La tempête avait profité de la nuit pour s'éloigner. Un soleil pâle surgit bas sur l'horizon. Lyanne était debout sur les remparts. Le vent soufflait encore. L'appel de l'air fut le plus fort. Il décolla pour aller jouer avec. Plus bas à travers les glaces, deux paires d'yeux le suivaient.
- Le dragon est parti, dit Kolong.
- Peut-être va-t-il rejoindre la Blanche, répondit Chioula. Lui au moins n'a pas à se traîner au rythme de macocas.
Elles regardèrent un moment le grand saurien qui volait.
- Il a l'air de prendre plaisir à voler, fit remarquer Chioula. Ça doit être une expérience intéressante.
- Ah non ! dit Kolong, la dernière fois que tu as dit cela, je me suis retrouvée à courir les routes. À mon âge, cela n'a rien d'amusant.
Les deux femmes se dirigèrent vers la grande salle. La table était dressée avec des victuailles. Des gens étaient attablés pour le premier repas du matin. Chioula aperçut son père. Elle se dirigea vers lui. Un serviteur s'avança vers elle pour écouter ses désirs.
- Nos macocas sont encore très fatigués. Nous allons demeurer ici quelques jours. Le roi-dragon nous accorde l'hospitalité, dit son père.
Chioula en fut heureuse. Le prince aux yeux d'or n'était pas là. Rester ici lui permettrait de le revoir. Ils parlèrent un moment de tout et de rien. La matinée avançant, elle décida d'aller se promener dans la plaine.
Le soleil luisait doucement à l'horizon. Il ne réchauffait pas, on était déjà trop avancé dans la saison, mais donnait à toute chose un aspect tellement plus brillant qu'il éveillait les sens. Accompagnée de Kolong et de deux gardes du pays de Pomiès en habit bleu, elle se dirigea vers la forêt. Les résineux lui rappelaient les forêts de ses montagnes. Elle entra avec plaisir sous les frondaisons. C'était une espèce différente au bois plus rouge dont les branches basses avaient disparu. Kolong la suivait :
- Est-ce bien raisonnable ? Nous ne savons rien de ce qui vit dans ces bois.
Les deux gardes étaient devenus nerveux en passant derrière le rideau d'arbres de la lisière. La lumière était beaucoup plus faible, bien que quelques taches de soleil çà et là, donnaient un éclairage étrange. Le plus âgé avait jeté un coup d’œil en arrière juste avant de suivre sa maîtresse pour prendre ses repères. Il avait noté la position du fort, des montagnes. Il avait même vu le dragon rouge voler au-dessus de la plaine. Peut-être chassait-il ? Il avait fait signe à son compagnon. Les deux alors avaient dégainé leur dague aussi discrètement que possible. Les légendes parlaient de dragon mais aussi de grands fauves à la fourrure blanche, aussi dangereux à eux tout seuls qu'une meute de loups. Devant eux les deux femmes avançaient vers la lumière d'une clairière sans avoir l'air de se douter des pensées de leurs anges gardiens. Un arbre tombé leur servit de siège. Chioula souriait. Cet endroit avait quelque chose de merveilleux. Elle pensa que puisque le roi-dragon avait entendu son désir de bain, peut-être pourrait-elle lui demander le droit de venir ici de temps en temps, juste pour le plaisir d'être là et de se sentir bien. Elle fut tirée de ses rêveries par un cri :
- Des loups !
Elle entendit le glissement des lames sortant du fourreau. Les deux gardes se mirent de part et d'autre faisant face. Déjà une dizaine de silhouettes noires s'avançaient sans se presser, comme sûres de leur force.
- Ne bougez pas, Princesse ! S'ils ne sont pas en chasse, ils passeront leur chemin.
Chioula osait à peine respirer. Kolong la serrait contre elle. Des loups noirs !
Restant à bonne distance, la meute entreprit de les encercler. Chioula savait qu'elle pouvait compter sur la fidélité de ses gardes et sur leur vaillance. Elle pensa avec angoisse, que face à une meute, leur petit groupe n'avait aucune chance.
- Allons, RRling, ce sont des invités !
La voix surprit Chioula. Elle fut encore plus étonnée de voir la plus grande des bêtes noires s'avancer tranquillement, son regard rouge brillant dans la pénombre. Elle passa non loin d'un des gardes sans même lui jeter un coup d’œil. Chioula se tourna pour la suivre et découvrit le prince aux yeux d'or qui marchait d'un pas tranquille tout en jouant avec un bâton. Elle l’interpella :
- Vous connaissez ces bêtes ?
- Le mot est peut-être mal choisi. RRling est la meute et cette louve mon interlocutrice.
Chioula eut un regard admiratif.
- Je croyais que cela n'existait que dans les légendes.
La louve qui avait rejoint Lyanne, se frottait à lui en signe de bienvenue. Il lui caressa la tête.
- Regarde bien cette dame RRling...
Comme si elle comprenait la louve darda ses yeux rouges vers Chioula.
-... C'est une invitée qui a le droit à ton respect et ta protection.
Tout en parlant à RRling, Lyanne s'approchait de Chioula. Les autres loups s'étaient couchés par terre en rond autour d'eux. Elle se sentit comme hypnotisée par ces yeux, à moins que ce ne soit le bâton qui semblait avoir sa vie propre. La louve fut bientôt à quelques pas d'elle. Chioula sentit Kolong se recroqueviller sur elle-même. Elle regarda la louve. Les yeux rouges plongèrent dans les yeux bleus. Le temps sembla suspendu.
- Je vois, Princesse Chioula, que vous jouez votre jeu avec tout le monde.
Chioula bâtit des paupières et releva la tête vers Lyanne. Elle semblait juste un peu perdue. Un sourire lui vint aux lèvres :
- Auriez-vous eu peur de moi que vous m'envoyez votre compagnon de jeu ?
- Je voulais simplement que RRling vous connaisse. Dans cette région, la meute se promène et surveille ce qu'il se passe. Maintenant vous allez pouvoir découvrir ces bois sans crainte. RRling veillera.
Lyanne fit demi-tour et s'éloigna. Chioula se mordit les lèvres.
- Prince !
Lyanne se retourna :
- Pourquoi m'appelez-vous prince ?
- N'êtes-vous pas de la famille du roi ? Vos yeux semblent l'indiquer.
- Je suis de la famille du roi-dragon en effet. Il semble tenir à votre confort puisque c'est pour répondre à son désir que je suis ici.
- Le roi-dragon est bien impressionnant, dit-elle en se rapprochant de Lyanne.
- En effet, princesse Chioula. Être dragon a bien des avantages...
- Je l'ai rencontré pendant l'audience qu'il accordait à mon père, le Noble Sariska, ajouta-t-elle avec quelques précipitations quand elle vit à nouveau que Lyanne semblait vouloir repartir.
Lyanne la regarda dans les yeux :
- J'ai entendu tous les couloirs du palais en parler.
Chioula fit un début de grimace pour montrer qu'elle avait bien compris que son attitude avait heurté les gens du royaume Blanc.
- Pourtant, le roi-dragon ne semble pas m'en tenir rigueur. J'en ai pour preuve votre présence.
- Le roi-dragon tient à ce que ses hôtes soient honorés en son palais.
Chioula ressentit de la panique. Le prince aux yeux d'or semblait avoir été choqué par son attitude. Elle essaya de se justifier :
- Il faut mettre mes gestes sur le compte de ma méconnaissance de vos coutumes. Je n'avais nulle envie de vous choquer.
- Votre inexpérience et votre jeunesse semblent effectivement les seules en cause. Rassurez-vous, princesse, le roi-dragon est jeune aussi et sait la difficulté à être comme il faut où il faut. Mais je vous laisse, princesse. D'autres tâches m'attendent.
- Nous reverrons-nous ?
- Le fort de Moune est petit. Nous nous croiserons sûrement, peut-être même bientôt.
Chioula n'osa l'interroger. Elle regarda Lyanne partir. RRling qui s'était allongée le temps de leurs échanges, lui emboîta le pas. Il ne resta bientôt que les quatre habitants du pays de Pomiès dans la clairière.
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