De ses yeux d'or, Lyanne regarda le soleil qui se levait. Les jours précédents avaient été sombres. Le vent et les bourrasques semblaient avoir mangé la lumière. Il se tourna vers Monocarna :
- Le temps est venu. Nous partons pour la plaine des Grands Vents.
Le marabout sourit. Il sentait que les forces de la terre étaient à l’œuvre. Le combat serait victorieux ! Il essayait de ne pas douter. Les légendes étaient obscures sur ce point. Si elles parlaient beaucoup des rois-dragons qui avaient fait de grandes choses, elles étaient beaucoup plus discrètes sur les échecs. Pourtant il y en avait eu. Monocarna soupira en s'éloignant. Les chefs de pod étaient venus prendre les ordres, puis Bouyalma qui tenait à savoir ce qu'il devait prévoir pour ceux qui resteraient.
Lyanne distribua ses instructions :
- Nous partirons quand le soleil sera haut. Attendez-moi !
Ayant dit cela, il décolla pour aller chasser. Il ne se sentait pas d'aller au combat le ventre vide. Tout en volant, il pensa à ce qu'on lui avait décrit de la plaine des Grands Vents.
Du côté du soleil levant, on trouvait le désert mouvant. Sa surface devenait solide en hiver, permettant aux grands traîneaux de se déplacer. Quand la température remontait, les lourds glisseurs devaient trouver refuge sur la terre ferme. Avant le « Chasseur », ils revenaient faire pousser les plantes vivrières dans la plaine. Maintenant, ils survivaient avec les aides venant de la Blanche et le peu de chasse qu'ils pouvaient faire. Survivre était le mot juste, puisque les hommes servaient dans les phalanges et que seuls les femmes et les petits restaient à demeure. Du côté du Couchant était le pays Gowaï. Totalement inexploré, seules les légendes en parlaient. Nul n'avait dénombré le peuple Gowaï, nul ne connaissait vraiment sa force. Entre eux et la plaine des Grands Vents se trouvait une série de collines qui bouchaient la vue. Au midi, se trouvait une terre bouleversée faite de pics acérés formant des chaînes entrecoupées de fjords où coulait une eau saumâtre et noire. Des sources chaudes aux émanations méphitiques en gardaient la surface libre de toute glace. Plus loin, des chemins mieux tracés menaient vers la Blanche. C'est par là qu'allaient passer les phalanges. Le trajet était long, difficile et fatiguant, surtout pour toute une armée. Du septentrion descendait un grand glacier aux fissures mouvantes. Rien, ni personne n'y vivait, hormis peut-être les esprits du froid.
Alors qu'il revenait le ventre plein, Lyanne écouta le vent qui courait depuis le lointain. Il lui parla de troupes en marche et de combats à venir. Le temps de la confrontation était bien venu. Il allait savoir du savoir de celui qui a vécu. Il se laissa porter par le vent. Il survola le bord des Montagnes Changeantes. Il ajusta ses perceptions à ce monde en perpétuel devenir. Il observa au loin les gardiens figés dans leur rôle et le grand dragon noir et blanc qui semblait immobile. Il vit l’œil du grand saurien s'ouvrir, et eut l'impression de le voir sourire. Une brusque bourrasque l’empêcha de conclure. Il stabilisa sa trajectoire et commença à survoler les forêts qui formaient la frontière des Montagnes Changeantes. Il sentit la présence de la Groule et du monstre à deux têtes. Il en eut pitié.
Quand il se posa près du fort de la rencontre, nommé ainsi en l'honneur de la visite de Sonfa, les hommes et les Gowaï étaient prêts.
- Nous n'avons pris que trois jours de vivres, dit Bouyalma en jetant un regard désapprobateur à ce qu'il voyait. Nous devrons chasser sur le chemin. Si les crammplacs nous aident, nous irons vite.
Le roi-dragon entendit les sous-entendus. La plaine des Grands Vents était à de nombreux jours de marche. Bouyalma craignait un voyage long et dur.
- Tu as peur de manquer de vivres, Bouyalma. Je peux t'assurer que l'important est ailleurs.
Lyanne donna l'ordre du départ.
- Je pars devant avec Sagria et les siens, annonça-t-il. Vous suivrez au pas normal jusqu'à mon retour.
Le pod Gowaï aurait bien voulu suivre le dragon pour obéir aux ordres, mais celui-ci allait aussi vite que les crammplacs qui couraient à vive allure en se dirigeant vers la forêt. En maugréant, ils regardèrent le groupe s'éloigner. Lyanne guida la meute montée jusqu'à une clairière. Entre deux grands arbres, les branches semblaient dessiner un passage. Quand le roi-dragon passa au milieu, il disparut aux yeux de ceux qui le suivaient. Sans hésiter, tous passèrent entre les arbres. Lyanne était là devant marchant d'un bon pas, sans un mot, ils le suivirent. Ils avançaient dans un monde blanc mais terne, sans repère. Sans le roi-dragon, ils n'auraient pas su où aller. Sagria et Trascoïa ouvraient la marche de la meute. Rapidement, ils découvrirent qu'il les conduisait vers une lumière qu'on voyait au loin. Plus ils approchaient, plus ils en découvraient l'aspect solide. Si Trascoïa évoquait une construction des hommes, Sagria précisait que cela ressemblait à une des portes du palais du Prince-majeur. Lyanne s'arrêta à côté de la porte et leur dit :
- Allez vers le couchant en sortant. L'armée Gowaï est rassemblée et Afysi, leur roi, vous attend. Dites-lui d'attendre mon signal pour attaquer, tout en préparant ses troupes pour une bataille.
Une fois que le dernier crammplacs eut passé la porte, elle sembla fondre et disparut. Lyanne se remit en marche.
Bouyalma fut soulager de voir revenir le roi-dragon, le chef du pod Gowaï encore plus. Sans en avoir l'air, il compta les écailles.
Lyanne les guida vers la clairière où les grands arbres dessinaient comme un passage. La phalange de Louny et le pod Gowaï mirent leurs pas dans les pas de Lyanne quand il passa. Alors qu'ils marchaient dans un monde gris et terne, Bouyalma s'approcha :
- Où sommes-nous ?
- Là où le roi-dragon vous conduit.
- Mais quel est ce lieu que nous traversons ?
- Les rois-dragons sont maîtres des royaumes blancs. Les hommes n'en connaissent qu'un, les Gowaï en connaissent deux avec le monde d'où viennent les Manonka. Il en existe beaucoup. Ce chemin nous permet de faire comme l'autre chemin, celui que tu connais, mais plus vite et avec plus de sécurité. Si vous pouvez y aller, vous ne savez pas le faire seul. Mon accompagnement vous est nécessaire.
Monocarna se rapprocha en les entendant parler :
- Ne peut-on pas s'y perdre ?
- Pour celui qui a le savoir, l'égarement est impossible.
Le temps s'écoula ou sembla s'écouler. Les repères manquaient pour savoir vraiment. Bouyalma pensa en voyant une lumière au loin qu'ils avaient marché toute une journée, mais quand il eut passé entre les montants de glace d'une porte ouvragée, il vit qu'il faisait nuit. Le vent soufflait et le déstabilisa un peu. Au sol une neige glacée sur une surface de glace lui fit penser à un paysage de montagne. Sans la lumière du jour, il ne vit pas où ils étaient.
Lyanne dit :
- Nous allons bivouaquer ici.
Se tournant vers Monocarna, il ajouta :
- Si tu sens les esprits du froid venir, fais ce qu'il faut pour les protéger.
Ayant dit cela, il déploya ses ailes et s'envola. Monocarna le regarda partir, ombre dans la nuit, pendant que les derniers de la phalange de Louny passaient le seuil de la porte.
Bouyalma s'approcha suivi du chef de pod :
- Où est-il ?
Monocarna répondit :
- Il est parti voir ce qu'il peut voir. Je sens la violence et la puissance en ces lieux, mais assez loin. Ne faites pas de feu ici. Quand se lèvera le soleil, nous irons dans un endroit plus sûr. Je vais veiller pour guetter les esprits du froid. Reposez-vous mais restez prêts à faire mouvement.
Lyanne voyait le grand glacier défiler sous lui. Il repéra une zone dégagée en bordure de la langue de glace. Légèrement en contrebas de la crête, elle mettrait la phalange à l'abri et du glacier et de ceux qui étaient dans la plaine.
Il contempla le ciel. Il restait un peu de temps avant que le soleil n'apparaisse. Silencieusement, il se laissa glisser au-dessus de la grande plaine.
Il découvrit l'armée du Royaume Blanc. Venant du midi, les phalanges s'étaient arrêtées après le dernier fjord. Éclairés par des torches, des guerriers construisaient un mur de glace. Aux yeux du roi-dragon, ils étaient comme autant de bougies qui s'agitaient.
Du haut des airs, il vit un endroit plus sombre bien que plus éclairé. Si les torches étaient plus nombreuses, les lueurs émanant des hommes étaient plus faibles, beaucoup plus faibles. Au centre un cercle de noirceur lui révéla la place de Jorohery. Il en sentit les perceptions qui le cherchaient. Il les évita. Le vent le poussa vers le couchant. Il ne lutta pas, se laissant aller sans forcer au-dessus de la vaste étendue. La saison des plantes était commencée. Il pensa que la bataille ne laisserait pas grand chose de toutes ces victuailles potentielles. Au loin il sentit la puissance de l'armée Gowaï. Si Jorohery avait amené toutes ses phalanges, Afysi avait déployé toutes ses forces en une ligne qui barrait tout l'espace comme une muraille vivante.
Lyanne vira vers le grand glacier. Trouvant des vents plus favorables, il se laissa porter vers ceux qui l'attendaient. Au passage, il repéra une phalange tout habillée de noire, se dirigeant en toute hâte vers le midi.
Il fut heureux que Yaé soit là. Les grands traîneaux ne tarderaient pas. Alors tous les protagonistes seraient en place pour le dernier acte du Shanga.
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