Les jours qui suivirent furent très chargés. Des équipes avaient été organisées pour fouiller la zone de la catastrophe. En écoutant les uns et les autres, Lyanne avait mieux compris la société des îles Waschou.
Chaque île était sous le contrôle d'un prêtre du dieu endormi et tous étaient sous la gouverne du grand-prêtre. Le dernier était Djalm dont on n'avait rien retrouvé. Pour les questions pratiques un chef de galères comme Djoug, était nommé par le prêtre de l'île, charge à lui de répartir le travail et les missions. Djoug était le chef de galère de Djalm. Mais si leur entente avait été bonne, elle s'était altérée au point que Djoug risquait d'être démis. Djoug faisait partie de ces plus jeunes qui souhaitaient faire évoluer la société. C'est-à-dire une société où lui et les autres chefs de galère auraient plus de pouvoir. Ils s'appuyaient sur le mécontentement du petit peuple qui souffrait de voir le temple engloutir le fruit de leur travail. Les premières portes en bois avaient demandé, vue leur taille, un an de récoltes et des razzias.
La cérémonie avait fait venir sur l'île tous les prêtres sauf Dgada, tellement vieux qu'il n'aurait pas supporté le voyage. Contrairement aux chefs de galère qui avaient été laissé de côté, tous les prêtres présents avaient fait des pieds et des mains pour être bien placé derrière Djalm. Ils étaient tous dans la dernière salle au moment du tremblement de terre et n'avaient pas eu le temps de se sauver avant l'arrivée de la lave. Djoug avait raconté que non seulement Djalm avait ruiné les îles en voulant de grandes portes en bois sculpté mais qu'il avait changé le cérémonial pour donner plus de place aux prêtres dès le début ce qui avait causé leur perte. Un apprenti prêtre avait expliqué à Lyanne le déroulement normal de la cérémonie. Dgala ne l'avait pas remarqué mais il existait une petite porte, juste assez grande pour laisser passage à un homme. C'est par cette ouverture que devait se glisser l'enfant marqué avec quelques serviteurs et ainsi de porte en porte. À la dernière, l'enfant marqué passait seul. Par un trou dans la pierre on passait une corde. Il tirait sur la corde quand il avait réussi sa mission et on venait le délivrer en ouvrant les grandes portes devant l'enfant vainqueur. Un événement avait permis à Djalm de changer cela. Lors de la cérémonie précédente, l'enfant était mort malgré sa réussite. La corde s'était coincée et le grand prêtre de l'époque était resté intransigeant. Il avait laissé passer dix jours avant d'envoyer un éclaireur. Pour éviter cela, et comme jamais les annales n'avaient mentionné d'échec, Djalm avait décidé d'accompagner l'enfant marqué pour bénéficier de sa gloire.
Lyanne avait beaucoup accompagné Dgala les premiers jours. Il prenait conscience petit à petit de sa puissance. Avec Djoug, ils prenaient le pouvoir. Au total, la catastrophe avait détruit la classe dirigeante sans détruire les rouages du pouvoir. Auréolé de ses miracles, Dgala était la personne idéale pour incarner une nouvelle ère.
Quand Lyanne avait remarqué l'osmose entre Dgala et son bâton de pouvoir, il avait pris du recul. Il parcourait les pentes de la montagne, s'arrêtant ici ou là pour méditer. Le Pays Blanc était en paix. Tichcou était en paix. Lui seul ne l'était pas.
Ce jour-là, il était sur un rocher, reste d'une éruption ancienne, devant lui, la mer. Il avait choisi le côté opposé à la rade. Personne n'y habitait. Le soleil brillait. Il déploya ses ailes pour se laisser chauffer. Sa perception du monde devint plus riche, plus complexe. Il vit la terre devant lui. Elle était comme lui, pleine d'une pression intérieure. La mer en était affectée. Le temps se contracta. Il vit surgir une nouvelle île à côté, puis une autre après, puis encore une autre. Dans des milliers de saisons, tout un archipel s'étalerait.
Quand il revint à la réalité de l’instant, la mer avait encore cet aspect curieux à ses yeux. Le rougeoiement qu’il avait vu à son arrivée semblait se superposer avec le bleu profond de l’eau. Pour Lyanne, ce fut évident, une nouvelle île de feu et de roches allait naître à cet endroit. Il prit cela pour un signe. Les dragons sont des êtres de feu, le feu du soleil couchant l’avait guidé, maintenant c’était le feu de la terre qui lui donnait la direction. Il se dit : “ Quand jaillira le feu de la terre, je partirai !” En attendant, les ailes largement étalées, il profitait de la chaleur du soleil.
Il rencontra Dgala le soir en redescendant. Il lui fit part de sa vision.
- Ton royaume va s’agrandir. Bientôt de nouvelles terres naîtront à côté de l’île de Fanhieme.
Dgala le regarda bizarrement.
- Comment sais-tu cela ?
- Je regarde et je sens ce qui ce passe. Les forces que tu as bloquées l’autre jour, doivent sortir. Tu leur as interdit un chemin, elles en trouveront un autre. La magie des bâtons de pouvoir est faite pour aider, pas pour bloquer la vie. La vie court et va son chemin. Si tu t’y opposes… tu seras perdant.
- Alors, j’dois pas empêcher ça.
- Tu es libre de faire ou de t’abstenir de faire. Tu peux tout faire, mais est-ce que tout est favorable ? Penses-y à chacun de tes actes. Nombreuses sont les conséquences de nos décisions. Certaines se dévoileront tout de suite, d’autres beaucoup plus tard et d’autres encore plus tard quand nous ne serons plus là. Regarde le bâton de pouvoir que tu as en main. Crois-tu que le roi-dragon qui l’a fabriqué savait que tu t’en servirais ?
Dgala resta pensif.
- Alors on peut rien faire !
- Il est nécessaire de faire pour vivre. On fait du mieux qu’on peut et à chaque geste, petit ou grand, qu’on y pense ou pas, on fait un choix. Reste à faire le plus favorable.
- Ben comment tu fais ?
Lyanne se mit à rire.
- Je fais simplement en suivant ce que je sens, ressens, et en fonction de ce que je crois. Et puis, parfois je demande l’aide du Dieu-Dragon.
- Quand tu le dis, ça a l’air simple, mais moi, j’vois pas tout ça… J’essaye de faire plaisir à ceux qui m’entourent.
- C’est une bonne chose. Pourtant méfie-toi, sache que que tu as besoin de rester en accord avec toi. Si tu t’oublies, tu finiras par être malheureux. Chaque jour, prends un temps. Assieds-toi et pose ton front sur ton bâton. Il t’aidera.
Dgala eut un sourire.
- Ça, j’veux bien, c’est pas trop dur.
Ce fut au tour de Lyanne de sourire.
- Bien, roi Dgala ! Sache que je vais bientôt partir. Tu as trouvé ta place. Ma quête continue.
Dgala se renfrogna.
- J’saurais pas sans toi.
- Tu sais déjà. Comme pour la puissance du bâton, tu ignores ce que tu sais.
- Mais si tu pars qui me conseillera ? Comment j’pourrais faire confiance à ceux que j’connais pas ?
- Grâce au bâton de puissance, tu as appris la langue du peuple. C’est aussi un bâton de vérité. Quiconque le touche en mentant, meurt. Tu auras, malheureusement, l’occasion de l’expérimenter. Quant à ceux qui auront assisté à la scène, auront répandu la nouvelle, cela t’aidera à gouverner...
Lyanne se tourna vers le large, il ajouta :
- Je partirai quand jailliront les roches de feu dans la mer.
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