dimanche 2 août 2015

Césure 7

J’étais dans une sorte de friche. J'entr'aperçus une silhouette de sanglier qui fuyait. Mon arrivée brutale lui avait fait peur. Une fois debout, je dépassais les plantes qui se révélèrent être des pieds de vigne. Elle avait été dévastée et les bêtes sauvages l’avaient envahie. Je m’avançais vers la porte que je devinais un peu plus loin. Ce qui avait dû être un jardin était devenu un roncier dans lequel je peinais pour avancer. Il me fallut un temps infini pour traverser les différents rangs de la plantation. J’atteignis enfin le bord du muret. Une trace de bête me permit de rejoindre ce qui avait été la porte. Un peu plus loin, je vis une silhouette courbée au pied d’un arbre. On voyait une sorte de houe se soulever et retomber périodiquement avec un bruit mat. Je m’approchais.
Un homme débarrassait le sol des mauvaises herbes. Il se releva en m’entendant arriver. Il posa son instrument à terre, s’appuya sur le manche en s’épongeant le front. Quand je fus près de lui, il me salua.
- Sois le bienvenu, étranger.
- Bonjour, répondis-je.
Si le visage était avenant, ma crainte était réelle. Dans ce monde étrange, comment reconnaître un démon ? Je ne voulais pas revivre ce que je venais de passer.
- C’est un bel arbre, dis-je, pour meubler le silence.
- Oui, il a bien poussé, mais il ne donne pas de fruit. Mon maître à son dernier passage était mécontent. Il voulait le couper.
L’homme ne semblait pas dangereux, il avait un parler rocailleux comme le sol sur lequel nous étions.
- J’ai beaucoup peiné pour le faire pousser, alors j’ai pris sa défense.
- Et alors ?
- Le maître m’a laissé encore un an. Je vais finir de préparer la terre puis je mettrai du fumier au pied. Il devrait donner du fruit. Sinon, je ne pourrai éviter de le couper. Ce n’est pas la peine qu’il épuise le sol. Le maître a raison.
Je désignais la vigne non loin :
- Et le maître de cette vigne, ne gâche-t-il pas une bonne terre ?
L’homme regarda un moment vers l’enclos. Il eut un regard de tristesse.
- C’est une bien triste histoire.
Il me fit signe de le suivre. Il alla un peu plus loin s’asseoir. Sortant du pain et de l’eau d’une musette, il m’invita à prendre place à côté de lui. 
- Il y a quelques années, j’ai vu arriver le propriétaire de cette terre. Il a fait planter de la vigne et l’a mise en fermage. Il habitait loin d’ici et il est reparti. Ses fermiers ont travaillé dur pour que la vigne soit belle et donne du fruit. Quand est venu le temps de la vendange, personne n’est venu réclamer son dû. Ils ont continué à exploiter sans ménager leurs efforts. Ils ont vendu la récolte en leur nom. Cela a duré deux ou trois ans. Puis un automne est arrivé un étranger, comme toi. Mais lui avait des lettres de mission. Il venait chercher ce qui était dû au maître.
- Ça n’a pas dû leur faire plaisir à vos voisins !
- Pour sûr ! Ils avaient tout dépensé pour eux. Je n’ai jamais revu cet homme. Ils m’ont dit qu’il était reparti chez le maître. Au début je les ai crus. Mais… mais ils avaient changé. Ils ne parlaient plus comme des fermiers qui doivent un fermage. L’année d’après, quand un nouveau serviteur est venu réclamer pour le maître, il a aussi disparu. Je n’ai rien dit. Faut dire que j’avais rien vu. Mais l’année d’après, quand est arrivé ce jeune bien habillé comme un monsieur de la ville, je me suis caché et j’ai observé. Ils l’ont eu par surprise d’un coup de gourdin sur le crâne. Je l’ai vu s’effondrer comme je vous vois. Je ne suis pas sorti de ma cachette… Je ne voulais pas finir comme lui…
L’homme s’interrompit un moment comme s’il était perdu dans ses pensées.
- Qui était ce jeune ? demandais-je
- C’était le fils du maître. Ah ! S’ils pensaient se débarrasser du propriétaire en tuant ses serviteurs et son fils, ils se sont lourdement trompés. Quand j’ai vu arriver la troupe de gardes armés, je me suis enfui. Ils m’ont rattrapé comme ils les ont tous attrapés. Mon maître est intervenu pour moi. Il m’a fait raconter tout ce que je savais. Le propriétaire de la vigne est entré dans une colère comme j’en avais jamais vu. Ils ont tous été exécutés. Quant à la vigne… depuis, elle est abandonnée.
- L’histoire est triste, mais ces mécréants méritaient leur punition.
- Pour ça ! Oui ! Et plutôt trois fois qu’une.
L’homme continua son repas en silence.
- Va-t-elle rester comme cela ? demandais-je pour relancer la conversation.
- J’ai vu un nouveau fermier, il y a peu. Il s’occupe déjà d’une autre terre pour ce propriétaire. Son maître lui a donné celle-ci en fermage en plus de l’autre. Il a l’air courageux. Quand reviendra la saison, je pense qu’il ne ménagera pas sa peine…
La pluie se mit à tomber, doucement puis de plus en plus fort. L’eau ruisselait à présent sur le sol.
- Un vrai déluge, dis-je en parlant fort pour couvrir le bruit de l’eau.
L’homme sourit :
- C’est assez fréquent, mais ça ne dure pas. On va bientôt voir le signe.
- Quel signe ?
- Et bien, l’arc-en-ciel ! Tu ne connais pas cela.
Devant mon air ahuri, il poursuivit :
- Tu es bien un étranger. Tu ne sais pas que, quand paraît ce signe, la pluie s’arrête et le monde reprend vie. On dit même qu’au pied de l’arc-en-ciel, on y trouve ce qu’on cherche.
Il avait dit la fin avec l’air sentencieux de celui qui sait.
- Alors c’est là que je dois aller, dis-je en me levant.
L’arbre, un figuier à ce qu’il me semblait, ne nous offrait qu’une protection trop légère. La pluie maintenant nous dégoulinait dessus malgré le feuillage. Je commençais à m’éloigner.
- Que le ciel te soit favorable, me dit l’homme. Ce que tu cherches est là.
Il me montrait une direction. Effectivement, lentement apparaissaient les couleurs. Je me mis en marche après un dernier salut.
Ce pays était déroutant. La pluie ruisselait sur mon corps sans le mouiller. Elle courait à terre, suivant la pente du terrain. Je me fis la remarque que nous allions dans la même direction.
Bientôt les rigoles se fondirent en un ruisseau qui devint de plus en plus large. J'en suivis le cours. L'arc-en-ciel était toujours là, devant, comme une invitation à poursuivre. Je dus m'arrêter quand je me retrouvai face à la mer.

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