lundi 5 janvier 2015

Au matin, Lyanne découvrit les montures blessées. Ce qu’il vit lui fit peur. On avait parqué à part celles qui avaient été blessées dans l’échauffourée de la veille. Les plaies avaient gonflé. Un liquide jaunâtre s’écoulait en sérosités épaisses, répandant une odeur nauséabonde repoussant les autres animaux. Les palefreniers les regardaient et parlaient entre eux à voix basse. Lyanne les entendit parler de magie noire, de mauvais sort. On allait les isoler et les abattre après les avoir désenvouter. Le mal était présent. Le présage était mauvais. Certains opposaient que le volcan se calmait à l’approche du jour de Bevaka mais cela ne suffisait pas à rassurer la majorité.
On regarda Lyanne de travers quand il s’approcha de la monture royale. La pauvre bête boitait bas. L’antérieur droit ayant triplé de volume. Il la siffla doucement. C’était une bête magnifique rendue difforme. Elle s’approcha de Lyanne hésitant à s’appuyer sur sa patte à chaque pas. Lyane passa sous la corde qui marquait le corral. La réprobation des palefreniers monta d’un cran. Il planta son bâton de pouvoir devant le mufle de la bête quand elle fut assez près et en retira le capuchon. Il vit le regard de l’animal devenir fixe.
- Bien, dit-il, on va regarder cela.
Il flatta la bête à l’encolure et se pencha pour voir les dégâts. Lui seul voyait les volutes dorées se répandre tout autour de la monture, comme une caresse. Quand l’une d’elle toucha la plaie, elle s’y fixa, les autres firent de même faisant disparaître l’animal dans un brouillard doré. Autour d’eux les palefreniers regardaient cela en faisant des gestes conjuratoires. Ils entendirent Lyanne marmonner des paroles indistinctes qui firent réagir l’animal. Puis certains jurèrent avoir vu la monture du roi disparaître un instant. L’instant d’après, elle était là, belle et fringante, piaffant du désir de galoper sur ses quatre pattes intactes. Les spectateurs en oublièrent Lyanne qui s’éloignait discrètement en pensant au roi. Il se dirigea vers la partie du camp où il campait quand il fut refoulé par les gardes.
- Le périmètre est interdit à tous, lui signifia-t-on.
Puis le chef des pisteurs vint le chercher pour se remettre en route. C’est ainsi qu’il se retrouva au bord d’un bras du marais à chercher le passage. Voyant fuir un poisson aux reflets jaunes, il pensa à ce qu’il avait fait dans le corral le matin. Quand l’animal était parti galoper plus loin, il avait vu à terre une espèce de tache jaune qui avait disparu rapidement comme si elle s’était enfoncée sous la terre. Les palefreniers avaient raison. Il y avait de la magie malfaisante là-dessous.
Il eut des nouvelles du roi vers la mi-journée. Ils avaient fait une pause sur une île du marais. Lyanne était monté sur le sommet de la bosse. Le groupe du roi arrivait. L’organisation était la même que la veille. Deux rangs de cavaliers protégeaient la monture du roi. Ce dernier avait les traits tirés. Il montait la monture que Lyanne avait guérie et semblait peiner à tenir sur sa selle. Derrière lui, le fils du roi bénéficiait de la même protection. Il chercha des yeux Moayanne et Modtip sans les voir. Plus loin, une autre troupe soulevait un nuage de cendres. Il pensa qu’ils étaient là. Il s’inquiéta pour Moayanne. C’est elle qui portait la boîte contenant la couronne. Il se mit à réfléchir. À la place de Cappochi, que ferait-il ? Le roi était presque hors jeu. Vu son état, atteindre le Frémiladur devenait difficile. Le Fils du roi était déjà sous la coupe de Cappochi. Il ne restait de la famille royale que les deux derniers, dont la porteuse de la boîte. La couronne y était bien à l’abri. Seul celui qui avait passé le jour de Bevaka pouvait l’ouvrir. La magie qui la protégeait était puissante mais ne dépassait pas la boîte. Malgré le revers subi, il était tentant d’essayer de la voler. Lyanne se remémora rapidement le trajet du matin. Il ne vit pas de position facile pour une embuscade. Il passa en revue les différents segments de chemin de l’après-midi. Il pensa à un endroit particulier, juste à la fin quand on arrivait sur la terre ferme. Oui, c’était un bon endroit pour une attaque. Les gens se relâcheraient en sortant de ce monde dangereux qu’était le marais. Il ne poussa pas plus loin son raisonnement car le roi venait manifestement de glisser de sa monture.
L’agitation gagna le groupe de ses gardes du corps. Le guérisseur accourut avec ses remèdes. À le voir, Lyanne comprit son impuissance. Il allait tenter, juste tenter, de soulager le roi. Si le pantalon semblait flotter sur la jambe gauche, il semblait prêt à craquer du côté droit. Autour de lui, tous semblaient courir. Même les gardes, tenus de rester immobiles, donnaient cette impression de vitesse. Le roi grimaça, mais se releva. Il repoussa le guérisseur, et donna l’ordre de la pause avant de retomber.
- Mettez-le à l’abri, dit le chef de la garde. Il lui faut du repos.
- Je vais lui donner un calmant, ajouta le guérisseur.
- Suffit Gather… dit le roi dans un souffle. Donnez-moi de quoi tenir en selle et on repart. On ne peut plus attendre.
- Mais, Majesté…
- SUFFIT !….
L’effort de crier épuisa le roi. Gather le soutint immédiatement aidé par les autres. Lyanne voulut s’approcher mais se fit repousser par un garde qui lui lança un regard de défi. Sa remarque qu’il pouvait aider lui attira une réponse autoritaire d’aller voir les pisteurs. Cela peina Lyanne. Il n’insista pas. Il n’allait pas se battre avec eux. Quand il retrouva le groupe des pisteurs, il ne trouva que des visages fermés. Leur chef lui fit un signe.
- Tu nous as bien aidés, mais maintenant que le roi est blessé, nous allons nous débrouiller. À partir d’ici, le chemin est facile à trouver même avec toute cette cendre. Nous n’avons plus besoin de toi.
Et il le planta là en retournant vers les autres pisteurs. Lyanne les jugea pleins d’ingratitude et d’orgueil. Là non plus, il ne désirait pas la bagarre. Il prit du recul.
Le terrain était maintenant plus ferme, composé d’îles plus ou moins reliées entre elles et pour certaines, couvertes d’arbustes plus ou moins grands. Lyanne n’attendit pas et se mit en marche. Personne ne lui adressa la parole. Personne ne l’empêcha de partir. Dès qu’il fut hors de vue, derrière un bosquet dans l’île d’à côté, il s’envola.

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