Il vola tranquillement dans la nuit noire. Il se demanda le sens de ce qui venait de se passer. Depuis qu'il était né tout semblait concorder pour l'amener vers l'accomplissement d'une destinée. Il avait pensé un temps que sa vocation était d'être roi-dragon. Depuis, il avait entrepris une autre quête. Degala émit un petit cri, détournant Lyanne de ses pensées. Il se pencha pour regarder le jeune garçon. Peut-être cauchemardait-il ? Le roi-dragon chercha des yeux un endroit pour se poser. Il repéra un feu, là-bas au loin. Il était même dans la bonne direction. Il en fut heureux. Se laissant planer, il atterrit doucement. Pourtant il y eut du remue-ménage, autour de lui. Les miburs s’égaillèrent dans toutes les directions. Un grand animal ressemblant beaucoup au snaff arriva en grondant, la gueule ouverte sur des crocs impressionnants. Pourtant dès qu'il sentit l'odeur du dragon, il repartit en courant et en gémissant :
- Qu'est-ce t'as, L'roucou ? D'habitude c'est toi qui fais peur.
L'homme qui arrivait avait une lance dans une main et une torche dans l'autre.
Lyanne portait Degala dans les bras et avançait tranquillement. L’homme le regarda d’un air mauvais :
- C’est toi qui mets mes miburs en fuite ?
- Je crains. Ils ont fui quand je suis arrivé.
- Ouais, mais L’roucou y t’aurait bouffé, donc y a qui d’autres.
L’homme avait posé sa torche et tenait sa lance à deux mains, prêt à faire face.
- Crois pas qu’j’vais m’laisser faire par des voleurs d’miburs!
- Je me suis perdu en voulant trouver un abri pour mon camarade qui a de la fièvre. Il a déliré un moment, mais je pense que le pire est passé. Je voudrais le poser. Je le porte depuis un bon moment.
- L’roucou, AU PIED !
Le grand snaff arriva la queue basse, gémissant à moitié mais obéissant. L’homme le regarda, regarda Lyanne.
- L’roucou s’est jamais trompé, il a toujours bouffé les mauvais, mais c’est ben la première fois que j’le vois comme ça. J’sais pas c’que tu sens, mais l’aime pas !
Lyanne fit un pas en avant.
- Bouge pas mec ! dit l’homme. Que j’regarde c’que t’as…
Lyanne ne bougea pas pendant que l’homme inspectait leurs maigres balluchons. Il se saisit de la dague et du marteau de Lyanne et du couteau de Degala.
- Comme ça c’est mieux… J’serai plus tranquille.
Il fit signe à Lyanne de passer devant lui. Il s’exécuta. Il posa Degala sur la paillasse, le laissant dormir.
- D’où tu viens ? interrogea l’homme. J’suis loin de tout ici et personne ne passe...
- Je suis forgeron et je loue mes services à qui me paye. Mon apprenti est tombé malade, il y a deux jours et depuis je cherche un abri. J’ai pensé prendre un raccourci pour la ville mais nous nous sommes perdus.
L’homme écouta tout en détaillant Lyanne à la lumière du feu.
- Fais voir tes mains !
Lyanne montra ses paumes de mains. L’homme regarda les durillons dus au marteau.
- Tu t’es sacrément perdu, mon gars ! Mais comme ça fait deux lunes q’j’ai vu personne, tu peux rester au moins pour la nuit. L’roucou émit un gémissement.
- TA GUEULE, TOI ! T’es même pas foutu de faire ton boulot. Allez, fous le camp !
Le snaff baissa la tête mais sortit dans la nuit noire.
- Ça, ça m’dépasse. J’comprends pas c’qu’il a.
- J’ai forgé un truc, pour le seigneur Etouble. C’est lui qui m’a fourni le métal et depuis je fais peur aux animaux. Je dois avoir une odeur particulière.
- C’est quoi ton nom ?
- Louny !
- C’est pas d’ici.
- Non, je viens de loin.
- Les forgerons, ça bouge pas beaucoup, d’habitude !
- C’est vrai. Je voulais voir la mer. J’ai rencontré quelqu’un qui m’a parlé d’une île avec un oracle à qui on peut tout demander… et j’ai des choses à lui demander.
- Ah ! tu veux voir la mer !
L’homme se mit à rire…
- L’est bien bonne celle-là ! En fait t’es un fou !
L’homme continua à rire, comme si ce qu’avait dit Lyanne était la meilleure des histoires drôles. Cela dura un bon moment, puis l’homme essuya les larmes qu’avaient amené ces éclats de rire.
- Bon, on va pouvoir dormir…
L’homme se leva, se dirigea vers un coin de la hutte, prit de la paille et étendit la zone déjà paillée où reposait Degala. Tout en travaillant, il dit :
- Mon nom c’est : L’vieux Jangmo.
- C’est un drôle de nom, répondit Lyanne.
- Avant j’en avais un autre mais j’l’ai oublié. Bon faut aller dormir…
Joignant le geste à la parole, il couvrit le feu et alla se coucher.
Lyanne attendit que la respiration de Jangmo soit devenue régulière. Sans bruit, il se leva. La nuit était étoilée. L’roucou se fit tout petit dans son coin. Lyanne s’approcha de lui en murmurant des paroles rassurantes. Le snaff prit une position de soumission que Lyanne accepta. Quand il eut fini, il s’éloigna un peu, et prit son envol. Rapidement, il trouva une porte vers les Montagnes Changeantes et atterrit à La Blanche. Là-bas l’aube pointait déjà son nez. Il alla retrouver le Prince-majeur et ses conseillers. Si la réunion fut courte, elle fut fructueuse, les objectifs prévus et les directives préparées.
- J’ignore quand je pourrais revenir. Je préviendrai comme je l’ai fait aujourd’hui. Tu remplis bien ta mission, dit-il au Prince-Majeur.
Akto, le poing sur la poitrine dans la position du salut à celui qui est votre maître, fut rempli de joie, plus qu’il ne pensait. Le roi-dragon le félicitait et il en était heureux d’un bonheur dont il n’avait jamais rêvé quand il pensait détenir tous les pouvoirs sur le Royaume. Il regarda Lyanne décoller et disparaître. Il n’était pas inquiet. Il le reverrait.
Les oiseaux chantaient déjà quand Lyanne se posa près de la cabane du Jangmo. Il s’approcha sans bruit pour trouver le vieux berger en train de faire sa toilette avec l’eau de la source qui coulait près de la hutte.
- T’es ben sorti tôt c’matin, dit-il.
- J’étais réveillé. Le sommeil m’a quitté.
- Ton p’tit va mieux sa respiration est calme.
L’roucou s’approcha en rampant pour lécher les pieds de Lyanne.
- C’est ben la première fois, qu’j’vois ça. D’habitude l’est méchant.
L’vieux Jangmo se redressa s’essuya avec un linge et regarda Lyanne.
- Tu dois pas être normal, pour qu’y fasse ça. T’élève des snaffs ?
- Je suis un simple forgeron. Je cherche un oracle.
L’vieux Jangmo s’arrêta de se frotter le corps avec des herbes.
- Un oracle, tu dis ?
- Tu en connais un ?
- Par ici, y a bien la diseuse mais j’s’rais toi, j’y fierais pas.
- Elle radote ?
- Non, elle dit souvent n’importe quoi.
- Et plus loin…
- Ah ! Plus loin…
La voix du vieux Jangmo avait pris des accents nostalgiques.
- T’sais, tu m’vois là, mais j’ai pas toujours été là… J’ai bourlingué… quand j’pouvais...
L’homme se redressa et regarda le ciel.
- Va pas faire beau… On aura la pluie.
- Tu es un oracle, toi aussi ?
Il partit d’un grand rire :
- Nan ! C’est juste que j’vis ici d’puis longtemps. Tu lui veux quoi à l’oracle ?
- Je suis en quête mais j’ignore de quoi. Un oracle me le révélera.
- Alors y a p’têtre quequ’un…
Lyanne laissa Jangmo aller à son rythme. Ils rentrèrent dans la cabane. Il le vit farfouiller dans un placard pour en sortir des galettes.
- J’dois rassembler les bêtes, t’vas m’aider !
La journée se passa calmement. Lyanne fut heureux de s’occuper des bêtes. Seul L’roucou faisait un détour quand il approchait. Quand vint le soir, ils se réfugièrent dans la hutte avec l’arrivée de la pluie. Degala était nettement mieux. La soirée fut rythmée par le bruit de l’eau sur le toit. Peu de paroles furent échangées. Les trois hommes allèrent se coucher. Lyanne, les yeux ouverts, pensait à la suite. Jangmo avait quelque chose à dire. Il en était sûr. Il écouta les respirations lentes et régulières. Il se leva et sortit. La pluie tombait maintenant fine et régulière. Les miburs s’étaient groupés sous les frondaisons pour se protéger. Il repéra L’roucou qui était couché plus loin. Il s’éloigna un peu et s’envola. Vu d’en haut, la région était vallonnée. Une rivière coulait non loin de là. Il n’y avait ni maison, ni autre signe d’occupation humaine. Il était dans un désert de pâturages. Il repéra un troupeau de chienviens. Il plongea vers le sol, attrapant une bête au passage. Le troupeau se dispersa pour se regrouper un peu plus loin. Quand il eut avalé sa proie, il refit un passage, en capturant une deuxième. Cette chasse lui prit une bonne partie de la nuit. Il revint vers la hutte alors que le ciel se dégageait. Il vit quelques étoiles. Avec le jour, viendrait le soleil. En tout cas, il l'espérait. Quand il rentra dans la hutte, il vit le regard de Degala sur lui. Il lui fit signe de se taire et alla se coucher.
Le lendemain ressembla à la veille. Ils s’occupèrent des bêtes dans différentes pâtures. Il fallut aussi renforcer des barrières qui s'effondraient. Ils allèrent chercher des épineux assez loin. C’est comme cela que Lyanne se retrouva au bord de la rivière qu’il avait vue de haut.
- Où va-t-elle ?
- Ben, à la mer…
Il n’insista pas. Il la contempla un moment, lente et calme, l’eau entraînait quelques branches vers l’aval. Il se retourna en entendant les grognements de Jangmo. Celui-ci se battait avec des branches. Lyanne alla l’aider. Ils restèrent une main de jours et puis un matin :
- C’serait bon que vous partiez…
- Si tu crois que c’est nécessaire.
- Ouais, on va m’amener les provisions. Y z’aiment pas voir des étrangers.
- Tu me conseilles d’aller par où ?
- L’autre jour, tu m’as d’mandé où qu’allait la rivière. T’as qu’à la suivre. Et quand t’arriveras à la côte, demande l’île de l’oracle. T’en trouv’ras ben un qui sait.
Jangmo les regarda se préparer. Dès que les baluchons furent prêts, Lyanne et Degala les mirent sur leur épaule.
- Merci de ton accueil, dit Lyanne.
- T’es un bon compagnon. On a bien bossé ensemble. Allez, bon voyage ! répondit l’vieux jangmo en sifflant L’roucou et en se dirigeant vers les miburs.
Lyanne regarda partir le vieux gardien de troupeaux. Quand il fut assez loin, il fit signe à Degala et ils se mirent en route. Quand ils arrivèrent près de la rivière, il allèrent vers l’aval.
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