La fête avait duré une main de jours. Les clans les plus proches étaient venus. La parole de Sméloeb avait suffi à les convaincre de déposer les javelots noirs. Seul le groupe de Sméloeb en avait reçu beaucoup, les autres clans n'en possédaient qu'un ou deux.
En attendant que les invités arrivent, le roi-dragon s'était dégourdi les ailes et avait chassé le macoca perdu. Comme il l'avait dit, il en avait mangé trois et avait rabattu une petite harde vers le fond de la vallée. Sméloeb et sa famille vivaient dans des tentes faites de peaux de macoca. Ils avaient une technique particulière pour superposer les peaux qui donnait de l'épaisseur à la paroi et les protégeait bien du froid. Il suffisait d'un peu de bois pour bien chauffer la tente.
Pour la fête, ils avaient coupé des résineux et fait un grand feu. Les macoca avaient cuit sous les cendres et on avait bu plus que de raison.
La nuit était bien avancée quand une silhouette apparut à la périphérie du feu. Personne n'y fit attention à part le roi-dragon. Son œil ne pouvait se détacher de cet homme avançant courbé. Un marabout ! Son aura particulière irradiait dans la pénombre. Il avança dans la lumière. Quand Sméloeb le vit, il se leva aussi brutalement qu'il le put. Titubant, il s'avança vers le marabout et lui dit :
- Fuis avant que le malheur n'arrive ! Le prince-dixième nous a dit que toi et les tiens vous ameniez le malheur ! Par respect pour ton clan, je n'ai pas voulu que tu meures, mais maintenant je ne pourrais retenir mon bras.
- Les choses ont changé Sméloeb ! Par le maître des dragons je n'ai jamais voulu le mal. Aujourd'hui il est là et nous chasse mais viennent les temps où les vieux savoirs seront indispensables et ces temps sont maintenant. Crois-tu que ton jeune roi puisse faire tout sans eux ?
Le roi-dragon s'était levé aussi. Il n'avait que très peu bu. Il s'avança. Le marabout s'inclina quand il le vit.
- Mandihi m'avait prévenu. Son savoir est grand. Que ses jours soient heureux et son chemin tranquille ! Moi aussi je pourrais partir le cœur en paix maintenant que je t'ai vu. Écoute ma parole, roi-dragon, elle t'est nécessaire.
Sméloeb regardait les deux hommes alternativement. Il ne semblait pas comprendre ce qui se passait.
- Les princes nous ont dit de chasser ceux qui sont comme lui et vous, majesté, vous lui parlez !
- Oui, Sméloeb. L'ombre noire qui fait les javelots, est sans puissance contre les marabouts. Elle a choisi d'autres moyens pour s'en débarrasser. Le mensonge et la haine sont aussi ses armes au même titre que les noirs javelots qu'elle vous a fait parvenir. Aujourd'hui ma parole est : Que vivent les marabouts et qu'ils soient ce qu'ils ont toujours été. Que les lois du royaume redeviennent ce qu'elles étaient. Que la malédiction des dragons frappent ceux qui porteraient la main sur un marabout.
Sméloeb s'inclina. Soulagé, il rangea son arme.
- Bien, laisse-nous maintenant.
Quand il se fut éloigné le roi-dragon se tourna vers le marabout :
- Quelle est ton nom et ta parole pour moi ?
- Mon « non » est : refuse le mal. C'est pour cela qu'on m'appelle Monocarna. Mandihi est mon maître. Il a compris quand l'enfant a été enlevé que les temps arrivaient. Il a été là où le jeune dragon était et il lui a transmis ce qui pouvait être transmis. Maintenant Shanga est arrivé, il te faut retourner aux grottes pour y acquérir ce qui te manque.
- Que me manque-t-il Monocarna ?
- Le savoir ! Tu es né dans la famille du Prince-majeur dans la lignée des princes Louny. Ton père a disparu dans une chasse au crammplac et ta mère est morte de la fièvre des glaces. Tu es le successeur du Prince-majeur. Seulement tu es différent. Shanga a tout changé. Tu es le roi-dragon, héritier de la longue tradition des rois-dragons. Ton pouvoir est grand mais tu ne sais pas l'essentiel, tu ne sais pas ton nom.
Devant le regard interrogatif du roi-dragon, le marabout poursuivit.
- Il te faut aller aux grottes pour le recevoir. Il te faut y aller vite avant que le mal qui court dans ce pays ne finisse par les pervertir.
- Me guideras-tu ?
- Oui, mon roi, mais il faut partir.
- Nous verrons cela demain.
- Non, mon roi. Il faut partir tout de suite. Même si Sméloeb est fidèle, il se trouvera des gens pour ne pas l'être dans ces montagnes.
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