Si Lyanne fut un peu déçu de ne pas assister même de loin au banquet, il jugea plus intéressant d’aller voir ce qui pouvait perturber la princesse. La porte de la prison était fermée. Sans ordre, personne ne le laisserait entrer. Il décapuchonna son bâton de pouvoir, réjoignant ainsi un monde d’esprits vivant sur un plan différent. Là, il y existait comme le rouge dragon serviteur du Dieu Dragon. Rares étaient les entités qui pouvaient le défier. Les murs étaient devenus de simples écrans. Lyanne en passa un premier. Les hommes n’étaient que des ombres aux reflets divers. Il dépassa les gardes, entrevit les ombres sombres des prisonniers, et chercha en dessous ce qui pouvait ainsi inquiéter Moayanne. Il arriva près d’une des tours d’angle, pénétra dans la salle des gardes aux reflets de métal sale. C’est alors qu’il repéra ce fil, d’un jaune sombre, se tortillant en filant vers le fond de la cavité où était creusé le puits. Il décida de suivre le brin descendant. Il découvrit un couloir sombre. Il n’y avait pas âme qui vive. Le filament jaune s’enfonçait toujours heurtant un mur ou l’autre au gré de ses convulsions. Lyanne reprit pied dans la réalité matérielle sous sa forme de dragon. Ses yeux étaient capables de voir les deux réalités. La courbe descendante du boyau lui permettait de se laisser planer. C’est sans bruit qu’il dépassa une porte composée d’une roue de pierre grosse comme une meule logée sur un rail dans le mur. Après un brusque tournant, il aperçut la lumière. Ce n’était qu’une vague lueur tremblotante. Des raclements et des glissements devinrent rapidement perceptibles. Quelqu’un venait. Lyanne s’arrêta là où le tunnel devenait salle. Le filament jaune filait à l’autre extrémité. Son instinct le prévint du danger. Ceux qui montaient par là, étaient hostiles. Il se positionna près d’un pilier jouxtant le tunnel du côté où il était entré. Cela lui permettait de voir combien seraient les assaillants.
Ils arrivèrent peu après. Le premier qui entra se coula comme un serpent le long du mur, prenant position derrière le pilier opposé à celui de Lyanne. Derrière arriva le premier porteur de torche. Il portait un bouclier qui le cachait presque entièrement. Des silhouettes fugitives se glissèrent de part et d’autre. Quelques reflets des flammes sur l’acier lui permirent de repérer les armes prêtes à l’action.
À l’entrée du tunnel, le dernier murmura en arrière :
- Ya une grande salle ! On fait quoi ?
Un murmure indistinct lui répondit :
- Non, c’est une grotte, ya pas de puits.
Nouveau murmure.
- Bon, on va voir.
La dizaine d’hommes se déploya, l’épée à la main. Lyanne, accroché dans l’ombre en haut du pilier, les regarda se mouvoir. Il repéra ces minces lignes jaunes qui allaient et venaient, courant d’un individu à l’autre, leur donnant vitesse et force. Il grimaça. Seul contre eux et l’entité qui était le filament, il ne pourrait probablement pas les arrêter. En tout cas, pas très longtemps. Combien étaient-ils derrière ?
Avant qu’ils n’aient dépassé le milieu de la salle, Lyanne s’était laissé tomber à terre, attirant leur attention. Ils se figèrent tous, l’arme pointée, prêts à toute éventualité. L’un des derniers sortit rapidement un arc court de son carquois et le banda. Le peu de lumière avantageait Lyanne, en partie caché de la torche par des piliers.
- C’est quoi c’t’oiseau ?
- T’occupes, tu connais les ordres.
La flèche s’envola juste après. Le reflet jaune qui sillonnait son fût alerta Lyanne. D’un souffle glaçant, il la déséquilibra. Elle toucha le pilier juste à côté de lui. À sa grande surprise, elle s’y planta. Il la regarda vibrer un instant, puis il remarqua les fissures dans la pierre qui semblaient naître de la pointe de flèche. Une respiration plus tard, une bonne partie du pilier s’effondra ne laissant qu’un moignon torturé. Lyanne retourna la tête vers l’archer juste à temps pour voir partir le second trait en même temps qu’il entendait le juron du chef pour l’échec du premier tir. Il s'esquiva du plus vite qu’il put. Dans l’ombre noire du couloir, il vit la flèche s’enfoncer dans le mur. Soufflant la glace, il vit que se bloquaient les premières fissures. Rapidement, il transforma tout le mur en un bloc froid et glacé.
- T’as vu où qu’il est parti ?
- Nan, mais avance, on va bien l’coincer. Fais signe aux autres.
Lyanne s’envola à toute vitesse vers le château. La pierre ne résisterait pas longtemps contre un tel ennemi. Le dernier son qu’il entendit fut les jurons des premiers arrivants glissant sur la pierre gelée.
Il remonta à force d’ailes, tout ce qu’il avait descendu en planant. Une fois plus haut, il repéra cette porte de pierre ronde qu’il avait remarquée en descendant. Se plaçant juste devant, il prit la taille la plus grande compatible avec l’espace dans lequel il était. Il utilisa toutes ses ressources pour transformer le couloir pentu en patinoire verglacée. Puis se reculant, il fit rouler la pierre et la cala. De nouveau, il congela jusqu’au cœur la pierre, fermant ainsi tout accès au château. Il faudrait plus d’une journée pour que la pierre dégèle...
Il se posa, fatigué par l’effort fourni. C’est alors que son regard se posa sur le filament qui semblait se tordre de rage d’être coincé par la roue de pierre. Cela le fit sursauter. Ce n’était pas un pur esprit malfaisant. Celui qui contrôlait cela avait un ancrage dans le monde des hommes. Cela le fit presque rugir. Il fallait qu’il trouve à qui ou à quoi était relié ce fil d’un jaune malfaisant.
Lyanne ne réfléchit pas longtemps et s’envola vers le château. Il remonta le couloir, se retrouva dans le puits. Les quelques lumignons répartis ça et là ne suffisaient pas à éclairer cette grande salle. Il suivit les convulsions du fil jaune qui l’entraînèrent vers le haut, passant par une des ouvertures d’aération. Il se retrouva dehors pistant le pseudopode qui venait du bâtiment royal. La nuit qui était maintenant tombée, le cacha aux regards. Il plongea pour pénétrer par un soupirail et remonter par l’escalier débouchant sur l’antichambre royale. Il se posa derrière une tenture pour reprendre forme humaine. Il en sortit juste à temps pour voir le filament rompu se replier rapidement vers la salle du banquet. Il entra à son tour par la porte de service, profitant d’un espace entre deux pages qu’il faillit bousculer. Un garde le bloqua net, mais il eut le temps de voir comme un éclair jaune se fondre dans un manteau jaune.
- On ne passe pas, dit le garde.
- Je me doute, lui répondit Lyanne, mais je voulais voir la magnificence royale.
Le garde le regarda mieux :
- Ah ! C’est vous, dit-il en le lâchant prestement.
Lyanne reconnut un de ceux qui avait gardé sa porte.
- Je souhaitais juste voir la table du roi. C’est un spectacle très intéressant.
- Bon, dit la garde, mais n’allez pas plus loin, je ne veux pas d’ennuis.
- Je reste à côté de vous. Je vois le roi, son fils, ses jumeaux mais qui est celui qui est à côté du fis du roi ?
- Celui-là, dit le garde en désignant l’homme au manteau jaune et en crachant par terre, c’est Cappochi.
- Vous ne l’aimez pas !
- Non, répondit le garde. Je n’ai jamais aimé les serpents.
Lyanne s’éclipsa avant la fin du banquet. Il remonta dans sa chambre pour reprendre l’air. D’où pouvaient venir ces soldats ? Il survola la falaise sur laquelle était construite la forteresse. La lave noire semblait solide. La marée était basse et la mer laissait une plage qu’il survola. À marée haute, il avait vu les vagues se jeter sur la roche qui s’était adoucie. Le reste était hérissé de pics et de tranchants rendant toute escalade impossible. Il ne remarqua rien d’anormal. Il continua son exploration suivant la côte. Une étroite crique séparait la forteresse d’un autre espars de roches. De l’autre côté il survola les bateaux. Sans bruit, il se posa au-dessus des hommes qui bivouaquaient.
- J’ai rien compris, disait l’un d’eux.
- Normal, Mass, tu comprends jamais rien.
Cela fit rire tous les autres. Lyanne rattacha le surnom à la taille du guerrier. Il dépassait tous les autres d’une bonne tête.
- Peut-être, reprit Mass, mais le Guide nous tenait puis tout est devenu froid. Tu comprends toi comment on a fait pour glisser comme ça dans ce souterrain et pourquoi le Guide est parti ?
- Laisse tomber, Mass, le Guide a ses raisons. Il a dû se passer quelque chose là-haut qui lui a fait différer l’action. Demain avant l’aube, on mettra les voiles pour aller vers le volcan. Il faut qu’on arrive avant eux là-bas. Le jour de Bevaka ne doit pas arriver.
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