dimanche 17 janvier 2016

Les mondes noirs : 17

Les jours qui suivirent furent difficiles. Quotidiennement un vol de ces scorpions volants faisait une incursion dans le royaume. Malheur à celui qui n’était pas à l’abri. Chamli préparait de nouveau son départ avec la quarantaine de mâles qui allaient partir. On leur préparait des armures de cuir durci recouvrant tout le corps y compris visage et mains. Ils étaient confinés dans un des sous-sols du palais. La seule lumière venait de lucarnes en haut des murs. Quand sonnait l’alarme, il fallait vite mettre un volet pour bloquer le passage des scorpions volants comme tout le monde les appelait maintenant. On avait prévenu les clans. Celui qui partirait aurait droit à un seul ou une seule aide, à eux de porter leur nécessaire. Les clans rechignaient à désigner leur candidat. Il fallut que la reine menace pour qu’ils obéissent. Même Dame Érausot, qui avait envoyé les provisions rapidement, prit son temps pour désigner le mâle qui devait partir. Plus de vingt mâles et leurs aides étaient arrivés, quand quelques amazones venues des petits clans vinrent se joindre à eux. Tout le monde savait que les petits clans n’avaient pas assez de mâles pour féconder celles qui devaient l’être. Chimla se demandait si ce n’était pas ce qui arrivait au clan bleu. Elle espérait ne pas voir arriver une des amazones. Chavda en avait fait de vraies machines à tuer. Elle fut à moitié rassurée en voyant se pointer avec un gros sac, Tordak. C’était un de ces mâles de l’ancienne génération. Chimla pensa que la reine se mettrait en colère en apprenant cela. Tordak n’était plus tout jeune. Dame Longpeng ne l’aimait pas plus que ça. Il était considéré comme un combattant moyen. On ne l’avait jamais vu briller dans un combat. En sa faveur, on pouvait noter qu’on ne lui connaissait pas de blessure. Chimla le vit dès son entrée. Il demanda où il devait se mettre, on lui désigna le coin où Chimla avait mis ses affaires. Il arriva près d’elle sans se presser. Son visage n’exprimait ni joie, ni peine, ni colère, ni rien d’ailleurs. Il la regarda comme on regarde un objet :
- On m’a pas laissé le choix, lui dit-il. Les autres ont mieux manœuvré que moi. Alors je vais être franc avec toi… Tu me fous la paix, je te fous la paix. J’ai déjà porté mon barda. Je peux encore le faire. Celui qui a été mon maître d’armes, avant que toutes ces femelles s’en mêlent, m’a toujours appris à me débrouiller.
- Parfait, répondit Chimla. Ça me va. Qu’aurai-je à faire pour toi ?
- Fais voir ton sac !
Chimla lui montra ses affaires. Tordak regarda les différents objets. Il fit deux tas.
- Ça, dit-il en désignant le plus gros, tu peux prendre. Le reste, tu jettes.
Chimla fit la grimace. Il y avait là des choses auxquelles elle tenait.
- Et si je garde tout ça ?
- Alors tu seras bientôt morte. Déjà je ne suis pas sûr que ce qu’on emporte soit adapté. Ils rêvent là-haut, dit Tordak en montrant le plafond, en croyant que nous ne serons partis qu’une vingtaine de jours… Il va falloir survivre et pas comme ici. Non, non, dans les mondes noirs, c’est ta vie que tu joues à chaque instant.
- Alors personne ne reviendra !
- J’suis pas devin. Ce qui est sûr, c’est que j’ai pas envie de mourir. Tous les autres se croient très forts. Ils vont voir. Les mondes noirs ne sont plus repoussés. Ces pauvres fous pensent qu’avec quelques torches et beaucoup de prières, ils vont y arriver. Moi, j’ai été jusqu’à l’escalier de lumière et bien… la mousse est sur la troisième marche et c’est pas fini.
Chimla eut un regard de peur.
- Au moins, tu réagis sainement… T’as peur ! Les autres y pensent qu’on va gentiment leur ramener Karabval et la source de la puissance…
- Mais on part pour ça ! le coupa Chimla sur un ton sec qui fit se retourner les autres.
Tordak lui jeta un regard mauvais. Il attendit que les autres se détournent, en posant son sac et en sortant ses affaires. Chimla remarqua que, hormis des armes, il n’avait pas grand chose. Tordak reprit à voix plus basse :
- Apprends à être discrète ! Tu ne gagneras rien à te faire remarquer. Moi, j’ai pas confiance dans toutes ces femelles qui nous gouvernent. J’ai été voir là où plus personne ne va...
Comme Tordak laissait du silence, Chimla se demanda de quoi il parlait.
- Aujourd’hui, il est de bon ton de jeter tous les vieux machins aux orties, mais il y eut un temps où on leur accordait de l’importance. Quand j’étais un gamin dans le clan mauve, avant qu’on me donne au clan bleu, on m’a appris les livres. J’ai été, avec celui qui nous enseignait, lire dans les vieux grimoires l’histoire du royaume.
Chimla prit un air ahuri.
- Pourquoi s’embêter avec toutes ces vieilles choses ?
- C’est ce que vous dites, vous les jeunes. Mais dis-toi bien, qu’on y apprend mille choses utiles et que les autres là-haut, dit-il en désignant encore le plafond, feraient bien d’aller voir ce qu’ont fait le roi Draout ou la reine Verkas…
- Pourquoi tu ne leur dis pas ?
- Parce que je suis considéré comme un vieux fou qu’il vaut mieux envoyer dans les mondes noirs.
La conversation s’arrêta avec l’alarme. Tordak vit tout le monde se précipiter pour fermer les volets. Bientôt on entendit le bruit des chocs des insectes qui venaient taper sur les volets comme s’ils savaient que des hommes étaient derrière.

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