Pour Moayanne, le monde s’était écroulé quand son père était tombé. Malgré sa précipitation, elle n’avait pu empêcher sa chute. Elle-même avait glissé dans la pente, s’arrachant les vêtements et la peau sur les roches coupantes. Quand le coffret s’était arraché pour finir dans le lac de lave, elle avait perdu tout espoir et toute force. C’est presque avec soulagement qu’elle avait lâché prise. Bientôt, plus rien n’aurait d’importance, ni les joies qu’elle ne connaîtrait pas, ni ses peines qui allaient cesser, définitivement. Elle avait été surprise de voir le temps se ralentir et ce grand oiseau rouge feu plonger vers elle. Et tout fut noir.
Le monde était fait de blanc et d’or. Moayanne sentait ses ailes battre de toute leur puissance, malgré la violence du volcan tout autour. Des ailes ? Des ailes !!!! Où étaient son corps, ses bras, ses mains ? La panique naissait au centre de son esprit.
- “Sois sans crainte !”
Elle sursauta en comprenant le message.
- “Sois sans crainte ! Tu es qui tu es.”
- Je sens la puissance, dit Moayanne sans savoir comment elle le disait.
- “Tu es la puissance !”
- Je sens le feu !
- “Tu es le feu!”
Moayanne vit le grand oiseau rouge à côté d’elle. Il battait des ailes au même rythme qu’elle. Elle sut, elle était comme cet oiseau fait de feu.
- “Le volcan va exploser !”
- Modtip ! Le fils du roi, il faut les sauver
- “Va, tu peux faire ce que tu sens”
Moayanne pensa à ceux qui étaient restés sur la corniche. Et la corniche apparut devant ses yeux. Elle repéra Modtip facilement, puis le fils du roi. Elle sentit le danger. Elle le vit. Elle le reconnut. C’était le même que dans ses cauchemars. Ces cauchemars qu’elle faisait depuis toutes ces années, depuis la disparition de sa mère. Elle manœuvra maladroitement touchant presque la forme hideuse, saisissant dans ses griffes… Des griffes ! Elle découvrait à chaque instant quelque chose de nouveau avec ce nouveau corps. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Son esprit avait du mal à s’accorder à cette nouvelle “enveloppe”. Ses ailes la trahirent. Elle décrocha. Sa maladresse la sauva du coup de fouet de la créature. Elle sentit une force en elle :
- “Continue. Laisse-toi devenir ce que tu es !”
Ça aussi, il faudrait qu’elle prenne le temps de comprendre. Des choses plus urgentes l’occupaient. Elle récupéra Modtip sans difficulté. Le fils du roi faillit lui échapper. Elle assura sa prise avant de plonger dans le vide vers la plaine. Portée par le vent, les ailes largement déployées, ce fut une expérience grisante. Un autre esprit était là, bienveillant, attentif. Elle le sentait aussi. Quand elle n’arrivait pas à quelque chose, il lui venait en aide. Encore un mystère. Elle vit en bas les soldats du roi qui se protégeaient de la pluie de roches brûlantes qui tombaient autour d’eux. Elle se laissa planer jusqu’à eux. Elle arriva vite, et d’instinct sut quoi faire pour casser sa vitesse et poser son fardeau. Son œil fut attiré par une forme aux contours mouvants qui semblait glisser sur la montagne. Une bouffée de haine lui emplit le cœur. Elle savait. Il était l’ennemi. L’antique ennemi, enfin présent, ici et maintenant, elle avait la force pour le vaincre. Elle battit vigoureusement des ailes pour s’éloigner des hommes. Il était nécessaire de les protéger. Elle sentait l'immense puissance de cette chose immonde qui dévalait le Frémiladur en blessant la pierre de ses flancs. Le volcan allait devenir tombeau. Son père déjà y reposait. Il fallait arrêter cet… cette… ce truc impensable venu d’on ne sait où. Tout en pensant cela, elle vit le monde différemment. Comme si après avoir regardé un dessin, elle en voyait le modèle. Elle regarda autour d’elle, cherchant l’être qui “parlait” dans sa tête. Elle ne vit que l’ombre de l’ennemi. Elle prit peur. Elle se savait née de la puissance du Frémiladur, elle pensait qu’il pourrait la débarrasser de ça. Pourtant elle douta. Elle dirigea son vol vers les retombées de l’éruption. La poursuivant, l’être informe s’éloigna des hommes. La traversée des chutes de pierres brûlantes fut éprouvante. Elle dut manœuvrer comme elle ne savait pas qu’elle pouvait. Malgré cela, elle fut touchée un certain nombre de fois. Elle sentit les chocs et la chaleur de ces rencontres imprévues. Sa finesse lui permettait ces acrobaties, elle en profita pour se retourner et voir où en était le monstre. Il suivait sans perdre de terrain. Les bombes volcaniques se plantaient dans ce qui lui servait de corps. Les plus grosses le traversaient créant des canaux qui se rebouchaient lentement. Il devenait difforme encore plus hideux si cela était possible. Il avançait semblant insensible aux pierres ou à la lave qu’il traversait. Il lançait imprécations et injures.
Moayanne fut déçue de voir le manque de résultat. Il allait lui falloir trouver autre chose. L’éruption elle-même se calmait.
Alors qu’une nouvelle fois, elle se retournait pour surveiller son poursuivant, elle faillit se faire heurter par un énorme rocher qui retombait. L’autre oiseau de feu qui l’accompagnait depuis la gueule du volcan la bouscula, les éloignant de la trajectoire de la bombe volcanique qui passa en sifflant.
- “Faire attention à tout est une bonne chose” dit la voix dans sa tête.
Maintenant elle était sûre. Ce grand oiseau de feu rouge qui était sorti en même temps qu’elle du volcan était la voix. Il avait une parfaite maîtrise de son vol, semblant glisser sans effort entre les roches qui pleuvaient.
- Mais comment penser à tout ! répondit Moayanne qui peinait à faire de même.
- “Deviens qui tu eeeeees!” répondit l’oiseau rouge en s’éloignant. “Tu as à affronter tes cauchemars. Tu le battras si tu suis qui tu es. La vérité est en toi….”
D’un coup, il disparut. Moayanne en fut peinée. Les retombées du Frémiladur ne lui laissaient pas le temps de s'appesantir sur cette peine. Elle avait des choses plus urgentes à faire.
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