Leur progression était rapide. La vue du grand dragon rouge faisait fuir les orgres. Le paysage était déchiqueté et noir. L'air sentait le soufre et la pourriture. Si Lyanne dragon avançait sans hésiter dans ce dédale de canyons sombres, le groupe qui le suivait, peinait à maintenir le rythme. L'air chargé de gaz les essoufflait. La succession de pentes et de raidillons les ralentissaient. Monocarna était en tête. Moins chargé que les guerriers, il tenait mieux. Il suivait des yeux Lyanne qui s'éloignait. Il pensa qu'il fallait beaucoup de pas d'homme pour faire un pas de dragon. Il compta le nombre d'embranchements pour ne pas perdre la trace de son roi. Il était contrarié de ne pas ressentir mieux la présence de Mandihi. Un mouvement attira son attention. Des orgres s'agitaient au-dessus du roi-dragon. Il mit un certain temps à comprendre ce qu'ils faisaient. Quand il sut, il cria en pensant que jamais Lyanne ne l'entendrait. C'est tout un pan de paroi qui tombait. Il y eut un énorme nuage de poussière puis plus rien.
- Ça bouge ! hurla le chef de pod.
- Une éruption ! cria un autre.
Ce fut comme une poussée venue du centre de la terre et écartant irrésistiblement tout ce qui était devant. Les roches se mirent à rouler les unes sur les autres. Tous reculèrent pour les éviter. Une lumière rouge sombre pulsait en-dessous. À chaque pulsation, les rochers s'écartaient dans un cliquetis sonore plus impressionnant que celui d'une avalanche. Les Gowaï poussèrent des cris à la vue de la tête rouge de colère du dragon. Lyanne dragon s'ébroua, faisant voler les pierres comme s'il s'agissait de gravillons. Il avait pris la taille du grand dragon noir et blanc. Surplombant les crêtes, il cracha son feu sur tous ceux qui bougeaient. Il reprit sa progression, d'une langue de feu il dégagea tout sur son passage.
Au bout de cette vallée, le paysage encaissé laissait la place à un grand cirque montagneux aux parois entièrement creusées de galeries. La capitale des orgres ! On disait de cette ville troglodyte qu'aucun être n'en était reparti vivant s'il n'était un orgre. L'arrivée de Lyanne dragon provoqua la même panique que sur les remparts. Plus il s'approcha du grand porche seigneurial et plus Lyanne dragon diminuait en taille. Il n'y eut plus qu'un homme-dragon tenant un bâton de pouvoir devant les hautes portes de pierre. Lyanne homme convoqua le vent de glace. De nouveau les portes se fendirent du haut jusqu'en bas dans un bruit d'explosions. Les morceaux en furent projetés vers l'intérieur des couloirs, écrasant ou gelant tout ce qui s'y trouvait.
Monocarna arrivait avec les autres le souffle court, juste à temps pour emboîter le pas à Lyanne homme qui s'engageait dans le tunnel. Délaissant les embranchements qui partaient vers les salles d'honneur, il s'engagea dans les sombres boyaux qui descendaient dans les mines. Les guerriers blancs entonnèrent un chant de combat que les Gowaï soutenaient par des cris. L'écho en était insoutenable. Monocarna sentait fuir tous les occupants des tunnels. Un sourire lui vint aux lèvres... Mandihi, enfin, il ressentait la présence de Mandihi. Il chanta comme savent le faire les marabouts, afin que son chant rejoigne son maître. Son sourire s'effaça quand il entendit le chant en retour. Il courut vers Lyanne :
- Mon roi ! Mon roi ! Ils ont piégé les tunnels ! Les nôtres vont mourir si nous avançons trop.
- Aie confiance, Monocarna ! Le dieu-Dragon m'a donné le pouvoir ici et ailleurs.
Monocarna sentait maintenant les masses d'eau qui allaient tout noyer. Au-dessus de leurs têtes, elles n'attendaient que leur libération pour remplir toute la mine. Il vit Lyanne homme lever son bâton de pouvoir jusqu'à frôler le plafond :
- Par ce que je suis et parce que je suis, obéis !
Le craquement qui suivit les paroles de Lyanne fut tremblement de terre. Monocarna sentit la perturbation au plus profond de lui. L'eau, toute l'eau au-dessus était devenue solide comme la roche faisant éclater les entrailles de la montagne. Son esprit fut envahi des cris de terreur des orgres. Les légendes disaient vrai, le pays vivait la destruction.
Lyanne continuait à descendre éclairant de son feu les sombres passages. Des ombres pâles commencèrent à apparaître, clignant des yeux à la lumière trop violente qui accompagnait le roi-dragon. Les guerriers blancs coupaient les entraves et les liens. Les libérés récupérèrent des torches et vinrent grossir les rangs qui suivaient Lyanne.
Toujours descendant, le roi-dragon arriva dans les coins les plus reculés de la mine. Il donna un ordre pour que les orgres rencontrés soient parqués dans un tunnel. Il se dirigea vers un étroit boyau qu'il emprunta faisant signe aux autres de l'attendre. Monocarna l'accompagna. Presque à quatre pattes, ils progressèrent jusqu'à atteindre une pièce taillée dans la roche. Réparties tout autour, des cellules étaient fermées par des grilles. L'odeur était épouvantable. Monocarna ressentait nausées et dégoût. Lyanne fit sauter toutes les fermetures. Il laissa le marabout libérer les prisonniers. Lui-même s'engagea dans une cellule. Il dit d'une voix douce :
- Je te salue, être debout Mandihi.
D'un tas de chiffons sales et déchirés émergea la silhouette d'un homme émacié. Il tenta de se mettre assis sans y parvenir. Lyanne le soutint. Dans un souffle l'homme lui dit :
- Bonjour, Seigneur.
- Nous allons te ramener à la lumière et dans la nature pour que tu reprennes des forces.
- Ne te mens pas, roi-dragon, Mon Roi... Je n'ai jamais quitté la nature... Les roches sont aussi la nature... Je ne reverrai pas la lumière du jour, ni le coucher du soleil...
Épuisé de sa tirade, l'homme haleta.
- J'ai besoin de tes conseils avisés, être debout Mandihi. Sans toi, comment vais-je faire ?
- Tu as très bien commencé, Mon Roi... Je vais rejoindre mes ancêtres heureux... Mes yeux ont contemplé un vrai roi-dragon...
- J'ai encore besoin d'enseignement et je suis seul.
Lyanne sentit Mandihi se relâcher. Il le crut mort. Mais ce dernier eut un sursaut.
- Il faut que je te dise, jeune roi-dragon... Tu te crois seul de ta race... Apprends de ma bouche...
De nouveau, Mandihi perdit connaissance un moment. Quand il bougea à nouveau, il ajouta :
- Tu n'es pas seul... Cherche et tu trouveras..........
Quand Monocarna s'approcha, il avait senti. Mandihi était mort dans les bras de Lyanne. Il s'approcha du jeune roi-dragon et lui posa la main sur l'épaule.
- Courte a été ma jeunesse, Monocarna et rares furent mes maîtres. Il mérite un monument.
- Mon Roi, quel monument dépasserait la splendeur d'un arbre ?
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