samedi 28 juillet 2012


Le temps était passé. La végétation avait beaucoup poussé. En bas de la plus basse des terrasses, un fort avait jailli. Les habitants de Tichcou, réquisitionnés pour l'occasion, avaient peiné en charriant de la terre sous la garde des soldats du roi. Une motte haute comme plusieurs hommes s'élevait au pied des terrasses.
A deux portées de flèches, à peine visibles dans la végétation, des guerriers du Grand Royaume, observaient la scène. Portant des panières, les paysans avaient construit une rampe de terre pour que les tracks puissent manœuvrer rapidement. Cachés derrière les épineux, Mlaqui et Ivoho avaient pour mission de planter ces arbustes que la Solvette avait montrés au Prince, des stifcacs à épines géantes. Ces plantes robustes et peu exigeantes quant au sol qui les accueillait étaient aussi efficaces que des remparts. Le chemin, au-dessus des terrasses était devenu depuis la bataille du dragon un labyrinthe composé de tiges aussi dures que le métal et aux pointes acérées qu'aucune charge ne pourrait passer. Ils n'étaient jamais plus de deux mains de guerriers, observant les troupes ennemies, composées d'une dizaine de mains de cavaliers et de leurs montures. Le chemin de Tichcou avait été agrandi, balisé, maintenant un tracks pouvait le parcourir en moins d'une demi-journée.
Mlaqui tapa sur l'épaule d'Ivoho et lui fit signe de regarder. Une charge de deux mains de cavaliers venait de partir du fort. Utilisant les rampes construites, elle atteignit la terrasse supérieure avec un maximum de vitesse. Arrivés à proximité de la montée rocheuse recouverte de stifacs, les cavaliers lancèrent leurs javelots et repartirent aussi vite que possible. Une flèche vola. Un homme tomba. Mlaqui et Ivoho entendirent pleuvoir les javelots autour d'eux sans qu'un seul ne traverse la barrière épineuse. Ils se replièrent. Le prince ne voulait pas avoir de perte. Le scénario qu'ils venaient de voir était bien connu. Quand le guetteur en haut de sa tour pensait voir quelque chose, une charge partait, lançait les javelots et repartait à bride abattue. Toujours attentif à ces moments-là, un archer se faisait un devoir de répondre. Si aucun guerrier du Grand Royaume n'avait été blessé, on ne comptait plus les cavaliers touchés. Mlaqui s'immobilisa, d'un geste, il intima à Ivoho d'écouter. Il y eut un sifflement et, à quelques pas devant eux, un « tchac » puissant, trop puissant pour un arc. Courant jusque là, ils découvrirent une flèche géante. Interloqués ils s'entreregardèrent. Un sifflement leur fit reprendre la marche. C'est le tronc qui encaissa le deuxième choc. Il se fendit en deux sous l'impact. A l'abri derrière un rocher, ils observèrent la tour. Tout en haut, ils virent un arc géant sur un support. Ils virent les hommes le bander à l'aide de leviers.
- Il faut prévenir le prince !

Quiloma après avoir écouté le rapport, s'était déplacé jusqu'à la vallée. Du haut d'un promontoire, il observait le fort. On voyait la forme arrondie de l'arc géant. Le guetteur s'agita. Quiloma était trop loin pour comprendre ce qu'il disait. Il n'en avait pas besoin. Il savait. Mlaqui était parti dans les haies d'épineux pour provoquer une réaction. Il vit les tireurs s'affairer autour de l'arme. La flèche fila vers le haut. Il en apprécia la vitesse et nota la courbe de vol. Il la vit se planter. Il vit aussi la deuxième flèche partir. Les cinq soldats qui servaient l'arc géant, savaient parfaitement ce qu'ils avaient à faire. Il la vit se planter dangereusement près de Mlaqui. Il siffla l'ordre de repli. Le guetteur fit alors des grands gestes pour montrer sa direction. Aussitôt, l'arme pivota pour se placer face à lui. Le trait jaillit. Quiloma regarda la flèche arriver. Il était très loin, pourtant il la vit atteindre l'éboulis dans lequel il se cachait. Lui-même se replia. Une ombre lui cacha le soleil. Le dragon...
Il leva les yeux pour suivre la silhouette qui volait assez haut. Il resta un moment à contempler le vol gracieux, toujours aussi fascinant pour lui. C'est en baissant le regard qu'il vit la flèche monter droit vers le dragon. Il eut peur, juste un instant. Le dragon était trop haut, il ne pouvait être atteint. La lourde flèche ralentit, bascula et retomba. Le grand saurien ne sembla même pas s'en apercevoir, il continua son chemin vers la plaine.

Chan réglait des problèmes de voisinage, comme chaque année. Il fallait arbitrer les droits de pâturages et de culture des différentes terrasses. Le prince étranger lui avait fait savoir par Sstanch que les zones les plus basses leur étaient interdites. Il n'avait pas posé de questions, mais devait faire face au mécontentement des uns et des autres. Même si elles étaient loin, ces terres fertiles allaient manquer. Le début de la saison était un peu trop chaud et surtout sans pluie. Si la sécheresse arrivait, on allait manquer de fourrage. Comme toujours Rinca râlait appuyé par Chountic. C'était toujours la même chose. Le maître de ville en favorisait certains et en oubliait d'autres. Leurs tiburs valaient bien ceux des autres et avaient besoin d'autant d'herbe. Sstanch les vit s'éloigner en critiquant ouvertement. Il venait annoncer à Chan un nouveau passage du dragon pas loin de la ville. Il semblait aller vers Tichcou. Ni Chountic, ni Rinca ne se rappelèrent qui avait eu l'idée en premier, mais c'était une bonne idée. Un homme bien entraîné pouvait conduire un petit troupeau de tiburs vers Tichcou. La qualité de leurs bêtes était bien connue des habitants. Cela permettrait d'avoir des nouvelles et de l'argent. Ils rencontrèrent Bistasio, qui depuis la mort de Bartone, n'avait plus de maître et vivait de petits travaux à droite ou à gauche. Il fut rapidement d'accord pour emmener une dizaine de tiburs par le chemin des crêtes pour les vendre au marché de Tichcou et ramener argent et information.

Sans rien dire à personne, Bistasio prit le chemin des pâtures orientales, où il réunit un petit troupeau de tiburs en choisissant avec soins les bêtes qui allaient pouvoir faire le voyage. Le tibur, bien qu'habitué à la montagne, n'avait pas l'agilité des clachs. Le chemin qu'allait suivre Bistasio portait le nom de chemin des crêtes. Un clach y aurait été à l'aise, un homme devait faire attention et un tibur encore plus. Bistasio avait pris sa décision quand Rinca lui avait laissé entrevoir qu'il l'adouberait dans son clan s'il réussissait la mission. Les bruits de la ville racontaient une bataille entre les guerriers blancs et les gens venus de Tichcou. Le dragon y aurait joué un rôle. Bistasio concevait le dragon un peu comme un loup, un prédateur plus gros, plus fort mais un animal pas si différent du tibur. Bistasio avait pris son meilleur snaff. Cette bête qu'il avait dressé lui-même était le meilleur snaff de la région. Il était capable de rassembler un troupeau de tiburs presque sans ordre. Agé de deux hivers, il ne craignait pas de se confronter avec les loups. Bistasio le siffla.
- Tsin, on y va.
Le snaff se mit à courir autour des tiburs pour les mettre en marche. Bistasio voulait arriver au col du passage avant la nuit. Une petite pâture pourrait l'accueillir avec ses bêtes. Il avait déjà fait trois fois le trajet vers Tichcou par la route des crêtes. Bartone avait parfois eu des besoins qu'il n'aurait pu satisfaire à la ville et Tichcou lui avait offert un choix plus intéressant. L'après-midi se passa sans souci. Le soir tomba doucement. Il vit au loin la ville s'enfoncer dans la nuit. Il préféra ne pas faire de feu. Il remit des mousses dans son pot pour ne pas risquer de se trouver en panne de braise, mais il mangea froid.
Quand le jour se leva, il regarda la vallée suivante qui s'ouvrait devant lui. Encaissée, bordée de falaises aux parois raides, elle était la première vraie difficulté pour son troupeau. Le snaff dut insister en mordillant les jarrets de tiburs pour qu'ils s'engagent sur le chemin en corniche. Bistasio ouvrait la marche, tâtant le terrain quand il le trouvait trop instable. En fait il progressa sans réelle difficulté à part le vertige. Le bruit de l'eau bondissant dans la gorge sous ses pieds, l'accompagnait. Lentement le chemin remonta vers les sommets. Il atteignit en milieu de journée une plateforme à cheval sur une crête. Arrivé là, Bistasio s'arrêta. Le chemin s'interrompait presque. Il ne faisait plus qu'un demi-pied de large. Jamais un tibur ne pourrait passer par là. Il siffla son snaff. Lui caressant la tête, il lui donna l'ordre de garder le troupeau en l'empêchant de repartir en arrière. Lui-même s'accrochant à la paroi, passa en faisant rouler des cailloux dans le vide. Le bruit des pierres tombant se répercuta longtemps en dessous de lui. Il marcha un millier de pas avant de se retrouver dans un bois. Il sourit. S'emparant de sa hache, il s'attaqua à un arbre. Quand il eut coupé assez de branchages, il repartit en arrière tirant derrière lui les branches. Il sua sang et eau pour les mettre en place. Il n'eut fini qu'à la nuit. Il bivouaqua sur la plateforme à côté des tiburs, préférant attendre le jour pour se lancer dans la traversée. Sa nuit fut peuplée de cauchemars de tiburs chutant dans le vide. Le soleil le réveilla, il tremblait dans le froid du matin. Quand Tsin s'aperçut de son réveil, il vint chercher sa ration de caresses. Tout en mangeant son gruau, Bistasio regarda les tiburs d'un air songeur. Son rafistolage allait-il tenir sous le poids d'un tibur? Il passa un lien de cuir autour du cou du premier tibur. Il avait choisi le plus lourd, se disant que si celui-ci passait, tous les autres pourraient suivre. Il siffla son snaff, lui donnant l'ordre de le suivre. Il passa la partie qu'il avait réparée. Le lien de cuir se tendit. Le tibur renâclait, se refusant à mettre les sabots sur cet empilage de branches. Tsin gronda derrière lui sans le faire bouger. Bistasio siffla des ordres. Tsin s'attaqua aux jarrets du tibur. Ce dernier beugla et passa au galop. Bistasio prit peur en le voyant arriver si vite. Il se colla contre la montagne pour le laisser passer. Il n'essaya pas de le freiner courant derrière lui. Il ne put le contrôler qu'à son entrée sous la futaie. Le sentant se calmer, il le laissa là, repartant pour recommencer la manœuvre. La journée passa comme cela. Les autres bêtes voyant que le mâle dominant était passé, firent moins de difficulté pour s'engager sur le pont de bois. Il revint pour la dernière fois, réfléchissant à la manière de s'y prendre pour rassembler les tiburs qui s'étaient dispersés dans le bois. Si une horde de loups traînait par là, il allait perdre toutes ses bêtes. Il attacha la dernière femelle. De nouveau, comme les autres, elle marqua un temps d'arrêt devant l'enchevêtrement de branches et de feuillage. Tsin qui avait bien compris la manœuvre gronda en lui mordillant le jarret droit. Elle beugla un coup et s'élança sur les troncs. Glissant sur une bouse, elle perdit son appui antérieur. Elle se récupéra en partie en s'agitant posant les pattes d'une manière de plus en plus désordonnée. Bistasio la vit perdre l'équilibre, glisser, et chuter. Il n'eut même pas le temps de lacher le lien avant d'être attiré vers le vide. Il tomba à son tour. S'étalant de tout son long sur le chemin, il se cogna le menton sur le sol. Il perdit connaissance. C'est Tsin qui le réveilla en le léchant. Se frottant le menton, Bistasio regarda la gorge en dessous de lui. Il ne vit rien qui ressemble à une carcasse de tibur. Jurant tout bas, il descendit le chemin vers le bois accompagné de son snaff. Arrivé à l'orée de la forêt, il le lança à la chasse aux tiburs pour les rassembler. Il profita du temps libre qu'il avait pour faire du feu. Ce soir, il mangerait chaud. Bon chasseur, il avait préparé des collets qu'il avait posés plus tôt dans la journée. Il fut heureux de voir qu'il y avait du gibier qui l'y attendait.
Au troisième jour, il traversa des zones boisées entrecoupées d'éboulis où les tiburs renâclaient. Vu sa vitesse, il se dit qu'il lui faudrait encore au moins deux fois ce temps pour arriver à Tichcou. Il apprécia cette journée plus calme. La nuit le surprit dans une petite combe. Il entrava ses bêtes pour qu'elles ne se dispersent pas. Il entendit un hululement qui le mit mal à l'aise. Si les loups se mêlaient à son voyage, l'issue en devenait incertaine. Il repassa dans sa mémoire, le reste du parcours. Après cette combe, il lui fallait remonter sur la crête suivante, passer sur la pente nue du mont pelé et redescendre dans la vallée de Tichcou en empruntant une trace plus qu'un chemin qui descendait brutalement vers le fond de la vallée. Il dormit mal encore une fois, se réveillant plusieurs fois. Il alimenta régulièrement son feu. La nuit fut calme malgré ses craintes. Avec le jour, il remonta vers la crête qui conduisait au mont pelé. Il n'y avait pas vraiment de chemin mais les arbres assez espacés à cet endroit lui permettaient de ne pas perdre ses repères et d'aller dans la bonne direction. Il remarqua que les tiburs devenaient nerveux et que Tsin devait les ramener de plus en plus souvent dans la bonne direction. Il siffla des ordres à son snaff et partit en avant. L'autre côté de la crête avait cet aspect pelé qui avait donné son nom à la montagne. Le soleil y était brûlant. Il observa longuement. Rien ne semblait bouger. Le vent venait face à lui. Il se dit que c'était un signe favorable. S'il y avait une meute de loups, elle ne les sentirait pas.
Au loin, il vit un mouvement. Il plissa les yeux. Un troupeau, ça devait être un troupeau de clachs. Il grimaça. Des loups chassaient-ils les clachs? L'idée ne l'arrangeait pas. Il observa encore un moment. Le déplacement des bêtes ne semblait pas hâtif. Il entendit les tiburs arriver derrière lui. Leur souffle puissant signalait l'effort qu'ils faisaient pour grimper. Bistasio les laissa un peu se reposer avant d'entamer la traversée de la pente du mont pelé. Il en profita pour sortir de ses musettes de quoi se restaurer. Il contempla le paysage. Il n'était pas à l'aise. Le mont pelé avait mauvaise réputation. Les légendes disaient qu'il avait existé une époque où le mont pelé n'était pas désertique comme cela. Cela remontait à l'époque des combats entre Cotban et Sioultac quand Wortra se mêlait encore de ce qui se passait à la surface. Le mont pelé avait été le lieu de la dernière grande bataille. La région ne ressemblait pas à ce que Bistasio voyait devant ses yeux. Les légendes parlaient d'un plateau boisé. Cotban chauffait de plus en plus la région, jaunissant les feuilles avant leur temps. Les arbres en avaient alors appelé à Sioultac. Celui-ci comme à son habitude, avait répondu avec colère, lançant ses forces de nuages et de froid contre les hommes noirs de Cotban qui colonisaient la région petit à petit. La vague de froid avait fait beaucoup de morts. Les charcs eux-même, n'arrivaient pas à faire disparaître tous ces corps. Cotban avait répondu par un ouragan géant, Sioultac avait hurlé son blizzard. La vie sur la terre devenait infernale. Wortra s'en mêla. Poussant la terre devant lui, il fit monts et vallées coupant vents et blizzards. La légende dit que c'est sur le mont pelé que se concentrèrent ouragans et blizzards, lui arrachant sa couverture d'arbres sans pour autant le réduire à néant. Il ne restait du sol que cet amas de cailloux gris, chauffés à blanc face au soleil, glacés comme la mort sur l'autre face.
Bistrasio rangea ses affaires, se leva du tronc d'arbre tombé qui lui avait servi de siège et s'orienta vers la pente chaude du mont pelé. Il resta en alerte en entendant les tiburs renâcler à repartir dans cette direction. L'image des loups lui traversa l'esprit. Il ne voyait rien d'anormal devant lui. Le vent faible portait-il une odeur qu'il ne sentait pas mais à laquelle les bêtes étaient sensibles? Tsin faisait son travail en poussant les tiburs devant lui. Ils s'engagèrent avec peine sur la pente de cailloux roulant qui composaient le flanc du mont pelé. Ils gagnèrent une trace plus nette que les autres qui offrait une place plus sure pour poser leur sabot. En ce début d'après-midi, la chaleur était forte. Bistasio s'arrêta un instant, le temps de quitter sa pelisse et de l'attacher sur ses musettes. Ce furent les cris de Tsin qui lui firent lever la tête. Les tiburs refusaient d'aller plus loin. Le grand mâle faisait face au snaff et baissait la tête en tapant les pierres de ses antérieurs. Bistasio regarda derrière eux sans rien voir d'anormal. La pente caillouteuse abrupte filait en bas vers un quelconque précipice et prenait naissance en haut au pied d'une falaise de roche friable percée de cavernes. Y avait-il quelque chose là-haut? Bistasio se dirigea vers le troupeau pour aller aider son snaff. Il avait à grand peine passé un licol au grand mâle quand un bruit de cailloux roulant dans la pente le fit se retourner. Des loups ! Il lâcha le licol pour prendre son solide bâton pointu dans une main et son couteau dans l'autre. Les tiburs, eux aussi, avaient repéré la meute. Faisant demi-tour dans un grand bruit de cailloux ébranlés, ils partirent au galop. Le snaff vint se ranger contre la jambe de son maître en découvrant ses crocs.
- Non, Tsin, les tiburs, garde les tiburs!
Le snaff lui jeta un coup d'œil et partit à la suite du troupeau, laissant Bistasio faire face aux loups. Ceux-ci avançaient avec précaution. La proie était à leur portée. Il ne fallait pas se presser. Les cailloux pouvaient être de redoutables ennemis. Bistasio recula. Se retournant parfois pour voir le chemin qu'il suivait en marche arrière. Il avait fait ainsi deux bonnes dizaines de pas en arrière quand il vit le grand loup qui s'approchait de lui, s'arrêter et humer l'air. Il y eut un moment de flottement dans la meute. Bistasio le mit à profit pour continuer à s'éloigner, il se retourna même pour courir. Dans la pente au-dessus de lui deux loups se mirent en mouvement pour l'attraper. Les pierres se mirent à bouger. Le bruit s'amplifia au fur et à mesure que plus de cailloux dévalaient la pente. Bistasio entendant la cataracte de pierres se rapprocher de lui, sut qu'il ne pourrait pas se sauver. Il planta ses deux pieds dans le sol et fit face levant bien haut son bâton. Ce qu'il vit le laissa sans voix. Les deux loups qui le pourchassaient étaient en flamme. Hurlant, ils se roulèrent par terre, déclenchant une véritable avalanche. Le pierrier se mit en mouvement. Bistasio fut entraîné vers le bas. Tombant face contre terre, il tenta de planter son bâton et son couteau. Le bâton ne résista pas et se cassa. Les pierres autour de son couteau furent animées du même mouvement que les autres et partirent dans la pente. Bistasio se sentit prendre de la vitesse. Au loin, il vit les tiburs et Tsin parvenus à la limite de la forêt. Un bref sentiment de soulagement le saisit en pensant à son snaff qu'il avait recueilli tout petit pour l'élever. Bébé surnuméraire et chétif, il n'aurait pas survécu sans son aide. Bistasio l'avait nourri lui-même et lui avait appris tout ce qui en faisait le snaff exceptionnel qu'il était aujourd'hui. Il revint à la réalité, toujours allongé, il était transporté comme un frêle esquif sur une mer de pierres en furie. Le bruit était assourdissant. Il pensa à la barre rocheuse en dessous. Il allait aller s'écraser en bas. La peur lui tenailla le ventre. Toujours plus vite, il se sentit voler. Sentiment étrange qui lui aurait plu s'il ne signifiait sa mort prochaine. Il ferma les yeux.
Une main géante le saisit. Ouvrant les yeux, il vit l'ombre gigantesque au-dessus de lui. Ce qu'il avait pris pour une main était en fait une serre gigantesque. Bistasio vit le paysage d'en haut. Le mont pelé étendait ses pentes désolées sous ses yeux. Les griffes qui l'entouraient, le pressaient sans exagération. Il regarda cette patte couverte d'écailles rouges qui semblaient aussi brillantes et dures que les pointes des flèches des guerriers du froid. Le battement puissant des ailes du dragon les emmena vers le haut du mont. Le dragon avec sa charge, atterrit avec légèreté devant une grotte au-dessus du chemin que Bistasio et ses tiburs avaient suivi. Bistasio se retrouva debout à l'entrée d'une grande grotte.
- Je n'aime pas le goût des loups.
Bistasio regarda, sidéré, le dragon qui nettoyait ses griffes. Sa voix était aussi douce que lui était gros.
- As-tu un nom être debout?
- Je m'appelle Bistasio.
- Tous les êtres debout ont-ils un nom, être debout Bistasio?
- Oui, enfin je crois, je n'ai connu personne sans nom.
- Ta réponse est intéressante, être debout Bistasio. Toutes les choses et tous les êtres ont-ils un nom?
- Non, par exemple, mon snaff a un nom, les tiburs ont un nom, mais les clachs de la montagne, les loups, les arbres n'ont pas de nom propre.
- Et moi, alors, être debout Bistasio, quel nom me donnes-tu?
- Vous êtes un dragon.
- Est-ce un nom propre, être debout Bistasio?
- Non.
- Alors pour toi, je suis comme un loup ou un tibur.
- NON!
- Je sens ta peur, être debout Bistasio. Dans le lieu où tu habites, tout le monde a-t-il un nom?
- Oui, dans la ville, tout le monde a un nom.
- Des gens étrangers sont arrivés avec la neige là où tu habites. Avaient-ils un nom?
- Oui, mais je ne le connaissais pas. Le prince étranger le connaissait.
- Alors je pourrais avoir un nom que tu ne connaîtrais pas.
- Oui, Maître dragon.
- Tu m'appelles maître, être debout Bistasio. Est-ce un nom?
- Non, c'est parce que vous êtes au moins aussi fort et aussi puissant que le maître de ville qui nous dirige.
- L'enfant des étrangers avait-il un nom?
- L'enfant est mort, Maître dragon.
- Ta parole est vraie et pourtant elle contient le mensonge, être debout Bistasio.
Le dragon qui avait la tête à hauteur du visage de Bistasio, se releva brusquement. Il se tourna vers l'extérieur et souffla brutalement le feu dans la pente. Bistasio sursauta et se mit à trembler. A discuter avec le dragon, il en avait presque oublié le danger.
- Je n'aime vraiment pas ces loups, dit le dragon en se retournant vers Bistasio. On parlait de mensonge, être debout Bistasio.
Bistasio se sentit se liquéfier sous l'œil couleur or du grand saurien. Il lui raconta tout ce qu'il savait sur tout et tous.

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