lundi 15 octobre 2012

Quiloma avait décidé. Il fallait se préparer à la guerre.
Tandrag, à son retour, avait rejoint la forge. Son récit et celui des autres avaient circulé dans la ville. Ils étaient malheureusement rentrés trop tard pour empêcher le départ de l'autre phalange. Un émissaire était parti rapidement pour essayer de la rattraper. Sioultac en avait décidé autrement. La tempête avait cloué aux abris tout le monde. Le messager était revenu quelques jours plus tard plus mort que vif. La Solvette avait dû se résoudre à l'amputer de tout ce qui avait trop gelé.
Pendant quelques jours, tout le monde commenta ce qui se passait, ce qui devait être fait ou pas fait. Il y avait ceux qui étaient favorables à la bataille, il y avait ceux qui préféraient fuir et au milieu beaucoup qui souhaitaient que rien n'arrive dont Chan.
- Croyez-vous, maître-sorcier Natckin, qu'on aura la guerre ?
- J'ai fait un rite de divination. Son résultat m'a surpris. J'ai demandé au Maître Sorcier Kyll de m'aider. Il a aussi fait un rite. Les esprits lui ont dit comme à moi. Il n'y a qu'un chemin et il est noir.
- Ils ne peuvent pas nous aider pour savoir comment éviter cela ?
- Maître de ville, les esprits ne sont pas à notre service. Ils acceptent de nous montrer ce qu'ils veulent bien ou qu'ils peuvent nous montrer. Ils n'ont pas la puissance pour agir sur le cours des choses. Seuls les grands esprits comme Sioultac ou Cotban pourraient influer.
- On peut les prier, leur faire des sacrifices, enfin faire quelque chose !
- Tu es encore dans l'erreur, Maître de ville. Ils vivent dans un monde qui n'est pas le nôtre et leurs idées sont aussi éloignées de nous que les nôtres sont éloignées de celles des insectes.
- Ils ont dit si le chemin deviendrait plus clair ?
- Non, ils ne savent pas eux-mêmes. Ils voient l’empreinte du combat des dieux. Hut, le fondateur, lui-même a peur. Il a fondé la ville pour fuir la guerre et la guerre arrive. Le Maître-Sorcier Kyll m'a dit que son esprit refuserait de répondre à partir de maintenant.
Tandrag avait entendu une partie de leur conversation par hasard. Venu livrer des outils, il avait un peu traîné en route. Il arrivait à un carrefour quand il avait entendu les voix de Natckin et de Chan. Il s'était arrêté pour écouter et les avait vus passer devant lui sans le voir. Il repartit vers la forge perplexe. Il ne comprenait pas bien ce que tout cela allait impliquer.
Quelques jours après les ordres étaient arrivés. Tout le monde allait être mis en armes. Les plus jeunes comme Tandrag devaient rejoindre Montaggone. Les plus âgés et les femmes avaient pour mission de s’entraîner à domicile et sur leurs lieux de travail. La vie de la ville avait considérablement changé en quelques jours. Même les sorciers étaient enrôlés. C'est là qu'ils avaient pu mesurer les limites de leur pouvoir sur Quiloma. Le prince avait décidé de ne pas se priver de ces soldats potentiels. Chan et Natckin avaient tenté de négocier avec Quiloma. Il s'était montré inflexible. Les sorciers jeunes feraient comme tout le monde. L'arrivée de Kyll lui avait fait lâcher du lest. C'est ainsi que Natckin, Tonlen, Tasmi et quelques autres avaient été exemptés.
Ils avaient longuement discuté avec Kyll avant que celui-ci ne reparte à la grotte de la médiation.
Tandrag avait entendu parler de leur déception. Le Maître-Sorcier avait annoncé la nécessité de finir une mission de la plus haute importance pour l'avenir. Tandrag avait même eu droit au mime de Kyll par Chamnoul : « Je ne sais si nous survivrons, mais je suis seul responsable de ce qui doit être fait pour que nous vivions. ». Nul ne savait ce qu'il avait voulu dire mais tous désapprouvaient son départ. Les réactions allaient d'un silence gêné à une accusation franche de lâcheté. Tandrag était un des rares à oser dire que le Maître-Sorcier devait avoir de bonnes raisons.
Le quotidien était fait d'exercices, d'entraînement, de patrouilles de manière ininterrompue. L'autre endroit sans repos était la forge qui fonctionnait sans discontinuer pour fournir des armes.
Quiloma autorisa la fête de la dernière neige. On s'y amusa peu. Beaucoup se saoulèrent pour oublier ce qui était annoncé. Plus la saison avançait et plus le risque augmentait. Tandrag s'était isolé dans un coin avec un pot de malch. La nuit tombait quand Sabda vint s’asseoir à côté de lui.
- Tu restes seul en ce soir de fête.
- La guerre ne me fait pas rêver.
- Moi non plus ! Ma mère dit qu'on ne pourra pas l'éviter. Elle sent de grandes forces à l’œuvre.
- Et toi qu'en penses-tu ?
- Les charcs sont énervés. Ils surveillent le dragon.
Le cœur de Tandrag fit un bond dans sa poitrine à l'évocation du dragon.
- Comment est-il ?
- Il a encore grandi. Les guerriers blancs disent qu'il est grand comme dans les légendes.
- Cela fait longtemps que je ne l'ai pas vu.
Sabda nota la note de tristesse dans les paroles de Tandrag. Celui-ci but un peu de malch. Prenant conscience de Sabda à côté de lui, il lui en proposa.
- Merci Tandrag, mais ma mère ne veut pas. Et elle a raison. Je perds ma sensibilité pour lire les signes...
Tandrag se redressa, semblant se rappeler quelque chose. Il fouilla dans sa musette. Sabda le regarda faire.
- Tu m'avais dit de faire un piège à rêves avec un toile-piège de noirefileuse, dit Tandrag en sortant le rameau de spimjac qu'il avait soigneusement conservé entre deux larges feuilles. Je le porte toujours avec moi depuis cette première patrouille. Tu pourrais me dire ce que cela veut dire ?
Sabda prit l'anneau avec la toile-piège que lui tendait Tandrag. Dans la lumière du soir, elle regarda les entrelacements de fils. Elle fit tourner l'anneau, dans un sens puis dans l'autre, le mit entre elle et la lumière. Elle se gratta la gorge.
- Alors ? fit Tandrag.
- C'est difficile... Ton rêve parle de puissance... de la tienne... mais pour y arriver, il te faudra traverser des épreuves... je ne sais pas bien lesquelles...
Tandrag était suspendu aux lèvres de Sabda qui continuait à jouer avec le piège à rêves.
- C'est un rêve puissant que le tien... Il est encore inscrit dans la toile-piège malgré tous ces jours. Il te faudra rencontrer le dragon, et l'affronter...
- Affronter le dragon ? Mais je ne pourrai jamais !
- Affronter n'est pas le mot exact mais je ne sais pas le mot... Il faut... Il faut... NON !!!
Sabda sauta sur ses pieds et prit ses jambes à son cou avant que Tandrag eut compris.
- Et Knam ! dit Tandrag en ramassant le piège à rêves. Il le rangea soigneusement dans sa musette. Il se rassit et se remit à boire. Affronter le dragon : l'idée était délirante. Comment pouvait-on affronter ce dont on rêvait ?

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