De nouveau le fort de Moune
fonctionnait en circuit fermé. La délégation du pays de Pomiès
restait bloquée dans ses quartiers. Sariska n'avait pas élevé la
voix mais avait tancé sa fille de belle manière. Chioula depuis
restait confinée dans ses appartements. Kolong essayait de la
consoler. Chioula se sentait à la fois coupable de s'être perdue et
d'avoir fait courir des risques importants à tout le monde et
heureuse d'avoir rencontré le prince aux yeux d'or et de lui avoir
donné la main. Si la culpabilité laminait son moral, elle ne rêvait
que de rencontrer à nouveau le prince Lyanne.
Son père rongeait son frein. Avant la
funeste aventure de sa fille, il avait appris que le roi-dragon était
reparti pour la Blanche. Elle lui avait bien parlé d'un prince Louny
mais les serviteurs ne voyaient pas de qui elle voulait parler.
Sariska pensait à un de ses personnages secrets que tous les
royaumes connaissent et qui fait le sombre travail qu'on ne peut
faire ouvertement. Il pensait aussi que bientôt, ils ne pourraient
plus rejoindre la capitale. Si les tempêtes se succédaient, ils
allaient être immobilisés ici. Il voyait déjà le temps où ils
seraient obligés de manger les macocas pour survivre. Ce qui le
mettait le plus en colère était de ne pas remplir sa mission auprès
du roi-dragon. Cela faisait déjà beaucoup trop de lunaisons
qu'était mort son prédécesseur. Les ennemis du pays de Pomiès
étaient nombreux à la cour. Sariska passait ses journées à
ruminer ces sombres pensées, priant pour que le temps redevienne
clément pour partir au plus vite à la capitale. Il accusait tout le
monde tour à tour, même s'il était le seul responsable de leur
arrivée au fort de Moune. Il en voulait particulièrement à son
prédécesseur, homme arriviste qu'il n'avait jamais aimé.
Chioula une nouvelle fois pleurait.
Kolong lui avait entouré les épaules de ses bras et la consolait
du mieux qu'elle pouvait. Elle en était à se demander comment elle
allait faire pour consoler sa maîtresse quand on frappa à la porte.
Elle alla ouvrir. Un serviteur en rouge, la livrée du roi-dragon
selon ce qu'avait appris Kolong, s'inclina jusqu'à terre et donna un
plaque de glace puis se retira sans un mot. Kolong fut tellement
surprise qu'elle en oublia de poser des questions. Elle ramena la
plaque à Chioula avec des yeux qui racontaient son incompréhension.
Chioula prit la plaque entre les mains. Elle tenait un morceau de
glace transparente entourée d'un bord blanc. Elle échangea avec
Kolong le même regard d'étonnement. Elle souleva la plaque pour en
voir la pureté quand elle vit les signes. Vivement elle se leva et
alla se poster près de la lumière. Dans l'épaisseur même de
l'objet apparaissait des signes rouges qui se précisèrent devenant
des mots et des phrases. Chioula lut avidement en pensant que cela ne
pouvait venir que du prince Lyanne.
- INVITÉE, je suis invitée !
Kolong qui admirait la graphie des
signes mais qui ne savait pas lire, vit s'illuminer le visage de
Chioula. Elle pensa que les jours sombres allaient bientôt prendre fin.
Tout le reste de la journée fut
consacré aux préparatifs. Elle voulait paraître sous son plus beau
jour. Le choix de la robe fut le plus difficile. Elle avait un
vêtement rouge qui la mettait en valeur mais pouvait-elle mettre
cette couleur qui évoquait le roi-dragon? Elle sortit d'autres
tenues mais au final revenait toujours vers sa première idée. Elle
discuta avec Kolong de ce que diraient les autres convives en la
voyant ainsi parée. Kolong était d'avis de mettre la robe bleue qui
allait si bien avec ses yeux. La discussion entre les deux femmes
dura tout l'après-midi. Finalement à l'heure du choix elle opta
pour le rouge. Avec sa coiffure à la mode du pays de Pomiès,
Chioula se trouva une belle allure. Elle ferait honneur à son pays
et à son père, elle l'espérait. Plus l'heure du dîner approchait,
plus elle était nerveuse. Saurait-elle se conduire devant le dragon?
Fallait-il lui dire « Majesté » ? Chez elle, elle
maîtrisait tous les codes. Elle avait reçu toutes les consignes
pour bien se comporter avec un roi-dragon. Son inquiétude venait de
ce que lui avait déclaré son maître du protocole en lui disant :
- Je vous transmets tout ce que j'ai trouvé dans les vieux
grimoires. Aujourd'hui personne ne peut dire ce que fera le
roi-dragon.Quand le serviteur vint la chercher, elle était remplie d'inquiétude. Elle répéta dans sa tête la succession de mouvements composant la révérence. Ils symbolisaient la danse de soumission des dragons. Tout vassal était tenu de le faire, en ces occasions, dès son introduction dans la salle où se tenait le roi-dragon. Pendant tout le trajet, elle se prépara. Elle arriva devant les grandes portes de la salle du trône. Elle fut surprise de ne pas s'arrêter. Cela la déstabilisa. Elle marqua un petit temps d'arrêt puis accéléra le pas pour rattraper le serviteur. Ils s'enfoncèrent dans une succession de couloirs qui lui firent perdre son orientation. Le serviteur lui demanda de descendre un escalier. Chioula fut étonnée qu'il ne l'accompagne pas. À son regard étonné, il répondit que quelqu'un l'attendrait en bas.
Manifestement les marches menaient sous terre. La roche
avait été creusée. Une porte à double battant lui barrait le
passage. Le plus étonnant pour elle fut de ne voir personne. Elle
descendit les deux dernières marches en se demandant ce qu'elle
devait faire, attendre ou frapper pour entrer?
Elle avait à peine posé le
pied sur le sol rocheux qu'elle vit les portes s'ouvrir. Elle entra.
À l'écho de ses pas, la salle
semblait vaste. Elle était surtout sombre. La seule tâche de
lumière venait de deux torchères plus loin sur la droite. Une table
était dresssée, avec deux couverts.
Chioula était déstabilisée. Elle
s'attendait à un repas officiel avec toute la délégation et se
retrouvait à dîner en tête-à-tête dans une salle qui aurait
contenu le palais du noble Szeremle. Elle avança à petits pas vers
la zone lumineuse. Elle sentait une puissance énorme autour d'elle.
Était-elle dans l'antre du dragon ? Elle le pensait. Un peu en
retrait elle devina la silhouette d'un homme qui se précisa quand il
arriva près de la torchère. Elle fut soulagée de voir le prince
Lyanne. Il arborait un sourire qui lui fit chaud au cœur. Elle se
mit à marcher plus vite.
- Bonsoir, Prince lyanne !
- Bonsoir, Princesse Chioula. Le rouge
vous va à merveille.
Chioula sentit la chaleur lui envahir
les joues.
- Cet endroit est surprenant. Quand on
voit le fort, on ne peut se douter de ce qui est en dessous.
- Celui qui a construit ce lieu a
découvert cette caverne en creusant. Elle a beaucoup plu au
roi-dragon. Il l'a aménagé selon ses goûts... Mais approchez,
Princesse. Prenez place.
Un serviteur sortit de l'ombre en
silence pour lui tenir son siège.
Chioula vécut le temps du repas sur un
nuage. Entre les mets, délicieux, les boissons relevées et les
parfums qu'elle sentait autour d'elle, elle avait la tête qui
tournait un peu. A la fin du repas, elle avait posé sa main sur la
main du prince qui ne l'avait pas enlevé.
Cela avait duré un bon moment. Puis le
prince avait dit :
- Princesse Chioula, je pense qu'il est
préférable que vous regagniez vos appartements. Il est des choses
que vous ignorez et que vous devriez savoir avant d'aller plus loin.
Chioula n'avait entendu que la fin.
« Aller plus loin » : elle en rêvait déjà.
Lyanne la regarda partir. Il était
ému. Elle n'avait toujours pas compris qu'il était le roi-dragon.
Jusqu'où pouvait-il aller avec elle sans lui faire de mal ?
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