Monocarna regardait les monts fumants pour la première fois. Il sentait la pulsation sourde de la terre sous ses pieds, comme un monstre assoupi prêt à vomir ses remugles brûlants. Malgré la relative chaleur de la caverne que le groupe avait investie en attendant la nuit, il frissonna. Il pensa à tout ce que représentait ce lieu, chargé de toutes les souffrances, celles de la terre et celles des hommes qui y vivaient l'enfer. C'est là qu'étaient conduits tous les renégats. Ceux que la justice du Prince-majeur avait épargnés. Les récits de quelques rares échappés étaient terrifiants et alimentaient les légendes et les peurs. Menacer quelqu'un du bagne des monts fumants suffisait à le faire rentrer dans le rang dans la plupart des cas. À part certaines fautes contre l'honneur qui étaient exécutés immédiatement, tous les condamnés finissaient ici.
Le soir arriva dans un flamboiement rouge strié de fumées noires. Monocarna rassemblait ses affaires quand la terre se mit à trembler. Tout le monde se précipita à l'entrée de la caverne. Non loin de là un mont s'était mis à cracher sa rivière de pierres brûlantes.
Lyanne regardait cela debout, le bâton de pouvoir à la main.
- La terre appelle pour la justice. Mettons-nous en route.
Ayant dit cela, il commença à descendre la pente sans se retourner. Derrière, tous se dépêchèrent de lui emboîter le pas. Gowaï et hommes avaient repris leurs positions respectives. Lyanne semblait indifférent. Il avançait comme hypnotisé par un but. La première attaque prit le groupe par surprise. Deux mains d'orgres avaient décidé de s'en prendre à Lyanne. Tout alla si vite que les guerriers blancs n'eurent pas le temps de se mettre en position. Ils n'eurent pas plus le temps de s'appesantir sur le combat, Lyanne avait juste ralenti pour se battre. Les konsylis suivis de leurs mains d'hommes armes au poing, étaient passés entre les orgres au crâne fracassé. Ils reconnurent au passage les tenues des gardiens de ce lieu infernal. Leur résistance au feu et à la chaleur, ainsi que leur cruauté faisaient d'eux les meilleurs gardiens de prisonniers.
Monocarna courut après Lyanne :
- Où va-t-on comme cela ?
- Je sens la présence de Mandihi.
Monocarna essaya de se concentrer sur ce qu'il ressentait. Dans ce lieu de forces à l'état brut ses perceptions ne portaient pas assez loin. Il sentit le canal rempli de lave non loin devant eux. La puissance à l’œuvre brouillait ses pensées. Lyanne ne semblait pas connaître ces limites. Il avançait toujours aussi vite. Arrivé au bord de la lave, il pointa son bâton de pouvoir vers elle et dit une parole. Un vent de glace surgit de nulle part, souffla transformant le fleuve de feu en un réseau complexe de formes solidifiées. Lyanne s'y engagea sans attendre, en prenant de plus en plus sa forme de dragon. De l'autre côté de la rivière solidifiée, une pente allait vers le pied de la montagne. Il arriva dans toute sa splendeur de dragon rouge au pied des murailles de pierre que les orgres avaient taillées dans la montagne.
Les grandes trompes avaient retenti dès que Lyanne avait été repéré dans la pente. Une activité fébrile s'était manifestée. On avait vu les grands blocs de pierre qui servaient de porte être relevés. Sur les remparts, l'armée des orgres s'était rassemblée.
Les guerriers blancs et les Gowaï s'étaient arrêtés à mi pente. Les arcs des orgres ne portaient pas si loin. Les orgres étaient le peuple le plus méprisé et le plus redouté du pays. Ils se disaient nés de la terre. Leur peau en avait la couleur, noire et brillante. Elle contrastait avec leur chevelure toujours blanche comme le sommet des montagnes. Ils ne pouvaient s'éloigner de la chaleur du lieu et vivaient de ce qu'ils échangeaient avec les autres. Le travail dans les mines avaient forgé leur caractère et leur résistance. Nul ne se rappelait comment ce lieu était devenu un bagne. Jorohery avait rempli ce lieu de tous ceux qui étaient indésirables à ces yeux.
Lyanne dragon était debout devant la porte. Sa tête dépassait les remparts, surplombant les orgres.
- Où est votre maître et seigneur ? demanda-t-il.
Il pouvait sentir la peur courir sous les crânes des orgres devant lui. Pourtant les bras qui tenaient les arcs bandés ne tremblaient pas. Il vit partir des messagers. Bientôt les grandes trompes sonnèrent un air solennel. Dans son armure noire à heaume blanc, s'avança un orgre de grande taille. Sa corpulence et son maintien le désignaient comme chef.
- Je suis KRAMRAC, Seigneur de ce lieu. Qui es-tu ?
- Je suis Lyanne de la famille Louny, Roi-Dragon, Seigneur des Seigneurs de ces lieux.
- Qui me dit que tu n'es pas un dragon lié, un de ces imposteurs qui amène le chaos ?
- Baytoya vinca ! Toybaya Sink ! (Glace de feu, je suis né ! Feu de glace je suis ! )
Il n'avait pas fini de parler que des dizaines de cordages manœuvrés par des centaines d'orgres s'abattaient sur Lyanne, le couvrant d'un réseau dense et paralysant.
- Tu n'es qu'un dragon lié, cria Kramrac, et ici nous savons les mâter !
- Tu as choisi, seigneur Kramrac et tu as mal choisi, dit Lyanne d'une voix forte et douce.
Sous les regards de plus en plus étonnés, de plus en plus apeurés de Kramrac et des siens, le grand dragon rouge devint de feu, brûlant les cordages et fumant plus que les monts alentours. Ce fut le sauve-qui-peut parmi les orgres qui tenaient les cordes. Lyanne dragon ne leur accorda même pas un regard. Quand tout fut consumé, la fumée se dissipa dans le vent. Le dragon avait disparu, ne restait qu'un homme debout un bâton à la main d'où s'échappaient quelques fumerolles.
- Tirez ! Mais tirez donc ! hurla Kramrac.
La pluie de flèches qui s’abattit devant les portes de pierre, n'atteignit jamais Lyanne homme. Elle semblait se heurter à un mur. Pour les guerriers blancs et les Gowaï, ce mur avait la forme du dragon. Lyanne homme leva son bâton de pouvoir et le pointant sur les portes de pierre dit :
- Baytoya vinca ! Toybaya Sink ! (Glace de feu, je suis né ! Feu de glace je suis !)
Tous sentirent le froid qui arriva par vagues déferlantes. Les portes de pierre gelèrent et se fendirent en morceau découvrant le passage. Les cordes qui les fixaient étaient brisées en petits morceaux de glace brillante.
Lyanne s'avança.
Derrière les guerriers blancs et les Gowaï criaient des « Hourra ! ». Sur les remparts, c'était la débandade. Kramrac hurlait des ordres que personne n'écoutait. Les légendes des orgres étaient claires, celui qui maîtrisait le feu et la glace pouvait détruire le pays. Kramrac courut en avant et descendit les escaliers pour se mettre au milieu du passage avec sa garde d'honneur. Les armures noires avec des casques recouverts de fourrure blanche s'alignèrent, devant Kramrac, la masse d'arme à la main faisait face à Lyanne homme.
- Tu ne rentreras pas dans mon royaume, qui que tu sois !
Lyanne s'immobilisa et prit le marteau qui pendait à sa ceinture. Il enfonça le bâton de pouvoir dans le sol comme si la pierre était du sable. Ayant fait cela, il avança. Kramrac attendit qu'il ait passé le seuil des grandes portes pour attaquer. Si son premier assaut fit voler la pierre en éclat sans même érafler Lyanne, son armure teinta sous le choc du marteau. Ce fut comme le signal pour la garde d'honneur qui accourut.
Dans la pente en arrière, les guerriers blancs et les Gowaï sortirent leurs armes et se lancèrent vers le lieu du combat les yeux fixés sur le seuil de pierre. S'ils voyaient les orgres s'agiter en tous sens, ils ne voyaient pas Lyanne Homme. Son bâton de pouvoir irradiait une couleur bleue qui lui faisait une aura, éclairant la scène. Il devint comme une barrière les empêchant d'avancer. Lyanne était comme une ombre mouvante frappant comme l'éclair. Monocarna fut le premier à s'en apercevoir. Ce combat a priori inégal s'écoutait. Il entendait les bruits de gong des armures de orgres frappées par Lyanne. Il mit un moment à comprendre. Lyanne prenait son temps. Il jouait des orgres comme on joue d'un instrument, modelant ses frappes et modelant les amures des uns et des autres jusqu'à les bloquer. Déjà un ou deux gardes semblaient figés, leurs armures cabossées ne permettant plus les mouvements. Kramrac fut le dernier à s'immobiliser. Il vacilla un instant avant de tomber comme un arbre qu'on abat.
Lyanne alla chercher son bâton de pouvoir. Il donna un signe ordre à ses guerriers qui rectifièrent la position et se mirent en ordre de marche. Derrière eux, les Gowaï, toujours en troupeau, frappaient leurs boucliers en cadence pour dire leur joie. Lyanne passa le seuil du royaume des orgres, le bâton de pouvoir à la main et ses troupes défilant comme à la parade. Il s'arrêta un instant à la hauteur de Kramrac. Ce dernier les poumons compressés par les multiples bosses, ne pouvait respirer que par petites inspirations rapides. Lyanne lui dit :
- Baytoya vinca ! Toybaya Sink ! (Glace de feu, je suis né ! Feu de glace je suis ! ). Tu as jusqu'au couché du soleil pour te soumettre ou je détruirai ce lieu.
Ayant dit cela, il reprit son chemin.
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