Lyanne avait pied. Il marcha dans l’eau rejoignant un banc de sable un peu plus loin. Il repéra un monticule un peu plus loin et s’y dirigea. Il marchait alternativement dans l’eau et sur le sable dérangeant à l’occasion un certain nombre de bestioles qui y avaient trouvé refuge.
Un gros lézard s’enfuit en sifflant quand Lyanne monta sur le sommet de la butte. Il dominait la région. La rivière s’étalait formant une sorte de lac aux multiples îles. Il repéra assez loin une ligne de rupture comme si le paysage disparaissait. La mer devait être par là. Il se mit en marche dans cette direction. L’eau s’étalait sous ses pas. Il ne savait jamais ce qui venait après le prochain repli. La rivière formait un vaste lacis de canaux qu’il devait traverser les uns après les autres. Il s’enfonçait parfois jusqu’au genou. La plus souvent, l’eau lui recouvrait seulement les pieds gênant à peine sa progression.
Il entendit la cataracte avant de la voir. Il suivait le courant qui avait repris de la vitesse quand il lui parvint le bruit de l’eau qui tombait.
C’est à ce moment-là qu’il les vit. Le groupe semblait émerger de la terre. Eux le virent aussi. Le premier leva le bras. La main était ouverte et ne portait pas d’arme. Lyanne répondit de même et dirigea ses pas vers eux. Ils étaient une dizaine qui s’étaient mis au travail. En approchant, Lyanne découvrit qu’ils bougeaient des pierres pour fabriquer une digue pour contenir l’eau qui avait trouvé un chemin. Avec un sourire, il se mit à les aider. Leur langue avait des tonalités rauques comme le relief. En les écoutant, il apprenait. Il aidait à construire une défense contre la rivière qui avait emprunté le sentier escarpé qui plongeait dans la faille. Il se rapprocha du bord pour mieux voir ce qui était en dessous. Le plateau était échancré à cet endroit. Il repensa à ce qu’il avait vu en volant. La mer ne devait pas être loin et un village Cousmain devait être en dessous. Dans le babillage de ceux qui l’entouraient, Lyanne avait compris qu’avec la pluie, un véritable ruisseau envahissait le village en ravinant tout. Ils étaient montés pour refaire le mur qui s’était effondré. La rivière n’avait pas atteint ce point depuis au moins deux générations. Si les dieux bénissaient ainsi ce temps, c’est que quelque chose de bon se préparait pour les Cousmains. Lyanne était maintenant au bord du plateau. D’autres personnes montaient et, sans plus de question, se mettaient au travail dès leur arrivée. Ils furent nombreux en fin de journée à aider à la réfection du mur. L’eau maintenant ne passait plus. Il sentit leur joie.
- Viens, homme-oiseau, nous allons fêter la pluie et ton arrivée.
L’homme qui avait parlé, était petit et carré d’épaules. Lyanne l’avait vu bouger des rochers impressionnants. Sa force ne faisait aucun doute. Les autres lui avaient obéi sans discuter.
- Ainsi tu sais qui je suis, répondit Lyanne.
- Ton manteau est à nul autre pareil. Seuls les hommes-oiseaux savent faire ces manteaux. Nos légendes parlent d’eux, mais tu es le premier que je vois de mes yeux.
- Vos légendes parlent des hommes-oiseaux.
- Oui, ils venaient pour chercher un guide et poursuivre leur quête.
Ils parlaient tout en descendant le chemin que la boue rendait glissant. À certains passages, on avait tendu des cordes pour éviter les chutes. Lyanne pensa à ses montagnes d’enfance et à tous ces chemins escarpés qu’il avait parcourus. Au fond, se nichait le village. Les maisons, à moitié troglodytes, s’étageaient tout le long des parois.
- Où sommes-nous ici, demanda Lyanne.
- Mon village s’appelle Rémaï. Les hommes y sont braves et les bateaux solides.
Lyanne, pour sa part, constata que, hormis le chef du village qui semblait avoir gardé sa carrure, les hommes étaient maigres et les baraques bien délabrées.
- Les saisons dernières ont été peu favorables, dit-il. La pluie vous sera une aide.
- Je ne te cache pas que nous avons connu de meilleures années. La dernière razzia date d’avant la saison des tempêtes. Avec toute cette eau sur le plateau, nous pourrons cultiver.
L’homme s’arrêta, regarda Lyanne dans les yeux et ajouta :
- Ta venue est bénédiction. Mon village deviendra un grand village. Les autres chefs vont m’envier.
Ils étaient maintenant à côté des bateaux. C’était le seul endroit presque plat de ce fjord. De toutes parts arrivaient les habitants. Ceux qui avaient un tambourin ou une flûte les avaient amenés. Bientôt, la musique jaillit. Des rondes s’organisèrent. Lyanne ne put s’y soustraire. Après la première danse, il y en eut une deuxième, puis une troisième. Lyanne était invité à chaque fois. Chacun voulait danser avec lui. Quand les instruments se taisaient, on lui fourrait dans la main une timbale pleine d’un liquide ocre au fort goût d’alcool. Quand la nuit arriva, on fit des feux en divers endroits sans pour autant arrêter de danser, de chanter et de boire. Lyanne, que la boisson ne saoulait pas, vit s’écrouler les participants, les uns après les autres, tous ivres. Il regrettait de ne rien avoir à manger. La faim commençait à le tenailler. Quand il vit qu’il restait seul debout, il décida de profiter de la nuit pour aller pêcher. Il devint dragon et, de quelques vigoureux coups d’ailes, s’en alla vers le large.
Une vieille femme, sur le seuil de sa maison, le regarda partir en hochant la tête.
- Les légendes revivent ! Par tous les dieux, les légendes revivent !
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