Lyanne avait un peu ralenti pour laisser Moayanne le rejoindre.
- Où allons-nous ? demanda-t-elle
- Avant de commencer une nouvelle vie, il est bon de se connaître entièrement. Nous allons là où cela va arriver.
- Mais Savalli et les autres, que vont-ils dire ?
- Mais, ils diront ce qu’ils veulent… Tu es reine et ils obéiront, répondit Lyanne dans un grand rire.
Il se laissa planer au-dessus d’une forêt, attendant que Moayanne se positionne sur son flanc légèrement en retrait.
- Je t’ai parlé des Montagnes Changeantes, jeune reine. Nous allons y passer à nouveau.
- Qu’est-ce ?
- Dans mon pays, cela désigne une région. La vérité est plus vaste. Le monde entier est parcouru par des chemins venant des Montagnes changeantes. Regarde autour de toi. Cherche ce qui est autre.
Les deux dragons volaient vers le soleil, indifférents aux mouvements d’étonnement ou de panique qu’ils déclenchaient en dessous d’eux.
- Que dois-je voir ? demanda Moayanne. Tout semble normal.
- Regarde mieux, jeune reine, regarde mieux. Nous avons déjà passé plusieurs portes. Ah ! En voici une plus facile à voir. Regarde le canyon en dessous.
- Les falaises en sont hautes et escarpées, mais que faut-il voir ?
- Viens !
Lyanne replia ses ailes, n’en laissant dépasser qu’une infime surface. Sa vitesse devint terrifiante. Moayanne décida de le suivre. S’il pouvait le faire, alors elle devait aussi pouvoir. Le vent devint dur contre ses yeux au fur et à mesure qu’elle accélérait. Elle sentit ses paupières protectrices venir devant ses yeux. Elle vit Lyanne prendre une autre direction. Elle s’interrogea un instant sur ce qu’il avait fait. La vérité s’imposa dans son esprit. Ses ailes ! Il ne les avait pas complètement repliées… Elle fit de même et s’aperçut qu’en déplaçant un petit morceau de son aile droite, elle virait. Elle s’exerça tout en suivant le grand dragon rouge, qui allait bientôt survoler le canyon. Elle le rattrapait. Cela la mit en joie. Elle eut envie de lui envoyer une petite langue de feu pour le taquiner. Comme s’il avait deviné, le grand dragon rouge avait fait un brutal écart. Elle le vit remonter presque à la verticale et étendre ses ailes. Ce fut douloureux pour elle de le suivre. Elle y parvint juste avant qu’il ne rentre dans la faille entre les falaises.
- C’est bien, jeune reine. Tu apprends vite !
Moayanne sentit comme une moquerie dans le ton de son compagnon de vol.
- Nulle moquerie dans mes pensées, jeune reine… Juste la joie de voir comme tu progresses ! Maintenant regarde là-bas devant toi ! Vois-tu les deux grands arbres droits comme des piliers ?
Moayanne porta son regard au loin. Elle voyait ce que lui montrait Lyanne. Les deux arbres étaient droits comme des “i” avec une touffe de verdure en haut. Tout cela semblait banal et pourtant, elle ne parvenait pas à détacher son regard de cet endroit.
- Bien, jeune reine ! Tu commences à comprendre. Suis sans crainte !
Lyanne sans même ralentir passa entre les deux arbres. Si la logique voulait qu’il s’écrase contre la paroi toute proche, sa disparition ne surprit pas Moayanne. C’étaient des arbres-porte. Elle l’avait senti. Sans plus ralentir, elle passa la ligne des deux arbres et le monde s’obscurcit brutalement. Elle se retrouva survolant des collines noires et blanches. Seule la tache rouge de Lyanne se détachait au fond. Elle se mit à battre des ailes plus vite pour le rattraper.
- Est-ce ici, les Montagnes Changeantes ?
- Nous sommes en effet dans leurs mondes. Les êtres qui vivent ici sont monstrueux. Reste attentive. Le mal y existe.
Tout en suivant Lyanne, elle regarda en bas. Des ombres les suivaient à terre, se glissant de blocs noirs en blocs noirs.
- Tu as raison, jeune reine. Si nous descendions, nous serions obligés de nous battre. Aujourd’hui, nous resterons en haut. Regarde au loin, la chaîne de montagnes. Vois-tu la sombre marque ?
Moayanne scruta l’horizon pour repérer la faille dans la roche. Ils s’en rapprochèrent. Elle était immense et sombre. En pénétrant en son sein, Moayanne se mit à penser aux moineaux qui parfois s’égaraient dans les couloirs du château. Elle se sentit semblable à eux.
Et tout devint noir.
Le manque de lumière ne la gêna pas longtemps. Bientôt, Les parois s’écartèrent. Moayanne tendit son esprit vers celui de Lyanne. Il devait avoir baissé ses défenses morales car elle ressentit sa puissance. Elle en fut réconfortée.
Le dragon au regard d’or, lisait la nuit et les vents. Moayanne le suivait, s’imprégnant de ce qu’il ressentait. Bientôt, un malaise la pénétra comme elle pénétrait en Lyanne. Des présences inamicales hantaient ces lieux.
- Où sommes-nous ? demanda-t-elle.
- Dans le sombre gouffre de Vorjiak.
Moayanne frissonna en découvrant les ombres qui hantaient ses lieux.
- Ressens-tu la peur ? demanda Lyanne.
- Les voir me révulse, répondit Moayanne.
Autour d’eux des formes aux contours improbables s’agitaient et se convulsaient. Lyanne et Moayanne devaient se contorsionner parfois pour passer sans les toucher.
- L’idée de leur contact me répugne, souffla Moayanne en évitant un méandre pâle et luminescent.
- Mon instinct me souffle la même chose, répliqua Lyanne.
Leur vol était difficile. Les changements de direction et de rythme incessants fatiguaient les ailes. Arrivés à une fourche, Lyanne choisit la branche la plus étroite. Moayanne poussa un petit cri en voyant devant eux comme un mur laiteux.
- Il est impossible de passer là ! dit-elle.
Lyanne n’eut pas le temps de répondre qu’ils furent enveloppés par cette présence.
- “Ainsi, tu reviens ici, sinueux roi-dragon… et accompagné qui plus est.”
Un instant passa, des tourbillons blancs se déplaçaient autour d’eux, les obligeant au vol stationnaire.
- “Qui es-tu, jeune reine-dragon ? Ton diadème ne m’est pas inconnu !”
Moayanne entendait la voix en elle sans pouvoir détecter une forme qui l’émettait.
- Je suis fille de roi, descendante de la reine qui reçut le premier oiseau de feu.
- “Sais-tu ton nom, ton vrai nom ?”
Moayanne connut un moment de panique. Elle s’appelait Moayanne, simplement.
- “NON !” rugit la voix.
Lyanne intervint.
- Toi qui es l’ombre de l’ombre du Dieu dragon et qui gardes ce lieu, explique !
- “Ce nom est le nom des humains pour un humain. Elle est reine dragon et son nom dans la langue sacré des dragons est autre. Le connaît-elle ? Le connais-tu ?”
Moayanne comprit que la dernière question était pour elle.
- J’ai suivi le rouge dragon pour le chercher. Je suis venue libre et libre je repartirai.
La forme se mit à vibrer. Les deux dragons sentirent comme un bourdonnement profond les remuant jusqu’au cœur.
- “Joie en moi… Tu es bien celle qui s’est liée à l’oiseau de feu, librement devenue reine-dragon et qui a déjà vaincu… Va, ton nom t’attend et plus encore !”
Un espace se libéra devant eux. Lyanne s’y glissa. Il le regarda s’agrandir devenant comme une arche. Moayanne y passa, blanche silhouette reflétant tout un arc-en-ciel. Lyanne remarqua alors toutes ces petites explosions de couleur au sein même de l’ombre de l’ombre du Dieu dragon. Cela le fit sourire. Comme à son premier passage, la forme chantait et rayonnait de joie.
- “Que la force du Dieu dragon soit avec toi, sinueux roi-dragon du clan Louny.”
- “Que la lumière du Dieu dragon soit en toi, blanche espérance du peuple des dragons.”
Les deux dragons s’éloignèrent dans les méandres sombres de la faille laissant derrière eux, l’étrange présence qui scintillait.
- Qu’a-t-il voulu dire ? demanda Moayanne.
- Le Dieu dragon l’a mis ici comme signe de son emprise sur ce monde. Cet être ou cette ombre nous a reconnus. Nous ne sommes plus loin des grottes des dragons. Ton nom, ton vrai nom, a à voir avec ses paroles.
Ils émergèrent du gouffre de Vorjiak pour découvrir un paysage blanc qui fit pousser des petits cris d’étonnement à Moayanne. Elle, qui ne connaissait de la neige que la fine couche blanche et froide qui parfois saupoudrait ses paysages d’enfance, découvrait une étendue rayonnante dans la lumière du couchant. Si la première fois qu’il était venu par ce chemin, Lyanne avait joué la carte de la discrétion, ce soir, il continua son vol au-dessus des vallées qui convergeaient vers la plaine où s’ouvrait le porche de la caverne des dragons.
Son oeil repéra sans peine les longues silhouettes blanches des crammplacs poilus. Il sentit leur appel et décida de se poser. Moayanne le suivit. C’est à l’orée d’une forêt qu’ils rencontrèrent le premier groupe.
Le grand mâle fit soumission devant Lyanne en s’avançant. Moayanne, légèrement en retrait, regardait ces animaux inconnus pour elle. Elle pensa aux féroces prédateurs du désert qui bordait son royaume. Ces animaux à la fourrure blanche en avaient le port royal et donnaient la même impression de puissance.
Derrière le mâle, s’avança la femelle dominante. Elle s’inclina simplement devant Lyanne.
- “Salutations, Oh Roi-dragon. Mon nom est Maflosmia. Je suis celle qui dit pour les hardes d’ici.”
Moayanne ne put retenir sa surprise en entendant la voix de la femelle crammplac dans son esprit. Elle vit la lourde tête aux crocs longs comme son poignard, se tourner vers elle.
- “Saluations, Compagne du Roi-dragon, Je sens ton étonnement.”
Lyanne s’était transformé en homme et Moayanne fit de même. Plus petite que Lyanne, elle se trouva impressionnée par la taille des crammplacs. Maflosmia était tout proche d’elle. Prise d’une brusque envie, Moayanne avança la main. La grande crammplac se laissa faire quand elle lui toucha la tête. Une onde de douceur s’écoula de la paume de Moayanne vers son corps. Elle ne s’attendait pas à un tel contact :
- Je te salue, Maflosmia, reine des groupes de ce lieu. Te rencontrer est un honneur et un plaisir pour moi.
La déclaration de Moayanne fut accueillie avec un ronronnement de plaisir par la femelle dominante et fut repris par le choeur des crammplacs qui entouraient le lieu.
Lyanne regarda cela avec un sourire empli de douceur.
- Wafadar est-il là ? demanda-t-il au bout d’un moment.
- “Ton serviteur est devant le grand porche.”
- Alors envoie un messager lui annoncer ma venue. Je serais près de lui demain matin. La nuit sera belle et claire. Nous irons vers là où commence toute chose.
- “Aurons-nous l’honneur de vous escorter ?” demanda la grande crammplac.
Lyanne jetta un coup d’œil à Moayanne dont le sourire, semblable à celui d’un enfant, en disait long sur son désir.
- Toi qui connais chaque recoin de ton territoire, tu connais l’Entrée.
Une image surgit dans l’esprit de Lyanne. Maflosmia préférait les images qu’elle maîtrisait, aux mots.
- C’est exactement cela.
- “Mon peuple n’a pas oublié comment tu nous as libérés de celui qui voulait nos peaux”
Des images défilaient dans l’esprit de Lyanne. Il regarda vers Moayanne qui semblait voir les mêmes images. Lyanne lui adressa un sourire. Moayanne lui rendit :
- Maflosmia est éloquente dans ce qu’elle montre. Ce fut une époque terrible que celle de ton enfance.
- Depuis j’ai fait Shanga et je suis passé dans les Grottes. Es-tu prête ?
- Il m’est impossible de l’être, mais je suis venue pour cela.
Lyanne allait inviter Moayanne à reprendre la route, quand il la sentit prête à poser une question :
- Oui ? l’invita-t-il.
- La grande crammplac m’a appelée compagne du roi-dragon. Que voulait-elle dire ?
- J’ai quitté mon pays, car je vivais le manque. Ma quête a été longue et tu es venue. J’ai su dès que j’ai vu tes blanches écailles que tu étais celle que je cherchais. Reste l’autre question : suis-je celui que tu cherches ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire