Ils longèrent le mur pendant deux jours. Malgré les voiles réduites au minimum, leur embarcation volait littéralement de vague en vague. Si Sounka tenait le choc, Ziepkaar essayait encore de vider un estomac qui ne contenait plus rien. Lyanne était tellement tendu qu’il était insensible au mal de mer. Il scrutait sans relâche le mur d’eau et de vent qui les frappait par tribord. Régulièrement Haafefe se couchait et se relevait sous les rafales. Lyanne était pleinement d’accord avec Ziepkaar. Ils étaient sur le meilleur bateau possible.
- LÀ ! hurla-t-il pour couvrir le bruit du vent et des vagues. ALLONS PAR LÀ !
Du doigt, il désigna entre deux rideaux d’eau, une espace, comme une fente dans le mur. Il se rapprocha de Sounka.
- Ça doit être comme entrer dans un de vos fjords. C’est un travail pour un Cousmain, ça !
Sounka eut un sourire forcé, mais mit le cap sur l’endroit que lui désignait Lyanne. Haafefe craqua de toutes ses membrures quand il le força à faire route face au vent. Il fut obligé de tirer des bords pour s’en approcher. Sounka aurait préféré un fjord cousmain à ce passage improbable, s’ouvrant et se fermant au gré des coups de vent. Il lutta contre le vent et la mer pour se rapprocher. Le soir arriva avant qu’ils ne soient à proximité. Sounka prit peur.
- Il faut mettre à la cape et réessayer demain !
- C’est maintenant le moment favorable, Sounka.
- Peut-être, mais la nuit arrive et je ne vais plus rien maîtriser.
- Fais-moi confiance, le passage est là.
Sounka vira de bord encore une fois dans le crépuscule sombre. Le bateau sembla renâcler avant de prendre le bon cap. Ils prirent le vent au près. Haafefe accéléra, surfant sur les vagues qui venaient maintenant par le travers arrière.
Brutalement tout se calma. Autour de la zone où il naviguait maintenant, le vent hurlait, la pluie cinglait la mer dont les vagues déferlaient en tous sens. Alors que la nuit s’installait, Lyanne prit la direction des opérations donnant à Sounka les ordres pour avancer sans quitter le couloir de calme entre les tempêtes. Ils luttèrent ainsi toute la nuit pour garder le cap entre les deux tempêtes. Parfois un brusque coup de vent ou une déferlante les mettaient en danger de sortir de l’étroit chemin qu’ils suivaient. Lyanne sentit la fatigue de Sounka quand celui-ci commença à répondre avec retard à ses indications. Ziepkaar avait fini par s’endormir. Lyanne se rapprocha du barreur :
- L’arrêt nous est interdit pour le moment. Veux-tu que je te remplace ?
- Pas encore… Je vais tenir, répondit Sounka dans un bâillement. On va réduire la voile au minimum. Mais il faut qu’on reste manœuvrant.
Tout en s’occupant de la barre, il donna à Lyanne les ordres pour accrocher la toile. Haafefe se retrouva au ralenti. Lyanne était à hauteur du mât. La première embardée faillit le faire passer par dessus bord. Un cordage lui avait permis de se tenir. Sounka s’était endormi en appuyant sur la barre. Le brusque mouvement l’avait réveillé. Lyanne lui proposa une nouvelle fois de prendre la barre jusqu’au matin, ce que Sounka refusa encore :
- Il faut que tu guides. Je ne vois rien dans le noir. On va réveiller Ziepkaar pour qu’il me remplace. Il devrait pouvoir le faire.
Lyanne alla vers l’avant. Il secoua Ziepkaar qui bougea un peu mais sans pour autant se réveiller. Il le secoua plus violemment sans plus de résultats. Une nouvelle embardée de Haafefe le fit repartir vers la poupe. Il trouva Sounka affalé sur la barre. Lyanne le secoua sans parvenir à le ramener à la conscience. Que se passait-il ?
Il regarda autour de lui, cherchant une explication. Une vague lueur sur bâbord lui fit espérer un instant l’arrivée de l’aurore, quand une brusque rafale lui apporta une odeur piquante. Il pensa : « Un volcan ! Nous sommes sous le vent d’un volcan ». Il avait déjà vu des gens mourir en voulant respirer les émanations de la terre. Il agit en même temps qu’il pensait. Il abattit le mât, le fixant sur le bordage. Sans plus attendre, il se jeta dans le vent, déployant ses ailes. En trois battements, il était devenu très grand et passait au-dessus de Haafefe qu’il saisit entre ses griffes. Il monta avec sa charge rencontrant des vents violents. Malgré tout son instinct, il ne pouvait prévoir tous les mouvements. Il passait de vents contraires à des vents portants en un battement. Parfois une zone de calme absolu séparait deux courants. Lyanne souffrait malgré sa taille. La violence de ces tempêtes était inimaginable. Il tentait de se diriger vers le volcan dont il avait aperçu la lueur, tout en évitant l’endroit des émanations toxiques. Rencontrant une zone plus calme il se laissa planer. Il sentait ses muscles à la limite de la fatigue. Haafefe et son contenu pesaient lourd entre ses griffes. Sortir de ces tourbillons de vent lui avait demandé une énergie considérable. Son corps aspirait au repos. Il vit la terre à travers une trouée. Il se dirigea par là. Entre deux promontoires de lave, il avait repéré une plage. Ils y seraient très bien pour se reposer. Il se remit à battre des ailes malgré la douleur que cela lui provoquait. Encore un effort, un petit effort et il pourrait se poser, se reposer.
Le coup de vent fut violent et le prit par surprise. Il tenta du mieux qu’il put d'atterrir en douceur mais le tourbillon l’emporta. Sa dernière pensée fut de protéger le bateau et ses passagers et sa tête heurta violemment le sol.
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