vendredi 25 janvier 2013

Le feu changea Schtenkel, doucement, très doucement. Il commença par réparer sa bicoque, petit à petit, en expliquant à Névtelen qu'il ne voulait pas qu'on voie son feu toujours allumé. Il ne voulait pas qu'on le prenne pour un sorcier. Il avait commencé par la face visible depuis la rue. Il avait utilisé des branchages en les entrelaçant dans les trous. Profitant du feu, il avait pu faire dégeler la terre et avec cette boue, il avait bouché les fissures. Était-ce l'odeur qui se réveillait avec la chaleur ? Ou bien prenait-il conscience de sa saleté repoussante parce qu'il buvait moins ? Ce que les autres remarquèrent, ce furent les changements dans son habillement. Buvant moins, il lui resta de l'argent qu'il utilisa pour se racheter des habits plus propres. Au Milmac blanc, les uns et les autres prirent conscience qu'il s'était passé quelque chose entre les deux hommes. Schtenkel parlait à Névtelen de temps à autre et il l'appelait : « le chasseur ». Michta regardait cela d'un mauvais œil.
Que savait Schtenkel que les autres ignoraient ? Elle posa la question à Névtelen.
- Qui t'es ?
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Ben oui, qui t'es toi ? T'arrives un jour, comme ça, personne n'te connaît. T'as pas la tête des gens du coin et puis l'vieux Schtenkel qui t'cause alors qui cause à personne.
Névtelen sentit la défiance dans le ton de la voix. On était loin de l'accueil du début. En même temps, il vit que les autres employés du Milmac blanc les regardaient.
- Je suis qu'un pauvre trappeur avec la tête remplie d'images étranges dont je ne sais même pas si je les ai vues ou rêvées...
Il n'eut pas le temps d'aller plus loin dans ses explications, Crachtal entra rouge de colère. Ce fut un sauve-qui-peut général. Nul ne tenait à savoir l'origine de l'ire du patron mais tous en connaissaient les possibles conséquences pour leur dos. La seul chose dont Crachtal n'était pas avare, était le fouet. Névtelen et Michta se retrouvèrent dans son point de mire. L'un parce que les tiburs s'étaient détachés et l'autre parce qu'elle rêvassait avec Névtelen au lieu de trimer pour celui qui la faisait vivre. Névtelen se dépêcha d'aller vers les écuries. Il ne comprenait pas comment les tiburs avaient pu se détacher. En partant, il entendit Michta se défendre face à Crachtal en lui parlant du mauvais œil. Les paroles du patron claquèrent comme un fouet :
- Quand deux traîneurs de poisse se rencontrent, que veux-tu avoir à part de la poisse !
Les relations se dégradèrent petit à petit entre Névtelen et les gens du Milmac blanc. Cela se passa sans véritable crise. Petit à petit, il se retrouva en dehors des réunions, des échanges. Il n'était plus au courant de ce qui se disait, des petits potins de la ville et de l'auberge. Seul Crachtal ne changeait pas. Il était toujours aussi mauvais. Ses cris retentissaient avec la même vigueur dans tout l'établissement.
Avec la mort de Yas et les batailles qui avaient suivi, Tichcou n'était pas très gaie en cet hiver. Si le bois ne manquait pas, les provisions étaient justes. Les troupeaux de tiburs furent mis à contribution plus qu'à l'accoutumée. La neige qui tombait en abondance, rendait la chasse aléatoire. Comme si cela ne suffisait pas, les chasseurs revenaient souvent bredouilles accusant une meute de loups et de loups noirs qui plus est, de décimer le gibier. Les militaires en avaient fait le centre de leurs discussions au comptoir. Le commandant de la place avait tenté de motiver ses hommes pendant une période d'accalmie en leur promettant une récompense s'ils ramenaient une peau de loup et une double récompense si elle était noire. Ils étaient rentrés harassés et les mains vides. Si les traces étaient nombreuses et fraîches, les traques n'avaient rien donné. Quant aux pièges, les seuls animaux à s'être fait capturer avaient été une équipe de chasseurs rentrant en ville...
Crachtal était bien le seul à être moins mécontent qu'à l'accoutumée. Le Milmac blanc connaissait une certaine affluence. Les soldats pouvaient s'y occuper sans attirer les foudres de leurs supérieurs. Quant à ceux-ci, quand ils venaient, ce qui était rare, ils devisaient à une table à part, essayant de percevoir qui, des différents généraux, prendrait le pouvoir. La discussion était toujours animée. Étaient restés des éléments des quatre armées. Avant l'arrivée de Névtelen, l'annonce de la victoire d'Altalanos sur Lujàn avait donné lieu à des bagarres entre les différents protagonistes. Sagement les commandants des deux unités avaient passé un accord. Vu le rapport de force locale, ce fut un fidèle de Lujàn qui prit le commandement conjoint. Il était le plus gradé, le plus écouté et il accepta que son autorité fut secondé efficacement par le colonel fidèle à Altalanos.
On était passé de quatre clans à trois, puis de trois à deux quand les nouvelles d'un rapprochement des Izuus et du général Saraya avait changé la donne. Si au début de l'hiver, un pacte de non agression avait été passé entre les quatre camps, il devint évident à tous que la situation ne tiendrait pas jusqu'au printemps sans bagarre. Dans le fort la séparation devenait palpable. Par petits déménagements successifs, on était arrivé à ce que le côté des casernements au soleil levant soit réservé aux troupes loyales envers Saraya, le couchant accueillant les autres. Au Milmac blanc, ce fut pareil chaque camp avait son côté. Les bagarres y étaient fréquentes mais tacitement sans arme.
La tempête soufflait depuis plusieurs jours quand l'impensable arriva...

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