher. Je préférerais éviter de te voir tomber.
Monocarna escalada la patte du dragon. Il trouva un endroit resserré où il se logea du mieux qu'il put. Des excroissances sur les griffes lui permirent d'attacher une corde pour s'assurer. Il ferma les yeux pour ne pas voir le saut dans le vide. Comme rien ne se passait, il ouvrit les yeux. En face de lui la prunelle dorée du grand saurien le dévisageait.
- Bien, être debout Monocarna, te voilà bien accroché. Nous partirons à la nuit noire. Des yeux nous observent. Ils sont inamicaux. Sans lumière, ils seront comme des aveugles.
Monocarna prit son mal en patience. Lui qui n'avait pas autant marché depuis longtemps se mit à somnoler. C'est le vent qui le réveilla. Autour de lui tout était ténèbres. Il n'avait même pas senti l'envol. Il espérait que le roi-dragon avait pris la bonne direction. Ils avaient longuement discuté du plan de vol pendant le dernier jour. Monocarna s'était aperçu, au cours de la discussion, que grâce à son bâton de pouvoir, le roi-dragon savait la direction des grottes. Il avait expliqué ce que la tradition des marabouts disait du gouffre de Vorjiak et l'itinéraire qu'il leur faudrait suivre.
Emporté par le mouvement, il se laissa aller. Il avait fait tout ce qui était en son pouvoir. Mandihi, son maître pourrait être fier de lui.

Le dragon au regard d'or lisait la nuit et les vents. Si voler lui plaisait, voler dans cette faille le mettait mal à l'aise. Il sentait autour de lui des présences inamicales. Il lança une flamme bleue comme celle qui avait révélé les silhouettes noires lors de son combat avec les hommes de Jorohery. Si la nuit resta la nuit, il vit des formes luminescentes aux contours improbables qui s'écartaient devant lui. Était-ce cela les entrailles de la terre ? Le territoire des spectres et des esprits évanescents. Il continua son vol repérant et évitant les présences qui tardaient à s'éloigner. Cela rendait son vol chaotique. Il vérifiait de temps à autre comment se sentait son passager. Bien que secoué en tous sens, Monocarna trouvait l'expérience plutôt plaisante. S'il sentait des forces autour d'eux, il n'en voyait pas les formes.
Le roi-dragon commençait à trouver que le voyage était trop long. Il aurait dû trouver une faille dans la faille partant vers la gauche. Alors qu'il se posait la question de faire demi-tour, il la vit. L'entrée en était étroite et c'est par un virage serré sur l'aile qu'il put s'y glisser. Moins large que la faille principale, elle semblait aussi moins peuplée. Le vol était plus régulier. Pourtant son malaise augmentait à chaque battement d'ailes. Il lança une nouvelle flamme bleue. Ce qu'il vit le fit se cabrer et bloquer son vol. Une silhouette immense bloquait tout le passage. Battant des ailes sur place, il tourna la tête en tous sens pour chercher une issue. Il vit que la forme iridescente s'étendait aussi derrière lui. Avant qu'il n'ait pu réagir, il se retrouva cerné.
Une vibration prit naissance. Il en comprit le sens. C'était comme un langage. Le roi-dragon chercha l'esprit de Monocarna. Il le découvrit inanimé. Il écouta la vibration :
« - Qui es-tu, toi qui viens troubler mon repos ? »
- Je suis le roi-dragon du royaume blanc.
« - Si telle est ta fonction, quel est ton nom ? »
Le roi-dragon resta interloqué. Il avait eu tellement de noms, qu'il ne pouvait en garder un seul. Devant son silence, la voix vibration reprit :
« - L'autre être, celui que tu portes, possède le droit nom de celui qui refuse le mal. Il est déjà venu se pencher au bord du gouffre. Toi que dis-tu de toi ? »
- Je suis qui je suis et mon nom est caché. Ma famille est le clan Louny. Mon père était le prince Virnia et ma mère la princesse Okongwou.
« Le premier dragon-homme s'appelait Louny. On lui donna le surnom de Tracmal pour son courage au combat. Si tu es son descendant, tu sais qui je suis. »
De sinueux tracés vinrent à la mémoire du roi-dragon. Dans les grottes, Ses yeux de dragon avaient vu cette silhouette éthérée. Mandihi lui avait raconté.
- Tu es l'ombre de l'ombre du Dieu dragon. Lors du combat des dieux, le Dieu dragon t'a mis ici comme le signe de son emprise sur la terre que se partageaient Sioultac et Cotban.
La forme autour de lui se mit en mouvement, vibrant sur un mode jubilatoire.
« - Joie pour moi ! Joie pour le Dieu dragon ! Les vibrations du monde disaient vrai, un nouvel âge des dragons arrive ! »
Le roi-dragon vit un espace, assez grand pour lui, bien que sinueux. Rapide, il s'y glissa. L'ombre iridescente ne le suivit pas, semblant toute occupée à vibrer de joie
« Que la force du Dieu dragon soit avec toi, sinueux roi-dragon du clan Louny

Monocarna reprit conscience quand le roi-dragon posa les pattes au sol. Quand il se fut libéré, il attendit la transformation du roi-dragon.
- Je crois que j'ai perdu conscience dans le gouffre de Vorjiak. 
- Il est des choses que l'homme doit ignorer. Ton sommeil était une bonne chose. Sommes-nous où nous devons ?
Le jour se levait doucement. Ils étaient sur l'adret de la faille. La neige n'avait pas tenu sur la roche à cet endroit-là. Monocarna en fut heureux. Personne ne verrait les traces d'un dragon. Il se repéra, mais déjà le roi-dragon était parti dans la bonne direction. Il fut dans la joie. Mandihi avait bien lu les signes du monde. Cet homme-dragon était bien ce qu'il semblait être.
Il pensa : « Vivement les grottes ! ».

mardi 16 avril 2013

La fête avait duré une main de jours. Les clans les plus proches étaient venus. La parole de Sméloeb avait suffi à les convaincre de déposer les javelots noirs. Seul le groupe de Sméloeb en avait reçu beaucoup, les autres clans n'en possédaient qu'un ou deux.
En attendant que les invités arrivent, le roi-dragon s'était dégourdi les ailes et avait chassé le macoca perdu. Comme il l'avait dit, il en avait mangé trois et avait rabattu une petite harde vers le fond de la vallée. Sméloeb et sa famille vivaient dans des tentes faites de peaux de macoca. Ils avaient une technique particulière pour superposer les peaux qui donnait de l'épaisseur à la paroi et les protégeait bien du froid. Il suffisait d'un peu de bois pour bien chauffer la tente.
Pour la fête, ils avaient coupé des résineux et fait un grand feu. Les macoca avaient cuit sous les cendres et on avait bu plus que de raison.
La nuit était bien avancée quand une silhouette apparut à la périphérie du feu. Personne n'y fit attention à part le roi-dragon. Son œil ne pouvait se détacher de cet homme avançant courbé. Un marabout ! Son aura particulière irradiait dans la pénombre. Il avança dans la lumière. Quand Sméloeb le vit, il se leva aussi brutalement qu'il le put. Titubant, il s'avança vers le marabout et lui dit :
- Fuis avant que le malheur n'arrive ! Le prince-dixième nous a dit que toi et les tiens vous ameniez le malheur ! Par respect pour ton clan, je n'ai pas voulu que tu meures, mais maintenant je ne pourrais retenir mon bras.
- Les choses ont changé Sméloeb ! Par le maître des dragons je n'ai jamais voulu le mal. Aujourd'hui il est là et nous chasse mais viennent les temps où les vieux savoirs seront indispensables et ces temps sont maintenant. Crois-tu que ton jeune roi puisse faire tout sans eux ?
Le roi-dragon s'était levé aussi. Il n'avait que très peu bu. Il s'avança. Le marabout s'inclina quand il le vit.
- Mandihi m'avait prévenu. Son savoir est grand. Que ses jours soient heureux et son chemin tranquille ! Moi aussi je pourrais partir le cœur en paix maintenant que je t'ai vu. Écoute ma parole, roi-dragon, elle t'est nécessaire.
Sméloeb regardait les deux hommes alternativement. Il ne semblait pas comprendre ce qui se passait.
- Les princes nous ont dit de chasser ceux qui sont comme lui et vous, majesté, vous lui parlez !
- Oui, Sméloeb. L'ombre noire qui fait les javelots, est sans puissance contre les marabouts. Elle a choisi d'autres moyens pour s'en débarrasser. Le mensonge et la haine sont aussi ses armes au même titre que les noirs javelots qu'elle vous a fait parvenir. Aujourd'hui ma parole est : Que vivent les marabouts et qu'ils soient ce qu'ils ont toujours été. Que les lois du royaume redeviennent ce qu'elles étaient. Que la malédiction des dragons frappent ceux qui porteraient la main sur un marabout.
Sméloeb s'inclina. Soulagé, il rangea son arme.
- Bien, laisse-nous maintenant.
Quand il se fut éloigné le roi-dragon se tourna vers le marabout :
- Quelle est ton nom et ta parole pour moi ?
- Mon « non » est : refuse le mal. C'est pour cela qu'on m'appelle Monocarna. Mandihi est mon maître. Il a compris quand l'enfant a été enlevé que les temps arrivaient. Il a été là où le jeune dragon était et il lui a transmis ce qui pouvait être transmis. Maintenant Shanga est arrivé, il te faut retourner aux grottes pour y acquérir ce qui te manque.
- Que me manque-t-il Monocarna ?
- Le savoir ! Tu es né dans la famille du Prince-majeur dans la lignée des princes Louny.  Ton père a disparu dans une chasse au crammplac et ta mère est morte de la fièvre des glaces. Tu es le successeur du Prince-majeur. Seulement tu es différent. Shanga a tout changé. Tu es le roi-dragon, héritier de la longue tradition des rois-dragons. Ton pouvoir est grand mais tu ne sais pas l'essentiel, tu ne sais pas ton nom.
Devant le regard interrogatif du roi-dragon, le marabout poursuivit.
- Il te faut aller aux grottes pour le recevoir. Il te faut y aller vite avant que le mal qui court dans ce pays ne finisse par les pervertir.
- Me guideras-tu ?
- Oui, mon roi, mais il faut partir.
- Nous verrons cela demain.
- Non, mon roi. Il faut partir tout de suite. Même si Sméloeb est fidèle, il se trouvera des gens pour ne pas l'être dans ces montagnes.

vendredi 12 avril 2013

Le roi-dragon était parti. Quiloma l'avait vu une dernière fois.
- Yaé n'a pas pris par le col de l'homme mort. Pourtant il sait que je peux voler plus vite que lui ne marche. Que cherche-t-il ?
- Son avantage est de connaître le pays Blanc. Mais je ne sais pas ce qu'il cherche. Il existe de nombreux chemins.
- Je vais les découvrir, Quiloma. Je te confie la région. Tu as ma confiance. Je sais que tu feras ce qui est bien.
Comme à chaque fois que cela se produisait, Quiloma fut impressionné de voir l'homme au bâton devenir le dragon rouge. De ses puissants battements d'ailes, il prit de la hauteur.
Le roi-dragon appréciait le vol. Il y avait un plaisir certain à sentir les courants du vent qui le portaient. Où pouvait être Yaé ? Si son corps de dragon profitait pleinement des sensations du vol, son esprit d'homme était préoccupé par ce qu'il devait faire.
Il survolait des montagnes entrecoupées de vallées plus ou moins profondes. Les pics rocheux alternaient avec ceux couverts de neige et de forêts. Dans les creux, il distinguait parfois des villages et des macoca. Cela réveilla sa faim. Il repéra une vallée plus large. Un troupeau de ces délicieuses bêtes était à l'orée d'une forêt. Il distingua sans peine celle qui grattait encore la neige sur l'espace dégagé de ce qui devait être une prairie en été. Il fit un cercle descendant sans que la bête ne bouge. N'écoutant que sa faim, il plongea. Au moment où ses griffes attrapèrent le macoca, lui brisant l'échine, il sentit le sol se dérober sous lui. Déséquilibré, il se sentit tomber sans pouvoir jouer de ses ailes. Un piège ! Son instinct le fit se débattre. Il sentit de lourds filets lui tomber dessus et l'entraîner plus bas. Il heurta violemment le sol. S'il ne se fit pas mal, cela attisa sa colère. Il était mal positionné, sur le flanc, la tête coincée dans les larges mailles. La neige avait volé partout, l'enveloppant de brouillard. Il sentit plus qu'il ne vit les lourds javelots. Il les sentit se planter tout autour de lui puisqu'il avait repris sa forme humaine. Il était debout au milieu de filets bien trop grands pour l'enserrer. Le marteau dans une main et le bâton de pouvoir dans l'autre. Il scrutait autour de lui. Les javelots étaient aussi noirs que ceux de Sanki. La neige autour de lui devint noire. Le roi-dragon se mit en mouvement. Il avait repéré un escalier qui allait lui permettre de sortir de cette fosse. Alors que la neige finissait de retomber, il atteignit le bord du piège. Des hommes s'avançaient tout autour tenant d'autres javelots. Personne ne fit attention à l'ombre rapide qu'il était quand il combattait. Les hommes étaient maintenant tout autour de la fosse, javelots prêts
à partir.
- Tu vois quelque chose ?
- Non, y a que la carcasse du macoca.
À cette réponse plusieurs se mirent à regarder en l'air autour d'eux. Le roi-dragon s'était assis sur une souche un peu plus loin pour les observer.
- C'est de la magie ! Un truc aussi gros peut pas disparaître comme ça.
- Le Bras du Prince-majeur nous a prévenus. Sa magie est puissante. Seuls nos javelots peuvent l'atteindre.
- Il faut aller les récupérer.
- Non, ce n'est pas la peine. Dès qu'ils touchent quelque chose, ils le détruisent mais perdent leur pouvoir.
- Il est reparti ?
- Sûrement, je ne vois pas où il pourrait être.
Le roi-dragon détailla l'homme qui venait de parler. Il portait un anneau de pouvoir. Ce n'était ni celui d'un konsyli, ni celui d'un prince. Il était plus grand que la moyenne, plus large aussi. Pour le reste, il était habillé de fourrure de macoca comme les autres. Le roi-dragon pensa que pour avoir été aussi rapides à arriver, les hommes devaient être à l'affût non loin. Ils n'avaient pas l'allure des guerriers. Il pensa à des éleveurs. Quiloma et surtout Éeri lui en avaient parlé. Le pays blanc était composé de provinces avec des éleveurs de macoca assez nombreux, vivant en tribus et se déplaçant beaucoup. Ils étaient la principale source de nourriture. Ailleurs dans certaines plaines plus chaudes l'été, ils y avaient des agriculteurs. Ils faisaient pousser une sorte d'herbe portant des petites graines dont on faisait la farine des galettes. Éeri lui avait expliqué qu'on ne la trouvait que sur ces terrains proches des glaces.
- On refait le piège, Sméloeb ?
- Non, ce n'est pas la peine, il ne reviendra sûrement pas, dit l'homme à l'anneau.
- Je serais vous, je serais moins sûr.
Tous les hommes sursautèrent en entendant la voix du roi-dragon. Tous les regards convergèrent vers lui et vers le bâton de pouvoir qui sembla scintiller. Les javelots qui s'étaient levés, redescendirent. Des spirales colorées jaillissaient des tracés du bâton. Elles firent comme un ruisseau de lumière qui coula vers les hommes qui s'étaient figés, hypnotisés. Bientôt de leurs bouches sortirent comme de légères fumées aux couleurs irisées qui se réunirent pour aller à la rencontre du flot de luminescence issu du bâton. Quand les deux courants se réunirent, il y eut un tourbillon ascendant mélangeant les deux en une colonne qui se mit à briller quand le soleil éclaira le fond de la vallée. En haut la lumière retomba en une fontaine de gouttelettes qui illumina le groupe. Il y eut des cris. Chaque homme touché par cette pluie lumineuse, lâchait son arme et mettait genou à terre. Quand tous furent ainsi soumis, le roi-dragon s'avança. Du bout de son bâton, il toucha l'homme à l'anneau :
- Debout Sméloeb !
Ce dernier se releva en regardant autour de lui. Dans ses yeux on pouvait lire la surprise de ce qu'il voyait.
- Mon roi, dit-il en faisant mine de se remettre à genoux.
- Ça suffit ! Qui t'a donné ces javelots noirs ?
- Une phalange est passée, il y a une lunaison. Elle faisait le tour des campements pour remettre ces javelots. Quand ils ont vu la plaine, ils nous ont fait creuser la fosse et préparer le piège. Il disait qu'un mage allait venir, monté sur un dragon pour se faire passer pour le roi-dragon et qu'il nous fallait les détruire si notre piège attirait le dragon.
- Et maintenant que dis-tu ?
- La lumière du roi a ouvert mes yeux. J'ai vu et je sais. Ma fidélité est à vous. 
- Qui es-tu ?
- Sméloeb, du clan des éleveurs des montagnes vertes. Nos macoca sont les plus beaux et nous avons toujours fourni le palais du Prince-majeur. Toutes nos bêtes sont vôtres, majesté, si vous le désirez.
- Je mangerais tes macoca avant de partir.  Trois me seront nécessaires. Combien y a-t-il de clans comme le tien ? 
- Les montagnes vertes abritent autant de clans qu'une phalange a de guerriers. Chaque clan fait vivre autant de gens que deux phalanges.
- Ton anneau est différent de celui des princes.
- Oui, Majesté, je suis chef de mon clan, et responsable de cette partie de la montagne. J'ai deux mains de clans sous ma surveillance et je dois respect au Styrlming qui dirige notre région. Lui rend compte directement au prince-cinquième Kinrom. Nous fournissons chaque année des guerriers pour les phalanges et les phalanges nous protègent contre les forces du mal.
- Les forces du mal ?
- Oui, majesté, parfois nous avons des attaques des Gowaï, surtout depuis le dernier été et il y a toujours les crammplacs. Heureusement, ils sont moins nombreux.
- Les légendes disent que les crammplacs poilus nous sont soumis.
- C'est vrai, majesté, mais pas quand il n'y a pas de roi-dragon.
- Je suis là ! La paix va revenir.
- Par le maître des dragons que les choses soient comme vous le dites !

mercredi 10 avril 2013

Quiloma était perplexe. La mort des quatre guerriers dans le combat contre le roi-dragon était normale. Ce qui le mettait mal à l'aise était ce qu'il avait vu. Que représentaient les pantins noirs que la flamme pâle avait mis en évidence ? Il en parlait avec la Solvette qui lui répondit :
- Les charcs sont perturbés depuis l'arrivée du roi-dragon. Ils vont et viennent entre ici et le monde blanc. Il y a une force là-bas qui les attire et les repousse à la fois. Le roi-dragon est venu.  Avant lui, le mal est entré dans le monde. Est-il la réponse au mal ? À moins que le mal ne soit venu parce que le roi-dragon arrivait ?
- Jorohery !
- Quoi Jorohery ?
- Il est apparu dans l'entourage du Prince-majeur au moment de la naissance de l'enfant disparu.
- Que veux-tu dire ?
- Avant c'était un obscur serviteur sans importance. Il est devenu le Bras du Prince Majeur rapidement, trop rapidement à cette époque quand a été lancée la chasse aux ravisseurs. Je suis certain que celui que vous appeliez Tandrag est l'enfant disparu et que Jorohery le cherchait. Je ne sais comment il est arrivé chez Chountic, mais je sais qu'il est l'enfant innommé qui a disparu quand le prince-majeur a voulu le recueillir chez lui.
- Et tu n'as rien fait.
- Non, ma persuasion ne date que du retour du roi-dragon. Je l'ai envoyé vers le dragon quand Yas a attaqué sans être sûr de ce que je faisais.    
- Comme toujours, tu as bien agi...
- Je ne sais, la Solvette. Les forces en jeu me dépassent, nous dépassent.
À ce moment là, Sabda entra. La Solvette la regarda :
- Que se passe-t-il ? Tu sembles triste.
- Il part demain ! dit-elle en se réfugiant dans les bras de sa mère.
Discrètement, Quiloma quitta les deux femmes.

lundi 8 avril 2013

Les quatre guerriers furent amenés sur la grande esplanade. Un mur de neige avait été construit pour délimiter l'arène. Ils pâlirent en voyant l'espace qui avait été dégagé. On les descendit sur la neige durcie où étaient posées les armes. Toutes les phalanges étaient présentes ainsi que certaines personnes de la ville. Les condamnés s'équipèrent avec les deux épées et le bouclier rond et petit sur le bras gauche. Ils s'installèrent dos au mur regardant autour d'eux pour voir d'où viendrait l'attaque. Ils sursautèrent quand une grande ombre les survola. Il y eut une grande clameur quand le grand dragon rouge se posa au centre de l’arène. Les combattants étaient face à face. Tous les spectateurs hurlaient aussi fort qu'ils pouvaient. Les quatre hommes se mirent en mouvement. Le dragon se baissant, souffla une flamme claire, presque transparente. Les hommes se protégèrent derrière leurs boucliers. Étonnés, ils se redressèrent. La flamme ne brûlait pas. Devant le spectacle offert, les spectateurs se turent. Devant le dragon, les silhouettes humaines avaient disparu. On ne voyait que quatre pantins noirs s'agitant en tout sens. Quand cessa le souffle, les quatre guerriers réapparurent regardant autour d'eux, surpris du silence. C'est alors qu'on entendit la voix du dragon :
- Regardez bien, vous, loyaux serviteurs. Ces hommes au cœur noir sont nos ennemis. Ce qui les habite est mauvais. Nulle vérité en eux, mais mensonge et violence pour le pouvoir. Qu'ils soient purifiés !
Le souffle brûlant du dragon fit tout fondre, hommes, pantins et neige. Quand il s'arrêta, il ne restait rien. Quiloma hurla :
- Graph ta cron !  Graph ta cron Mjatsa !
Tous mirent genoux à terre en baissant la tête. Ils ne la relevèrent qu'en entendant les puissants battements d'ailes du dragon qui s'élevait dans le ciel.

vendredi 5 avril 2013



- Tu vas te battre ?
- Oui, le choix s'impose à moi. La loi dit et même le roi fait.
- Ces combats ne cesseront-ils jamais ?
- L'homme peut être pacifique mais il est souvent violent. S'il ignore sa violence comment peut-il être en paix ?
- Je sais, Tandrag, je sais. Je comprends ma mère quand elle me parle de sa fatigue à réparer ceux que les autres abîment.
La pièce était dans la pénombre, juste éclairée par le feu. Sabda avait accueilli le roi-dragon pour le dîner. Elle lui avait demandé cette rencontre dès son arrivée. Il était parti pour Tichcou trop vite pour l'honorer.
- Mon nom est autre maintenant, Sabda, comme ton nom devient autre.
- Je ne dois plus t'appeler Tandrag.
- Si cela t'aide, tu as cette possibilité.
- Te rappelles-tu nos rêves quand on voyait le dragon ? « Bô le dragon ! »
Le roi-dragon sourit :
- Oui, « Bô le dragon ! »
Sabda avait avancé sa main et l'avait posée sur la main du roi-dragon.
- Je connais ton désir, Sabda, mais c'est devenu impossible même si un jour cela a pu sembler possible.
Sabda ne bougea pourtant pas sa main.
- Tu as raison, Tandrag, roi-dragon, mais j'aime toucher ta main et me dire que je touche le dragon.
- Tu m'offres le merveilleux, Sabda. Tu es la seule à me regarder avec des yeux où crainte et envie sont absentes. Même la Solvette me regarde différemment d'avant. Quiloma l'influence.
Le roi-dragon referma sa main sur celle de Sabda et la porta à ses lèvres :
- Nos natures sont trop différentes. Si je t'accordais ce que Quiloma a donné à ta mère, tu en mourrais. Une telle pensée m'est intolérable. Un jour tu trouveras le compagnon qui t'est accordé. Tu découvriras alors la richesse de la vie en toi.
Le roi-dragon laissa le silence retomber, seul le feu crépitait. Doucement, il se mit à fredonner, dans le foyer, les flammes prirent de l'ampleur et commencèrent une danse joyeuse. Sabda ouvrit de grands yeux. Son regard alla du feu au roi-dragon qui chantonnait.
- Merveilleux, Tandrag ! dit-elle en osant poser sa tête sur les genoux du roi-dragon.
Longtemps le roi-dragon murmura les airs brûlants du feu, longtemps après que Sabda se soit endormie. Il laissa ses pensées suivre les flammes et se réfléchir dans le feu.
Le prince Yaé était parti. Est-ce un bien ou un mal ? Il était dans l'incertitude. Tichcou semblait être stable. Il allait partir derrière Yaé. Il pouvait compter sur Sstanch et sur Quiloma. Kaltrim serait-il fidèle à sa parole ? Il en avait l'impression comme pour Saÿnnu et Bogachalis. L'avenir demeurait incertain. Il avait rencontré Kyll. Le maître-sorcier n'avait pas pu être rassurant. « Là-bas, avait-il dit, se concentre une force maléfique. Les esprits eux-mêmes en ont peur. »
Le roi-dragon retournait ce qu'il savait en tous sens. Il lui fallait suive Yaé et aller aux cavernes des dragons. Là étaient les réponses ! Au moins quelques-unes.
Quand le matin était arrivé, Sabda s'était levée.
- Merci de ce que tu m'as donné, dit le roi-dragon.
- J'ai fait si peu, dit Sabda.
- Ce que tu as fait est immense. Tu as fait pousser une graine d'humanité dans un cœur de dragon. Pour te remercier, je te laisse mon compagnon.
Le feu rugit dans l'âtre.
- Regarde-le ! Il est heureux d'habiter chez toi. Toujours, il t’accueillera. Toujours, il te chauffera. Toujours, il te défendra.
Sabda se jeta au cou du roi-dragon :
- Merci Tandrag, roi-dragon.
- Les marabouts sont aussi indispensables que l'air, Sabda. Quand tu seras prête, je souhaite que tu tiennes ce rôle dans la ville. Que tes jours soient prospères, Sabda et ton chemin tranquille.
- Que tes jours soient prospères et ton chemin tranquille, roi-dragon.

mardi 2 avril 2013

Les préparatifs pour le départ demandèrent du temps. Quiloma avait pris la direction des choses. Si Bogachalis et Saÿnnu avaient tout de suite trouvé leurs marques, Yaé restait à distance. Le roi-dragon avait demandé à ce que sa phalange et lui soient cantonnés dans un camp provisoire en attendant le départ. Le froid restait très présent à cette altitude, alors qu'à Tichcou, le dégel arrivait.
La phalange noire avait fait un fort de blocs de neige sur l'esplanade qui avait été dégagée près de la pierre qui bouge.
Le roi-dragon avait fait un séjour à Tichcou pendant que Quiloma planifiait l'expédition. Klatrim et Sstanch avait bien commencé l'organisation. Un nouveau convoi de flamintiens était arrivé, avec des vivres et des nouvelles du monde extérieur. La coalition des Izus et du général Saraya réorganisait ses forces pour la nouvelle campagne. Altanayo aurait trouvé refuge près de la côte de la mer sauvage. Dans son cas, les informations manquaient de précision. Le roi-dragon en avait conclu qu'il avait du temps pour régler les problèmes dans le pays blanc. Il avait donné des ordres à Kaltrim pour renforcer Tichcou et en faire une ville royale. Ce dernier avait des idées précises de ce que devait devenir la bourgade. Il demanda l'autorisation au roi-dragon de convoquer les ouvriers nécessaires. Il l'obtint sous-réserve de ne pas vider les coffres et de ne pas présurer la ville avec des impôts trop lourds. Il nomma Sstanch responsable du suivi des comptes. Avant de repartir, il lui fit cadeau d'un cylindre de pouvoir comme à tous les princes-dixième.
- Il sera notre lien. Si tu le prends dans tes deux mains comme ceci et que tu le poses sur ton front. Ta parole me trouvera où que je sois. Tu me feras un rapport chaque fois que deux mains de jours seront passées.
Le roi-dragon était reparti à pied avec l'équipe qui ramenait des vivres à la ville. Suivre le chemin qui remontait la vallée lui permettait de renouer avec certains de ses souvenirs. Il en fut heureux. En arrivant près de la cascade de son enfance, il sentit l'appel. Il s'arrêta au bord du chemin. Fermant les yeux, il posa le front sur le haut du bâton de pouvoir. Dans son esprit, vinrent les paroles de Quiloma lui apprenant que la phalange noire avait disparu. Il vit Quiloma ayant posé son cylindre de bois sculpté sur son front pour lui transmettre l'information. Plus que cela il sentit la culpabilité que ressentait Quiloma pour ne pas l'avoir vu plus tôt. Le roi-dragon sourit. Le vieux prince ne changerait pas. Les intérêts du royaume passaient avant son honneur.
Quand il arriva à la porte de la ville, Quiloma l'attendait.
- J'ai failli, mon Roi !
- Tu te tourmentes pour avoir obéi à mes ordres, Prince Quiloma. Yaé devait faire un choix. Il l'a fait. Depuis quand est-il parti ?
- Au moins trois jours ! Il a laissé quatre mains d'hommes derrière lui pour faire croire à sa présence.
- Les as-tu interrogés ?
- Oui, ce sont les transfuges des autres phalanges. Ils ont parlé d'un langage codé propre à la phalange noire et se sont sentis exclus. Yaé leur a laissé le choix de prononcer le serment noir ou de rester pour jouer la comédie.
- Tu vois, Prince Quiloma, eux aussi ont choisi. Savaient-ils ce qu'ils risquaient ?
- Oui, le konsyli qui est resté, m'a dit préférer la justice du roi à la soumission au maître de Yaé.
- Où sont-ils ?
- Je les ai fait enfermer dans la prison.
- Combien sont partis ?
- Une phalange et deux mains d'hommes.
Les deux hommes remontèrent vers Montaggone. Sabda s'approcha :
- Restes-tu avec nous ? demanda-t-elle.
- Les évènements m'obligent à changer mes projets, Sabda.
- Je ne te verrais pas, alors, ajouta-t-elle, l'air déçu.
- Espère, Sabda. Je te ferai savoir.
Elle les quitta en arrivant à la hauteur de la forge de Kalgar. Le roi-dragon regarda l'intérieur de l'atelier avec nostalgie. Il aurait bien aimé s'arrêter un peu pour s'occuper du feu. Il fit un geste à Kalgar qui lui rendit son bonjour avec un sourire.
Arrivé à la citadelle, le roi-dragon se fit amener le konsyli et les guerriers prisonniers. Le konsyli dès qu'il fut en présence du roi-dragon, mit un genou à terre et posant le poing fermé sur le cœur, il inclina la tête :
- Mon Roi, à toi je me soumets. Mes actes sont sincères et ma fidélité entière.
- Ta salutation est-elle vérité ?
- J'ai douté, mon Roi, mais aujourd'hui, ma soumission est totale.
- Alors approche ! Viens et touche le bâton de pouvoir. Si tes paroles sont vraies, tu vivras. Si tu mens, tu brûleras.
Le konsyli avala sa salive, se leva et s'avança. Levant la main, il la posa sur le sommet du bâton. Il y eut un éclair. L'homme cria en retirant sa main. Il regarda sa paume. Au centre de sa paume, un dragon rouge pulsait ses ondes de douleur.
- Ton serment est vérité, konsyli. Ma marque est sur toi.
On fit avancer les autres guerriers. Si certains avancèrent sans crainte, d'autres refusèrent. Il ne resta bientôt que quatre guerriers, les bas croisés sur la poitrine refusant de prêter serment et de toucher le bâton de pouvoir.
- La loi demande l'épreuve du combat, dit le roi-dragon. Elle aura lieu demain sur l'esplanade du bas. Emmenez-les !
Pendant qu'ils sortaient Quiloma s'approcha :
- Quelles seront leurs armes ?
- Deux épées à chacun.