L’éruption avait commencé dans la nuit. Lyanne regardait le panache de fumée et de vapeur qui s’élevait de la mer dans la lumière du soleil levant. Il avait l’intuition que son chemin allait dans cette direction. Il allait maintenant partir. Sa quête le menait de voyage en rupture sans lâcher ce qu’il était, un roi-dragon, incomplet tant qu’il n’aurait pas trouvé…
Il posa son bâton de pouvoir au sol. Il en sentit le tremblement, comme le grommellement d’un être qui exprimait sa colère. Devant lui, elle sortait en lourds nuages du fond de la mer. Il pensa : « Ce soir, peut-être demain, la terre émergera. Le royaume de Dgala s’agrandit ».
Il devint dragon rouge, aux larges ailes pour voler loin. Le vent lui serait favorable. Cela le fit sourire, découvrant ses crocs dont la blancheur contrastait avec le rouge profond de sa robe. Une sensation le fit se retourner.
Il vit Dgala.
- Cette nuit, j’ai entendu la terre. J’voulais pas qu’tu partes sans t’saluer.
Il s’approcha de Lyanne :
- J’tavais jamais vu en dragon.
- Cette vision te plait-elle ?
- J’comprends mieux ce que je ressens dans l’bâton. J’croyais pas qu’tu s’rais si grand.
Dgala eut un mouvement de recul quand le dragon rouge se mit à sourire de toutes ses dents. Il fut rassuré en entendant la voix de Lyanne :
- La vérité est souvent plus grande que l’apparence. Sois un bon roi, Dgala. Nous nous reverrons quand ma quête sera finie.
Lyanne se lança dans le vide, déployant largement ses ailes. Dgala le regarda s’éloigner, les yeux embués. Quand il rejoignit ses gardes, ceux-ci le regardèrent avec encore plus de considération. Désobéissant aux ordres dans l’intention de protéger leur roi, ils avaient vu ce qu’ils ne devaient pas voir. Ils avaient vu aussi Dgala discutant d’égal à égal avec cet être gigantesque pour lequel, ils n’avaient pas de nom. La légende se répandit doucement de l’intervention d’un oiseau rouge comme la lave et grand comme une colline pour rétablir la justice sur l’île de Fanhienne.
Lyanne contourna la colonne de fumées. Il survola le point d’éruption et vola droit dans cette direction. Tous ceux qu’il avait interrogés, lui avaient dit ne pas connaître de terre par là. Ceux qui avaient tenté la traversée n’étaient jamais revenu. Leurs bougies s’étaient éteintes sans qu’on les revoit. Tout en battant des ailes, Lyanne repensa à cette magie particulière du peuple des îles Waschou. Chacun, à sa naissance avait droit à une bougie qu’on allumait et qu’on déposait dans un temple. La flamme brûlait sans la consumer tant qu’il vivait. À sa mort, la flamme s’éteignait. Tout le monde savait ainsi qu’il était inutile d’attendre le retour de celui que la mer avait pris. Lui avait-on allumé une bougie ? Il en doutait.
Le temps passa. Quand le soleil passa au zénith, Lyanne planait. Il volait assez haut, se laissant porter par le vent régulier. Il avait perdu de vue l’île depuis longtemps et rien ne venait troubler le moutonnement de la mer en dessous de lui.
La vision du coucher de soleil le remplit de joie. Les rouges le disputaient à l’or. Il prit ce chatoiement du ciel pour un présage favorable.
Le matin le trouva somnolant en vol. Le vent était régulier à cette altitude et la mer… vide.
« Bon, pensa Lyanne, c’est plus loin que je ne le pensais ! »
Pour se remettre en forme, il battit des ailes prenant de la vitesse. Il alla ainsi jusqu’au soir sans voir d’autres choses que ses ombres de poissons dans l’eau et des vagues à l’infini. Il était entre deux mondes aussi bleus que différents.
A l’aube du troisième jour, il vécut comme une déception de ne rien découvrir de nouveau. La mer était-elle si grande ? Pourtant il ne douta pas de son intuition. Il lui fallait continuer. Ce jour passa comme la veille. Quand arriva le lendemain, il ne fut même pas surpris de ne rien voir de nouveau, mais sa faim de dragon s’était réveillée, d’autant plus forte, qu’il volait depuis plusieurs jours. Il descendit près de l’eau. Il sentit qu’en volant à une certaine hauteur qui devait dépendre de sa taille, il fatiguait beaucoup moins. Il se perdit dans la contemplation des vagues, recherchant de la nourriture. Il captura ainsi quelques poissons. Moins gros que ceux de l’île de Fanhienne, ils suffirent à calmer sa faim par leur nombre. Cela lui occupa une bonne partie de la journée. Les attraper n’était pas toujours facile. Il lui fallait parfois plusieurs essais et il avait dévié plusieurs fois de sa route. Avec la nuit vint la brume. Il sentit l’air mouillé sur ses écailles. Sa mémoire fut emplie de souvenirs. Pour la première fois depuis le départ de Tichcou, il soupira sur la longueur de sa quête. Son pays lui manquait. Même si un dragon ne dormait pas, ou pas comme un humain, il aurait apprécié de se poser.
Au septième jour, il avait des bouffées de haine contre le brouillard et rêvait de mibur. La visibilité était nulle. Heureusement ses autres sens fonctionnaient. Il devenait vent avec le vent, lumière avec la lumière. Allait-il en ligne droite ou tournait-il en rond ? Il ne savait plus. Le monde autour de lui avait cette couleur laiteuse qu’il avait rencontré dans le grand pays froid ou dans les chemins des Montagnes Changeantes. Était-il revenu en ces lieux si éloignés ? Le vent lui indiqua un chemin, il le suivit. Il se laissait porter doucement, en faisant confiance… Il entendit le bruit des vagues. Il descendait. Quand il fut juste au-dessus de l’eau, il ralentit autant qu’il put et se laissa tomber. Il fit un grand bruit avec beaucoup d'éclaboussures. Il écarta largement les ailes qui s’étalèrent à la surface. Il se mit à flotter, bercé par le mouvement de la mer. Il n’y avait plus qu’à attendre. Il ferma les paupières.
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