Lyanne se chauffait au soleil. Allongé sur le dos, il laissait la chaleur l’envahir. Le soleil au zénith lui intima de baisser les paupières. Doucement, il se laissa aller. Se retrouver homme lui était agréable surtout sous cette lumière qui irradiait. Il avait chassé la nuit dernière. Les poissons gris argent qu’il affectionnait, venaient plus souvent à la surface la nuit. Il laissa ses pensées aller sur tout ce qu’il avait déjà traversé pour se retrouver sur cette île où vivait un peuple perdu. Où était le signe pour continuer sa quête ?
La variation de lumière lui fit ouvrir les yeux. Un lourd nuage noir passait devant le soleil. Il réalisa que c’était de la fumée. Bientôt l’odeur fut sur lui, une odeur âcre et lourde. Il se leva, s’approchant du bord de la corniche. En bas, au bord de l’eau, brûlait un grand feu. Il fut étonné que le peuple aux yeux noirs fit un tel brasier. Le bois était rare. Ils récupéraient le bois flotté qu’ils utilisaient avec parcimonie. Que devaient-ils ainsi consumer pour faire un tel feu ? Une longue file se dirigeait vers le foyer, y jetait du combustible et repartait. Vu d’en haut, cela faisait comme une flèche tracée sur le sol. Il suivit du regard la direction ainsi donnée. Au loin, très loin, il sentit comme l’idée d’une présence. Il eut un sourire. Son cœur battit plus vite. Après tous ces jours passés, bloqué ici, un chemin se présentait à lui. Il prit conscience de son erreur. En voulant ne pas effrayer T’mag et les siens, il s’était enfermé dans une seule de ses natures. Il n’avait pu sentir ce qui, ici, lui semblait évident. Il plissa les yeux en reportant son regard vers la longue file près du feu. Les silhouettes étaient grandes comme des fourmis et il ne distinguait pas ce qu’il mettait dans le feu. Il voyait seulement la combustion brutale et la fumée noire qui s’élevait. Son esprit déjà tourné vers autre chose, il décida de partir sans plus de cérémonie. En redevenant dragon pour prendre son envol, il eut une pensée pour T’mag. Peut-être l’enfant pourrait faire autre chose que ses parents. Il en avait le potentiel, en aurait-il l’audace ? Il donna un grand coup d’ailes pour s’élancer et se laissa aller dans la pente avant de reprendre de l’altitude. Sous cette forme, sa vision était beaucoup plus précise. Tout en battant des ailes pour maintenir sa vitesse, il regarda une dernière fois le peuple aux yeux noirs. Il fut étonné de ce qu’il vit. La longue file qui attendait avant le feu n’était pas passive. Celui qui suivait rasait la tête de celui qui précédait. Le plus proche du feu jetait ainsi sa chevelure en offrande dans le feu puis repartait tout en psalmodiant. Lyanne ne pouvait pas comprendre cette folie. Où s’arrêteraient-ils ? Il chassa l’idée de son esprit pendant qu’il vérifiait son cap. Son avenir était là-bas.
Il lui fallut deux jours de vol avec un vent de travers pour apercevoir quelque chose. Ce fut étonnant pour lui de voler aussi longtemps en allant presque comme les crabes. Au loin fumait une montagne. Il pensa être revenu près de îles Waschou. En s’approchant, il vit des différences. Il avait atteint un autre lieu, à un autre endroit. Il pensa que les volcans étaient beaucoup plus nombreux qu’il ne le pensait. C’était une grande île avec un cône de belle taille. Il avait dû connaître de nombreuses éruptions car son flanc était entaillé et à ses pieds s’élevait une forêt lui donnant de loin un aspect vert et noir. Le soleil était encore haut dans le ciel quand il approcha. Il décida de faire le tour pour chercher un endroit pour se poser. Il fit deux fois le tour de l’île avant de repérer la construction sous les frondaisons. Il ne vit pas âme qui vive. Il décida de se poser sur un piton rocheux plus haut et de descendre à pied pour se rapprocher de ceux qui habitaient là, si toutefois quelqu’un y habitait. Il longea la pente. En passant à côté de la déchirure dans le cône, il crut voir une silhouette qui le fit sursauter. Son imagination devait lui jouer des tours. Il ne sentait pas de présence. Les roches noires pouvait prendre des formes bizarres. Pourtant, il sut qu’il viendrait voir ce qu’il avait seulement aperçu.
Il termina par un vol plané et se posa en cabrant brusquement ses ailes pour casser ce qui lui restait de vitesse.
La pierre était tiède, incontestablement tiède. Le feu de la terre devait être proche. La dalle surplombait la forêt. Il chercha un chemin pour descendre. Des pierres s’étalaient en pente douce. En sautant de l’une à l’autre, il descendit jusqu’au sol, au pied des grands arbres. Il continua à suivre la pente. La végétation était dense. Il décida de suivre la ligne de pente. Un fond de ruisseau lui servit de fil conducteur. Il atteignit le bord de la mer à la nuit tombée. La bâtisse devait être plus loin sur la droite. La soirée était douce. Le mieux était de se reposer là et de repartir le lendemain. Avec son couteau, il se coupa des branchages aux grandes feuilles pour s’en faire une litière. Il manipulait avec de grands gestes quand un serpent en tomba. Se dressant de toute sa hauteur, le reptile siffla. Lyanne le regarda et lui parla doucement :
- Je sais bien que je te dérange. Va en paix. Ton chemin est dans les arbres et le mien sur la plage.
Ils se regardèrent un moment sans bouger. Ce fut le serpent qui se remit en mouvement le premier. Il commença par se laisser aller au sol sans quitter des yeux Lyanne qui ne bougeait pas. Sans se presser le reptile retourna vers la forêt. Quand il eut disparu dans la végétation, Lyanne termina son couchage. Il ne vit pas d’autres menaces. Il laissa ses muscles endolori par le vol se reposer tout en regardant le soleil se coucher. Les pourpres du ciel le disputèrent un moment avec les bleus profonds de la nuit, puis les étoiles régnèrent en maître sur le paysage. C’est alors que commencèrent les bruits et les mouvements. Émergeant du sable des crabes par milliers se mirent en mouvement. Derrière lui, la forêt s’anima aussi. Entre les cris et les mouvements des branchages, c’est toute une vie qui se faisait entendre. Lyanne en fut étonné. Pendant sa traversée, s’il avait entendu des oiseaux, il n’avait pas remarqué autant d’être vivants. Si certains cris lui semblèrent familiers, la plupart lui étaient étrangers. Il devinait tout un monde de chasses, de fuites, de luttes. Il laissa son esprit vagabonder sur ce paradoxe de ces morts qui permettaient à d’autres de vivre.
Quand l’aube arriva, il vit les crabes s’enfoncer sous le sable de la plage. Il remarqua que toutes les bêtes avaient évité la proximité de son couchage. Cela le fit sourire. Il se mit en marche en suivant le bord de l’eau. Tout, autour de lui, semblait paisible. Même le ruissellement, pourtant sonore, semblait se fondre avec la sérénité du lieu. Lyanne en sentit toute l’ambivalence. Les nuits étaient fureur quand les jours étaient paradisiaques. Il profita du soleil pour avancer plus vite. Régulièrement il pataugeait pour traverser un ruisseau qui venait se jeter dans la mer. Le sable crissait sous ses pas le reste du temps. Le chant des oiseaux l’accompagnait même s’il ne les voyait pas. Il marchait depuis le matin quand il aperçut une voile au loin. Le vent bien établi, le faisait avancer rapidement. Lyanne le regardait se diriger vers la berge plus loin. Il pensa qu’il allait vers l’habitation qu’il avait vue depuis le ciel. Il reprit sa marche. Il estima qu’il arriverait là-bas au coucher du soleil.
Plus tard, il vit disparaître le bateau derrière un cap de roches noires qu’il atteignit alors que le soleil commençait à être bas sur l’horizon. Il fut heureux de sentir sous ses pieds quelque chose de plus dur que le sable. Il reconnut les mêmes roches que celles qui étaient sorties en feu lors de l’éruption. Refroidies depuis longtemps, elles se perdaient en mer. Il se mit à marcher en évitant les arêtes les plus coupantes. Il repéra le bateau au loin qui balançait doucement à quelques encablures du rivage. Il peina à avancer puisqu’il devait regarder où il mettait les pieds pour éviter de se faire mal. Le soleil bientôt arriva sur l’horizon plongeant dans la mer dans un superbe flamboiement. La nuit allait être belle. Il continua son chemin, il ne devait plus être très loin de son but. La lune se leva éclairant d’une lumière pâle ces roches sombres. De petites plages de sable aussi noir que les roches entrecoupaient les coulées qui faisaient comme autant de monticules sur son chemin. Il ne découvrait la suite de son parcours qu’à chaque sommet, découvrant une nouvelle difficulté ou une nouvelle plage. Les crabes commençaient à sortir. Son arrivée sur leur territoire mettait la panique dans le peuple des crustacés. C’est à celui qui fuirait le plus vite.
Au milieu de la nuit, il gravit une dernière coulée de lave, découvrant une plage au sable plus clair et un peu au large, le bateau à l’ancre. La plage était couverte de crabes comme les autres. La mer s’était retirée avec la marée, laissant un espace plus vaste. Quelque chose attirait les crabes qui semblaient former un monticule. Cela l'intrigua. Il se dirigea vers ce phénomène curieux. De nouveau sa présence les fit fuir. Un peu plus loin, il découvrit les bâtiments de pierre claire se détachant sur le vert de la végétation. Aucune lumière n’en émanait. Tout le monde devait dormir. Il reporta son attention sur la plage. Les crabes s’écartaient aussi vite qu’ils pouvaient de son chemin. Quand il arriva près de l’entassement de carapaces, ils mirent du temps à laisser la place, refusant de quitter l’endroit. Lyanne s’approcha pour découvrir ce qui les retenait là. Il sursauta et se pencha pour regarder de plus près. Dépassant du sable, il ne vit que le crâne presque complètement nettoyé par les crabes. Ils avaient même commencé à s’enfoncer plus profond. Il comprit mieux la réticence des crustacés à quitter ce lieu de nourriture. Il se releva.
Il regarda à nouveau vers les bâtiments, s’interrogeant sur ce qui s’était passé. Il se remit en marche vers le littoral. Il atteignit la partie sèche de la plage. Il détailla les constructions qu’il découvrait plus en détail. Un long bâtiment bas se dressait le long de la plage. Au bout, une jetée s’enfonçait dans la mer. Plus loin, le bateau se balançait mollement. Une légère lueur clignotait le long d’un mât. Cela évoqua une lanterne oscillant au rythme des vagues. Lyanne s’avança en contournant le bâtiment. D’autres maisons plus petites s’étalaient sous les arbres derrière. Au milieu, il découvrit une esplanade couverte entourée de colonnes en bois. Il se dirigea vers cette construction. Une vasque en occupait le centre. En approchant, il vit des vapeurs qui s’en échappaient. Il se pencha pour mieux les sentir. Il plissa le nez. Cela sentait le feu et la terre brûlante. Il se releva.
- Que faites-vous ici, dit une voix dans son dos ? Vous n'étiez pas sur le bateau.
Lyanne se retourna vers l’origine de la voix. Il découvrit une petite silhouette assise dans le noir.
- Je suis venu par la plage, répondit-il.
- Alors vous avez vu.
- Pourquoi un tel sort ?
- Il était le passé.
Lyanne lui jeta un regard d’incompréhension.
- Qui est là ? demanda une voix grave.
- Moi, répondit la petite silhouette.
Un grand homme, large d’épaule, à la peau presque noire, s’approcha. Dans sa main, il tenait un solide gourdin.
- Vous n’êtes pas seule, ô oracle.
- Non, Vimes, je suis avec celui qui voit dans le noir. Tu peux continuer, il n’y a pas de danger ici.
Vimes s’inclina et se fondant dans les ombres des bâtiments faiblement éclairés par la lune, il reprit sa ronde.
- Parfois des animaux s’approchent trop près des maisons. Vimes les écarte.
Lyanne détailla mieux la silhouette quand elle se mit debout. L’aspect ne le renseigna pas plus que la voix, homme ou femme ? Il ressentait un être double.
- Vous me regardez et vous vous interrogez. Il est préférable d’ignorer ce que je suis vraiment. Personne n’arrive là où je suis, sans avoir traversé d’épreuves. Quand les gens du bateau m’ont demandé un oracle, j’ai senti que vous arriveriez bientôt. La respiration de la terre ne ment jamais. Un être de puissance était en chemin et vous arrivez.
- Je suis un simple voyageur en quête…
- Arrivant par la plage sans peur des myriades de crabes qui dévorent tout ce qu’ils trouvent.
Lyanne eut un sourire.
- Tous viennent me trouver pour trouver les réponses qu’ils ont déjà en eux. Les vapeurs de la terre me donnent la clairvoyance nécessaire. Votre arrivée est pourtant entourée de mystère.
- J’ai vu la montagne qui fume là-haut et comme une grande silhouette.
- Vous avez bien vu. Il fut un temps, très long, où l’oracle de la montagne siégeait sur le sommet de la montagne. C’était un grand être, grand comme une colline et sage comme la terre. A sa mort, le feu de la terre l’a transformé en pierre. Il avait formé le premier oracle humain. Là-haut est le grand sanctuaire. Les mystères y sont nombreux et les forces puissantes. Rares maintenant sont ceux qui s’y osent. La montagne est dangereuse pour les présomptueux.
- Mon désir me pousse à y aller, oracle.
- J’ai vu cela. Quand le soleil se sera levé trois fois, arriveront les bateaux. Alors viendra pour vous le temps d’escalader la montagne.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire