vendredi 13 mars 2015

Cappochi hurlait sa haine et sa rage quand il arriva sur la lèvre du volcan. Il allait en finir avec ce ridicule cracheur de feu. Il ne savait pas comment elle avait pu disparaître. Il savait juste qu’il la ferait souffrir au- delà de tout ce qu’elle pouvait imaginer. Il fouetta la montagne pour montrer sa force. Le dragon ne bougea pas. Elle semblait le narguer. Il se fit pousser d’autres tentacules fouets :
- On va en finir, lézard !
Cappochi attaqua, cinglant de tous ses membres la place où se trouvait Moayanne. La roche explosa en tous sens. L’esprit hurla. Le dragon avait de nouveau disparu.
Moayanne faillit rire de la déconvenue de son ennemi. Si dans son monde, il pouvait bouger à la vitesse de l’esprit, ici, il ne pouvait aller plus vite que le corps de l’homme qu’il avait occupé. Ce fut un jeu d’enfant pour elle que de le pousser à bout. À chaque tentative, il rencontrait le vide, malgré tous ses yeux et tous ses membres.
Elle fit un dernier passage presque lent pour elle. Cappochi ne vit qu’une flèche blanche lui passer devant et plonger dans le cratère. Il la suivit. Elle fit sa ressource au ras du lac de lave, levant derrière elle des vagues de roche en fusion. Il ne put la suivre sur cette surface mouvante. Malgré la chaleur intense, il courait autour du lac pour la rejoindre. Moayanne le regarda courir. Elle s’était posée sur un reste de piton basaltique en plein milieu du lac de lave. Tranquillement, elle se mit à nettoyer ses écailles attendant qu’il comprenne qu’il ne pouvait l’atteindre sans traverser la lave. Les volutes de fumées plus ou moins épaisses gênaient la vue. Moayanne avait étendu ses perceptions comme elle venait de l’apprendre. Elle ressentit, au centre de la silhouette, les restes du corps de Cappochi. Cela lui enleva les derniers doutes sur la nature non humaine de la chose. Quand elle l’entendit hurler, elle sut qu’il avait compris. Il s’élança de toute sa vitesse pour traverser le lac. Il progressait en sautant d’un morceau de lave solidifiée flottant sur le lac en roche se solidifiant bougeant au gré des courants qui agitaient la surface du lac. Moayanne le regarda. Elle l’avait amené là où elle désirait qu’il soit. Le dragon rouge avait raison. En arrêtant de fuir, elle avait choisi le lieu de la rencontre. Le monstre écumait de rage quand il prit pied sur l’îlot. Moayanne vit dans tous ses yeux la même certitude. Celle d’être le plus fort. Son orgueil allait le perdre. Elle fit face. Tous les fouets déjà filaient vers elle. Elle souffla, comme lui avait dit Lyanne, un feu de glace figeant la silhouette dans une position incongrue. “Les choses seraient-elles si faciles ?” pensa-t-elle.
C’est alors qu’elle subit une attaque sur sa pensée même. Elle sentit en elle un déferlement de peurs, de dégoût d’elle et de tout ce qu’elle avait fait, d’incapacité à agir. Elle se mit à trembler, saisie par l’angoisse. Ce fut un des pires moments de sa vie. Elle s’enfonçait dans les puits sombres de ses pensées les plus noires.
En face d’elle, Cappochi mobilisait toute l’énergie possible pour dégeler son corps. Il avait sous-estimé sa proie. Il en payait le prix. Une joie mauvaise l’envahit quand il sentit les premiers craquements libérateurs. Il la tenait sous la coupe de ses pensées, la rendant incapable de mouvement. Le bout d’un fouet se libéra, puis un autre. Encore un instant et il serait le maître. Il était esprit, il allait devenir corps.
Une brume légère se leva entre les deux. Moayanne la regarda sans réagir. Elle était sans valeur, tout ce qu’elle pouvait faire ne serait jamais suffisant pour réparer sa faute, avoir laissé son père tomber dans la gueule du volcan. Le monstre la remarqua à peine tout occupé qu’il était à se libérer pour frapper un grand coup. La brume devint silhouette, toute droite, digne, immense malgré sa petite taille. Elle se refléta dans les prunelles mordorées du dragon. Une pensée en jaillit, forte, lumineuse :
- Tu es ma fille ! Va, en toi je reconnais la reine !
Ce fut comme une lampe dans les ténèbres. L’esprit de son père était là, invaincu malgré la mort. Moayanne rugit à faire trembler le cratère. Brutalement le lac de lave se rétracta comme aspiré par la terre. Tout en haut d’un piton se faisant face, un dragon blanc affrontait l’esprit du mal. Moayanne entra dans une fureur immense. Elle contacta Quoiveudire et hurla le nom de son ennemi :
- IKUIS !
Les fouets se figèrent, les yeux s’agrandirent d’une peur immense.
- TU SAIS MON NOM ! TU SAIS MON NOM !
Le cri finit dans une sorte de gargouillement. La silhouette s’affaissa sur elle-même, devenant une sorte de monticule de gelée tremblotante.
- Mon âme peut reposer en paix, dit la brume qui se dissipait. Tu es celle que j’ai toujours souhaitée.
Moayanne se retrouva seule sur son piton face à des restes encore agités de soubresauts. La tension immense retombait. C’était fini. Elle relâcha ses muscles douloureux, elle pouvait se reposer. Et maintenant, qu’allait-elle faire ?
Elle regarda autour d’elle. Son royaume l’attendait. C’est alors que lentement la masse gélatineuse se remit debout.
Moayanne rugit, faisant trembler la silhouette qui émergeait.
- Toi pas crier !
Elle en resta interloquée.
- Quoiveudire ? demanda-t-elle.
- Chut ! Toi pas dire cela si fort.
- Je te croyais devenu grand et fort !
- Oui, mais pas drôle, toujours combattre, pas drôle.
- Qu’as-tu fait ?
- Moi manger IKUIS et devenu tellement fort, tellement savant et puis moi regretter moi petit. Moi libérer tout le monde mais moi avoir changé nom de tous et moi connaître tous les noms.
- Que fais-tu là ?
- Moi venu dire toi, fermer brèche quand moi parti. Moi déposer ici pensées noires, toutes. Quand toi fermer brèche, toutes disparaître. Pschiitttt ! Fini ! Et mon monde que pensées claires.
- Comment ferme-t-on la brèche ?
- Toi, comme autre dragon, liée avec dieu. Toi savoir.
La couleur de la masse gélatineuse était passée du jaune sale au brun presque noir. Moayanne ne savait pas quoi faire. C’est alors que Lyanne arriva.
- Tu as vaincu, lui dit-il.
- Oui, mais Quoiveudire a laissé toutes les noires pensées de son monde pour que je les fasse disparaître et j‘ignore comment faire.
- Le Frémiladur va s’en occuper. Je le sens bouillonner. Bientôt, il va exploser. Il faut partir.
Lyanne souffla le froid sur le tas de noires pensées, le couvrant d’une pellicule blanche.
- Partons. Maintenant !
Il décolla, suivi de près par Moayanne qui ressentait la même urgence à s’en aller. Ils dépassaient les lèvres du cratère quand l’éruption explosa.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire