Moayanne de nouveau fuyait devant Cappochi. Elle avait cru un instant le vaincre et voilà qu’il revenait toujours plus effrayant avec tous ces yeux qui semblaient la fixer. Elle avait pris un coup de ce tentacule fouet qui l’avait fait rugir de douleur et avait marqué ses écailles blanc-doré d’un trait noir.
Elle avait tenté de redevenir petite mais n’avait pu échapper à tous ces regards qui la poursuivaient sans cesse. Elle fatiguait maintenant alors que son ennemi semblait avoir encore gagné en puissance. Ses coups d’ailes devenaient moins puissants et son vol moins précis. Elle s’était engagée dans un dédale de vallées dessiné par les coulées de lave. Elle arrivait au bout de l’une d’elle quand le fouet laboura les pentes du Frémiladur au-dessus d’elle. Elle ne put éviter la pluie de roches qui la mirent au sol. Elle entendit le rire démoniaque de Cappochi se rapprocher. Elle voulut bouger mais une de ses ailes était prise sous des monceaux de rochers. Elle ne pouvait la retirer sans arracher toute la membrane. Le découragement la prit. Elle avait perdu. Elle ferma les yeux attendant le coup mortel qui l’achèverait.
Ce fut un rire qui lui répondit.
- Tu crois que tu vas mourir ! Ah ! C’est trop drôle ! Non, tu ne vas pas mourir tout de suite, cracheur de feu. Tu vas devenir mon esclave !
Entendant cela, Moayanne eut un haut le corps et se débattit. La douleur dans son aile lui interdit rapidement d’aller plus loin. De la voir ainsi augmenta la délectation de son ennemi.
- Tu es la princesse ! Je le sais, cracheur de feu. Tu me seras plus utile en tant qu’épouse qu’en trophée dans mon palais.
Cappochi partit d’un grand éclat de rire qui glaça le sang de Moayanne. Il reprit sur un ton dur :
- Et maintenant tu vas me dire ton nom secret !
- JAMAIS, hurla Moayanne.
Le fouet s’abattit sur elle. Elle ferma les yeux attendant la douleur… qui ne vint pas.
Elle ouvrit les yeux, ne comprenant pas ce qui se passait. Cappochi était là devant elle, tous les yeux grand ouverts, semblant la haine personnifiée, son tentacule fouet levé. Pourtant tout semblait figé, comme arrêté. Elle regarda autour d’elle cherchant un signe pour comprendre. Elle vit… Elle vit le grand dragon rouge assis un peu plus haut.
- Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle.
- Tu as encore beaucoup à apprendre, jeune dragonne. Tu es femme-dragon, le sais-tu ?
- Oui, j’ai découvert cela. Je peux être l’un ou l’autre. J’ai peur de redevenir humaine, mon bras serait écrasé par la roche.
- Tu as bien fait. Alors dégageons-le !
Lyanne souffla sur le rocher. Moayanne fut surprise. Quand elle l’avait vu se mettre en position pour souffler, elle s’attendait à du feu et ce fut de la glace.
- Tu souffles le froid !
Lyanne s’arrêta pour répondre :
- Glace de feu, je suis né ! Feu de glace, je suis !
Il reprit son ouvrage. Il s’arrêta au bout d’un moment et s’approcha du rocher. Quand il fut tout près, il le regarda bien et choisit un point pour y souffler le feu. Il y eut une explosion qui fit fermer les yeux à Moayanne, mais le rocher avait explosé, déchiré par les différences de températures.
- Tu dois pouvoir bouger maintenant.
Moayanne effectivement put retirer son aile de sous les gravats qui restaient. Elle la testa pour la trouver en état de marche.
- Bien, dit Lyanne, maintenant redeviens celle que tu es quand tu es humaine et accroche-toi à mes griffes.
- Mais Cappochi est immobile !
- Presque, les dragons que nous sommes ont le pouvoir de jouer avec le temps. Nous allons trop vite pour lui.
Moayanne fit ce que Lyanne avait dit et soupira d’aise en se retrouvant bien calée entre deux griffes. Lyanne n’attendit pas plus longtemps pour décoller. Moayanne trouva le vol presque aussi agréable que si elle volait elle-même.
Elle regarda la silhouette de Cappochi rapetisser au fur et à mesure qu’ils s’en éloignaient. Lyanne remonta les pentes du Frémiladur. Arrivé à son sommet, sur la lèvre du cratère, il se posa. En bas la lave bouillonnait et d’épaisses fumées en montaient alimentant le gigantesque panache qui les surplombait.
- L’être qui a pris possession de Cappochi doit être en rage en ce moment, fit remarquer Lyanne.
Moayanne descendit de sa place et reprit sa forme de dragon. Elle s’aperçut qu’elle était à peine plus petite que le dragon rouge qui l’examinait.
- La marque du fouet restera, je le crains, dit-il en désignant ce qui avait marqué les écailles. Le reste est simplement douloureux. Tu t’en es bien sorti.
- Oui, mais il reste le plus fort. Je fuis devant lui. Tous les affrontements ont tourné à mon désavantage. Je préfère mourir que devenir son esclave ou pire son épouse.
- Je le comprends fort bien, répondit Lyanne, mais tu es femme-dragon, fille du Dieu-dragon. C’est un esprit qui tente de prendre pied dans notre monde. Son savoir et sa puissance sont immenses dans le monde des esprits mais insuffisants dans le monde des hommes tant qu’il est sans ancrage solide. Cappochi est trop faible pour lui assurer cela. Le corps de Cappochi a été consumé depuis longtemps. S’il veut rester ici, il doit te réduire à sa merci. Toi seule peux lui apporter la force dont il a besoin. Pour l’instant le Frémiladur lui communique sa puissance. Il ne peut s’en éloigner longtemps sans la perdre. Avec toi comme esclave, il aura accès à ta puissance.
- Mais je suis incapable de le vaincre !
- Telle est ta croyance. Tu peux le vaincre car tu es celle que tu es devenue, une femme-dragon capable de voyager entre les mondes, de ralentir le temps des autres ou d’accélérer le tien, de trouver le nom de ton adversaire et de le réduire à ta merci.
- J’ignore tout cela. Comment faire ? demanda Moayanne.
- J’ai été dans l’autre monde, celui des esprits et j’ai vu l’autre face de ce que tu combats. J’ai rencontré un esprit mineur aux idées claires. Je sais son nom. Il est en ce moment même dans l’esprit de celui que tu combats. Si tu lui dis le nom de ton ennemi, alors ton ennemi sera vaincu.
- Comment puis-je faire cela ? J’entends tes mots mais leur signification m’échappe.
- Cet être esprit est ton ennemi. Tu es celle qui doit le vaincre. En es-tu convaincue ?
- Oui. Je le sais.
- Alors quand viendra la confrontation, laisse jaillir la glace plutôt que le feu et appelle *Quoiveudire*.
Lyanne avait donné le nom de Quoiveudire dans le langage des dragons. Ce langage que nul ne connaît et ne comprend.
- * Si j’appelle Quoiveudire, que va-t-il se passer ?*
- *Tu auras le lien et tu pourras lui donner le nom U Ι Ι Κ Σ*.
Lyanne tourna la tête vers la pente. La silhouette honnie montait arrachant les pierres sur son passage, hurlant imprécations et malédictions.
- Alors tu seras celle qui a vaincu.
Moayanne jeta un coup d’œil dans la montée. Son ennemi arrivait. Maintenant elle savait son nom. Elle n’avait pas compris comment elle allait faire. Pourtant elle avait moins peur. Dans quelques instants, le combat allait reprendre. Elle tourna la tête vers le dragon rouge pour y chercher un regard d’encouragement. Il se penchait vers elle comme… comme si il voulait l’embrasser. Moayanne recula. Lyanne, voyant le mouvement de recul, dit :
- Sois sans crainte !
Il mit son front contre le front du dragon blanc. Moayanne eut un petit rugissement de surprise. Elle entendait, voyait, sentait, apprenait tellement de choses qu’elle en eut le vertige. Quand leurs têtes se séparèrent, elle se sentait comme Lyanne au sortir des grottes.
Lyanne s’effaça. Elle savait maintenant ce qu’un dragon doit savoir.
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