Le soleil se levait sur les falaises du pays Cousmain et le vent venait de la terre en ce petit matin. Ils montèrent la voile. Lyanne et Sounka étaient partis dans la nuit avec l’espoir que personne ne les verrait prendre Haafefe. L’Assemblée avait duré presque toute la nuit. Tous avaient bu force timbales pour tenir. Quand le sommeil s’était emparé d’eux tous, Lyanne avait réveillé Sounka. Ils avaient poussé le bateau dans l’eau et à l’aviron s’étaient éloignés dans le goulet. Maintenant que le jour se levait, ils allaient pouvoir prendre vraiment le départ de ce voyage. Ils soulevaient la lourde toile qui servait de voile quand retentirent les trompes.
- Ils ne sont pas contents ! dit Sounka.
- Que signifient ces sonneries ?
- Ils signalent qu’un bateau a pris la mer sans l’accord du chef du village.
- Nous avons outrepassé leur volonté, répondit Lyanne. Mais qui sont-ils pour vouloir décider pour moi ?
- Je sais, répondit Sounka, mais cela nous désigne comme des hors-la-loi.
- Hors leurs lois, Sounka, seulement hors leurs lois.
Sounka poussa un cri et tira sur un bras, mettant debout un garçon :
- Qu’est-ce que tu fais là, toi ?
Lyanne reconnut celui qui lui avait fait la description des bateaux.
- J’me suis endormi !
- Comment ça ?
- Je savais que vous alliez partir. Je voulais pas manquer cela.
Lyanne interrompit Sounka chez qui il sentait monter la colère :
- On verra cela plus tard, il faut mettre la voile.
Sounka poussa l’enfant dans un coin. Celui-ci trébucha sur un banc et s’étala en arrière pendant que les deux hommes hissaient la voile. Sounka la régla pour qu’elle prenne bien le vent de la terre et l’embarcation prit de la vitesse. Pendant que Sounka barrait, Lyanne s’assit en face du jeune :
- Quel est ton nom ?
- Ziepkaar
- Et bien Ziepkaar, pourquoi es-tu là ?
- Hier soir, je t’ai entendu parler à Sounka. Je voulais partir mais on me dit toujours que je suis trop jeune, pas assez fort.
Lyanne le regarda mieux. S’il était assez grand, il n’avait que la peau sur les os.
- Là où nous allons, les autres refusaient d’aller.
- J’suis comme Sounka. Là où tu vas, tout ira bien.
Sounka intervint :
- Je ne sais pas si nous aurons assez d’eau.
Lyanne se tourna vers Sounka.
- Combien de jours avons-nous ?
- J’ai pris pour dix jours de vivres et d’eau pour deux. Nous sommes trois. Notre loi nous autorise à jeter à l’eau les passagers clandestins.
Ziepkaar se mit à pâlir. Lyanne se mit à rire.
- Il m’est impossible de le jeter à l’eau. Nous allons nous rationner. Le mur des tempêtes est assez près pour que nous l’atteignons.
- Oui, homme-oiseau, si le vent se maintient.
- J’ai confiance, Sounka.
Il se tourna vers Ziepkaar.
- Tu as à rester tranquille, garde cela en tête.
C’est ainsi qu’avait commencé le voyage. Une fois passée la colère de s’être fait avoir par un gamin, Sounka s’était calmé et avait débuté la formation de Ziepkaar. Les côtes avaient disparu derrière l’horizon au soir du premier jour. Depuis, ils naviguaient au milieu de rien. Sounka montrait la nuit, les étoiles et les constellations sur lesquelles on pouvait s’appuyer pour naviguer. Les dieux les avaient mises là pour que les hommes puissent se repérer. Dans la journée, la position du soleil lui servait à régler le bateau selon les vents. Il y avait peu de vivres à bord. Les Cousmains pêchaient pendant leurs voyages. À trois sur un bateau qui aurait pu porter vingt hommes, ils avaient de la place.
Au troisième jour, Sounka avait déclaré :
- Le dieu des vents est avec toi, Homme-Oiseau. Je n’ai jamais vu ce vent durer aussi longtemps.
C’est à partir du quatrième que les vents étaient devenus plus capricieux et la mer plus formée. Haafefe montait et descendait les vagues avec beaucoup d’aisance. La voile était encore complètement déployée. Ils avançaient bien. Sounka estimait, selon les légendes, qu’ils verraient le mur des tempêtes dans trois jours s’ils continuaient comme cela.
C’est au cours de cette dernière nuit tranquille que Ziepkaar posa la question :
- Homme-Oiseau, pourquoi tu n’as pas volé pour aller au mur des tempêtes ?
Lyanne le regarda droit dans les yeux, ce qui le mit mal à l’aise.
- C’est une question que je me pose, Ziepkaar. Je crois que j’ai besoin de suivre le chemin que me montre un autre que moi. Cet autre aujourd’hui est Sounka. Comment lui volerait-il ?
Le vent avait forci. Les vagues maintenant étaient plus hautes que les hommes. Sounka avait réduit la voile. Malgré cela, Haafefe semblait voler. Son étrave étroite fendait les vagues
- Est-ce le mur des tempêtes ? demanda Lyanne.
- Non, c’est juste la mer qui nous secoue un peu. Les vraies tempêtes sont plus loin.
Le vent se mit à leur arriver par le travers de leur route, obligeant Sounka à tirer des bords. Plus la nuit avançait et plus le vent devenait violent. Ils durent s’attacher pour ne pas être emportés. Ils hurlaient pour s’entendre. Sounka ne savait pas où ils allaient. Les étoiles étaient invisibles. Cela dura deux jours et cessa presque aussi brutalement que cela avait commencé. Haafefe était encore en état. Sounka avait affalé la voile et le mât avant que la tempête ne puisse le casser.
Ziepkaar hurla sa joie :
- J’T’AVAIS DIT ! J’T’AVAIS DIT ! Haafefe c’est l’meilleur.
Il dansait sur place, faisant sourire les deux adultes qui vérifiaient l’état de l'embarcation.
- As-tu une idée de notre position, demanda Lyanne.
- Cette nuit, si les nuages se dégagent, je pourrais estimer où nous sommes par rapport au pays Cousmains.
Ils remontèrent le mât et mirent un peu de voile pour stabiliser le bateau. Lyanne en profita pour scruter l’horizon. Sur bâbord, la tempête s’éloignait. On voyait encore les éclairs. Sur tribord, il aperçut ce qu’il prit au départ pour des montagnes. Il en fit la remarque à Sounka qui se tourna de ce côté.
- Non, Homme-Oiseau, ce n’est pas une terre et des montagnes. C’est le mur des tempêtes. Pour trouver ce que tu cherches, il faut passer de l’autre côté. Je suis déjà venu pêcher par ici… C’est toujours impressionnant de le voir. On n’aura pas besoin des étoiles. Il suffit d’aller à la rencontre de l’orage.
Comme une réponse aux paroles de Sounka, un sourd grondement se fit entendre. Ziepkaar se mit à pâlir.
- Le Dieu du tonnerre parle ! dit-il. Ma mère m’a dit que la dernière fois qu’il avait parlé au-dessus du village, les falaises s’étaient effondrées...
- Il n’y a pas de falaises ici, Ziepkaar, et nous sommes trop loin pour risquer quelque chose, lui répondit Sounka.
- Mais tu veux y aller !
- Oui, ziepkaar, je vais y aller, nous allons y aller car l’homme-oiseau est avec nous.
Lyanne écouta sans rien dire. Là-bas était-ce le territoire où s’affrontaient les dieux ?
- Approchons-nous, Sounka, mais prenons notre temps. Je comprends pourquoi il me fallait être homme pour venir. En volant, j’aurais affronté la puissance d’un dieu. La faiblesse est parfois meilleure que la force pour passer certaines barrières.
Sounka envoya un peu plus de toile et Haafefe qui semblait n’attendre que cela, bondit en avant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire