Ce fut une longue marche. J’étais resté longtemps sur le qui-vive. Je voyais des ombres fuir devant la flèche de feu. J’avais fini par comprendre que ce qui fuyait avait plus peur que moi. Cela m’avait curieusement rassuré. Je marchais maintenant comme un automate. J’avançais régulièrement suivant la direction sans plus me poser de question, la tête vide.
Je repris conscience quand on me bouscula. Un jeune garçon courait en riant aux éclats. Je m’arrêtais. La flèche s’était plantée au-dessus d’un abri vers lequel se précipitait l’enfant en pagne. Je regardais autour de moi, d’autres jeunes arrivaient. Comme le premier, ils rayonnaient de joie.
Je scrutais l’abri. Je n’y vis que des silhouettes à peine éclairées par le feu de la flèche qui faisait comme une étoile dans la nuit.
Je m’approchais. Ceux qui m’avaient précédé chantaient leur joie à pleine voix. Je me retrouvais au dernier rang des spectateurs. Sous un simple auvent, une femme allongée, tenait dans ses bras un bébé.
J’eus l’impression d’avoir déjà vu cette scène quelque part. Les souvenirs de ma vie semblaient s’effacer. Je me posais la question de la réalité du monde. Le monde réel était-il avant ou après que j’ai franchi la porte ?
- Moi aussi, je me poserais la question de savoir si tout cela est bien raisonnable.
Je me tournais vers le personnage qui avait parlé. Il était plus grand que ceux qui s’agitaient joyeusement tout autour. Un capuchon lui cachait en partie le visage.
- Vous avez déjà vu un roi naître dans un endroit pareil ?
En disant cela, il ôta sa capuche. Son visage était plus jeune que ne le laissait penser sa voix. Je ne pouvais que lui donner raison.
- Ça ne fait pas sérieux, répondis-je
Le visage de mon interlocuteur s’éclaira :
- Ah ! Enfin quelqu’un de sensé dans ce monde de fous.
Je me sentis flatté par le compliment. L’homme me prit par le bras et m’entraîna. Je me laissais faire. Il se mit à deviser sur la royauté et sur les devoirs des rois.
- Un roi qui se mêle au peuple, ce n’est plus un roi, c’est un copain. Comment voulez-vous donner des ordres ? Donnez-vous des ordres à vos copains ?
- Bien sûr que non ! répliquais-je
- Vous voyez bien, reprit-il, comme vous n’accepteriez pas d’ordre de vos amis. Vous les voyez vous dire : “fais ceci !” ou “fais cela”. C’est déjà assez dur de supporter les chefs, n’est-ce pas?
Je répondis de nouveau oui. Nous nous étions éloignés des autres et de leurs cris. Je pensais à la vie d’avant et aux difficultés avec le chef, avec les chefs. Pendant ce temps mon nouvel ami parlait, parlait. Il ne s’arrêta même pas quand nous arrivâmes devant une porte, sombre et noire. J’eus un mouvement de recul…
- Ce n’est rien, il faut une porte pour nous protéger de tous ces fous. Mais entrez, vous verrez…
Disant cela, il entrouvrit la porte. Je vis une lumière chaude et dorée
- Vous êtes mon invité…
Je me laissais conduire par la main. Quand je passais le seuil, la chaleur m’envahit. Depuis que j’avais passé la première porte, c’était bien la première fois que j’avais chaud. Nous fîmes quelques pas. La chaleur augmenta. Mon affable ami ne souriait plus, ces traits semblaient fondre, révélant de hideuses cicatrices agrémentées de bubons suintants. J’arrachais ma main de la sienne, ou plutôt de ses griffes.
- Que crois-tu, misérable ? hurla le démon aux cheveux écarlates en me poursuivant alors que je fuyais à toutes jambes vers la porte.
Je me cramponnais à la poignée, la secouant en tous sens, sans la faire bouger d’un iota. Derrière moi, le rire qui jaillit me glaça le sang.
- Tu as passé librement la porte, tu es à moi ! me déclara-t-il en s'approchant tranquillement.
Je cherchais frénétiquement à droite et à gauche si je voyais une issue. Je m’élançais croyant voir une possible voie de sortie, je ne réussis qu’à me taper contre un mur. J’étais comme une souris dans le vivarium d’un boa. Je finis par m'effondrer dans un coin en murmurant :
- Mon dieu ! Mon dieu !
Le rire sardonique qui jaillit de l’être qui déjà se délectait de ma peur, me glaça le sang.
- Bien, dit une petite voix derrière moi, le mieux est que tu me donnes la main.
Je me retournais, dans la pénombre, une petite silhouette me tendait la main. Je la saisis comme un noyé s’empare d’une bouée.
Il y eut un hurlement de dépit derrière moi. Le monstre frappa le sol, le faisant trembler.
- Ne restons pas là, il souffre à chaque fois quand je lui retire ses proies.
La voix avait des accents de tristesse en me disant cela.
- Vous le plaignez !
- Bien sûr… Il fut un temps où nous étions amis…
Le personnage fit un geste. Une galerie s’ouvrit devant nous. En deux pas, nous y étions. Pendant que le passage se refermait, le hurlement se mua en jurons.
Je tenais toujours la petite main fraîche qui m’avait saisi.
- Qui êtes-vous ?
- Juste un psychopompe qui passait au bon moment… me répondit-il.
Je fis une grimace, moi qui avais dit que jamais je n’irai voir de psycho-machin-chose, voilà que j’étais redevable à l’un d’entre eux.
Le rire qui jaillit était frais comme une cascade.
- Vous ne me devez rien, dit-il comme s’il lisait dans mes pensées. Votre chemin est assez long comme cela. Je ne fais que ce que je sais faire, simplement.
Le temps passa. L’ange psychopompe marchait régulièrement. Je me mis presque à somnoler tout en avançant. Je ne sais pas combien dura ce moment.
Brutalement, il s’arrêta. Penchant la tête d’un côté, il se mit à écouter. J’ouvris tout grand mes oreilles. Seul le silence vint les remplir.
- Qu’est-ce…
L’ange m'interrompit d’un doigt sur la bouche. Sa posture d’intense concentration dura encore quelques instants.
- Il me faut vous quitter. IL me dit que quelqu’un d’autre a besoin de moi.
L’ange avait mis tellement d’emphase dans son “IL” que je pensais à mon patron. La secrétaire du service employait exactement le même ton.
- Je vais te laisser aller tout seul au bout. Tu vas continuer un moment. Tu ne risques rien, le passage est sécurisé. Au bout, tu trouveras les portes du ciel. Il te fera entrer.
Ce deuxième “il” était dit sans fioriture, un autre ange psychopompe ? J’en étais encore à m’interroger que mon guide était déjà parti. Je ne lui avais même pas demandé son nom. Je repris ma marche un peu dépité.
Maintenant que j’étais seul, je détaillais un peu plus l’endroit où je me trouvais. Le sol était régulier, d’un dallage grossier, les murs étaient de pierres appareillées avec désordre, par contre impossible de savoir d’où venait la lumière. Elle était, un point c’est tout.
Je me remis en marche, sans enthousiasme. Depuis que j’avais passé cette porte, je ne comprenais plus rien. J’essayais de faire le point. Avant, avant… avant… j’étais… j’étais… des images venaient en désordre. Je voyais un bureau, une terrasse. Je ressentais que je n’aimais pas le premier mais me plaisais sur la seconde. J’eus envie de la revoir. Un verre de boisson fraîche m’attendait, il y avait du plaisir. Ici, j’étais… j’étais… étais-je encore dans la basilique ? Et puis où me conduisait vraiment ce couloir ? Qui était ce “il” qui me ferait entrer ? D’ailleurs entrer où ? Les paroles du psychopompe me revinrent en mémoire… : “Au bout tu trouveras les portes du ciel”. C’est ce qu’il avait dit : “...les portes du ciel”. Donc “il” serait Saint Pierre avec ses clés. Mais c’était pour les morts !
Cette idée me glaça le sang. Je ne voulais pas être mort. Plus j’avançais et plus cette idée de passer les portes du ciel m’inquiétait. Il fallait que je trouve un moyen pour me sortir de là…
Le couloir se prolongeait interminable. Il fallait que je trouve une sortie. Une frénésie me prit. Je me mis à courir. Il devenait urgent de trouver une issue.
Dans ma hâte, j'accélérais et accélérais encore. Autour de moi, les murs devenaient flous. Je savais sans savoir pourquoi je le savais, que le voyage était encore long. J’allais si vite que je ne vis pas le muret. Je butais dedans et me retrouvais en vol plané. Mon atterrissage fut rude. Heureusement des plantes avaient amorti ma chute. Je me relevais pestant contre tout cela, regardant autour de moi pour me situer.
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