mardi 3 novembre 2020

Ainsi parla Rma, le fileur de temps...96

Riak regardait son armée sortir des Monts Birlak. Elle avait bien grossi depuis son arrivée. Riak, suivant les conseils des conseillers, avait attendu. Des volontaires étaient arrivés en masse et continuaient d’arriver. Le général Costané était content de voir ses troupes s’étoffer. Il avait fait du campement des Monts Birlak une base d’entraînement. Maintenant, les choses sérieuses allaient commencer. Riak, qui les voyait défiler, pensait que son armée était prête ou presque. Tous les hommes avaient une arme de métal ou presque. Tous avaient une protection ou presque. Les plus chanceux avaient un casque et un plastron cuirassé. Les autres avaient des vestes de cuir épais. Tous ces “presque” l’inquiétaient. En face, que valait l’armée des seigneurs ? Les policiers étaient redoutables mais pas très nombreux. Le gros des ennemis se composait de ce que chaque baron avait amené. Riak et les siens seraient en supériorité numérique mais, comme les autres s’étaient retranchés dans un camp, il faudrait peut-être prévoir de tenir un siège. Elle se sentait débordée par ses fonctions, courant sans cesse de son armée à son conseil à Cannfou. Dans quelques jours, les deux armées se rencontreraient. Elle aurait aimé que Koubaye lui donne des indications et l’aide de ses conseils. Le rêve, qu’elle avait fait dans la nuit, ne la rassurait pas. Elle avait vu Koubaye devenir une statue. Des gens venaient et, à l’aide d’offrandes, essayaient de diriger sa volonté pour qu’il tisse avec Rma ce qui était leur choix. Ce cauchemar l’avait mise mal à l’aise.  Elle n’avait pas eu le temps de s'appesantir à son réveil, emportée par le flot de ses occupations. Tout en regardant passer les hommes qui partaient au combat, elle avait décidé de s’en occuper le soir même. D’ici deux à quatre jours commenceraient les premiers combats. Quelle qu’elle soit, la réalité s’imposerait. Dans l’après-midi, Riak était repartie à Cannfou. Il lui fut nécessaire de rester la nuit sur place pour régler tous les différends qui existaient entre tous les conseillers. Elle avait l’impression de passer son temps à décider pour les uns et les autres. À l’aube, elle était de retour au bivouac de l’armée. Jirzérou lui servait officiellement d’écuyer. Il était impatient de chasser les seigneurs. Bemba était moins pressée. Elle dirigeait la garde personnelle de Riak composée de volontaires féminines. Elle les avait surentraînées et quasi fanatisées. Toutes celles qu’on allait appeler les guerrières blanches, étaient prêtes à se sacrifier pour Riak. Le général Costané recevait chaque jour des renseignements sur l’ennemi. Il en discutait avec Riak qui ne connaissait rien en stratégie guerrière. Costané n’était guère plus avancé. Il n’avait pas de culture du combat. Il s’était révélé un bon meneur d’hommes, allait-il être à la hauteur des batailles ? Il avait envoyé en avance des groupes de soldats pour sécuriser le déplacement de l’armée. Il faisait des reconnaissances et venait faire leur rapport tous les jours. Tout se passa tranquillement les trois premiers jours. Riak commençait à se dire que peut-être, ils pourraient surprendre ce foutu roi. Elle comprit que Sink avait déjà prévu leur arrivée. Des patrouilles étaient organisées. Son avant-garde avait accroché une de ces patrouilles. Le commandant de l’avant-garde était revenu faire son rapport. L’altercation avait été brève. La patrouille avait rompu rapidement le combat, préférant s’enfuir. Les soldats de Riak racontaient combien l’ennemi était pleutre et combien il était facile de les battre. Riak de son côté comptait les blessés et les morts. Si le commandant annonçait des morts ennemis, Riak qui était venue sur le lieu du combat n’en retrouva aucun. Par contre sa patrouille avait perdu plusieurs de ses membres blessés ou tués. Elle prit cela pour un mauvais présage. Koubaye… où était Koubaye ? Elle se reprocha de ne pas avoir fait ce qu’elle aurait dû. Elle planta tout le monde en disant à Tchitoua de l’emmener voir Koubaye.
Kaja fût un des premiers informés. L'ennemi était là. Une des patrouilles s'était fait accrocher. Heureusement, elle se composait des hommes du Baron Arlaz, de solides gaillards bien entraînés et bien équipés. Ils avaient eu deux blessés. Selon les ordres, ils avaient rompu le combat très vite. Ils avaient quand même eu  le temps de mettre hors de combat plusieurs rebelles. Kaja et son état-major avait longuement discuté de la marche à suivre. L’accord s’était fait sur l’attente. Les remparts étaient complets et le ravitaillement assuré. Il fallait laisser les rebelles s’épuiser sur les défenses mises en place et seulement dans un deuxième temps les écraser dans une bataille rangée. Après sa réunion d’état-major, Kaja décida d’inspecter les défenses. Il arriva au rempart, solide palissade de bois encore vert. Il ne prendrait pas feu facilement. Il était monté sur un talus artificiel fait à partir de toute la terre retirée du fossé. Il admira le travail des ouvriers et des ingénieurs. Devant le talus, plantés en oblique, des pieux interdisaient le passage. Après cela, Kaja avait fait dégager l’espace sur une portée de flèches. Tout ce dégagement était parsemé de pièges capables d’estropier un homme. Vu de l’extérieur, il n’existait qu’un chemin possible. Il traversait la zone des pièges en oblique, puis longeait les pieux par l’extérieur avant de rejoindre le seul pont qui enjambait le fossé. Là, celui qui désirait entrer devait passer une porte renforcée qui ouvrait sur un couloir entre deux remparts. Au bout, une deuxième porte barrait le passage. Kaja inspecta les réserves de flèches et d’armes, et vérifia que tout était prêt. Les rebelles tenteraient probablement plusieurs fois de passer les défenses avant de chercher une autre stratégie. Il discuta un moment avec différents barons qui le saluaient et dont le rôle allait être de harceler les rebelles. Puis il retourna vers sa tente palais. La fonction de roi exigeait beaucoup. Le royaume de Tisréal faisait le deuil de son ancien roi. L’administration restait malgré tout capable de travailler, et la vie continuait, hormis dans la zone dévastée par la vague. Kaja l’avait déclarée zone sacrée et des soldats patrouillaient pour mettre à jour tout ce qu’on pouvait récupérer. Du côté du royaume de Landlau, il y avait beaucoup de retard et d’erreurs. Les gens profitaient de ce qui se passait pour ne pas faire ce qu’il devait faire. On n’avait que rarement une opposition frontale. C’était à chaque fois une mauvaise volonté et une inertie qui venaient bloquer les rouages. Si les policiers se montraient, tout fonctionnait. Ils ne pouvaient être partout et dans certaines régions. Il ne faisait pas bon pour un membre d’une famille dirigeante d’être seul dans un lieu désert. Kaja s’en inquiétait mais il ne disposait pas des moyens nécessaires pour y faire face. Il lui fallait gagner cette guerre rapidement pour pouvoir reprendre les choses en main.
Riak regarda se coucher le soleil. Ses troupes se préparaient pour la nuit. Les bivouacs s’organisaient. Elle avait fait paraître un édit pour déclarer les bayagas amis du peuple et sans danger. Mais les traditions sont tenaces et nombreux étaient ceux qui préparaient encore un abri léger à la manière des tréïbens sur leurs bateaux. Elle avait demandé aux guerrières blanches de patrouiller pendant ces heures incertaines. Les deux léopards des neiges étaient couchés à ses pieds. Les juvéniles avaient déjà bien grandi et imitaient leurs parents. Riak caressa la tête du mâle :
   - Titchoua, il est temps.
Ils se mirent en route vers la tente de Riak. Mitaou avait fait préparer le repas et dresser la table. Quand elle vit sa maîtresse, elle remarqua son air préoccupé.
   - Dame Riak, votre repas est prêt. Vous semblez inquiète. De mauvaises nouvelles ?
   - Non, Mitaou, les nouvelles sont plutôt bonnes. Je m’inquiète pour Koubaye.
Riak s’installa pour manger. Elle avait choisi de rester seule. Les instants privés devenaient rares. Toute sa vie semblait se dérouler devant témoin. Ce soir, elle avait besoin de calme et de discrétion pour faire ce qu’elle avait projeté. Elle mangea en silence. La soirée devint nuit. Bemba vint la trouver pour lui annoncer que les guerrières blanches étaient sorties.
   - Très bien, Bemba. Tu mets un groupe autour de ma tente avec ordre de ne laisser passer personne.
Puis Riak la congédia et se retira dans la tente où était son lit. Elle se retrouva avec Titchoua. Les autres fauves s’installèrent devant la porte.
   - Maintenant, dit-elle au léopard des neiges.
Ils bondirent ensemble et atterrirent dans le noir. Ils s’immobilisèrent. Titchoua devint luminescent. Riak, qui avait une main sur son échine, regarda autour d’elle. Le noir s’étendait partout en dehors d’un cercle clair. Elle marchait sur une roche noire et sonore, à sa droite, il y avait une grande étendue d’eau. Ils firent quelques pas en descendant avant de remarquer une forme noire. Ils s’approchèrent avec précaution. Les muscles de Titchoua jouaient librement sous la fourrure. Riak le sentait sous sa main. Cela la rassurait. Il ne sentait pas de danger. La forme se précisa pour devenir une statue d’homme assis. Un peu plus loin, elle repéra un reste de branche de feu-luit qui se consumait doucement éclairant à peine. Cela lui rappela ses voyages souterrains avec Koubaye… Koubaye ! Elle se retourna brusquement pour regarder la statue. Elle poussa un cri en reconnaissant les traits du Sachant. Avec des gestes hésitant, elle toucha la statue. Elle sentit une chaleur. Elle toucha le sol pour vérifier qu’il était bien froid. Elle sut que c’était Koubaye, là, devant elle sous cette forme immobile. Elle s’assit et pleura. Titchoua vint se frotter contre elle en ronronnant. Elle mit ses bras autour du cou tiède du léopard et laissa ses larmes couler dans sa fourrure. Elle ne comprenait pas. Thra avait-il pétrifié Koubaye ? Mais pourquoi ? Petit à petit, ses larmes s’épuisèrent jusqu’à se tarir. Riak se sentit épuisée. En regardant ce Koubaye-statue, elle vécut une impression de vide intérieur immense que rien ne pourrait combler. Comme quand elle était petite fille, elle se coucha à même le sol, une main posée sur Koubaye. Titchoua vint se serrer contre elle, lui donnant sa chaleur. Elle s’endormit là.
Riak marchait dans un lieu improbable fait de lumière et de brume. Elle ne reconnaissait rien. Elle avait trois ans. Autour d’elle, il y avait cette odeur fade et entêtante. Des ombres inquiétantes passaient autour d’elle dans un déluge de cris et de mouvement. Elle rentrait la tête dans les épaules à chaque fois. Et à chaque fois les formes se dissolvaient dans la brume. Il y eut un geste encore plus brusque non loin de ses yeux. Une forme ronde passa au-dessus d’elle comme ces balles que les grands se jetaient. Elle fut éclaboussée. Elle reconnut le liquide qui maculait son vêtement et générait cette odeur. C’était du sang. Elle aurait voulu crier mais aucun son ne sortait de sa bouche. Non loin d’elle une corde s’agitait en sifflant. Elle eut le désir de la saisir et avança le bras. La corde s’immobilisa comme si elle attendait que Riak la saisisse. Dès qu’elle eut posé la main dessus, elle se sentit emportée. Elle croisa d’autres silhouettes et à côté d’elle, elle vit une silhouette qui tenait une corde semblable à la sienne. Alors que la silhouette se rapprochait, elle vit que c’était un petit garçon aux yeux aussi inquiets que les siens. Ils s’éloignèrent, puis de nouveau, se rapprochèrent. Une corde noire siffla comme un fouet en passant entre eux. Ils s’éloignèrent brusquement. La corde-fouet noire la toucha. Elle en sentit la brûlure. Sur son bras une trace rouge pulsait de douleur. Quand elle la vit revenir vers elle, Riak tenta de s’en protéger. De nouveau la corde-fouet la toucha, provoquant une nouvelle trace brûlante. Elle cria sans que sa voix ne devienne son. Comme emportée par un tourbillon, elle revit la silhouette du garçon. Il avait aussi la bouche ouverte dans un cri silencieux. Ses bras portaient les mêmes marques rouges. Une idée lui traversa l’esprit. Il fallait bloquer cette corde-fouet entre leurs cordes respectives. Elle voulut faire signe au garçon qui déjà lui tendait la main. Plusieurs fois leurs mains furent à un doigt de se toucher. À chaque fois, la corde-fouet passait entre eux deux, déclenchant une nouvelle brûlure. La colère s’empara de Riak. Ce fut comme si elle pouvait commander sa corde… en partie. Elle évita une fois la corde-fouet
puis une deuxième. La troisième rencontre se termina par une brûlure lui labourant les reins. Riak faillit lâcher sa corde. L’ombre du garçon passa non loin. Riak tendit sa volonté pour diriger sa corde vers celle de l’autre enfant. Elle entrevit sa main et dans un effort immense, elle la saisit. Les brûlantes douleurs disparurent, laissant la place à une chaleur bienfaisante et réconfortante dans tout son corps. Forte de leurs deux volontés, elle, il se dirigèrent vers la corde noire qui de nouveau se rapprochait. Elle, il n’étaient plus que désir de vengeance et de destruction. Alors qu’elle, il allaient la toucher, la corde-fouet se déroba. Elle, il virent l’ombre filiforme qui s’y accrochait. Elle, il se mirent à poursuivre l’ombre aussi noire que la corde qui maintenant fuyait devant eux. Leurs mouvements devinrent tempétueux. Malgré les tourbillonnements et les retournements, elle, il tenaient bon. D’à-coups en à-coups, les mouvements devinrent plus brefs, plus contraints. Elle, il se rapprochaient de la corde noire fouettant l’espace. D’un coup elle, il la touchèrent. Tout se figea en une image sur la toile du temps.
   - Reine ! Oh, Ma Reine !
Riak ouvrit les yeux pour découvrir un visage penché sur elle. La teinte bleutée qui l’éclairait la troubla. Elle reconnut Résal tenant une branche de feu-luit.
   - Résal ?
   - Oui, Ma Reine.
   - Résal, que s’est-il passé ?
Résal lui raconta leur voyage et les derniers évènements. Voyant Koubaye figé, il avait fini par ressortir en suivant le ruisseau. Il revenait avec des provisions et de quoi faire un feu et s’éclairer. Il était sûr que Koubaye vivait encore même s’il semblait plus pierre que chair… Tout en parlant, il alluma le feu. Un halo de lumière dissipa quelque peu les ténèbres autour d'eux. La salle était grande. Les bruits qu'il faisait, déclenchaient des échos sur des parois lointaines. À côté de Koubaye, un lac sombre et lisse se perdait dans la nuit. De multiples éclats de lumière brillaient sur de gigantesques colonnes aux formes irrégulières. De temps à autre un ploc signait la chute d’une goutte d’eau dans une flaque. L’eau s’écoulait silencieusement en suivant une rigole en pente douce dans la pierre noire du plancher de la grotte.
   - Où est-on ?
   - Sous le Mont des Vents, Ma Reine. Maître Koubaye m’a guidé jusqu’à cette salle. Pour lui, ici, comme dans l’autre salle, on est en présence des racines du monde.
Riak regarda Koubaye, puis Résal. La déception lui encombrait l’esprit. Koubaye ne la guiderait pas, à moins que ce rêve étrange soit son message. Il lui avait déjà parlé de ces cordes que Rma tissait pour dessiner la trame du temps. Restait à interpréter qui était le garçon et qui était l’ombre noire de la corde noire. Elle s’approcha de Koubaye et le serra dans ses bras en murmurant des mots que Résal n’entendit pas. Elle se releva et retenant ses larmes dit à Titchoua :
   - Allons là où je serais utile !
Riak se retrouva à Cannfou. Des tensions existaient entre la grande prêtresse et le plus grand initié. L’une voulait confier la réussite de la guerre aux Dieux en faisant une cérémonie générale dans tout le pays, rassemblant le peuple dans un même élan de ferveur patriotique. Lacestra défendait une position beaucoup plus discrète, s'appuyant sur les instructions du Sachant qui avait déclaré que Riak seule détenait les clés de la réussite ou de l’échec. Riak se retrouva dans la pièce au moment où la grande prêtresse disait :
   - Mais les dieux interviennent et leur puissance est tellement grande. Avec tout le respect que je dois à la reine, comment pourrait-elle, à elle seule, être la clé de la réussite ?
   - Douteriez-vous, ma mère ?
La question, posée d’une voix douce par Riak, fit sursauter tous les présents qui ne l’avaient pas entendue arriver.
   - Non, bien sûr, ma reine. Mais Youlba et Thra ne doivent pas être négligés. Ils ont assez souvent montré leur puissance !
   - Oui, mais le Sachant a dit...
   - Le Sachant, le Sachant, vous n’avez que ce mot-là à la bouche, Maitre Lascetra. Il a disparu…
   - Et je viens de le voir…
Sa déclaration stupéfia les deux protagonistes. Lascetra bégaya d’étonnement et la grande prêtresse eut un regard inquiet  :
   - Qu’a-t-il dit ?
   - Rien, il n’a rien dit. Son message est obscur comme est obscur un rêve. Il m’a montré que sans coopération nous n’arriverons à rien. Ces dissensions entre vous servent l’ennemi. Seule notre union  sera la source de notre réussite. Que tous les temples intercèdent ensemble et que le peuple en soit averti. Mais que la cérémonie se passe dans les enceintes de nos lieux sacrés. Le peuple participe déjà par tous les efforts qu’il fait pour soutenir notre effort de guerre.
La grande prêtresse et Lascetra s’inclinèrent en signe d’assentiment et de soumission. Quant à Riak, elle remercia mentalement Titchoua de l’avoir ramenée à Cannfou. Riak resta une journée pour participer aux conseils de décision. Quand elle reprit le chemin du front, elle avait décliné les grandes lignes de son action et marqué les limites de chacun.
Titchoua ramena Riak aux abords du camp.  La femelle et ses petits vinrent à sa rencontre. Riak prit le temps de jouer avec. Elle admira la taille des jeunes. Ils devenaient de plus en plus forts chaque jour. Ils la renversèrent. Elle en attrapa un et le serra contre elle. Il se défendit en grognant et en montrant les dents. Riak grogna à son tour. Le jeune prit immédiatement une posture de soumission en gémissant. Riak se mit à rire et lui ébouriffa la fourrure. Le jeune mâle se mit à ronronner comme un chaton. Riak se releva.
   - Allons, fini  de jouer ! On passe aux choses sérieuses.
Elle rit à nouveau en voyant la tête penchée du jeune léopard qui semblait interrogatif. Elle lui caressa la tête une nouvelle fois. Les autres jeunes vinrent à leur tour se faire caresser. Riak se laissa distraire un moment et puis se dirigea vers le camp. Une sentinelle signala sa présence. Ce fut le branle-bas dans le camp. Le général Costané fut parmi les premiers à l’accueillir. Il avait la mine sombre. Il salua la reine. Riak l’interrogea sur les derniers évènements. Elle apprit que ses craintes étaient fondées. Les accrochages se multipliaient et malheureusement ses troupes revenaient souvent amputées d’un ou plusieurs membres sans compter les blessés qui mouraient souvent après quelques jours. Costané l’emmena voir le camp ennemi. Ils montèrent à l’observatoire qu’il avait fait aménager dans un grand arbre. Le baron Sink avait choisi un très bon emplacement avec un élèvement qui lui permettait de voir au loin. Pour construire les défenses, il avait fait couper tous les arbres, toutes les broussailles sur deux portées de flèches, laissant à nu tout le sol.
   - Si on attaque, on aura perdu la moitié de nos hommes avant d’avoir seulement atteint le fossé...
   - Je vois, général, et après, qu’est-ce qu’il y a avant la palissade et ses tours ?
   - Il y a un fossé suivi d’une plateforme hérissée de pieux suivie d’un autre fossé avant d’arriver à la butte sur laquelle se dresse la palissade.
   - Il y a un pont là-bas.
   - Oui, ma Reine, c’est le seul point de passage. C’est de là que viennent aussi leurs troupes. Après ce pont, il faut se glisser derrière la première palissade jusqu’à une deuxième passerelle qui arrive à la porte. Quand ils sortent, ils sont protégés de nos regards par la première palissade et on ne les voit que s’ils passent le pont sur le premier fossé.
Riak observa le camp retranché des seigneurs. Sink avait fait construire des tours avec des arcs sur pied. Elle jura intérieurement. Ces arcs devaient au moins porter au bout du glacis dégagé tout en restant rapides à manier.
   - Bien, dit-elle. Allons en bas.
Elle alla jusqu’à la lisière de la forêt. Elle vit que le fleuve n’était pas loin. Elle voulut s’en approcher. Costané intervint :
   - Non, ma Reine ! Ils vont tirer !
Riak regarda Costané :
   - Restez-tous ici. C’est un ordre.
Le général et les gens de l’escorte se regardèrent.
   - Mais, ma Reine...
Riak était déjà partie en petite foulée vers la rivière. Costané poussa un cri en voyant un des grands arcs lâcher sa flèche. Riak était déjà au bord de l’eau. Il la vit s’arrêter, regarder en direction du camp et juste faire un petit bond de côté. La flèche s’était plantée dans le sol. Il entendit la reine rire. Il fut rempli d’effroi en la voyant partir en courant vers l’ennemi. Il vit le branle-bas derrière la palissade. Des centaines de têtes apparurent et Riak courait toujours droit vers le fossé. Les deux léopards blancs l’encadraient. Des flèches volèrent et se plantèrent tout autour d’elle. Les grands arcs tiraient aussi et Riak courait toujours. Arrivée à portée de voix, elle s’arrêta. Devant elle, un mur de glace transparente se dressa. Les projectiles se brisèrent dessus. Riak cria :
   - BARON SINK ! BARON SINK !
Les tirs cessèrent brusquement. Une tête couronnée apparut sur la tour de la porte. Quand Riak le vit, elle cria de plus belle :
   - BARON SINK, JE TE DÉFIE !
Seul un rire lui répondit. La tête couronnée disparut puis elle entendit une voix dire :
   - Le roi dit que les petites filles feraient mieux de rester à la maison et de s’occuper de leur intérieur !
Riak rit à son tour. Elle ramassa une des flèches qui étaient plantées non loin et décocha une flèche vers le ciel. Tous les regards tentèrent d’en suivre le vol. La flèche monta très haut avant de redescendre et de venir se planter aux pieds du roi.
    - Dites au roi qu’il ferait bien de se méfier de la colère des petites filles !
Aussi vite qu’elle était arrivée, Riak repartit en courant. Quand elle atteignit la lisière de la forêt, elle vit les regards désapprobateurs de son escorte.
Elle s’arrêta devant Costané.
   - Il va falloir creuser, Général
   - Creuser ???
   - Oui, Costané, creuser !