lundi 11 juin 2018

Ainsi parla Rma, le fileur de temps… 55

Riak mit quelques instants à se rappeler où elle était. Quand elle se redressa, le jour pointait à peine. La grande pièce était calme. Elle regarda l’autre groupe. Tout était calme. Ce fut le claquement du passe-plat qui réveilla tout le monde. De la nourriture venait d’être à moitié jetée sur le plateau. Baillonde fut le premier à s'en approcher. Il y avait des galettes et un saladier rempli d'un brouet plutôt clair. Quelqu'un de l'autre groupe s'approcha. Ils partagèrent les provisions.
   - C'est pas le pire, dit l'homme.
   - Hein ? s'exclama Baillonde.
   - L’accueil… c'est pas le pire qu'on ait eu.
   - Ah ! Nous aussi on a connu moins bien…
Baillonde s'était retourné et regardait vers l'autre groupe. Si deux étaient nu-tête, les autres avaient remis leurs capuchons. De leur côté, Riak, Mitaou et Bemba avaient fait de même. Les deux groupes mangèrent tout en parlant à voix basse. Rapidement le groupe des hommes s'en alla. Riak se sentit soulagée. Ces guerriers étaient-ils vraiment malades ? Dans ses rêves nocturnes, elle avait vu des combats avec ces ombres encapuchonnées. Les autres appréciaient surtout qu'ils n'aient pas cherché le contact.
Ils se mirent en route à leur tour. Baillonde allait mieux et marchait plus facilement. Ils traversèrent beaucoup de forêts et quelques champs. Le soir, ils retrouvèrent l'autre groupe. L'accueil se faisait dans une grange un peu délabrée, pleine de courants d'air. De nouveau, ils étaient dans un hameau de charbonnier. La pauvreté était partout. Dans un coin, il y avait de quoi faire du feu, et quelques provisions. Il fallait aller chercher l’eau au ruisseau plus loin et cuisiner soi-même. Mitaou demanda au moment de goûter le brouet ce que c’était. Baillonde lui expliqua que les charbonniers vivaient en autarcie, ramassant les glands, et les diverses plantes de la forêt. C’est de cette récolte qu’ils tiraient l’espèce de farine qu’ils avaient mis dans la grange pour eux. Ils mangèrent sans enthousiasme. Si cette bouillie remplissait l’estomac, on sentait bien qu’elle ne comblait pas le corps.
La nuit tomba rapidement. Elle fut calme. De nouveau les autres étaient partis très tôt. Le groupe de Riak se mit en marche découvrant la région que tout le monde appelait la grande forêt. Sur des pentes abruptes, les arbres vivaient en liberté. Seuls les charbonniers et les pèlerins du chemin de Diy y passaient. Ils avancèrent ainsi plusieurs jours sans voir d’autres choses qu’un gigantesque taillis parsemé de lianes. Le soir, ils se reposaient dans les bâtiments plus ou moins délabrés ou parfois dans une grotte. Heureusement le chemin restait bien tracé. De temps à autre, ils trouvèrent une branche coupée ou cassée, preuve du passage d’autres avant eux. Baillonde avait estimé qu’ils passaient au nord de la capitale. Le groupe des guerriers, comme Riak l’avait appelé, les distança au quatrième jour. Le soir venu, ils n’étaient pas à l’abri fait sous un grand arbre. Baillonde exprima le sentiment de tous : ils étaient soulagés de ne pas avoir à se cacher. La soirée n’en fut que plus gaie malgré le peu qu’ils eurent à manger. 
  Le jour suivant, ils trouvèrent leurs traces dans une grotte plus loin. Ils n’essayèrent pas de les rattraper. Chacun à son rythme, cela leur convenait. Au soir du septième jour, ils arrivèrent à un carrefour. Un chemin allait tout droit et un autre allait vers la droite. Ils firent une halte, examinant l’un et l’autre sentier, ne sachant lequel prendre. Baillonde se révéla incapable de dire où était le chemin de Diy. Le groupe des guerriers avait pris à droite. Riak avait relevé leurs traces, pourtant le chemin principal, à son avis, allait tout droit. Baillonde était pour continuer tout droit. Mitaou disait qu’elle était complètement perdue. Bemba soutenait Baillonde. Jirzérou était malade de toute cette forêt et voulait le chemin qui en sortirait le plus vite. Riak pensait comme Baillonde et Bemba que le chemin tout droit était le Chemin de Diy, pourtant son instinct lui dictait de prendre l’autre.
   - On va pas discuter jusqu’au retour de la princesse, dit Riak en sortant sa dague. Je vais la faire tourner sur un caillou et là où elle pointera nous irons…
   - Même si c’est en arrière ? demanda Baillonde.
   - Même si c’est en arrière !
Bemba avait été la plus rapide à dénicher un caillou adapté à ce qu’ils voulaient faire. Mitaou fit une invocation à la dame blanche avant que Riak ne la fasse tourner. Elle y mit toute sa force. L’arme tourna un bon moment avant de s’arrêter entre les deux chemins !
Riak jura entre ses dents. Elle allait recommencer quand elle perçut comme un mouvement :
   - Quelque chose ! dit-elle en se levant brusquement l’arme à la main.
Immédiatement tout le monde fut les armes à la main scrutant les bois.
   - Par-là, dit-elle en désignant le chemin de droite.
Ils se mirent à courir avant de plonger dans un taillis. Sur le qui-vive, ils patientèrent un moment avant de reprendre leur route devant le calme de l'environnement, supposant qu’un animal était passé. Ils marchaient l’un derrière l’autre, le chemin étant devenu étroit. Baillonde était en tête avec la clochette comme toujours et Riak fermait la marche. Le reste de la journée fut sans particularité. Le soir venu, ils surent qu’ils n’étaient plus sur le chemin de Diy. Pour être précis, ils n’étaient plus sur le chemin direct. Ils avaient marché sur l’ancienne trace. Le trajet actuel passait plus au nord. Ce vieux tracé se rapprochait de la lisière de la grande forêt, mais on l’avait presque abandonné depuis qu’il n'y avait plus de hameaux de charbonniers. C’est ce que leur expliqua la vieille femme toute ridée et presque aveugle qui s’occupait de l’accueil. Elle parlait tout le temps, souvent sans que personne ne comprenne ce qu’elle disait. Elle parlait même si personne ne l’écoutait. Elle se parlait, s’expliquant ce qu’elle devait faire et pourquoi. Dans le village, on l’appelait la “ cinglée “. Elle se plaignait des villageois qui ne lui donnaient pas assez pour accueillir et manger à sa faim. Elle parlait de ceux qui étaient passés comme ces drôles d’hommes hier qui étaient restés encapuchonnés toute la soirée, alors que des gens atteints de Woz, elle en avait vu des milliers. Ils devaient être très atteints avec beaucoup de honte en eux, à moins, à moins qu’ils ne soient que des faux malades. D’ailleurs elle en avait connu des faux malades et elle en avait même dénoncé parce qu’à cette époque, c’était pas comme aujourd’hui, il y avait un seigneur au village et il s’occupait bien d’elle. D’accord elle était jeune et belle et il s’intéressait plus à ce qu’elle avait sous la jupe qu’à ce qu’elle disait. Mais ce jour-là, il avait écouté quand elle lui avait parlé de ces gens qui ne se comportaient pas comme des malades. Il les avait fait arrêter et examiner. Eh bien, c’étaient des rebelles. Ces gens qui refusent encore le pouvoir des seigneurs. Mais tout cela, c’était bien fini…
Elle prit une respiration et reprit de plus belle sur son malheur de ne plus voir clair et d’avoir des douleurs partout. Riak se tenait toujours en retrait, laissant entre elle et la vieille assez de distance pour qu’elle ne puisse pas la voir distinctement.
Ils furent soulagés le lendemain de partir. Ils traversèrent le village qui se réveillait. Ils virent le château qui était en fait une maison forte un peu plus haut que les autres masures. Le village était le point d’échange entre les charbonniers et le reste du monde. Ensuite ils goûtèrent le silence du chemin. Dans son babil, la vieille femme leur avait décrit la suite de leur voyage. Ils savaient que la route serait facile pendant la matinée puis qu’elle monterait doucement pour passer un petit mont dont ils avaient oublié le nom. Ils pourraient se reposer à l’abri en haut, avant d’entamer la deuxième journée sans village. La suite de la route était plus dure. Les explications beaucoup plus confuses de leur hôte faisaient craindre un passage de rivière particulièrement difficile et d’autres difficultés dont la description était restée floue.
Arrivés le soir en haut du col, ils reconnurent que l’étape avait été facile. L’abri était une grotte aménagée. On voyait bien les traces des outils qui avaient été utilisés pour l’agrandir. Près de l’entrée, il y avait un foyer. Jirzérou et Baillonde allèrent chercher du bois. Riak fit le tour de la caverne. Elle avait été occupée récemment puisque les cendres étaient encore tièdes. Elle pensa au groupe des guerriers. Ils avaient dû être là la veille.
La soirée fut calme. La grotte fermait bien. Ils ne virent pas se lever l’étoile de Lex. Riak se réveilla dans la nuit. Elle écouta un moment la respiration des autres. Tout était calme. Elle était tendue. Le feu rougeoyait encore, éclairant la caverne d’ombres dansantes. Elle se glissa le long de la paroi vers la sortie. Elle avait la dague à la main. Elle bougea silencieusement une des planches qui fermaient l’entrée. Son pendentif vibrait doucement. Elle s’accroupit sous l’auvent de pierre. Le danger était là. Elle scruta la nuit étoilée. Le vent faisait bruisser les arbres. Une chouette hululait dans le lointain. Tout semblait calme. Elle ferma les yeux et prit son pendentif. Elle sentit le monde. L’esprit de Koubaye flottait non loin. À ses pieds dans une anfractuosité, un lézard la guettait. Plus loin, elle prit conscience des animaux qui se tenaient là dans le sommeil, la peur ou l’excitation de la chasse. “Manger !”... “Manger !”... Le message était clair et venait d’au-dessus d’elle. L’être se savait fort. Il sentait la présence des hommes. Il n’avait pas peur. Il en avait déjà rencontré et tous avaient fui. Riak entendit l’ours qui reniflait. C’était une bête énorme au ventre creux et à l'appétit insatiable. Ses pensées se dirigeaient vers elle. L’ours s’interrogeait. Était-ce une proie ? Riak murmura en elle-même, en assurant sa dague et en se préparant à attaquer :  
- Tu n’aimerais pas, je suis trop piquante...
L’ours grogna d’étonnement. Il ne comprenait pas. Il avait ressenti une pensée étrangère dans sa tête et une pensée de danger. Alors qu’il s'apprêtait à descendre, il hésita.
   - C’est ça, mon gros, réfléchis bien !
L’ours grogna à nouveau. Cela ne lui plaisait pas du tout. Il préféra faire demi-tour. Ce n’était vraiment pas une proie.
Riak écouta un moment les déambulations de l’ours qui s’éloignait. La pensée de Koubaye était claire. L’ours n’était pas le danger. Ce fut à son tour de grogner. Dans ce monde tout en ombre qu’elle ressentait en tenant son pendentif, elle vit les filaments de haine comme une traînée de brouillard sur le chemin. Son porteur était plus loin. Elle comprit que la nuit serait calme, mais demain...
Jirzérou se leva le premier. Il prépara des galettes dans la chiche lumière du matin. Quand Riak le rejoignit, il lui dit :
   - Le discours de la vieille était vrai. Jusque-là, ça a été facile.
   - Oui, mais je crains aujourd’hui...
Jirzérou jeta un regard étonné vers Riak :
   - Vous savez quelque chose, Bébénalki.
   - Je sens quelque chose.
Les autres arrivèrent sur ces entrefaites. Ils interrogèrent Riak sur ses paroles.
   - Je ne sais rien de plus, leur déclara-t-elle. Je sens du danger.
Quand ils reprirent le chemin, ils étaient sur le qui-vive. La route descendait en suivant la pente au sein d’une forêt touffue. La visibilité se limitait à voir jusqu’au prochain tournant. Ils avancèrent ainsi la matinée. Baillonde avait cessé d’agiter sa clochette. Riak lui avait dit qu’il valait mieux être discret. Elle les fit marcher sur les bords herbeux pour la même raison. Ils eurent rapidement les pieds mouillés de rosée.
En milieu de matinée, ils découvrirent une grotte qui avait servi de refuge à un groupe. Elle ne contenait rien de particulier. Riak se sentait nerveuse. Elle s’adressa aux autres à voix basse. Ils lui répondirent sur le même ton. En sortant de la grotte, ils progressèrent par à-coups. Riak ou Jirzérou allait jusqu’au virage suivant et appelait le reste du groupe si tout était normal.
Ils arrivèrent sans encombre au bord d’un ravin. Au fond coulait un ruisseau, allant de cascade en cascade. Riak ouvrait la marche quand elle sentit chauffer son pendentif. Elle s’accroupit brusquement provoquant la peur derrière elle. Jirzérou se glissa jusqu’à elle. Il lui murmura à l’oreille :
   - Qu’est-ce qui se passe ?
   - Mon instinct me dit qu’il y a du danger.
Un mouvement un peu plus loin, entre deux arbres, les mit en alerte. Ils n’étaient pas seuls. Un groupe avançait sur le chemin. La couleur des vêtements qu’ils apercevaient fit penser à des pèlerins.
   - Va dire aux autres de ne pas bouger. J’avance un peu. Rejoins-moi après !
Jirzérou se glissa en arrière, pendant que Riak, prudemment, avançait sur le chemin. Par un espace entre les arbres un peu plus loin, elle vit un peu mieux le groupe qui les précédait. Il progressait doucement. Elle eut le sentiment qu’ils portaient un des leurs. Son pendentif était chaud. Elle le prit en fermant les yeux comme la nuit précédente. Le monde devint ombres et tensions. La gorge était un lieu chargé des violences passées. L’endroit était idéal pour une embuscade. Elle se concentra sur le présent et vit les filaments de haine qui tissaient comme une toile d’araignée dans la vallée. Un des points de fixation était là, près d’elle. Elle fixa son attention sur lui. Elle vit l’ombre des hommes. Ils étaient tendus dans l’attente du signal. Leurs esprits étaient emplis de la volonté de tuer. Il y en avait d’autres plus loin. Les pèlerins allaient se faire massacrer. Jirzérou la rejoignit à ce moment-là. Elle lui montra où étaient les ennemis. Il acquiesça de la tête et se mit en mouvement. Agilement, il grimpa dans un arbre alors que Riak se déplaçait à terre. Quand l’homme entendit Riak, il était trop tard. Elle avait déjà lancé son geste. Quand il ouvrit la bouche pour crier, aucun son ne sortit de sa gorge. Un flot de sang lui inondait les bronches. L’autre buveur de sang se leva juste à temps pour se faire égorger par Jirzérou qui le retint pour atténuer le bruit de sa chute. Riak fit signe d’avancer à Jirzérou. Pliés en deux, ils avancèrent rapidement. Ils n’étaient qu’à un virage du groupe quand le signal retentit. Une dizaine de buveurs de sang se précipitèrent. Les pèlerines volèrent. Les armes à la main, le groupe fit face. Le combat s’engagea. Rapidement un des pèlerins fut tué, un autre blessé. Les survivants se groupèrent dos à dos. Les attaquants, largement supérieurs en nombre, se ruèrent en avant en hurlant. Ils ne comprirent pas ce qui se passait. La moitié d’entre eux agonisait avant qu’ils ne comprennent qu’un assaillant s’en prenait à eux. Riak, les cheveux au vent, leur fit l’effet d’une tornade. Si quelque uns continuèrent à s’en prendre aux pèlerins, la majorité tenta d’arrêter Riak, pour leur malheur. Les trois derniers rompirent le combat. Jirzérou en égorgea un, Riak rattrapa le deuxième, mais le troisième eut le temps d’atteindre les chevaux et de fuir au galop. Riak jura. Elle n’avait pas d’arc à portée de main.
Quand elle revint vers le groupe des pèlerins, elle découvrit les soldats du groupe qu’ils avaient déjà rencontrés. Un était mort, un autre ne valait guère mieux. Le troisième était blessé au flanc, un quatrième était à terre. Les deux autres se tenaient droit, regardant cette gamine aux cheveux blancs qui venait d’éliminer une douzaine de buveurs de sang avec une simple dague.
Riak dit à Jirzérou :
   - Va chercher les autres. Il y a un fuyard !
   - Mais qui es-tu ?
Riak se tourna vers l’homme le plus âgé qui venait de parler.
   - Deux morts, deux blessés et les autres qui vont revenir en force. Faut pas rester ici ! Vous n’avez pas le woz, n’est-ce pas !
   - Pas plus que toi, si j’en juge par ce que tu viens de faire. Mais qui es-tu ?
   - Disons une voyageuse.
L’homme la regarda en réfléchissant puis regarda ses compagnons et se lança :
   - Je suis Ubice. Nous sommes les Hommes Libres du Royaume. Je devrais même dire, nous sommes les derniers Hommes Libres du Royaume. Les seigneurs nous pourchassent sans cesse. Mais nous leur faisons payer chaque fois que nous pouvons. Le désir de se libérer du joug de l’envahisseur n’a pas disparu après la défaite. Mon père a participé aux combats. Il est un des rares à avoir survécu. C’est lui qui a organisé nos groupes. Depuis, nous luttons pour la liberté du Royaume et nous ne devons allégeance qu’au Roi, quand il reviendra.
   - Et qu’est-ce que vous faites sur le Chemin de Diy ?
   - Je viens d’aller voir un groupe près de Sursu et nous rentrions. Le Chemin de Diy nous permettait de voyager en toute discrétion. Mais aujourd’hui nous avons été trahis. Les buveurs de sang sont très forts là-dessus.
   - Les buveurs de sang ?
   - Oui, c’est ainsi qu’ils s’appellent eux-mêmes. C’est l’unité d’élite de l’armée des seigneurs. Ils ne craignent rien, ni personne, même pas les bayagas.
Ils furent interrompus par l’arrivée de Jirzérou et des autres. Baillonde demanda :
   - Qui est-ce ?
   - Des gens qui ne nous veulent pas de mal, répondit Riak. On ne peut pas rester ici. Le fuyard avait un cheval. Je ne sais pas de combien de temps on dispose, mais il ne faut pas rester ici.
Elle se tourna vers Ubice :
   - Où allez-vous ?
   - Nous repartons vers la forêt profonde. Après la gorge, nous avons un chemin secret.
   - On préfèrerait aller vers les canyons, répliqua Baillonde.
   - Le buveur de sang sera à Solaire d’ici la fin de journée. S’ils repartent tout de suite, on les aura sur le dos demain matin.
    - Vers où doit-on aller, demanda Riak à Baillonde ?
   - Solaire nous conviendrait mieux que la forêt, répondit-il.
   - Vous êtes fous, dit Ubice, vous allez tomber dans leurs bras. Ils vont vous massacrer. C’est une compagnie complète qui va monter de Solaire. 
Riak prit quelques instants de réflexion et dit :
   - Nous ne pouvons plus nous faire passer pour des pèlerins. Ils ont vu la couleur de mes cheveux. On est plus en danger encore que vous. Si on vous suit, c’est tous les Hommes Libres du Royaume qui sont en danger. On va vous aider à porter vos blessés jusqu’au chemin et puis nous suivrons chacun notre route.
   - Tu as les cheveux blancs et tes compagnes sont des soeurs. Tu fais donc partie du temple de la Dame Blanche ?
    - Non, elle est notre hôte, déclara Bemba. La grande prêtresse nous l’a confiée. Il nous faut la mettre en sécurité.
Ubice regarda Bemba avec étonnement :
   - Je crois qu’elle assure très bien sa sécurité, dit-il.
   - Normal, c’est la Bébénalki, surenchérit Jirzérou.
Ubice semblait de plus en plus perplexe. Il connaissait la grande prêtresse. Il l’avait rencontrée une fois. Elle jouait un jeu dangereux face aux seigneurs. Les Hommes Libres du Royaume bénéficiaient de facilité grâce à cela. Il savait son engagement pour les femmes aux cheveux blancs. Ces hommes avaient ainsi découvert et ramené Loilex dont on disait maintenant qu’elle pourrait devenir la prochaine grande prêtresse. Riak détonnait dans ce paysage. Quand il l’avait vu bouger la première nuit, il avait reconnu une “cheveux blancs”. Il avait pris ce qu’elle faisait pour de la danse. Aujourd’hui, il avait compris qu’elle s’était entraînée au combat. Il ne la voyait pas passer sa vie à prier. Elle se battait mieux que tous ceux qu’il avait rencontrés. Sa rapidité et sa précision faisaient d’elle une arme redoutable. Il aurait bien aimé l’avoir dans son armée, tout en sentant bien qu’elle faisait ses choix et qu’il n’en faisait pas partie. Quant au titre de Bébénalki, Ubice n’avait aucune idée de ce que cela recouvrait. Mais celui qu’on appelait Jirzérou avait une tête de fanatique quand il prononçait ce mot. Il fallait ménager Riak, pensa Ubice. Aujourd’hui, il fallait fuir mais demain, elle pourrait devenir une pièce majeure de son combat contre les seigneurs.
   - Tu as raison, dit-il à Riak, nous ne pouvons rester ici. Il y a plus bas, sur la route de Solaire, un reste de temple. Derrière démarre un vieux chemin oublié que tu reconnaîtras car il est bordé d’arbres de la même espèce. Suis-le, il te mènera près de Solaire.
Il fallut laisser les morts. Ubice et son compagnon valide portaient l’homme à terre. Il s’était cassé la jambe et les avait ralentis. Jirzérou aida celui qui était blessé au flanc. Une fois sortis de la gorge, Ubice et les siens grimpèrent sur une grande dalle de pierre. Arrivé en haut, Ubice sortit un appeau et envoya un signal. Quelqu’un lui répondit. Il se tourna vers Riak :
   - Les miens sont là. Bonne chance à vous. Nous nous reverrons ?
   - Peut-être ! Bonne chance à vous aussi, répondit Riak.  Que le tissage de Rma vous soit favorable !

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