Chioula ne décolérait pas. Elle était dans sa chambre, certes devant un excellent déjeuner mais dans sa chambre. Elle rageait d'autant plus qu'elle était sûre que ce prince aux yeux d'or serait attablé avec le roi-dragon et son père. Et pendant ce temps, elle se morfondait ici entre quatre murs. Si celui qui la servait était d'un zèle irréprochable, elle le traitait pourtant très mal, malheureuse qu'elle était. Cet état intérieur renforçait sa colère contre elle, contre son père, contre le chef du protocole qui avait réussi à arriver à ses fins, contre le monde entier. Pourtant dehors la tempête s'apaisait.
Le dessert arriva. C'était un délicat entrelacs de friandises montées sur un plateau porté par un serviteur en livrée rouge qui déclara en posant son fardeau :
- Le roi-dragon a donné des ordres pour vous, princesse, « afin que soit apaisée votre ire », a-t-il ajouté, « et que le bleu de vos yeux ne se trouble pas ».
Chioula se sentit sourire.
Le roi-dragon avait pensé à elle. Si l'idée en était agréable, quel en était le sens réel ? La mythologie autour des dragons était floue. Il y avait tellement longtemps que le dernier roi-dragon avait disparu. On disait tout et son contraire. L'aspect de la bête était extraordinaire et la vue de la mâchoire suffisait à impressionner n'importe qui. Quelle relation pouvait exister entre un dragon et une humaine ?
Le dessert était une merveille de douceur et de goût. Tout en le dégustant ses pensées revinrent vers le dragon. Il était fascinant. Jamais elle n'aurait pu imaginer cela. Il était fascinant et inquiétant. On sentait la force et la puissance. Et puis ne disait-on pas qu'il crachait le feu ? Cela devait être merveilleux de voir cela. Lui revinrent en mémoire les légendes du pays de Pomiès qui avait été soumis par le feu craché par un roi-dragon avant d'être ravagé par les armées des guerriers blancs. Elle pensa qu'elle vivait une soirée curieuse. Elle était mal à l'aise. Elle n'avait jamais connu cela.
Princesse, née dans le palais du Seigneur de Pomiès, elle avait vécu une vie protégée, pouvant faire ce qui lui plaisait. Sariska était un proche de Szeremle. Sa mère, la noble Jaïsalmer, l'avait laissée faire ce qu'elle voulait, ou presque. Elle avait vécu dans un pays froid mais tempéré par la présence de sources chaudes, le climat de la ville de Pomiès était moins rude que celui de la Blanche. C'est ce que tout le monde lui avait dit. Elle avait droit d'aller se promener au Noble Jardin. C'était un endroit merveilleux, un peu chaud à son goût, mais rempli de fleurs aux senteurs étranges et aux couleurs éclatantes qu'une armée de jardiniers entretenait pour le plaisir du Seigneur de Pomiès. La source chaude qui sortait en son centre était dirigée vers le palais un peu en contre-bas, coulant entre des murs à qui elle laissait de sa chaleur.
La nuit tombait maintenant sur le pays Blanc. Les journées étaient de plus en plus courtes. Le serviteur en livrée rouge vint avec une lampe. Elle qui n'avait vécu qu'entourée de gens se sentait bien seule. Elle commença à regretter son impulsion d'avoir voulu partir. À cette heure-là, elle se serait glissée dans un bain chaud et aurait somnolé un moment avant que ses suivantes ne viennent la masser avant d'aller dormir.
- Ah ! Mais quel pays !
Chioula sursauta.
- Ya même pas de quoi faire couler un bain !
Celle qui venait de rentrer en râlant, était un petit bout de bonne-femme rond et jovial. Le serviteur en livrée rouge s'éclipsa prestement.
- Ne t'énerve pas, Kolong. Tu sais comme moi que les gens d'ici n'ont pas nos traditions.
- Oui, je sais bien, ma petite Chioula, mais ce voyage est interminable. Et je ne suis plus aussi jeune que toi pour supporter ce climat infernal...
- Tu exagères, Kolong. Je t'avais proposé de rester à Pomiès.
- En te laissant pour affronter toute seule, ces barbares adorateurs de dragon !
- Je n'étais pas seule, j'étais avec mon père.
- Ah oui ? Parlons-en ! Grâce à lui nous nous sommes égarés dans ces montagnes. Sans la patrouille nous ne serions jamais arrivés à l'abri avant la tempête.
Chioula se mit à rire. Kolong la servait depuis toujours et râlait depuis toujours. Chioula ne regrettait pas de l'avoir avec elle. Kolong l'aida à se préparer pour la nuit. Elle la fit asseoir pour lui brosser les cheveux. C'était la cérémonie traditionnelle de chaque soir. Kolong aimait ces moments avec la petite. Elles parlaient de tout et de rien, surtout des petits événements. C'est comme cela qu'elle apprit la rencontre avec le prince aux yeux d'or. Elles en étaient à discuter de l'éviction de Chioula du repas quand on frappa à la porte. Les deux femmes se regardèrent interloquées. Kolong alla ouvrir.
- Le roi-dragon a entendu et donné ses ordres, dit le serviteur en livrée rouge en s'inclinant.
Il y eut un nouvel échange de regard entre les deux femmes. L'homme entra suivi d'une cohorte de serviteurs portant une vasque en pierre et des seaux et des seaux d'eau chaude.
Sous le regard ravi des deux femmes, ils installèrent la vasque. Bientôt le bain fut prêt. Les serviteurs sortirent en s'inclinant.
- Le roi-dragon vous souhaite de prendre plaisir à ce bain, déclara le serviteur en livrée rouge en fermant la porte.
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