Kramrac, une fois libéré de son armure cabossée, avait déposé les armes aux pieds de Lyanne dans le cirque de pierre qui avait été sa capitale. Au centre Lyanne y avait fait modeler un bassin et un espace dégagé où pousserait l'arbre de Mandihi qu'il avait planté là. Il méditait sur ce qu'il avait fait quand la délégation des orgres était arrivée, tête basse, sans arme ni armure, portant la masse d'arme de Kramrac sur un coussin. Le peuple des orgres s'était rassemblé. De la foule montait le murmure du mantra rituel du serment. La falaise avait bien changé. De nombreux signes montraient l'effet des forces qui avaient agi à l'intérieur de la pierre. On voyait même dans une fissure un bloc de glace gigantesque qui commençait à fondre.
Kramrac mit les deux genoux à terre. On lui passa sa masse d'arme. Il la présenta horizontalement à Lyanne qui se mit debout. Dans le même mouvement, il fut Lyanne dragon. Le peuple des orgres eut un mouvement de recul. D'une voix puissante il dit :
- Regardez tous et apprenez !
Redevenu Lyanne homme, d'un coup de son marteau de combat, il brisa net la masse d'arme en deux. Kramrac encaissa l'onde de choc sans broncher.
- Maintenant seigneur Kramrac, va et reviens avec tous les miens qui sont prisonniers ici. Mon jugement va passer.
Arriva alors la longue file des prisonniers. Lyanne sonda leurs esprits. Il fit mettre à sa droite ceux que son bâton de pouvoir entourait de bleu ou de rouge et à sa gauche ceux qui attiraient le noir. Des premiers il fit ses guerriers. Les autres restèrent à la garde des orgres.
- Qu'est-ce que c'est que ce charivari ?
L'homme qui demandait cela était un prince-dixième. Sa phalange convoyait des relégués.
- Le Bras du Prince-Majeur ne va pas être content !
Il se tourna vers Lyanne après avoir donné l'ordre d'aller attacher les bagnards dans l'enclos prévu.
- Où est Kramrac?
- Tu poses beaucoup de question, petit homme.
- Pour qui te prends-tu ? Tu parles à un Prince-dixième sans te mettre debout. Je vais t'apprendre les bonnes manières...
Il détacha le fouet qui pendait à sa ceinture et se prépara à frapper. Il n'alla pas au bout de son geste. Face au dragon rouge qui venait d'apparaître, il laissa tomber son arme et partit en courant. Il n'avait pas fait dix pas qu'il fut arrêté par les guerriers du roi-dragon. On le ramena devant Lyanne.
- Tu usurpes ton titre, petit homme.
Il se jeta à genoux :
- Pitié, seigneur dragon !
- Quels sont ton nom et ta fonction ?
- Je suis Lissouis, et je dirige cette phalange depuis la maladie de mon prince-dixième, bredouilla l'homme.
- Tu es courageux quand tu te crois fort. Tu es couard quand tu te sens faible.
- C'est le Bras du Prince-Majeur, c'est lui qui m'a dit de faire comme ça... C'est à lui qu'il faut vous en prendre, pas à moi...
L'homme à terre en pleurait presque. Tout autour de lui, les regards s'étaient chargés de mépris. Lyanne avait repris sa forme humaine et s'était assis. Son bâton de pouvoir exhalait des couleurs brun sombre. Lissouis continuait ses pleurnichements devant Lyanne, impassible, qui le laissait continuer. Autour d'eux, montait la colère contre cette attitude indigne d'un prince-dixième. Alors que Lyanne regardait les guerriers assemblés qui semblaient vouloir intervenir, Lissouis bondit une dague à la main. Il n'atteignit jamais son but. Un marteau avait mis fin à son saut. Dans le même mouvement, plus rapide que le regard, Lyanne l'avait désarmé et lui avait éclaté le genou, le mettant à terre. Lissouis hurlait sa douleur, recroquevillé au sol en tenant sa jambe.
Lyanne, debout, le marteau à la main, regarda vers les guerriers de la phalange aux ordres de Lissouis. Aucun ne bougeait.
- Toi, approche, dit-il à un konsyli.
L'homme fit un salut raide et se mit en position d'attente.
- Ton grade de konsyli est récent. Avant tu étais autre chose.
Les sourcils de l'homme s'élevèrent.
- Sais-tu qui je suis ? dit Lyanne.
- Oui, tu es celui que le Bras du Prince-Majeur désigne comme l'imposteur. Toutes les phalanges ont ordre de te capturer ou de te tuer.
- Et tu refuses de suivre les ordres ?
- Non, je suis les ordres du roi-dragon.
L'homme semblait mal à l'aise, incapable de garder sa position sans bouger.
- Quels sont ces ordres ?
- Quand Kianmajor, dernier roi-dragon connu, est parti rejoindre ses ancêtres, il a donné pour loi de rechercher le nouveau roi-dragon. Ses bâtons de pouvoir ont été répartis entre les princes une fois mis en morceau. « Ils brûleront de joie en voyant le nouveau roi-dragon ! » a-t-il dit.
- As-tu un tel bâton ?
- Non, mais j'ai vu le Prince Yaé. Il était brûlé à la hanche. Mon prince-dixième, Galvir, l'a vu aussi et lui en a fait la remarque. Les deux princes se sont disputés. Voilà l'origine de la maladie de mon prince. Jorohery l'a convoqué. À son retour, il a dû se coucher et quand nous sommes partis, il ne s'était pas relevé.
- Et Lissouis ?
- Le Bras du Prince-Majeur nous l'a imposé et nous avons été envoyés ici pour convoyer les condamnés. Il nous a écartés.
- Il vous a écartés ?
- Oui, nous sommes trop liés à la famille Louny !
Le regard de l'homme s'était chargé de fierté. Il regardait Lyanne dans les yeux.
- Vous êtes de la famille Louny ?
- Nous sommes de son clan. Tous mes guerriers et moi-même sommes nés sur les terres de la famille Louny.
Lyanne ressentit une émotion lui bouleverser les entrailles. L'homme mit genou à terre, poing fermé sur le cœur. Tous les guerriers de la phalange l'imitèrent. Une boule se forma dans la gorge du roi-dragon.
- Mon roi, tu ressembles tellement à ton père, dit l'homme en laissant couler ses larmes.
- Graph ta cron ! Graph ta cron !
Le chant monta en même tant que les guerriers frappaient leurs épées l'une contre l'autre.
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