Digrat regarda Lyanne puis tous les soldats à terre puis à nouveau Lyanne. Inconsciemment, il caressa son cou. Il n'avait jamais vu cela ni même pensé qu'il soit possible que ça lui arrive. Tout cela le dépassait. Cet homme semblait sorti tout droit des contes de son enfance, ceux auxquels les adultes continuent à croire tout en se disant que ce ne peut être vrai. Il se gratta la gorge. Lyanne attendait sa réaction. Digrat lui dit :
- Je n'ai pas l'autorité nécessaire pour te juger puisque tu es roi. Tu vas rester ici jusqu'à l'arrivée de mon roi. C'est lui qui te jugera.
- Bien, dit Lyanne. Puisque tu m'invites, j'accepte d'être ton hôte.
Lyanne alla chercher son bâton de pouvoir toujours planté au milieu de la pièce. Il le sortit du trou dans lequel il l'avait emboîté et dans le même mouvement l'encapuchonna. Aussitôt des gémissements se firent entendre. Les soldats se réveillèrent l'un après l'autre. Digrat donna des ordres. Personne ne fit de commentaires devant lui. Le récit enjolivé par les témoins, de ce qui s'était passé, alimenta beaucoup de rumeurs. On conduisit Lyanne dans la deuxième cour. Un escalier d'honneur menait aux appartements royaux. Ils les dépassèrent pour s'engager dans un autre escalier. Il les mena jusqu'au dernier étage. Là, le majordome lui fit découvrir les deux petites pièces qui seraient les siennes jusqu'au jour de Bevaka.
À la forteresse, la vie de Lyanne était faite d'attentes. On ne le traitait pas comme les prisonniers qu'il entendait crier ou gémir quand il déambulait dans la cour intérieure pendant sa promenade. Il faisait trop peur. On le traitait comme un hôte indésirable qu'on ne pouvait renvoyer. Sa porte n'était pas fermée à clé. Il y avait juste deux gardes devant. Lyanne avait une fois ouvert sa porte à l'improviste. Les deux soldats s'étaient immédiatement mis en position de défense. Lyanne avait senti leur peur. Ils étaient déjà vaincus avant que ne commence le combat. Il avait souri et avait refermé sans un mot. On lui amenait une nourriture frugale et on l'accompagnait dans la cour une fois par jour. Le reste du temps, il était censé être dans la chambre.
En fait, Lyanne profitait de ces périodes pour aller à l'extérieur. Il survola le Frémiladur qui fumait et crachait des morceaux de roches en feu. Tout autour la terre était noire striée de rouge. Lyanne s'y était posé. L'atmosphère était chargée de senteurs piquantes qu'aucun homme n'aurait supportées. Il sentait une énergie considérable en ce lieu. Il ne savait pas ce que le roi faisait exactement avec sa couronne mais il venait dans ce lieu chercher la puissance. Il y trouva aussi un passage vers les Montagnes Changeantes.
Il avait plusieurs fois rendu visite au Pays Blanc. La paix y régnait. Le prince-majeur, toujours lié par son serment, était un excellent administrateur. Personne n'osa l'interroger sur sa quête. Pourtant à chacune de ses visites, la même question flottait dans l'air : “quand reviendrait-il ?”
Une autre fois, il partit vers la forêt.
Ziepkaar et Sounka étaient réfugiés chez un vieil ermite qui y habitait une grotte. La meute semblait y avoir ses habitudes. Régulièrement, elle ramenait le produit de ses chasses. Ziepkaar éclata de joie en voyant arriver Lyanne. Il lui conta par le menu, tout ce que le vieil homme lui apprenait.
- Il me fait asseoir devant une bougie. Je dois la regarder sans cligner des yeux.
- Et tu apprends comme cela.
- Yabolo me parle tout doucement dans le creux de l'oreille pendant que je regarde la flamme. Quand il éteint la bougie, je m'aperçois que je sais plein de nouvelles choses.
Yabolo, le vieil homme était considéré comme un sage dans la région. Régulièrement on bravait la grande forêt et ses dangers pour venir lui demander conseil ou pour trancher un conflit sans avoir recours à la justice royale. Quand il vit arriver Lyanne, il commença par le regarder longuement puis lui dit :
- Bienvenue à toi qui tiens le pouvoir dans ta main.
- D'où me connais-tu ?
- Ton aura est trop grande pour un homme et pas assez pour un dieu.
- Que vois-tu ?
- Je vois ce que les autres peinent à voir. Tes amis ont de la chance.
- J'ai entendu que tu enseignais Ziepkaar.
- Je lui enseigne peu de choses mais quand fertile est la terre, une petite pluie donne une grande récolte. N'oublie pas que les grands arbres ont été de petites pousses quand viendra le moment du voyage.
- Sois remercié pour ce que tu fais.
- Je ne fais que ce que je sais faire. Remercies-tu l'arbre d'être un arbre ?
Il avait rencontré Yabolo plusieurs fois. Il avait beaucoup appris aussi, sur le pays et sur son organisation. Le roi actuel était maintenant trop âgé pour être un guerrier convenable. Il sentait monter la puissance du royaume voisin. Il essayait d'éviter la guerre. Pourtant il la préparait en mettant son fils sur le trône. Yabolo ne l'aimait pas trop. Infatué de lui-même, superficiel, il confondait les parades avec la réalité des combats. Le vieux roi voulait profiter du jour de Bevaka pour qu'il en reçoive la puissance. Yabolo avait déclaré à Lyanne :
- On ne remplit pas un vase percé.
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