Le temps avait changé. La neige s'était mise à fondre. Depuis cette nuit qui avait vu la première prise de la ville, les choses étaient devenues très différentes. Si les troupes de Saraya s'étaient bien battues, les pertes avaient été lourdes. Les archers s'étaient révélés inefficaces dans la nuit. Les crammplacs avaient été l'atout décisif de cette bataille, taillant en pièces les plus solides des combattants. Dans la lumière du pâle soleil, les patrouilles de guerriers blancs contrôlaient la ville. Ceux qui s'étaient réfugiés en ville, étaient renvoyés chez eux. Ils partaient avec plaisir. La vue des monstres blancs, comme ils appelaient les crammplacs, réveillait leurs peurs. Pourtant aucun d'entre eux n'avait eu à subir des attaques de leur part. La vue des morts le lendemain du combat avait suffi pour faire naître un sentiment de terreur. Les habitants d'Ainval avaient des sentiments plus partagés. Si la peur était présente, une certaine reconnaissance existait. Ces guerriers blancs et leur animaux dressés à tuer, ne les avaient pas touchés. Seuls ceux qui avaient pris les armes avaient eu affaire à eux. La peur du pillage avait disparu. Depuis que les occupants tenaient la ville, il n'y en avait pas eu. L'armée du roi-dragon recevait son ravitaillement et chassait. On était loin des fastes et des exigences du roi Saraya et de sa reine aux yeux noirs. La rumeur les disait prisonniers. Dans la maison du gouverneur qu'il avait réquisitionnée, le roi-dragon avait fait son quartier général. Saraya et Sacha y habitaient sous le même toit. Ce roi sorcier capable de devenir dragon était le plus grand sujet de peur de tous. Le deuxième jour de l'occupation, ils avaient tous vu, le grand dragon rouge prendre son envol du haut du donjon et revenir en fin de journée. La crainte qu'il avait ainsi inspirée valait mieux qu'une armée.
Dans la ville, la vie avait repris un cours presque normal. Seules les patrouilles dans les rues donnaient un air étrange à la cité. Dans la maison du gouverneur, Sacha restait enfermée, refusant de bouger, refusant de manger. Elle vivait la brûlure de sa main comme une trahison de Salcha. Saraya avait retrouvé une certaine sérénité au moins extérieure. Il avait décidé de lutter pied à pied pour garder ce qui pouvait être gardé. Il vivait mal l’attente que lui imposait Lyanne. Ce dernier semblait se désintéresser de ce qui se passait. Il était parti plusieurs fois pendant plusieurs jours. C’est comme si le temps s’était figé.
Lyanne cherchait. Il était retourné voir Vodcha et Maester. Celui-ci allait mieux et se remettait de ses blessures. Vodcha ne lui en avait pas dit plus. Elle ne savait pas ce que cherchait Lyanne. Le roi-dragon avait fait l'aller retour jusqu'à Tichcou. Même en volant vite cela lui avait pris du temps. Il avait désespéré le prince-roi de Flamtimo en lui apprenant sa victoire sur Saraya. La perspective de ne pas avoir à mourir pour défendre sa patrie et son honneur le rendait amer. Il lui fixa des buts pour organiser le royaume en attendant qu’il revienne. Il devait partir. Il le savait. Mais ne savait ni pour où, ni pour combien de temps.
En revenant vers Ainval, il pensa à la suite. Il lui fallait régler définitivement le problème de frontières avec Saraya. Il se posa sur le toit du donjon, tard dans la nuit. Il regarda les étoiles. Le ciel dégagé était prémices de soleil. Ce serait une belle journée. En atteignant la maison du gouverneur, il convoqua le prince Fays, qui lui fit un rapport détaillé sur les faits et gestes de Saraya et de Sacha. Il donna l’ordre de convoquer Saraya à la première heure.
Celui-ci se présenta habillé comme un roi, entouré de conseillers. Lyanne était seul face au grand parchemin accroché au mur.
- Je vois que tu as dessiné le monde, dit-il à Saraya tout en examinant les dessins faits sur la peau.
- Un roi se doit de connaître son royaume, répondit Saraya.
- En effet, roi Saraya. Je sens ta peur. Rassure-toi, ton royaume est à toi, comme mon royaume est à moi. Je suis venu simplement défendre les miens avant ton attaque. Je crois le problème résolu. Approche.
Saraya s’avança jusqu’à la carte que Lyanne n’avait pas quittée des yeux.
- Montre-moi ton royaume, roi Saraya.
Celui-ci s’approcha encore et examina les symboles sur la carte. Il poussa un petit cri de surprise en découvrant des dessins mordorés.
- Exactement, lui dit Lyanne. Tu as maintenant le pouvoir de voir ce qui est mien. Ton regard a changé comme tes yeux.
Saraya avait remarqué l’étonnement de ses serviteurs quand ils le regardaient et avait exigé de savoir d’où il venait. Un plus courageux que les autres lui avait révélé que ses yeux entièrement noirs depuis le fameux combat avec Sacha, avaient retrouvé un iris aux reflets dorés, tout comme Sacha. Cela avait mis quelques jours pour se faire. Il avait remarqué ainsi que tout vassal de Lyanne était entouré d’une sorte de brume dorée. Les autres ne changeaient pas.
- La reine Sacha est invisible, m’a dit le prince Fays. Sais-tu pourquoi, roi Saraya ?
- Elle souffre de sa main, lui répondit Saraya. Salcha n’a pas été tendre avec elle.
- Un jour ou l’autre, on voit les conséquences de ses choix. Sacha était dans l’ignorance de ce qu’elle demandait et pourtant elle l’a demandé. Aujourd’hui, elle comprend le lien qu’elle a ainsi créé. Demain, elle viendra au banquet que je donne pour notre départ.
Saraya en eut le souffle coupé. A la place de Lyanne, il aurait réduit en cendres la ville et tué tous ses habitants pour en faire son fief. Vraiment, il ne comprenait rien à cet homme sorcier.
- J’y veillerai personnellement. Ce sera un honneur que de fêter votre départ.
- As-tu compris ma condition, roi Saraya ? As-tu bien compris les limites que je mettais à ton pouvoir ?
- Je crois, roi-dragon. Au printemps, j’irai voir chez Altalanos. Nous verrons si une paix honorable peut être trouvée.
- Tu as raison de défendre la paix, roi Saraya. Il serait néfaste pour vous que j’intervienne à nouveau.
Pour demain, présente une requête à la reine Sacha. J’aimerais qu’elle porte Salcha.
- Tout sera fait selon tes désirs, répondit Saraya en s’inclinant.
Il se retira encore sous l’effet de la surprise de cette rencontre. Les guerriers blancs repartaient sans pillage ni tribu. La seule demande de ce roi étrange était de ne pas entrer en guerre contre des pays à la marge de ce qu’il considérait comme son royaume. Il avait le sentiment d’une chance incroyable. Non seulement il était encore en vie, mais il gardait ses possessions. La seule perte était l’or. Le roi dragon avait exigé qu’on lui livre tout l’or présent dans la ville. Ses guerriers semblaient savoir où il se trouvait. Ils avaient fouillé maison par maison et ramené tout ce qui en contenait. Là aussi, Saraya pensa qu’il avait de la chance. Son trésor était gardé loin d’ici dans une forteresse. Les habitants de Ainval avaient laissé faire, trop heureux de garder leur vie. Leur monnaie était surtout de bronze et de fer. Seuls les riches firent grise mine en voyant partir leurs bijoux.
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