Saraya tournait en rond dans la pièce du donjon :
- Je sais que tu ne mens pas et que tu ressens le danger avant qu'il n'arrive. Mais aujourd'hui, je ne comprends pas. Tu es nerveuse. Les guetteurs n'ont rien vu et avec cette neige...
- Je sais, Sar. L'autre jour je sentais une puissance qui approchait mais hier Salcha a pris une couleur que je ne lui connaissais pas.
- Mais elle est toujours noire.
- Tu la vois toujours noire. Elle est de toutes sortes de noirs différents suivant les forces qui tendent le monde autour d'elle. Hier soir, elle était noire lumineuse.
- Je la vois toujours pareille. Je l'ai juste trouvée plus propre.
- Si tu veux ! Le métal en était comme neuf. Elle en a connu des combats et pourtant hier soir elle brillait. Celui que j'ai senti approcher, est là !
- Et tu crois qu'il va répondre au défi ?
Sacha n'eut pas le temps de répondre, quelqu'un venait de frapper à la porte.
- ENTREZ, cria Saraya.
Le serviteur s'inclina :
- Mon roi, les guetteurs ont vu quelque chose.
Sacha et Saraya se regardèrent et allèrent sur le toit du donjon.
La neige recouvrait tout. Si les nuages étaient bas, le vent était tombé. La visibilité était bonne. Les soldats étaient tournés vers le vieux pont.
- LÀ ! cria l'un deux en montrant quelque chose.
- C'est gros et ça se déplace dans la forêt, dit un autre.
Ils se mirent au garde-à-vous en voyant arriver le couple.
- Où ? demanda Saraya.
Un soldat désigna du doigt une partie de la forêt de l'autre côté de la vallée. Certains arbres semblaient comme agités par le vent.
- On ne voit pas ce que c'est, dit Sacha.
- Non, répondit un guetteur. On a commencé à voir les arbres de la ligne de crête bouger puis maintenant ceux-là.
- Pour faire bouger des arbres comme ceux-là, ça doit être un monstre.
Saraya se tourna vers un messager :
- Va, cours, et transmets. Qu'on prépare deux grands arcs sur le rempart. Si cette chose approche, il faut pouvoir l'accueillir.
L'homme salua et partit en courant.
- Ce n'est pas ça, dit Sacha. Mon épée ne vibre pas...
- LÀ ! cria le guetteur de l'autre côté du toit.
Tout le monde fit mouvement pour voir le même spectacle.
Saraya tapa du poing sur le parapet.
- On ne voit rien non plus. Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas une armée qui se déplace.
- Mon arme reste sage, dit Sacha, là aussi ! Ce sont des leurres. Le danger est ailleurs.
Lentement elle tira l'épée sinueuse de son fourreau. Elle se mit au centre du toit et la tint tendue à l'horizontale devant elle. Elle ferma les yeux et se mit à tourner doucement sur elle-même, écoutant les sensations qu'elle ressentait. Elle avait presque fait un tour quand elle s'arrêta. Elle ouvrit les yeux :
- Le vrai danger vient de par là !
Saraya alla au parapet. Il regarda. En bas la rivière coulait indifférente à ses interrogations. Sur la poterne qui fermait le pont des soupirants, les gardes étaient à leur place. Ils y avaient quelques allées et venues sur la route mais la neige et le froid bloquaient les déplacements. Sur le coteau en face, les champs étaient d'un blanc immaculé. Un peu plus haut quelques taillis précédaient la forêt de résineux.
- Là, en rouge ! dit un des soldats qui avait accompagné le mouvement de son maître, sous les basses branches du litmel.
Tous les regards fouillèrent l'orée du bois sans rien voir.
- Qu'as-tu vu ? demanda Sacha.
- Ma reine, j'ai vu quelqu'un en rouge vif se jeter en arrière.
- En rouge vif ? reprit Saraya, c'est des gens de Targertun.
- Targertun ? questionna Sacha.
- C'est une petite principauté près des grands lacs à plusieurs semaines de marche d'ici. Il n'y a qu'eux pour savoir faire des vêtements d'un tel rouge. Je ne comprends pas ce qu'ils viennent faire ici.
- Mon roi, ce que j'ai vu est juste un mouvement comme un pan de manteau qui vole au vent.
- Juste une cape ou un manteau ! Ce ne sont peut-être pas eux. Je ne vois pas comment ils pourraient mobiliser des bêtes assez grosses pour faire bouger les arbres.
- À moins que ce soient des monstres avec des humains à leur service.
- Qu'on envoie des patrouilles, dit Saraya.
Ils restèrent un moment sans rien voir. Saraya fit un signe à Sacha et ils redescendirent, allant vers le rempart pour voir comment se passerait l'installation des grands arcs. Ils étaient encore à inspecter quand ils virent arriver un coureur.
- Mon roi, mon roi...
L'homme fit son rapport. Les patrouilles avaient toutes disparues sauf une dont un était revenu. Le soldat rescapé était grièvement blessé et avant de mourir, avait décrit des traces monstrueuses de bêtes encore plus monstrueuses qui les avaient attaqués et réduits en pièces, littéralement en pièces.
Saraya et Sacha se regardèrent. Avec de telles nouvelles, la peur allait s'installer dans la ville.
Le soir tombait quand ils retournèrent au donjon. La soirée fut sinistre. Ils supputaient sur ce qu'ils auraient à affronter et sur les chances que les messagers aient pu passer.
- Ce sont les êtres de la neige qui nous attaquent, dit Saraya.
- Quels qu'ils soient, Salcha les taillera en pièces.
Leur réveil fut douloureux. Le serviteur qui était venu les chercher avait peur. Sacha le sentait. Elle avait ceint Salcha avant de sortir. Quand ils étaient arrivés sur la place haute, les gardes tenaient les habitants à distance. Autour du puits, réparties régulièrement, il y avait les têtes des messagers, de tous les messagers. Saraya resta sidéré un moment. Ce fut en hurlant qu'il donna ses ordres. Il déclencha le branle-bas de combat. Sacha, de son côté, tenta d'avoir des informations sur qui avait pu faire cela. Elle interrogea les gardes sans rien apprendre. Le nuit était noire et la place sans lumière. Seule une femme parlait d'une ombre volante qu'elle aurait aperçue lors d'un lever nocturne. Sacha ne savait pas si elle devait la croire. Cette femme de mauvaise vie qui noyait sa peine dans les boissons fortes, était-elle crédible ?
La journée se passa ainsi. Les troupes se mettaient en place contre un ennemi invisible qui les remplissait d'effroi. Le bourgmestre était venu voir le roi. Saraya n'avait pas pu le rassurer. Les garnisons des deux poternes avaient été renforcées. Les habitants de la vallée avaient demandé d'être hébergés dans la ville haute. Tout le monde se préparait au combat.
Le troisième jour fut pire encore. Rien ne se passa. Le vent se releva en fin de journée, ramenant son lot de nuages sombres et bas qui firent jurer plus d'un. Annonciateurs de neige, ils venaient compliquer la situation.
- La seule chose positive, dit Saraya, c'est que la neige va aussi compliquer la vie de nos ennemis.
Sacha lui jeta un regard dubitatif :
- Tu vois, Sar, je n'en suis même pas sûre !
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