lundi 29 janvier 2018

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 36

Dans le temple, comme lui expliqua Mitaou, il y avait le pavillon qu'on n’ouvrait qu'une fois par an pour la fête. C'est là qu'elles se rendirent. Elles pénétrèrent dans le hall d'accueil. Il y avait plusieurs personnes attendant. Riak reconnut des prêtresses et des servantes. Dans un coin, il y avait plusieurs bicolores pour assurer la sécurité. Et il y avait des gens en vêtements ordinaires. Quand Riak pénétra dans la salle, tous les regards se tournèrent vers elle. Mitaou la conduisit dans un coin. Les regards se détournèrent quand le rideau de la salle de la grande prêtresse se souleva. Une dame sortit à reculons en saluant et en remerciant. La mère Keylake sortit peu après. Du regard, elle parcourut la salle et se dirigea vers un groupe venu de l'extérieur. Elle les invita à entrer.
   - Regardez bien, comment ils font le salut. Il vous faudra faire de même, murmurait Mitaou à l'oreille de Riak.
Les différents groupes qui attendaient se refermèrent sur l'espoir déçu d'être l'appelé. Riak dont la patience n'était pas le fort, avait du mal à ne pas bouger. Mitaou tentait de la calmer par des paroles qui exaspérait Riak. Alors que son énervement montait d'un cran, elle vit arriver une bicolore. Elle était presque deux fois comme Riak. Elle portait un bâton à la ceinture. Riak sentit la peur de Mitaou. Quand elle fut tout près, la bicolore s'inclina pour saluer Riak. Pantalon noir, tunique blanche, à l'inverse des novices, sa manière de bouger évoquait la souplesse des loups. Si Mitaou s'était mise en retrait, pour avoir déjà eu à faire avec elle, Riak salua la nouvelle venue d'un mouvement de tête.
  - Je vous salue, Noble Hôte. Mon nom est Koulfa. Puis-je vous importuner quelques instants ?
  - Je vous écoute, répondit Riak.
  - J'étais dans le groupe qui est intervenu l'autre soir. Vous avez une technique de combat efficace. Qui a été votre maître ?
   - Je n'ai pas de maître.
   - Alors, il vous en faudra un. Un tel don est comme la pierre de diamant. Il faut le travailler pour qu'il brille de tous ses feux. 
Elles furent interrompues par le mouvement du rideau. La même scène se répéta avec le même résultat. Appelée par une bicolore, Koulfa était repartie vers son groupe. Riak de nouveau, fut confrontée à l'attente. Elle sentait l'énervement monter en elle. C'est à ce moment-là qu'elle vit entrer la prêtresse qui l'avait menacée. Quand leurs regards se croisèrent, Riak put voir la flamme de colère dans les yeux de Loilex. Peu après, une novice et une prêtresse pénétrèrent ensemble dans la salle. À une mèche de cheveux dépassant de la coiffe, Riak comprit que les quatre chevelures blanches étaient présentes. Si la novice et la mère Fannebuis étaient ensemble et semblaient en grande conversation, Loilex était seule dans son coin. Elle avait pris une position méditative. Pourtant Riak, à chaque fois que son regard passait dessus, sentait l'ambition et la haine des autres. Cela lui mettait les nerfs à vif.
De nouveau le rideau se souleva, laissant passer la mère Keylake, suivie par ceux qui avaient été reçus. Ils sortaient à reculons en saluant. Quand ils passèrent près de Riak, leur air extatique en disait long sur leur satisfaction. La mère Keylake qui les suivait dit à Mitaou de faire entrer Riak. Mitaou s'inclina devant Riak et l'invita à se présenter devant la grande prêtresse. Dédaignant le protocole, Riak se dirigea vers le rideau et entra, Mitaou horrifiée sur ses talons. Tout s'était passé si vite que Koulfa n'avait pas eu le temps d'intervenir. La grande prêtresse, assise derrière sa table de travail, regarda Riak entrer et vaguement faire une révérence. Derrière elle, Mitaou fit une révérence impeccable. Selon le protocole, on n'avait pas le droit de parler sans avoir été interrogé. La grande prêtresse leva la main pour imposer le silence à Riak, puis elle dit à Mitaou :
   - Va attendre derrière le rideau, ma fille. Je t'appellerai.
Mitaou fit une nouvelle révérence et sortit à reculons. Restée seule avec Riak, la grande prêtresse lui dit :
   - Tu es comme un poulain fougueux qui a besoin d'être dressé. Non, tais-toi. Sais-tu que si tu sors du temple, tu es morte. Les seigneurs connaissent aussi les légendes et les prophéties.
Riak, réduite au silence, savait que la grande prêtresse avait raison. Elle ne devait d'être en vie qu'en raison de son isolement. Ces deux jours de fête lui avaient ouvert les yeux. Dehors la chasse aux cheveux blancs était ouverte.
   - Sais-tu combien de jeunes comme toi sont tuées dans le royaume ? Moi, je le sais et à chaque fois, je me pose la même question… et si c'était l’avatar de la Dame blanche ? C'est un des rôles de notre ordre de sauver celles qui sont porteuses du signe de la Dame.
   - J'ai survécu jusqu'à aujourd'hui. Je pourrais continuer.
 - Comme tu le dis, jusqu'à aujourd'hui. Actuellement, nous sommes quatre vivantes. Mais tu es différente. Tu es porteuse d'une puissance que je ne connaissais pas. Tu m'intrigues, mais tu as besoin d'être disciplinée. Sache que je le ferai.
   - Et si je refuse…
  - Alors tu perdras tout. Le temple ne pourra rien pour toi. Notre position est forte et fragile. Forte car le peuple est pour nous. Nous attaquer provoquerait une révolution. Mais, en même temps, nous ne sommes que tolérées par les seigneurs. Alors réfléchis bien. Demain, ou après demain, viendra ta mère… Oui, je sais qu'elle ne l'est que par adoption mais elle t'a élevée, alors je déciderai de ce que je peux te proposer.
La grande prêtresse agitait une petite cloche à la tonalité aigre. Immédiatement Mitaou entra.   
   - Fais entrer mère Fannebuis, mère Loilex et Inali, la novice et retire toi. Je ferai reconduire Riak.
Mitaou fit une nouvelle révérence et sortit. Peu après, Loilex entrait la première. Elle s'inclina plus profondément que ne l'exigeait le protocole et avant qu'elle n'ait ouvert la bouche, la grande prêtresse lui imposa le silence. Fannebuis entra à son tour. Elle s'inclina en saluant sobrement. Inali pénétra la dernière, elle fit une révérence impeccable et se mit vers le fond de la pièce. La grande prêtresse leur fit signe de s'approcher. Quand elles furent toutes les quatre près de la table, elle dit :
   - Les informateurs m'ont prévenue. En aucun cas vous ne devez quitter l'enceinte du temple. Les seigneurs recherchent Riak qui est mon hôte, mais votre chevelure fait de vous des proies pour leur haine.
Fannebuis prit la parole :
   - Notre Mère, nous devions partir aujourd'hui avec le premier convoi !
   - Je sais. Mes ordres sont formels. Vous restez !
   - Votre sagesse est immense, dit Loilex. Nous ferons ce que vous demandez.
   - J’obéirai, Notre Mère, ajouta Inali.
La grande prêtresse regarda Riak.
   - Je crois que je n'ai pas le choix, dit cette dernière, … grande prêtresse.
   -  Bien, maintenant laissez-moi. Inali, tu reconduiras Riak.

dimanche 21 janvier 2018

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 35

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La matinée n'était pas ensoleillée mais il ne pleuvait plus. Youlba était allée porter ses combats ailleurs. Les bruits du village et de la fête passaient le haut mur. Le jardin où Riak se promenait faisait triste mine après toute la pluie reçue. Mitaou la suivait encore tout étonnée de l'honneur qui lui avait été fait. Tout cela grâce à Riak. Une autre invitée arriva dans le jardin. Comme Riak, elle était suivie par une novice. Sa silhouette empâtée laissait deviner son manque d’exercice. Contrairement à Riak, sous la tunique blanche et rouge, elle portait ses habits. Ce qu'on en voyait montrait la richesse de la propriétaire. D'âge mûr, elle avait l'habitude de donner des ordres. Sa voix claqua, sèche et impérieuse quand les deux hôtes se rencontrèrent. Elle ordonna aux nocives de s'éloigner. Quand elle fut seule avec Riak, elle la prit par le bras comme feraient deux amies et lui dit d'une voix plus mielleuse :
   - Je suis la femme de Khanane, prince de la descendance du roi Riou. Je fais ma retraite comme chaque année. La grande prêtresse a la bonté de m'inviter pour la fête. Nous ne nous connaissons pas. Quelle est votre lignée ?
Le seul contact de cette femme avait révulsé Riak. Tout son discours la mettait mal à l'aise. Elle ne savait que répondre.
  - Je suis Riak, femme de personne. La grande prêtresse m'a invitée à cause de mes cheveux blancs.
 - Je me doutais, chère enfant, des intentions de notre hôtesse. Elle ne peut s'empêcher de recueillir toutes celles qui ont cette blanche chevelure. Au moment où nous devisons ensemble, vous êtes la quatrième… mais je bavarde, je bavarde et je ne vais pas avoir le temps de faire ma méditation. Permettez-moi de vous laisser…
À peine avait-elle dit cela qu'elle lâchait le bras de Riak et qu'elle sortait du jardin, suivie de la novice qui courait pour la rattraper. Quand Mitaou se fût rapprochée de Riak, elle lui dit :
  - Méfiez-vous d'elle. Soko, la novice qui doit la guider, m'en a dit du mal. Le retour de la Princesse ne l'intéresse pas. Seules la puissance et la richesse trouvent grâce à ses yeux.
   - Je crois que j'avais compris, répondit Riak.
Elle se promena un moment. Étant habituée à être toujours occupée, Riak se trouva vite à court d'idée de déplacement. Elle dit à Mitaou qui la suivait toujours :
   - Je vais aller me reposer.
   - Bien, Noble Hôte, je vais vous conduire à votre chambre et je viendrai vous chercher pour l'audience.
Arrivée dans la chambre, une fois le rideau tiré, de nouveau, elle ne sut plus quoi faire. Machinalement, elle mit la main sur le médaillon. Elle se mit à chantonner doucement la mélodie qu'elle avait entendue à la cérémonie du matin. Elle se mit à danser et rapidement, se retrouva dans un état second.
Un bruit de pas la ramena à la réalité. Elle se sentait essoufflée et avait les joues rougies par l'exercice. Les pas s'arrêtèrent devant le rideau. Ce n'était pas Mitaou. Une prêtresse entra. Elle avait l'air furieuse. Elle pointa un doigt accusateur sur Riak et lui déclara :
    - Je te préviens tout de suite ! Quoi qu'il arrive, c'est moi qui serais la prochaine grande prêtresse. Alors ne te mets pas en travers de mon chemin...
Ayant dit cela, elle ressortit aussi vite qu'elle était entrée. Riak n'avait pas bougé, sidérée par cette apparition. Elle eut à peine le temps de se remettre que Bemba entrait.
    - C’est bientôt l'heure de votre audience et je ne voudrais pas que votre tenue ait le moindre défaut.
   - La femme de Khanane m'a dit qu'il y avait déjà trois personnes avec les mêmes cheveux que moi. Qui sont-elles?
   - Ah, vous avez rencontré la pimbèche… personne ne l'aime celle-là. La grande prêtresse n'a pas le choix. Il faut bien ménager la susceptibilité de Khanane. Il est influent. C'est un descendant du roi Riou. Mais la pimbèche a raison. Vous n'êtes pas la seule, Noble Hôte, à avoir cette blanche chevelure. Il y a d'abord notre mère à toutes, la grande prêtresse et puis il y a la mère Fannebuis. Elle, c'est une crème. Jamais un mot plus haut que l'autre et en plus elle a une belle voix. Bon elle a pas inventé l'eau chaude, mais elle est gentille, surtout avec les noires...
Bemba babillait tout en préparant Riak à la rencontre avec la grande prêtresse.
   - … Les noirs, c'est nous les servantes. Bien sûr ya aussi les bicolores. Vous avez les novices et puis les nonnes gardiennes… mais vous en connaissez certaines… mais si, rappelez-vous, Noble Hôte, celles que vous avez bousculées, la nuit de la salutation. Ça on peut dire que vous les avez impressionnées. Avant une mauvaise chute, j'étais comme elles… c'est pour cela que je m'entends toujours bien avec… d'ailleurs c'est Koulfa une bicolore, qui me disait que la mère Loilex avait toutes ses chances de devenir la prochaine grande prêtresse. Fannebuis n'a pas la stature et elle le sait. Elle ne se mettra pas contre la Loilex. Elle a trop peur. Quant à la dernière c'est encore une bicolore comme Mitaou. En plus elle est très jeune dans sa tête… le bruit court déjà que la Loilex est très énervée depuis votre arrivée, d'ailleurs Koulfa avait envie de voir pour parler certaines techniques de combat que vous avez utilisées quand vous….
Bemba s'arrêta net au milieu de la phrase et elle reprit :  
   -  Ah, Noble Hôte, vous voilà parfaite pour aller voir Notre Mère à toutes.
À peine avait-elle fini sa phrase que Mitaou entrait.



dimanche 14 janvier 2018

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 34

Riak se réveilla avant l'aube. Elle avait rêvé de Koubaye. Cela lui avait rendu un peu de paix intérieure. Elle prit la résolution de faire tout son possible pour que tout se passe bien. Quelque part dans le temple, une petite cloche sonna. L'aube était encore très pâle. La servante, toute de noir vêtue entra dans la pièce. La novice, en habit blanc et noir, pliait sa paillasse. Bemba lui dit :
   - Le bassin pour les ablutions de la Noble Hôte va arriver. Est-elle réveillée ?
   - Je vais voir, répondit Mitaou.
Riak tira le rideau qui séparait l'alcôve de la pièce. Les deux femmes s'inclinèrent :
   - Nous vous saluons, Noble Hôte.
Riak sentit qu'elle ne connaissait pas le protocole qui gouvernait la vie de ces femmes. Elle était dans une grande ignorance de ce monde. Elle ne connaissait que ce que la majorité des gens savait. Les prêtresses blanches priaient pour le retour de la Princesse et la restauration du royaume. Le reste était complètement flou.
     - Que dois-je répondre, demanda Riak ?
   - “Je vous salue”, lui dit Mitaou. Votre tenue est inadaptée, Noble Hôte. La mère intendante  vous a fourni un nécessaire.
Bemba qui était sortie un instant revint avec des vêtements blancs et rouges qu'elle posa sur un coffre. D'autres servantes en noir arrivèrent portant bassin et seaux pleins d'eau. Elles posèrent le bassin et le remplirent d'eau fumante et parfumée. Riak regarda cela avec étonnement.
   - À quoi ça sert ?
   - À vos ablutions, Noble Hôte.
Riak avala sa salive en comprenant qu'elle allait devoir se déshabiller et entrer dans le bassin. Bemba s'approcha d'elle et l'aida à retirer ses habits grossiers de vieille femme qu'elle avait gardés. Quand elle fut en chemise elle l'invita à entrer dans l'eau. Mitaou s'était éclipsée, suivant la cohorte des autres servantes. Riak prit plaisir au contact de la tiédeur. Elle entendit une autre personne entrer.  Celle-ci murmura quelques mots à l'oreille de Bemba et s'approcha du bassin. Riak était allongée dedans, la tête reposant sur un coussin.
   - Permettez, Noble Hôte, que je vous prépare.
Bientôt Riak se retrouva nue, prise en charge par des mains douces et bienfaisantes. Elle vécut un moment de bien-être comme elle n'en avait jamais connu. Quand elle sortit de l'eau, on l'enveloppa dans un linge chaud et la servante, qui l'avait lavée, l'aida à revêtir ce que la grande prêtresse lui avait fait porter. Riak n'avait jamais rien porté d'aussi fin. Elle avait l'impression de ne rien porter ou presque.
   - Ne vous inquiétez pas, Noble Hôte, on se fait très bien à cette tenue, lui dit la servante habilleuse. Vos vêtements vous seront rendus quand vous sortirez du temple.
À ce moment-là, Mitaou entra, suivie d'une nouvelle nuée de servantes qui débarrassèrent la pièce. Riak était trop occupée à écouter la novice pour faire attention aux chuchotements des servantes qui échangeaient des commentaires sur la blancheur de sa peau et de ses poils. Elle suivit Mitaou qui la conduisit vers la salle de cérémonie tout en lui expliquant le déroulement des rites et ce qu'elle aurait à faire. Elles entrèrent dans la grande tente montée pour le temps de la fête. Des servantes s'activaient pour disposer le nécessaire pour le rite. Riak se retrouva sur une estrade sur la gauche de l'estrade principale. Elle fut bientôt rejointe par deux femmes, chacune suivie par une novice. Elles regardèrent Riak, l'air étonné. Elles aussi avaient une robe blanche et une tunique rouge. Elles saluèrent Riak d'un geste de la tête. Alors que l'une d'elle allait dire quelque chose, la novice qui l'accompagnait lui prit le bras et lui fit signe de se taire. À ce moment-là, les novices entrèrent et prirent place en face des invités. Riak reconnut la mère des novices qu'elle avait bousculée. D'un regard aigu elle vérifia que toutes ces jeunes soient bien alignées. Déjà les servantes entraient se disposant au fond de la tente en silence. Puis vinrent les prêtresses, toutes de blanc vêtues. Elles se rangèrent devant l'estrade principale. C'est alors que le tambour se fit entendre. Riak ne l'avait pas vu en arrivant. Elle découvrit que quelques prêtresses étaient rassemblées dans un coin avec des instruments de musique. Le tambour battait comme un coeur, une pulsation lente et sourde. La grande prêtresse entra, suivie des deux que Riak n'aimait pas. Elle se plaça debout face aux autres. Elle était la seule à ne pas porter le voile blanc sur la tête. Ses cheveux en tenaient lieu. Immédiatement, une servante posa un brûle-parfum devant elle, et une autre lui tendit la boîte d'encens.
Tout se figea. Seul le tambour battait. Dehors une trompe sonna. C'était le signal. Le soleil venait d'éclairer le rocher du roi Riou. Mitaou l'avait expliqué à Riak. La grande prêtresse mit l'encens sur les charbons ardents. Une épaisse fumée s'éleva du brûle-parfum. La grande prêtresse fit un signe de la main. Le tambour fut rejoint par les gongs. Elle entama alors le premier chant. Riak, qui ne le connaissait pas, était dispensée de le chanter. Mitaou derrière elle et toutes les autres se joignirent au chant. Ils parlaient de salutations aux dieux. Bientôt Riak sentit l'encens. Cela lui piqua le nez. Elle eut peur d'éternuer. Son médaillon se mit à lui peser sur la poitrine. Le rythme de la musique changea. Ce deuxième chant était le chant que la Princesse chantait tous les matins aux temps heureux. Riak, qui ne l'avait jamais entendu, eut l'impression de le connaître. Elle se mit à le fredonner. Mitaou s'approcha d'elle rapidement, lui demandant de faire silence. Seule la grande prêtresse avait le droit de le chanter à cet office. Le reste de la cérémonie se passa sans autre incident pour Riak. Ce fut une suite de récitatifs, de chorals ou de chants a capella.
Le médaillon était chaud sur sa poitrine. Mitaou lui tapa légèrement sur l'épaule et lui fit signe de la suivre quand la tente de cérémonie se fut vidée. Riak s'aperçut que les deux autres invitées étaient déjà parties. Elle sentit la novice irritée. Elle lui posa la question. Mitaou l’éluda. Au nombre de recommandations qu'elle fit pour le repas qui venait, Riak comprit que la faute qu'elle avait faite en chantant quand il ne le fallait pas, mettait Mitaou en difficulté.
   - On mange le matin après l'office de la salutation et le soir avant le lever de l'étoile de Lex.
   - Et entre les deux, qu'est-ce qu'on fait ?
   - On étudie les chants et les textes rituels. On prépare les offrandes aux dieux et les amulettes pour qui en fait la demande.
   - Et moi ?
   - Vous, Noble Hôte, vous pourrez méditer ou vous promener dans le jardin.
Riak trouva la perspective peu engageante. Elle n'était jamais restée sans rien faire. La salle à manger du temple était petite. Et le service se faisait par groupe. En tant qu’invitée, elle allait manger avec la grande prêtresse, en premier. Mitaou était la plus impressionnée des deux. Dans la pièce, sur une estrade, la grande prêtresse et ses deux adjointes avaient pris place avec elle, mais sur le côté une prêtresse mangeait avec elles. Mitaou expliqua à Riak un peu plus tard qu’elle dirigeait le temple du village. De chaque côté, deux longues tables. Les deux autres invitées étaient d'un côté et Riak de l'autre.
Le repas se passa sans difficulté. La nourriture restait simple mais bonne. Alors que la grande prêtresse en se levante donnait le signal de la fin du repas, elle fit signe à Mitaou qui se précipita et s'agenouilla devant elle.
   - Je recevrai Riak en audience après les rites d’offrandes.
Et elle la congédia d'un geste. Quand Mitaou revint près de Riak, elle était bouleversée. La grande prêtresse lui avait parlé...

vendredi 5 janvier 2018

Ainsi parla Rma, le fileur de temps... 33

Koubaye avait marché toute la journée derrière Siemp. Ils étaient passés rapidement par l'auberge pour prendre le maigre bagage de Koubaye et saluer Sorayib. Les adieux avaient été brefs. Koubaye était parti le coeur lourd. Son grand-père aussi était ému. Il l'avait rassuré en lui disant qu'il allait apprendre bien plus au mont des vents qu'il n'en aurait appris en restant ici toute sa vie.
Siemp n'était pas un homme bavard. Il était pourtant attentif. Beaucoup plus grand et plus massif que Koubaye, il avait fait attention de ménager son jeune compagnon en faisant des pauses régulièrement. Koubaye, qui cherchait à savoir, posait des questions durant ces moments. Il recevait des réponses courtes et évasives, globalement peu informatives.
Il apprit que Siemp était un vieux serviteur de Balima. Il comprit que ce dernier avait de hautes fonctions car il connaissait les grands savoirs et que, depuis peu, on, et Koubaye avait entendu Lacestra, lui avait confié la gestion de la maison des savoirs du mont des vents. Siemp servait de coursier et, avait-il annoncé :
  - C'est la première fois que j'emmène un colis aussi bavard.
Koubaye n'avait plus osé l'interroger. Ses pensées étaient alors revenues sur la vie qu'il quittait. C'est alors que l'image de Riak s'était imposée à son esprit. Il n'avait même pas eu le temps de lui dire au revoir. Qu'allait-elle penser ? Il repensa aux derniers moments sur l'estrade. Il avait vu déteindre les cheveux de Riak et après quelques cris, il y avait eu la bousculade. Depuis, il était sans nouvelle. Tout en marchant, il essaya d'invoquer son image sans parvenir à un résultat. Puis la fatigue aidant, il devint comme une machine à marcher. Sa seule pensée était de continuer d'avancer.
Quand la nuit tomba, Koubaye espérait l'arrêt à chaque maison. C'est aux toutes dernières lueurs du jour qu'ils atteignirent un hameau. Au centre, la grande maison était une auberge. Ils y entrèrent. Cela réveilla Koubaye. Il n'avait connu que celle du village et il était curieux de découvrir d'autres lieux. Il fut déçu. Il retrouva une salle de même genre et, s'il ne connaissait personne, il vit bien que ceux qui venaient là, ressemblaient beaucoup à ceux qui fréquentaient l'auberge de Gabdam. Siemp commanda deux repas. Son air bourru et ses réponses brèves découragèrent les tentatives de communications de l’aubergiste. Quelques uns parlaient à haute voix. Koubaye entendit parler de la pluie, des récoltes et de la mauvaise humeur de Youlba. Plus le dîner avançait et plus son excitation diminuait. Alors qu'il finissait sa galette, il ressentit la fatigue comme une chape. Quand Siemp se leva de table, Koubaye le suivit jusqu'à un petit réduit garni de deux paillasses. Il était à peine couché qu'il dormait déjà. Il n'entendit pas Siemp partir, pas plus qu'il ne l'entendit revenir.
Il se réveilla en pleine nuit. Le noir était complet. Il entendait la respiration régulière de Siemp qui dormait. Il s'assit sur sa paillasse recherchant ce qui avait pu le réveiller. Il resta un moment comme cela, laissant son esprit libre d'aller et venir. Il pensa à Riak. Il eut comme un éclair devant les yeux. Il sut. Il sut sa détresse et sa peine, sa colère et sa curiosité. Il sut qu'elle se sentait seule. Alors il murmura :
   - Où que tu ailles, quoique tu fasses, j’en aurai le savoir. Sois sans peine et garde ta colère. Ce qui va t’advenir sera l'écheveau de Rma.
Devant ses yeux, la lumière s’adoucit. Il savait Riak en paix.
Le jour n'était pas encore levé quand Siemp le réveilla. Une fois le repas fini, ils reprirent la route. À la première pause, Koubaye demanda :
   - On va marcher comme ça combien de jours ?
Siemp le regarda, sembla réfléchir un moment et articula :
   - Quatre jours pour atteindre la plaine, et après on ira plus vite. Bien, assez parlé, on repart.
Et sans rien ajouter, il avait remis son baluchon sur l'épaule et s'était remis en route. Koubaye se dépêcha de le suivre. Il pensait : “Plus de quatre jours de voyage… Le monde est-il si vaste ?” Comme souvent quand son esprit était préoccupé par une question, le savoir venait. Il coulait en lui comme un ruisseau, clair et limpide. Le mont des vents était loin, très loin. Même s'ils marchaient plus vite dans la plaine que sur le chemin de montagne qu'ils suivaient, il faudrait presque une lunaison pour y arriver. Il eut un instant de découragement et puis il pensa que Rma saurait bien tisser les fils du temps pour croiser les destins.
Le paysage changeait. Siemp avait pris par le col Difna. Il coupait la montagne au plus court. Koubaye et les siens habitaient la chaîne de montagne au nord du pays. Plus on s'y enfonçait plus les sommets étaient hauts et enneigés. À leurs pieds, on avait la plaine du roi Riou. Là où avait eu lieu la funeste bataille. Cette plaine rejoignait le fleuve Polang qui servait de frontière, avant, avec le royaume des seigneurs. En descendant le fleuve Polang, on rejoignait assez facilement le reste du royaume à travers les gorges du Tianpolang. Un large passage bordé de falaises. C'est par là que passaient les chariots et les gens qui avaient le temps. Tout le commerce entre les deux royaumes y passait.
Pour rejoindre la plaine du roi Riou, on devait passer le saut du Cannfou. La rivière Cann qui courait dans la plaine du roi Riou, donnait naissance à une cascade haute comme dix hommes. Les chariots déchargeaient à ses pieds dans la ville qui portait le nom de la cascade et on chargeait les bêtes et les hommes pour continuer le voyage vers les hautes terres. Le roi Verne avait pris les gorges du Tianpolang dès le premier assaut. Le roi Riou avait dû faire passer son armée par le col de Difna. Le chemin était bien tracé, Siemp et Koubaye avançaient bien. Ils s'étaient arrêtés dans le premier relais et devaient passer le col pour atteindre le deuxième. Koubaye aurait bien aimé passer par l'autre chemin. Il avait nourri le secret espoir de voir sa mère. Aujourd'hui l'étape allait être dure. Siemp lui avait prédit la souffrance et il n’en menait pas large. La montée était raide et longue. Les pauses avaient diminué. Ce soir, l'étoile de Lex revenait et avec elle, les bayagas. Siemp les craignait beaucoup, Koubaye plus du tout depuis cette nuit dans la caverne effondrée. Il savait qu'il ne risquait rien. Il savait leur nature. La pluie les rejoignit avant le sommet, faisant soupirer Siemp. Il avait mis une cape épaisse et avait repris son chemin au même rythme. Koubaye n'avait rien d'autre que son manteau. Il en releva le col et mis son bonnet, peinant pour tenir le rythme. Siemp ne s'arrêta même pas au sommet. La descente fut difficile. Koubaye glissa et tomba plusieurs fois. Siemp se rattrapa quelques fois sans que ces malheureuses expériences ne le fassent ralentir. C'est exténué que Koubaye atteignit le hameau du deuxième relais.
Comme la première nuit, il ressentit chez Riak un mélange d'étonnement et de colère, de plaisir et de peurs.
Au matin, Siemp lui fit presque un discours :
   - Aujourd'hui, on va quitter la montagne. Devant nous c'est le coeur du royaume. On va aller beaucoup plus vite dès qu'on aura atteint Smé. Je vais t'apprendre comment les Oh’m'en se déplacent. Le mont des vents est vers l’ouest.
Koubaye sut alors que Siemp était un Oh’m’en et que dans son coeur, la nostalgie de sa steppe était grande. Il ressentit dans ses muscles ce qui devait être fait pour se déplacer comme eux. Cela le fit sourire. En attendant, ils reprirent leur marche. Le chemin était plus facile, plus large, plus fréquenté. La terre était plus riche sur ce versant et des champs en terrasse succédaient aux champs en terrasse. Ils traversèrent un paysage de collines de moins en moins hautes. À chaque petit col, Koubaye découvrait un peu plus la grande plaine. Le soir, ils furent à Smé. Contrairement à ce qu'il pensait, ils n'allèrent pas dans une auberge. Siemp frappa à un haut portail sculpté. Une petite porte s'ouvrit. Un homme de même stature que Siemp les dévisagea et s'adressa à eux dans un idiome que Koubaye ne connaissait pas, la langue des Oh’m’en. Siemp lui répondit dans la même langue. Aussitôt, avec un sourire, le portier les invita à entrer. La cour était assez vaste et entourée de hauts murs. La maison avait un étage. Le portier cria quelque chose en s'adressant à quelqu'un dans la demeure. Immédiatement une femme en sortit et vint embrasser Siemp en exprimant une grande joie. Puis elle se tourna vers Koubaye, le regarda de la tête aux pieds et dit quelque chose à Siemp. Celui-ci répondit en langue commune :
   - Mon maître m'a demandé de l'emmener rapidement au mont des vents. Il pourrait marcher comme un Oh’m’en.
Le femme répondit :
   - Sait-il ?
   - Il n'a jamais quitté la haute vallée !
   - Alors il faut qu'il essaye.
Elle se tourna vers le portier en lui donnant des ordres en langue Oh’m’en. Celui-ci courut sous l'auvent qui longeait le mur extérieur et revint avec une brassée de perches. Koubaye les regarda faire, intrigué. Siemp lui dit :
   - Suis-moi !
Au bord de la maison, il y avait un escalier montant à une petite terrasse. Siemp s'assit sur le bord, les jambes pendantes et fit signe à Koubaye de faire de même. Le portier disposa rapidement quatre perches près de chacun. Siemp dit à Koubaye :
   - Fais comme moi.
Avec dextérité, il attacha les deux plus courtes à ses pieds, saisit les deux longues et d'un coup de rein, il se retrouva debout au milieu de la cour. Koubaye, qui l'avait regardé, fit de même. Quand Siemp le vit debout comme lui, il se mit à marcher en longeant le mur. Koubaye le suivit. Et quand Siemp se mit à courir, Koubaye le suivait encore. Siemp se laissa tomber en avant, et avant de se retrouver face contre terre, il avait défait ses échasses et atterri sur ses deux pieds. Quand Koubaye fit de même, la femme applaudit. Elle dit alors à Koubaye :
   - Le maître de Siemp a raison. Tu n'es pas un garçon commun. C'est un honneur pour moi de t'accueillir sous mon toit. J'envoie un marcheur tout de suite pour préparer votre route. En attendant entrez et reposez-vous !