Lyanne dragon était parti chasser en attendant qu'arrivent les renforts qu'il avait promis à Sagria. Il rentra aux petites heures du jour et reprit forme humaine. Les tambours recommencèrent alors à sonner.
- Vont-ils attaquer ? demanda Sagria.
- Écoute, tu entendras ! répondit Lyanne. Le son plus aigu est le tambour de marche des tribus Gowaï.
Sagria prêta l'oreille. Effectivement en plus du son des tambours de la forêt, comme en écho, on percevait un bruit plus clair.
- Toute une tribu arrive ?
- Oui, Sagria.
- Sommes-nous assez forts pour lui faire face ?
Dans le fort de glace, l'agitation avait atteint les hommes.
- Restez en paix, cria Lyanne. Ces tambours sont des tambours de marche.
Il se tourna vers Sagria.
- Toi, Sagria, mon messager, je sens arriver les renforts. Ils seront là avant les Gowaï. Je veux que tu partes dès que possible. Prends deux mains d'hommes avec toi et sois rapide.
- Comment ferons-nous ? Nous manquons de provisions, à moins que ceux qui arrivent...
- Ils chasseront pour toi et les tiens. Regarde ! Je te présente Trascoïa et les siens.
Sagria sursauta et dégaina son épée comme tous ceux du fort.
- PAIX, cria Lyanne. Les crammplacs se sont soumis. Ce sont eux qui assureront ta sécurité face aux phalanges ou face au Gowaï.
La horde de crammplacs poilus resta à distance pendant qu'avançait un grand mâle qui prit la posture de soumission.
- Bienvenue, Trascoïa. Heureux que tu aies pu répondre à mon appel. Voici mon messager, dit Lyanne en mettant la main sur l'épaule de Sagria. Il lui faut rejoindre le peuple des grands traîneaux dans le désert mouvant.
Le crammplacs grogna une réponse.
- Sagria ignore ta langue. Son cœur est pur et la chasse aux tiens lui est inconnue. Le conseil du peuple des grands traîneaux l'attend.
Lyanne marqua une pause comme s'il écoutait.
- Oui, la femelle ancêtre qui les guide, pour reprendre tes paroles, est celle qu'il doit rencontrer.
Il se tourna vers Sagria :
- Toute crainte doit être écartée de ton esprit. Trascoïa est frère de celui qui protégea ma première saison. Il comprend tes paroles. Approche-toi de lui.
Sagria avala sa salive et fit quelques pas vers le grand crammplacs qui n'avait pas bougé.
- Appuie ta tête sur la sienne !
Après avoir jeté un coup d’œil vers Lyanne, il déglutit une nouvelle fois et posa son front sur le front de Trascoïa. Le contact le bouleversa. Il ne s'attendait pas à une telle impression de douceur. Il entendit vaguement que Lyanne disait des paroles qu'il ne comprit pas. C'est alors qu'il sentit le contact d'un autre esprit dans son esprit.
- « Salutation, Homme au cœur pur et aux cheveux de la couleur de nos fourrures. »
- « Salutation, Trascoïa »
- « Ta mission est notre mission. Dis et par le roi-dragon qui est là, j'obéirai »
Quand il se releva, Sagria était autre. Il se tourna vers Lyanne et mit genou à terre. Ce dernier lui dit :
- Va, ma protection t'est acquise.
Pendant que résonnaient les tambours Gowaï, deux mains d'hommes et une horde de crammplacs partirent vers les Montagnes Changeantes.
Monocarna désigna un point au loin :
- Est-ce la tribu Gowaï ?
Tous les présents se tournèrent vers la plaine. Une sorte de marée semblait monter du lointain accompagnée du roulement des tambours. Au centre, comme vogue un bateau sur la mer, voguait une tour. On n'en distinguait pas le bas.
- Que voit-on, mon Roi ? demanda un soldat.
- Tu vois ce que peu ont vu, le peuple Gowaï en marche. Depuis des générations, la guerre impose sa loi. Seuls les guerriers bougeaient. Aujourd'hui, voici une tribu complète avec femmes, enfants et bagages.
- Pourquoi viennent-ils ?
- Pour me voir, répondit Lyanne en se dirigeant vers la plaine.
Les guerriers blancs virent leur roi reprendre sa forme de dragon. Il s'avança jusqu'au milieu de l'espace devant le fort. Les tambours du bois se mirent à battre plus vite. Ceux de la tribu leur répondirent. Dominant le paysage, Lyanne observait les Gowaï qui avançaient vers lui. Ils marchaient sans ordre. Les macocas portaient ou tiraient leurs affaires. La tour faite de ces herbes tressées qu'on trouve dans les espaces chauds près des sources fumantes, tanguait au rythme des bêtes qui la portaient. En haut, trônant, un personnage vêtu de brun se mit debout. Lyanne le vit ouvrir la bouche. Il était trop loin pour qu'il puisse l'entendre mais il était certain que l'homme donnait des ordres. Peu après le rythme des tambours changea encore. Un chant s'éleva, rauque et doux à la fois. Lyanne y entendit les harmoniques de l'hiver, et celles du Dieu Sioultac. Il sut alors que celui qui s'avançait était un chef de la nation Gowaï. Arrivée à deux distances de flèches, la foule s'écarta. La haute tour tangua vers lui. Les Guerriers Gowaï sortirent du bois pour venir prendre place de part et d'autre et faire cortège. À cent pas de lui, les porteurs s'arrêtèrent. Debout sur la plateforme supérieure, le chef Gowaï leva un bâton au bout renflé. Ce bâton, il le savait, représentait un être debout, le renflement voulant signifier la tête. Il hurla :
- DAGON, MOI, SONFA, JE LÈVE LE MANONKA QUI DEMANDE LA PAIX LE TEMPS DES DISCUSSIONS.
Lyanne gardant une attitude très hiératique, répondit :
- Le Manonka est un signe puissant que je respecte. Mettons-nous autour du même feu.
Ayant dit cela, il choisit sa forme d'homme. Les macocas renâclèrent et s'agitèrent devant la transformation. Sonfa dut se tenir aux bords pour ne pas tomber. Quand les bêtes furent calmées, il descendit, le Manonka à la main.
Il s’approcha de Lyanne qui avait allumé le feu. Des serviteurs se précipitèrent pour étendre des peaux de macoca de part et d'autre du foyer. Les deux hommes s'installèrent. Sonfa planta le Manonka dans la neige comme une statue. Le visage dessiné n'avait rien d'humain. Lyanne savait qu'il avait devant lui une représentation de Sioultac. Le Manonka de Sonfa était en lien avec tous les autres. Lyanne en parlant avec Sonfa parlait avec tous les chefs des tribus Gowaï. Il avait planté son bâton de pouvoir à côté de lui. Sans son capuchon, il irradiait de toutes ses volutes. Le regard de Sonfa allait du bâton de pouvoir à Lyanne.
- Toi, Dagon, écoute. Devant le Manonka viennent mes questions. Dagon ancien es-tu ? De glace et de feu es-tu ? De feu et de glace, vis-tu ?
- Glace de feu, je suis né ! Feu de glace je suis ! J'ai traversé l'antique blessure qui ferme le monde du froid vers le sud, trace du combat que le dieu Sioultac mena. J'ai jailli de la terre où naquit le premier roi-dragon. Je viens parler de paix.
- Des mots doux à mon ouïe ! Le peuple Gowaï est fatigué des combats et souhaite la paix.
- Quel est son désir pour qu'il en soit ainsi ?
- Patience, Dagon. Le Manonka demande du temps.
Sonfa fit un geste. Des serviteurs arrivèrent avec des plateaux chargés. Lyanne sourit. Le temps était son allié dans ces négociations. Les Gowaï voulaient la paix, il le sentait, mais pas à n'importe quel prix. Il lui faudrait accepter de donner quelque chose pour réparer le mal.
Il y avait dans l'air comme une vibration. Lyanne sentait les forces du froid aller et venir. Son bâton lui-même vibrait.
On leur présenta un plat de macoca. Les Gowaï avait développé une cuisine froide. Plus petits que les hommes du royaume Blanc, plus larges aussi, ils acceptaient les froids les plus vifs. Sioultac avaient créé ses serviteurs capables de se passer de feu. Chacun prit dans le plat avec les doigts. Lyanne sentit la viande craquer sous ses dents. Coupée en très fines lamelles avec ces pierres noires tranchantes dont les guerriers blancs se servaient pour leurs pointes de flèches, la chair du macoca fondait en bouche. Lyanne félicita Sonfa pour la qualité de son mets. Il fit signe à son tour. Du fort sortirent deux mains d'hommes portant des petits oiseaux qu'ils avaient fait rôtir, enfilés sur une branche servant de broche. De nouveau eurent lieu des échanges de politesse autour du plat présenté.
Autour d'eux la tribu étalait ses tentes et plantait ses piquets. Lyanne avait remarqué le départ des coureurs Gowaï vers les différents chemins d'accès à la plaine. Si Sonfa se montrait avenant, il se méfiait quand même.
Ils furent interrompus dans leurs agapes par les bourdonnements du Manonka. Sonfa prêta l'oreille puis se tournant vers Lyanne, il dit :
- Le mal est dans la ville blanche. La paix ne peut exister dans ce cas.
- Je suis venu pour éradiquer le mal et redonner la paix à notre temps.
- La chasse aux Gowaï t'est inconnue, Dagon. Tous ne sont pas comme toi. Chante tes mots au Manonka, chante les mots de la confiance. Quand est touchée l'âme des Gowaï, naît la confiance !
- Tes paroles sont sages, Sonfa. Je chanterai pour l'âme Gowaï. Je chanterai quand viendra le froid de la nuit.
Lyanne vit le sourire de Sonfa. Il avait réussi ce premier contact. Maintenant restait pour lui à trouver le chant qu'attendait le Gowaï. Lentement, il se leva et prit congé de Sonfa. Il prit la direction des Montagnes Changeantes. Son intuition lui soufflait que là serait ce qu'il cherchait. Quand il fut assez loin, il écarta les bras et se mit à courir. Trois pas plus loin, un grand dragon rouge battant puissamment des ailes s'éloignait vers les cimes.
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