L'arrivée du dragon changea le cours
de la deuxième bataille de la ville. Si l'assaut des forces de Yas
était arrivé par la vallée, l'attaque d'aujourd'hui se faisait sur
la porte du haut. Le dragon-homme vit les corps étalés dans la
neige, percés de flèches. Son premier passage à basse altitude
figea les combattants. Son deuxième passage alors qu'il crachait le
feu sur les attaquants, provoqua une panique. Lors de son virage sur
l'aile, il prit conscience que les assaillants avaient des tenues de
guerriers blancs. Des gestes-ordres étaient donnés pour bloquer la
fuite. Il vit le regroupement des forces près de la pierre qui
bouge. Il décida de se poser entre eux et la ville. Le souffle
puissant de ses ailes déstabilisa les archers et les flèches
partirent dans tous les sens. Il allait rôtir tout ce petit monde
quand il vit quatre hommes jeter loin d'eux des étuis rouges. Ses
yeux d'or se fixèrent sur eux :
- Alors princes, vous attaquez ma
ville !
Il repéra les regards et les gestes
incertains des guerriers blancs. Les légendes étaient trop
présentes dans leurs esprits pour qu'ils ignorent la réalité du
dragon. Ils se tournèrent vers les quatre princes. Trois d'entre eux
avaient mis genou à terre. Le quatrième la lance à la main,
déclara :
- Tremble, esprit du mal. Tes illusions
ne tiendront pas devant la puissance du vrai roi !
Ayant dit cela, il lança un javelot
noir comme la nuit. Le trait vola vers son poitrail. Le dragon-homme
sentit le mal qui l'habitait. Le dragon-homme se transforma. Devenu
le roi-dragon, il leva son bâton de pouvoir. Le feu s'empara de
l'arme. Tout le monde regarda cette flamme volante se transformer en
boule noire. Elle alla s'écraser sur la neige non loin de la porte
haute. On vit une fumée noire s'élever pendant que fondait la
couche neigeuse. Le phénomène alla jusqu'à la terre qui prit une
teinte noire. Le lanceur de javelot reprit le même type d'arme. Le
roi-dragon vit qu'il portait au doigt un anneau de prince neuvième
comme Quiloma. Alors que l'homme armait son bras, le roi-dragon fit
usage de sa puissance. Le noir javelot s'embrasa dans la main du
prince formant une boule de feu et d'obscurité. Sous les yeux des
combattants, l'ombre cerclée de flamme prit de l'ampleur, cachant le
corps de l'homme. Un hurlement en sortit crescendo pour finir dans un
borborygme indistinct. Dans le silence qui s'était installé, il ne
restait plus que le grésillement d'un amas noir au sol faisant
fondre la neige. Les trois autres princes portant un anneau de prince
dixième, genou à terre, mirent le poing droit fermé sur le cœur.
Devant ce spectacle, tous les attaquants firent de même. Derrière
le roi-dragon monta l'ovation.
Quiloma sortit en boitant suivi de sa
phalange en position de combat. Les autres se laissèrent désarmer
sans résister, la tête basse.
Le roi-dragon et les princes se
retrouvèrent dans la grande salle de Montaggone. Les trois
princes-dixième étaient genoux à terre. Quiloma s'était assis.
Une flèche lui avait déchiré la cuisse. Il avait eu de la chance.
Seuls les javelots semblaient avoir été recouverts de ce poison
noir. Il s'était avancé pour accueillir ceux qu'ils avaient pris
pour des amis. Ses réflexes lui avaient sauvé la vie. On avait
retrouvé une dizaine de guerriers morts de chaque côté.
Maintenant, il voulait des réponses et la vengeance. Les trois
princes le savaient et tremblaient. Qunienka les regardait avec un
mépris non dissimulé. L'autre prince dixième de la ville n'était
pas là. Il s'agissait de Sstanch qui avait été nommé ainsi pour
sa mission à Tichcou. Qunienka en était heureux. Ce qui se passait
ici ne regardait que les hommes du pays des glaces.
Le roi-dragon fit un signe à Quiloma.
Ce dernier sans se lever, prit la parole :
- Votre rébellion contre le roi-dragon
mérite la mort.
Son regard se promena sur les trois
hommes qui ne bougeaient pas. Il laissa un temps de silence. Puis il
reprit :
- Le roi-dragon ne veut pas la mort de
ses serviteurs. Il souhaite vous entendre avant de prononcer sa
sentence.
Étonné, un des hommes releva la tête
pour jeter un coup d’œil au roi-dragon. Bien vite il reprit une
attitude d'humilité. Sur un signe-ordre de son roi, Qunienka
s'avança vers lui :
- Quel est ton nom et ton histoire ?
De nouveau le prince dixième releva la
tête. Il regarda Qunienka puis les autres puis enfin le roi-dragon
aux pupilles d'or.
- Mon roi, je ne mérite que la mort.
La seule clémence que j'implore est pour ma phalange qui n'a fait
que m'obéir.
- J'entends ton souhait,
prince-dixième. Pourtant une nouvelle fois, tu contreviens à un
ordre.
L'homme se mordit la lèvre inférieure.
Il s'étala par terre en signe de soumission absolue. Le roi-dragon
rugit :
- DEBOUT, PRINCE ! OBÉIS !
L'homme se redressa comme si un fouet
l'avait frappé. Tremblant il se tint debout au garde-à-vous.
- Je suis Saÿnnu, fils du
prince-cinquième Tatvaliu. Je suis né il y a cinq saisons dans le
pays des Grands Vents que dirige mon père. Ma venue fut une joie
puisque j'étais le cinquième enfant et le premier fils. Ma mère
m'a raconté que la fête fut grandiose à cette occasion. Ma
première épée fut mon premier souvenir. Je l'ai reçue, je savais
à peine marcher mais le prince-cinquième Tatvaliu voulait que tout
le monde sache que la succession ne serait pas à prendre. J'ai fait
ce que je devais faire pour tenir mon rang. J'ai appris durement le
métier des armes. J'ai appris durement à être un bon konsyli puis
un bon prince-dixième lors de la campagne de la saison dernière
quand le Prince-majeur a décidé de reprendre le contrôle des
territoires que les Gowaï avaient reconquis. J'étais avec lui dans
la forteresse quand les crammplacs attaquaient sans répit. J'ai été
blessé et n'ai eu la vie sauve que grâce à l'arrivée du Bras du
Prince-majeur qui a mis en fuite ces monstres. Mon père, le
prince-cinquième du pays des grands vents a été parmi les premiers
à reconnaître que le Bras du Prince-majeur tenait en main le bâton
de pouvoir pour ce temps. J'ai été reconnu prince-dixième quand
mes blessures ont été cicatrisées puisque j'avais su assurer
l’intérim de mon prince tué au combat. J'ai alors participé aux
efforts pour que règne la paix du Prince-majeur sur le pays Blanc.
Je suis un bon stratège et mes campagnes ont été couronnées de
succès. J'ai vaillamment défendu les frontières du pays Blanc
pendant que mon père défendait les pays des Grands vents. J'ai
servi mon pays et celui qui était le détenteur du bâton de pouvoir
pour ce temps. J'ai servi fidèlement jusqu'à ce jour où est apparu
le rouge dragon dans le ciel de mes combats.
- Qui t'a envoyé et pourquoi ?
demanda le roi-dragon.
- Nous revenions à la Blanche quand
est tombée la nouvelle. Les charcs annonçaient la venue d'un dragon au
pouvoir du mal. Le Bras du Prince-majeur a réuni tous les princes
présents. Assis aux pieds du Prince-majeur, il a ...
- Le Prince-majeur était là !
interrompit Quiloma.
- Oui, raide et droit sur le trône, le
regard fixe. C'est ainsi que doit siéger celui qui détient la
puissance du bâton... Enfin, c'est ce que nous a dit le Bras du
Prince-majeur, ajouta le prince en baissant la tête.
- Continue, dit le roi-dragon.
L'homme se redressa et reprit la
parole.
- J'étais au fond de la salle avec les
autres princes-dixième. Le discours du Bras du Prince-majeur a été
long. Je ne me souviens que des grandes lignes. Un imposteur venait
de se déclarer dans la région en marge du pays Blanc, là où avait
péri l'enfant héritier quand des traîtres l'avaient enlevé. Cet
imposteur s'était lié avec un dragon et celui qui avait été un
prince-neuvième digne de son rang avait déchu en s'alliant à
l'imposteur. À la fin de son discours, nous étions tous prêts à
courir sus à l'imposteur et à son dragon. Mais d'autres mauvaises
nouvelles suivaient. Le peuple Gowaï semblait se rassembler. Il
fallait les arrêter avant qu'ils ne puissent marcher sur nous. Le
Bras du Prince-majeur a alors choisi le plus brave et le plus
téméraire pour porter la loi du Prince-majeur détenteur de la
puissance du bâton. Il a choisi le prince-neuvième Sanki pour être
le représentant du Prince-majeur en ces lieux de désolation où
mouraient les héritiers et où naissaient les imposteurs. Les
bruits du palais disaient que le Prince Quiloma ne disposait pas
d'une phalange complète et que ses troupes autochtones n'étaient
pas à la hauteur. Le prince Sanki a demandé trois phalanges pour
mener ce combat. C'est lui qui nous a choisis. Nous avons alors mené
grand train pour arriver avant que fonde la neige. Je ne connaissais
pas ces javelots noirs qui empoisonnent. Je les ai découverts quand
le prince Sanki les a utilisés.
- Bien, dit le roi-dragon.
Se tournant vers un autre prince à genoux, il dit :
Se tournant vers un autre prince à genoux, il dit :
- Toi, lève-toi et présente-toi.
Le deuxième prince se mit debout. Il
semblait moins assuré que Saÿnnu :
- Je suis Bagochalis, prince-dixième
de la famille du prince Coïtti, cousin du Prince-majeur. Mon
histoire est simple. J'ai été élevé pour être au service du
Prince-majeur. J'ai gravi les échelons comme tous ceux de ma
famille. Ma phalange a toujours bien combattu. J'étais konsyli quand
Sanki était prince-dixième. Je suis devenu second de la phalange
quand il est devenu prince-neuvième. C'était un homme de valeur,
courageux, fidèle. Quand Jorohery est revenu alors que la défaite
frappait aux portes de la Blanche, il a participé avec lui à la
campagne victorieuse. Il l'a vu, m'a-t-il raconté, entrer dans les
cavernes des rois-dragon pour y trouver le bâton de pouvoir pour ce
temps. Il en est sorti auréolé de la lumière des dragons et le
bâton a fait merveille au combat en sauvant le fort Smiloun. Sanki
s'est alors dévoué corps et âme pour celui qu'il prenait pour le
roi-dragon. Il y a eu d'autres combats. Mon prince-dixième est mort
vaillamment au combat. Sanki m'a nommé à ce moment-là. J'ai été
le plus proche du prince Sanki. Ma phalange était sa garde
personnelle. Nous voyagions avec lui, nous vivions avec lui, nous
combattions avec lui. J'étais présent à la réunion des princes.
J'ai aussi accompagné Sanki lors de sa rencontre avec Jorohery,
puisque je commandais sa garde rapprochée. Nous sommes arrivés au
palais du Prince-majeur. Le Bras du Prince-majeur nous attendait dans
la salle de réception. J'ai été étonné de le voir ainsi assis
sur le trône du roi-dragon. À côté de lui était le bâton de
pouvoir pour ce temps. Nous sommes restés en faction près de la
porte. Sanki s'est avancé et s'est incliné comme devant le
roi-dragon. Ils ont parlé à voix basse un long moment. J'ai vu
Sanki se relever brusquement comme si Jorohery lui avait dit des
choses inconvenantes. Le Bras du Prince-majeur a pris le bâton de
pouvoir pour ce temps et Sanki a repris sa position de vassal. J'ai
vu des gardes amener des lances lourdes. Ils ont pris une peau de
crammplac et l'ont étendue à terre. Les deux javelots y ont été
déposés. Jorohery s'est levé. Il a levé les bras vers le ciel
tendant bien haut le bâton de pouvoir pour ce temps. Il a imploré
les esprits des dragons et a touché les lances du bout du bâton.
Pendant un instant, ce fut comme si la lumière avait disparu de la
pièce. Puis la noirceur reflua pour se fixer sur les javelots. Sanki
s'est approché. Jorohery l'a aussi touché du bout de son bâton. Je
l'ai vu pâlir malgré la distance. Après, il a roulé la peau de
crammplac avec les lances et est venu vers nous. Elles ne l'ont plus
quitté jusqu'à votre arrivée, Oh vrai Roi-dragon.
- Comment sais-tu que je suis le vrai
roi-dragon ?
- Quand mon fragment du bâton de
puissance s'est enflammé et que j'ai vu les autres fragments faire
de même, les légendes ont pris sens. J'implore vôtre clémence
pour ma phalange. Ce sont de bons guerriers qui n'ont fait qu'obéir
aux ordres.
- J'entends tes paroles prince-dixième
Bagochalis.
Il fit un geste vers le dernier prince
agenouillé. Qunienka s'approcha de lui :
- À ton tour, lui dit-il.
L'homme se leva d'un bond. Il avait le
regard fier et fixa le roi-dragon dans les yeux.
- Je suis Yaé, fils de Ham, de la
lignée des Princes-majeur. Ma témérité et mon courage aux combats
m'ont fait reconnaître prince-dixième dès mon plus jeune âge. Ma
phalange est la phalange des francs-tireurs. Je recevais mes ordres
directement du Prince-majeur. Et quand est arrivé le bâton de
pouvoir pour ce temps, c'est le Bras du Prince-majeur qui nous
transmettait ses ordres en direct. La rencontre avec le Prince-majeur
pouvait être fatale pour nous s'il devenait comme un dragon.
- Quel était ton rôle prince Yaé ?
l'interrompit le roi-dragon.
- Nous devions éliminer tous les
dangers pour le Prince-majeur et arrêter tous ceux qui pouvaient lui
vouloir du mal. Avant même qu'une pensée hérétique ne naisse dans
l'esprit d'un de ses sujet, notre Prince-majeur la connaissait. Ils
nous envoyaient pour mettre hors d'état de nuire ceux qui auraient
pu nuire au Royaume Blanc. Nous l'avons fait et nous l'avons bien
fait. Tous ont avoué lors de nos interrogatoires dans les sous-sols
du palais.
- Tous ?
- Non, pas tous ! Les marabouts
ont préféré mourir que de se reconnaître hérétiques devant le
Bras du Prince-majeur.
- Qu'est-il arrivé aux autres ?
- Ils sont morts pour la plupart dans
les grottes sous les montagnes chaudes pour extraire les métaux avec
les autres hérétiques qui ont eu droit à la clémence du
Prince-majeur. Il aurait mieux valu les éliminer. Leur vie même
constituait une menace. Mais le Prince-majeur est trop bon. Nous
revenions de conduire un convoi quand la nouvelle de l'hérésie
majeure est arrivée. Un homme et un dragon réclamaient le pouvoir du
Prince-majeur en se disant Roi-dragon. Mon sang n'a fait qu'un tour.
Le Bras du Prince-majeur a écouté ma requête et a donné l'ordre
au Prince Sanki de nous choisir. Nous avons failli avec l'arrivée du
dragon. Je n'implore ni grâce ni clémence. Nous savions que notre
mission pourrait être un échec, que l'imposteur serait séducteur.
Le Bras du Prince-majeur nous a prévenus. Mieux vaut la mort que
servir un faux roi !
À ces paroles Qunienka avait dégainé
son épée.
- Suffit, Prince Qunienka, dit le
roi-dragon. Le prince-dixième Yaé pose la question de ma
reconnaissance. Il a raison. Un homme tel que lui ne peut lâcher la
proie pour l'ombre. Il a vu la puissance du Bras du Prince-majeur.
Alors, il me faudra lui répondre de la seule manière qu'il puisse
entendre.
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