Lyanne avait redécollé silencieusement. Une centaine d’hommes ici, cinquante en forêt, représentait un véritable détachement. Cappochi était bien pressé. Manifestement, il ne désirait pas le jour de Bevaka et l’arrivée d’un jeune roi dont la couronne chargée d’énergie le rendrait libre. En se promenant, il avait écouté les bruits qui couraient sur l’étrange affection qui liait les deux hommes. Ils se connaissaient depuis leur plus tendre enfance. Si l’un était fils de roi, l’autre était fils de vieille noblesse. Quand Lyanne arriva dans sa chambre, il découvrit, endormie sur son lit, la princesse. Cela le fit sourire. Il reprit forme humaine et s’approcha. Elle avait encore sa robe de banquet. Il l’appela doucement. Elle ouvrit les yeux, regarda autour d’elle avec un regard d’enfant et posa les yeux sur Lyanne. Aussitôt, elle sauta sur son céans et fit face :
- Alors, tu as vu ?
- J’ai vu, princesse. J’ai vu le danger sous la forme de soldats qui montaient par les souterrains secrets de la forteresse.
- Si tu parles du souterrain du puits, tout le monde le connaît. C’est un très bon raccourci pour aller au bord de l’eau quand la mer est basse. Mais il faut toujours quelqu’un pour rouler la porte pierre.
- Elle était ouverte avant mon passage.
- Ouverte ? Il y a un traître parmi nous.
- Je pensais que le prince Modtip serait avec toi.
- Mon frère ! Il est trop insouciant. Il jouait encore quand je me suis éclipsée.
Revenant à son idée première, elle murmura :
- Je me demande bien qui c’est ?
- As-tu vu autour de toi quelqu’un qui pourrait être celui que tu cherches ?
Lyanne ne voulait pas lui nommer Cappochi. Elle semblait trop fragile pour l’attaquer et, vu l’amitié avec le fils du roi, il doutait que quelqu’un la prenne au sérieux.
- J’ai quelques idées… Insuffisant pour accuser. Je veux des preuves.
- Cela me semble sage, princesse. Je pars demain avec vous. Si j’ai bien compris, mon rôle sera de vous accompagner jusqu’au lac de lave. Cela semble assez facile.
- Détrompe-toi. J’ai assisté à toutes les cérémonies depuis que j’ai l’âge. Tous nos accompagnateurs sont morts. Seul mon père, et nous sommes protégés. Tu mourras ce jour-là.
- J’ai fait un long chemin, princesse, pour arriver ici et maintenant. Mon dieu m’a toujours protégé. Il le fera aussi ce jour-là.
- Quel est ton dieu ? Ici, nous adorons un dieu oiseau. C’est pour cela que les hommes-oiseaux avaient tant d’importance. Ils étaient les messagers des rois et des reines pour aller chercher celui qui serait le compagnon ou la compagne digne d’être associé au porteur de la couronne à l’Oiseau.
- J’ai donc le manteau du dernier des hommes-oiseaux.
- Tu as compris. Tu lui dois d’être encore en vie. Mon père y voit un signe. Il pense que si tu survis, tu pourrais être celui qui cherche la compagne pour le roi.
Cela fit rire Lyanne, il n’avait pas fini sa quête et déjà certains voulaient lui en donner une autre. Redevenant sérieux, il regarda la porte puis la princesse :
- Est-il bon pour une princesse d’être seule dans la chambre d’un prisonnier.
Ce fut au tour de Moayanne de rire :
- Si Tatina me voyait, sûre que je me ferais fouetter. Je vais partir. Acceptes-tu de continuer à me servir.
- Tant que je suis vivant ?
- Au moins jusqu’au jour de Bevaka !
- Alors j’accepte, je chercherai la racine de ce mal.
- Bien, dit Moayanne en se levant, alors c’est dit.
Rapide comme le vent, elle embrassa Lyanne sur la joue et partit en courant. Lyanne en resta interloqué. Drôle de princesse !
Le vent leur fut favorable en ce matin de départ. Les cendres étaient poussées vers la mer. On entendait toujours les explosions du Frémiladur au loin dont le son arrivait bien après la lumière en haut de la montagne.
- S’il continue, il va atteindre les cieux, fit remarquer un des soldats de l’escorte.
- Veuillent les dieux que cela n’arrive pas. Le roi serait capable de nous demander d’y aller.
Ces hommes aguerris frémirent à cette idée. Violer la terre des dieux leurs semblait inconcevable.
Ils étaient une dizaine de mains d’hommes selon ce qu’avait pu compter Lyanne, tous montés pour faire escorte au roi, à sa famille et à ses favoris. Devant eux couraient deux guides des marais. Le voyage jusqu’au pied du volcan allait prendre deux ou trois jours… si tout allait bien. Lyanne était à pied avec les serviteurs et les bêtes de somme. Eux allaient marcher presque sans s’arrêter pour suivre le rythme des cavaliers. On utilisait des bêtes robustes aux longues pattes assez peu chargées. Lyanne ne pouvait pas suivre simplement en marchant. Le pas de ces bêtes ne s’accordait pas avec le sien. Il passa une partie de la matinée à marcher, courir, marcher, courir. La pause repas ne fut même pas reposante. À peine eurent-ils fini d’avaler leurs provisions qu’ils étaient déjà repartis. Ils arrivèrent longtemps après les cavaliers. Lyanne se posa et regarda l’agitation autour de lui. Les serviteurs, sans attendre ni récupérer se dépêchèrent de faire le repas, de monter les tentes. La nuit était noire, les nuages cachaient la lune. De nombreuses lumières tentaient de dissiper les ténèbres mais laissaient de nombreuses zones d’ombre que Lyanne mit à profit pour s’éclipser.
Dans la nuit, zébrée des décharges du Frémiladur, il survola le marais qu’il avait déjà traversé dans l’autre sens. Les cendres avaient tout recouvert, au point parfois de ne pouvoir discerner ce qui était liquide de ce qui était solide. Il n’y avait plus signe de vie nulle part. De l’autre côté, les terres cultivées avaient subi le même sort. Il survola la ruine de la ferme où il avait logé. Tout s’était effondré sous le poids des cendres. Plus loin l’air devenait instable, rendant le vol difficile. Lyanne fit demi-tour. De son œil de dragon, il repéra les traces anciennes sous le tapis uniformément gris. Cela lui évoqua le Pays Blanc quand il se couvrait de neige. Il revint vers le campement qui bruissait d’activité. Il se posa un peu plus loin et revint toujours aussi anonyme. Les serviteurs allaient et venaient courant à moitié pour servir le roi et sa suite. Les soldats cantonnés un peu plus loin, surveillaient le cœur du camp où était la famille royale. Si les conditions dues à l’éruption les effrayaient, ils ne semblaient pas craindre d’attaque. Lyanne rejoignait leur analyse. Ils étaient encore trop loin de la mer. Tout changerait en entrant dans le marais. Le seul passage qu’il avait vu passait près de la côte, avec quand même un endroit qui ne serait praticable que pendant un assez bref moment. S’il devait faire une embuscade, c’est là qu’il l’aurait tendu. Cappochi connaissait-il les subtilités de ce terrain ? Lyanne en doutait, mais se méfiait. Ce qu’il avait vu avait beaucoup plus de pouvoir qu’un banal être humain.
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