Le roi-dragon était parti. Quiloma l'avait vu une dernière fois.
- Yaé n'a pas pris par le col de l'homme mort. Pourtant il sait que je peux voler plus vite que lui ne marche. Que cherche-t-il ?
- Son avantage est de connaître le pays Blanc. Mais je ne sais pas ce qu'il cherche. Il existe de nombreux chemins.
- Je vais les découvrir, Quiloma. Je te confie la région. Tu as ma confiance. Je sais que tu feras ce qui est bien.
Comme à chaque fois que cela se produisait, Quiloma fut impressionné de voir l'homme au bâton devenir le dragon rouge. De ses puissants battements d'ailes, il prit de la hauteur.
Le roi-dragon appréciait le vol. Il y avait un plaisir certain à sentir les courants du vent qui le portaient. Où pouvait être Yaé ? Si son corps de dragon profitait pleinement des sensations du vol, son esprit d'homme était préoccupé par ce qu'il devait faire.
Il survolait des montagnes entrecoupées de vallées plus ou moins profondes. Les pics rocheux alternaient avec ceux couverts de neige et de forêts. Dans les creux, il distinguait parfois des villages et des macoca. Cela réveilla sa faim. Il repéra une vallée plus large. Un troupeau de ces délicieuses bêtes était à l'orée d'une forêt. Il distingua sans peine celle qui grattait encore la neige sur l'espace dégagé de ce qui devait être une prairie en été. Il fit un cercle descendant sans que la bête ne bouge. N'écoutant que sa faim, il plongea. Au moment où ses griffes attrapèrent le macoca, lui brisant l'échine, il sentit le sol se dérober sous lui. Déséquilibré, il se sentit tomber sans pouvoir jouer de ses ailes. Un piège ! Son instinct le fit se débattre. Il sentit de lourds filets lui tomber dessus et l'entraîner plus bas. Il heurta violemment le sol. S'il ne se fit pas mal, cela attisa sa colère. Il était mal positionné, sur le flanc, la tête coincée dans les larges mailles. La neige avait volé partout, l'enveloppant de brouillard. Il sentit plus qu'il ne vit les lourds javelots. Il les sentit se planter tout autour de lui puisqu'il avait repris sa forme humaine. Il était debout au milieu de filets bien trop grands pour l'enserrer. Le marteau dans une main et le bâton de pouvoir dans l'autre. Il scrutait autour de lui. Les javelots étaient aussi noirs que ceux de Sanki. La neige autour de lui devint noire. Le roi-dragon se mit en mouvement. Il avait repéré un escalier qui allait lui permettre de sortir de cette fosse. Alors que la neige finissait de retomber, il atteignit le bord du piège. Des hommes s'avançaient tout autour tenant d'autres javelots. Personne ne fit attention à l'ombre rapide qu'il était quand il combattait. Les hommes étaient maintenant tout autour de la fosse, javelots prêts
à partir.
- Tu vois quelque chose ?
- Non, y a que la carcasse du macoca.
À cette réponse plusieurs se mirent à regarder en l'air autour d'eux. Le roi-dragon s'était assis sur une souche un peu plus loin pour les observer.
- C'est de la magie ! Un truc aussi gros peut pas disparaître comme ça.
- Le Bras du Prince-majeur nous a prévenus. Sa magie est puissante. Seuls nos javelots peuvent l'atteindre.
- Il faut aller les récupérer.
- Non, ce n'est pas la peine. Dès qu'ils touchent quelque chose, ils le détruisent mais perdent leur pouvoir.
- Il est reparti ?
- Sûrement, je ne vois pas où il pourrait être.
Le roi-dragon détailla l'homme qui venait de parler. Il portait un anneau de pouvoir. Ce n'était ni celui d'un konsyli, ni celui d'un prince. Il était plus grand que la moyenne, plus large aussi. Pour le reste, il était habillé de fourrure de macoca comme les autres. Le roi-dragon pensa que pour avoir été aussi rapides à arriver, les hommes devaient être à l'affût non loin. Ils n'avaient pas l'allure des guerriers. Il pensa à des éleveurs. Quiloma et surtout Éeri lui en avaient parlé. Le pays blanc était composé de provinces avec des éleveurs de macoca assez nombreux, vivant en tribus et se déplaçant beaucoup. Ils étaient la principale source de nourriture. Ailleurs dans certaines plaines plus chaudes l'été, ils y avaient des agriculteurs. Ils faisaient pousser une sorte d'herbe portant des petites graines dont on faisait la farine des galettes. Éeri lui avait expliqué qu'on ne la trouvait que sur ces terrains proches des glaces.
- On refait le piège, Sméloeb ?
- Non, ce n'est pas la peine, il ne reviendra sûrement pas, dit l'homme à l'anneau.
- Je serais vous, je serais moins sûr.
Tous les hommes sursautèrent en entendant la voix du roi-dragon. Tous les regards convergèrent vers lui et vers le bâton de pouvoir qui sembla scintiller. Les javelots qui s'étaient levés, redescendirent. Des spirales colorées jaillissaient des tracés du bâton. Elles firent comme un ruisseau de lumière qui coula vers les hommes qui s'étaient figés, hypnotisés. Bientôt de leurs bouches sortirent comme de légères fumées aux couleurs irisées qui se réunirent pour aller à la rencontre du flot de luminescence issu du bâton. Quand les deux courants se réunirent, il y eut un tourbillon ascendant mélangeant les deux en une colonne qui se mit à briller quand le soleil éclaira le fond de la vallée. En haut la lumière retomba en une fontaine de gouttelettes qui illumina le groupe. Il y eut des cris. Chaque homme touché par cette pluie lumineuse, lâchait son arme et mettait genou à terre. Quand tous furent ainsi soumis, le roi-dragon s'avança. Du bout de son bâton, il toucha l'homme à l'anneau :
- Debout Sméloeb !
Ce dernier se releva en regardant autour de lui. Dans ses yeux on pouvait lire la surprise de ce qu'il voyait.
- Mon roi, dit-il en faisant mine de se remettre à genoux.
- Ça suffit ! Qui t'a donné ces javelots noirs ?
- Une phalange est passée, il y a une lunaison. Elle faisait le tour des campements pour remettre ces javelots. Quand ils ont vu la plaine, ils nous ont fait creuser la fosse et préparer le piège. Il disait qu'un mage allait venir, monté sur un dragon pour se faire passer pour le roi-dragon et qu'il nous fallait les détruire si notre piège attirait le dragon.
- Et maintenant que dis-tu ?
- La lumière du roi a ouvert mes yeux. J'ai vu et je sais. Ma fidélité est à vous.
- Qui es-tu ?
- Sméloeb, du clan des éleveurs des montagnes vertes. Nos macoca sont les plus beaux et nous avons toujours fourni le palais du Prince-majeur. Toutes nos bêtes sont vôtres, majesté, si vous le désirez.
- Je mangerais tes macoca avant de partir. Trois me seront nécessaires. Combien y a-t-il de clans comme le tien ?
- Les montagnes vertes abritent autant de clans qu'une phalange a de guerriers. Chaque clan fait vivre autant de gens que deux phalanges.
- Ton anneau est différent de celui des princes.
- Oui, Majesté, je suis chef de mon clan, et responsable de cette partie de la montagne. J'ai deux mains de clans sous ma surveillance et je dois respect au Styrlming qui dirige notre région. Lui rend compte directement au prince-cinquième Kinrom. Nous fournissons chaque année des guerriers pour les phalanges et les phalanges nous protègent contre les forces du mal.
- Les forces du mal ?
- Oui, majesté, parfois nous avons des attaques des Gowaï, surtout depuis le dernier été et il y a toujours les crammplacs. Heureusement, ils sont moins nombreux.
- Les légendes disent que les crammplacs poilus nous sont soumis.
- C'est vrai, majesté, mais pas quand il n'y a pas de roi-dragon.
- Je suis là ! La paix va revenir.
- Par le maître des dragons que les choses soient comme vous le dites !
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