Dans la forteresse, tout était agitation. On nettoyait, rangeait, arrangeait, houspillait, s’agitait parfois en vain pour que tout soit prêt. Digrat était sur le pied de guerre. Il était partout, vérifiant, tous les détails. Tout le monde houspillait tout le monde au nom de l’urgence qu’était l’arrivée précoce du roi.
Les hérauts sonnèrent pour le saluer au moment où le soleil se couchait. Le roi arriva dans la grande cour devant le donjon. Il avait traversé tout le village accompagné des “hourras” et des “vivat” des soldats qui avaient fait une haie d’honneur de part et d’autre de la rue principale. Si le vieux roi avait été manifestement sensible à toutes ces marques d’admiration, son fils avait fait le trajet le regard hautain fixé droit devant lui.
Lyanne entendait tout cela de sa chambre. Il n’avait pas voulu prendre le risque de se transformer pour aller voir. Il suivait la progression du roi et de sa compagnie à l’oreille. Les acclamations avaient cessé quand ils avaient passé la première muraille.
Lyanne les vit passer dans la cour. Immédiatement la deuxième silhouette le mit mal à l’aise. Il ne s’attarda pas sur elle. L’écrin arrivait toujours porté par ce petit qui devait être un page ou plutôt un des enfants royaux. Lyanne ne pensait pas que le roi aurait confié ce qui devait contenir sa couronne à un serviteur aussi dévoué soit-il. Le porteur passa rapidement pendant que le roi s’arrêta quelques instants dans la cour pour parler à Digrat. Son fils s’arrêta aussi. Brusquement les deux regardèrent en haut vers les fenêtres de Lyanne qui ne bougea pas. Le regard du roi croisa le sien. Il y découvrit toute la profondeur d’un noir dense dans un visage interrogatif. Cela ne dura que le temps d’un clignement de paupières. Puis le roi reprit sa marche pour monter l’escalier d’honneur vers ses appartements.
- « Un homme intéressant! » pensa Lyanne. « Son histoire mérite d’être écoutée ».
Lyanne resta un moment à regarder dans la cour. Il ne vit que le train-train des choses. Le jour de Bevaka approchait.
À la nuit tombée, une silhouette rouge sombre vola sans bruit vers la forêt. Yabolo l’accueillit comme toujours avec sérénité.
- Te revoilà, porteur de pouvoir. Que puis-je pour toi, en cette nuit ?
- Que sais-tu d’important sur le jour de Bevaka ? J’ai vu l’écrin, j’ai senti la force qu’il contient. Elle est presque épuisée.
- Le monde est instable. Tu le sais. Le Frémiladur ne se calme pas et ne se calmera pas. Les esprits de la terre, et du feu sont en colère.
- Le roi y est-il pour quelque chose ?
- Il est vieux et influencé. Il voit ce qu’on lui montre. Ceux qui arrivent sont les véritables maîtres du pouvoir.
- Connais-tu l’avenir ?
- Qui peut le connaître ? Seul celui qui est là où il doit être peut faire advenir un monde stable. J’entends tes amis.
Ziepkar et Sounka rentraient dans la clairière en rigolant. Les loups noirs les entouraient portant les fruits de la chasse. La grande louve s’approcha de Lyanne en ronronnant. Lyanne lui caressa la tête :
- As-tu vu le convoi qui arrive ?
- « Nombreux sont les humains hostiles aux loups. Dois-je les combattre ? »
- Il est préférable de les laisser, Hapsye. Je vois que tu t’es approché d’eux.
- « Trop sûrs, trop bien nourris, ils se croient invulnérables. »
- As-tu senti autre chose ?
- Leurs coeurs sont noirs et secs. Surtout celui dont le manteau est jaune. C’est un mauvais alpha.”
- As-tu vu autre chose ?
Lyanne eut la vision de soldats marchant en se cachant.
- « Ceux-là sont de la meute du mauvais alpha. Ils sont très durs et n’ont pas de pitié. »
- Bien, dit Lyanne. Surveille-les et protège ce lieu et mes amis.
La terre se mit à trembler. Lyanne qui finissait de manger avec les autres, regarda Yabolo. Celui-ci lui rendit son regard et ajouta :
- Trop de colère.
C’est alors qu’on entendit le bruit comme celui d’une explosion et l’air lui-même se mit à trembler.
Quand Lyanne s’envola, il regarda vers le Frémiladur. Un long panache de lumière rouge sortit de la montagne. L’éruption entrait dans une nouvelle phase. Il vola avec le grondement constant de la colère en montagne. Il survola la suite du roi qui voyageait avec des chariots. Il repéra le manteau jaune. L’homme qui le portait le révulsa autant que le fils du roi. Hapsye avait raison. Cet homme était foncièrement mauvais. Autour du campement, il remarqua ces soldats, ou plutôt ces francs-tireurs. Il tiqua en voyant qu’ils étaient une bonne dizaine de mains de combattants.
Son vol jusqu’à la forteresse se passa sans autre difficulté.
Il entra dans sa chambre. Il remarqua tout de suite les signes d’intrusion. Il y avait comme un parfum étrange mais pas désagréable. Lyanne se sentit contrarié. Il pensait pourtant avoir bloqué la porte avant son départ. Il alla à la fenêtre. Tout était calme dans la cour. Les gardes somnolaient sur les remparts en cette heure tardive de la nuit. Au loin, le panache lumineux du Frémiladur dépassait au-dessus des murs. Un sourd grondement persistait. Le volcan exprimait toujours la colère. Est-ce un mauvais présage pour le jour qui venait ?
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