Le lendemain matin, le vent venu du large avait dégagé le ciel qui restait gris. Les cendres volaient maintenant de l’autre côté. Le Frémiladur semblait se calmer. Les explosions devenaient plus rares mais toujours aussi tonitruantes. Le camp bruissait des rumeurs sur la santé du roi. Les uns disaient qu’il avait trop forcé au repas, d’autres que ce voyage était le voyage de trop et que jamais le fils du roi ne serait roi car le jour de Bevaka allait arriver avant qu’il ne soit là où il devait être. D’autres enfin, invoquaient les esprits mauvais des marais. Un serviteur qui avait approché celui qui servait le roi, racontait que ce dernier lui avait confié comme un secret que le roi était d’une pâleur à faire peur. Lyanne alla près d’un des feux pour déjeuner. Déjà le camp se mettait en configuration de marche. Les bêtes étaient chargées, les paquets ficelés, sans savoir si on partait ou pas. Quand le soleil se leva, vinrent les ordres. Le convoi partirait. Lyanne et les pisteurs auraient à charge de tracer la route. Les cavaliers plus rapides, partiraient plus tard et rejoindraient le gros de la troupe pour le bivouac. Lyanne grimaça intérieurement. Le chemin longeait la mer sur un bon moment et on passait à gué un petit estuaire. C’était le lieu idéal pour une attaque. Les montures seraient ralenties par l’eau et un attaquant arrivant vite par la mer avait toutes les chances de réussir. Il n’osa rien faire et, sur un signe du chef des pisteurs, il se mit en route.
- Moins vite, lui dit le pisteur en chef, au bout d’un moment. On a du temps. Le roi ne nous rejoindra que ce soir.
- Peut-être mais cet air frais venu du large me stimule, répondit Lyanne. Je tiendrai mon rythme. La couche de cendre est assez épaisse, mes traces resteront gravées.
Le pisteur avait fait la moue mais n’avait rien ajouté. Lyanne atteignit le gué en milieu de matinée. L’eau était haute. La marée allait descendre. C’était une bonne chose pour les cavaliers, moins d’eau et plus de difficultés pour des assaillants venus de la mer, le courant ne leur serait pas favorable. Quand le groupe de tête fut passé, Lyanne reprit son rythme. Les pisteurs, qui connaissaient bien ces marais, avaient décrit l’endroit du bivouac du soir. Lyanne, qui avait distancé tout le monde, l’atteignit alors que le soleil était encore haut dans le ciel. Il se retourna et contempla ses traces. Il avait tenu le petit trot comme Quiloma lui avait appris. Maintenant qu’il était là, il pensa au roi qui devait avoir commencé son voyage. Marchant dans ses traces, il retourna à un petit cours d’eau. Il l’emprunta, sûr que personne ne le suivrait. Quand les premiers pisteurs haletant arrivèrent, ils ne purent que s’interroger sur cette piste qui stoppait brutalement sur un monticule. Où avait pu passer l’homme-oiseau ? Le pisteur fouilla le ciel sans rien voir.
Lyanne était déjà au-dessus de la mer. Il repéra de loin les voiles grises des bateaux qui déjà s’approchaient de l’estuaire. Repliant ses ailes, il plongea dans l’eau, traversant la couche de cendres qui la recouvrait. Aussi rapidement qu’il put, il remonta vers l’embouchure se guidant sur les bancs de sable du fond. Quand il rejoignit les bateaux, ils étaient déjà à portée de tir pour les archers. Il ne chercha pas à savoir et attaqua.
Pour ceux qui étaient en surface, la situation était difficile. Le roi bloqué au milieu du gué se trouvait pris sous le tir des archers des bateaux que personne n’avait vu venir. Le fils du roi n’était pas encore dans l’eau et criait des ordres aux soldats qui étaient encore à terre. Leurs armes ne portaient pas assez loin pour atteindre la flottille. C’étaient des cris de rage ou de lamentation. Le roi éperonna sa monture qui nageait aussi vite qu’elle pouvait. Derrière lui, Moayanne et Modtip encourageaient les leurs pour essayer de venir en aide à leur père. Les gardes qui entouraient le roi, tombèrent les uns derrière les autres, incapables de résister à la pluie de flèches qui s’abattait sur eux. Quand le premier bateau bondit en l’air dans un grand bruit de fracas, personne ne comprit ce qu’il se passait. Au deuxième, quelqu’un cria :
- Un monstre attaque !
Au troisième, ils virent une grande forme rouge qu’ils n’identifièrent pas. Malgré cela en soldats aguerris, les autres embarcations continuaient leur attaque. Sous l’eau, il y eut un mouvement étrange et la mer gela. Cela fit comme un rempart translucide entre eux et les assaillants. L’eau du fleuve qui continuait à arriver faisait grandir la muraille jusqu’à la rendre verticale. À travers la paroi, le roi et sa suite virent les embarcations glisser en arrière et une forme rouge gigantesque surgir et réduire en morceaux ce qui se trouvait de l’autre côté. Moayanne et Modtip se précipitèrent pour aider leur père qui semblait en difficulté. C’est arrivé sur le bord qu’ils virent avec horreur que le sang ne venait pas que de sa monture mais que lui aussi était blessé. Derrière eux les soldats de la garde s’étaient jetés à l’eau traversant aussi vite que possible pour venir aider leur roi. Ce fut le moment que choisit une bande de vauriens venus par la terre pour attaquer. Le combat fut violent, mais au fur et à mesure que les soldats royaux arrivaient les assaillants perdaient du terrain. Ils cédèrent bientôt la place, s’enfuyant à toutes jambes poursuivis par des soldats ivres de vengeance. Les courtisans à leur tour se précipitèrent. Certains armés participèrent aux combats.
Brusquement tout se calma. Il y eut un grand craquement quand l’étrange banquise se cassa et partit vers le large. On scruta l’horizon sans trouver trace du monstre.
- C’était un léviathan ?
- Peut-être, les légendes en parlent mais personne n’en a jamais vu. Il valait mieux que ce ne soit pas nous qu’il chassait.
- En tout cas, il nous a bien rendus service.
- Que devient le roi ?
Les guetteurs repartirent vers le bivouac de fortune qu’on avait dressé. Le roi était allongé. Il avait une flèche dans la jambe et une grande estafilade sur le côté. Le guérisseur était là. Il récupéra la flèche, retira la pointe et grimaça.
- Qu’est-ce qui se passe, Gather ?
- Je n’aime pas ces armes, Majesté. Je crains du poison ou pire que la flèche vous donne un mauvais mal.
- Allons Gather, rassure-toi. S’il y avait du poison je serai en train de mourir. Quant au reste, j’en ai vu d’autres et j’ai toujours survécu. J’arriverai bien jusqu’au jour de Bevaka. Qu’on me remonte en selle. Le temps nous manque.
Moayanne prit Gather par le bras, planta ses yeux dans les siens :
- Si tu me caches quelque chose, je saurai te châtier!
- Mais princesse, je ne cache rien. Cette flèche est mauvaise. Elle porte des traces d’excréments. C’est pire que le poison. Si cela est, c’est une mort pire que la mort qui attend le roi.
Moayanne lâcha le guérisseur. Elle réajusta la sangle qui tenait la boîte où était la couronne. Mais pourquoi, la couronne ne donnait-elle plus son pouvoir au roi ? Elle repensa aux dires de Lyanne. Le traître ! Cela ne pouvait être que cela. Tout ce qui arrivait ne pouvait avoir d’autre cause.
On remit le roi en selle. Sa monture fut étroitement entourée par les soldats qui firent une barrière autour de lui sur deux rangs.
La nuit tombait quand ils arrivèrent. Les messagers avaient prévenus. Tout le monde scrutait le roi qui se tenait très droit sur sa monture. Seuls ses proches virent qu’il démontait du côté qui lui était inhabituel. Il salua les uns et les autres et se rendit à sa tente, toujours bien droit, ne laissant paraître qu’une légère boiterie. Ses enfants le suivirent ainsi que son guérisseur. Les autres furent arrêtés par les gardes en faction, même Cappochi n’insista pas. Lyanne qui avait profité de l’obscurité pour revenir, sentit sa jubilation. Lui fit la grimace. La mission qu’il s’était donnée, n’était pas une réussite. Le roi était blessé.
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