mercredi 31 mars 2021

Ainsi parla Rma, le fileur de temps...100

Au petit matin, les éclaireurs découvrirent la zone du camp et des combats complètement bouleversée. Ils venaient voir s’il était possible de ramasser les morts pour leur donner une sépulture. Ce fut la surprise la plus complète. Tout était arasé. Il ne restait rien qu’une île au milieu du fleuve, une île sans végétation, sans arbre. Les bords du fleuve étaient dans le même état. Ils avancèrent à découvert sur cette terre nue. Là-bas, au loin, on entendait les mêmes bruits qui avaient traversé la nuit. Les éclaireurs avancèrent en bordure de la zone terrassée. Ils approchèrent petit à petit du géant. Ils le virent mettre les mains dans la terre et tout retourner. Les arbres, les plantes et tout ce qui était dessus étaient broyés et réduits en une sorte de compost que le Rmanit enfouissait. Après son passage, la terre était informe et vide.
Ils s’approchèrent avec beaucoup de prudence. Le géant avait longé le fleuve vers l’amont. Il avait terrassé une bande de la largeur du camp sur la rive sud et sur près d’une demi-journée de marche. Ils s’aplatirent au sol en entendant un autre groupe non loin d’eux. En écartant un peu les branches, ils virent une patrouille de seigneurs. Nettement moins discrets qu’eux, ils avançaient sous le couvert des arbres qui restaient de la forêt. Bientôt les deux groupes se suivirent dans leur progression vers le géant. Les éclaireurs virent les seigneurs approcher du Rmanit. Ils furent bientôt à une centaine de pas de la zone où œuvrait le géant. Celui-ci s’était attaqué à un grand bouquet de chênes, arrachant les troncs pluri-centenaires comme on désherbe son jardin. Quand un des seigneurs s’étala de tout son long dans un bruit de ferraille, le Rmanit se redressa, regardant dans la direction du bruit. D’un geste brusque, il jeta le chêne qu’il tenait en main. L’arbre et toute sa ramure vint s’écraser sur le groupe des seigneurs avec fracas. Le Rmanit n’avait pas attendu le résultat de son action, il avait repris son activité, broyant consciencieusement l’arbre qu’il venait d’arracher comme on détruit une brindille. Les éclaireurs firent retraite avec célérité et discrétion. Dès qu’ils purent, ils se mirent à courir pour rejoindre le camp. Ils en avaient vu assez.
Riak se réveilla avec difficulté. Elle avait mal partout. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait encore fatiguée au réveil. Mitaou, dès qu’elle l’entendit, fit entrer son armée de petites mains qui s’occupèrent de leur reine avec célérité et efficacité. Riak apprécia les efforts de la masseuse qui lui redonna le confort  de bouger sans douleur. Pendant que la reine se préparait, derrière un rideau, passaient les conseillers, les messagers et tous ceux qui avaient des informations à lui donner. Quand arrivèrent les éclaireurs, Riak était prête. Elle écouta avec attention le récit qu’ils lui firent. Elle nota que le Rmanit avait réagi avec violence à la présence des seigneurs. Contrairement à certains de ses conseillers, elle ne croyait pas que le Rmanit était un allié du mouvement de libération. Cet être était ancien, trop ancien pour prendre une cause plutôt qu’une autre. Comme lui avait dit Koubaye dans son coma, le Rmanit ne faisait que ce qu’il savait faire, remettre le monde dans sa position d’origine. Si le dieu des dieux était son créateur, peut-être que la grande prêtresse ou Lascetra sauraient lui en dire plus.
Riak claqua des doigts. Tchibaou arriva immédiatement en ronronnant, suivi avec un peu de retard par sa femelle et ses petits. Ils commencèrent par une cérémonie de salutations faite de frottements, de ronronnements et de demandes de caresses. Riak prit son temps pour les accueillir. Puis elle se releva et elle dit :
   - La grande prêtresse !
Comme à chaque transportation, elle ressentit ce petit vertige avant de se retrouver dans le temple de Cannfou. Il y régnait une impression de calme malgré le mouvement. L’office du matin venait de se finir et les nonnes se dépêchaient d’aller au réfectoire. Riak provoqua une confusion qui attira les nonnes gardiennes. Dès qu’elles virent Riak, elles mirent genoux à terre, imitées par toutes les présentes. Un grand silence se fit. La grande prêtresse sortait de la salle de cérémonie. Elle aussi s’inclina profondément pour saluer la reine. Riak, toujours aussi peu protocolaire, s’avança directement vers elle :
   - Levez-vous et allons là où nous serons tranquilles !
   - Suivez-moi, dit la grande prêtresse en se relevant.
Elle lança un regard interrogateur vers ses suivantes. Riak approuva de la tête et toutes les quatre partirent vers la pièce qu’on avait réservée pour la grande prêtresse. Si la pièce était grande, elle était austère.
Dès que mère Algrave eut fermé la porte, Riak prit la parole :
   - Que savez-vous des Rmanit ?
Les trois prêtresses ouvrirent de grands yeux, s'entre regardèrent avant que la grande prêtresse ne prenne la parole.
   - Le nom évoque les temps d’avant le temps. Rma est créé avant le temps et c’est lui qui a été chargé par le dieu des dieux, le dieu primordial de tisser la trame du temps. Avec Rma, d’autres ont été créés, les Rmanit en font partie comme les autres Rmaquelquechoses.
   - Et ils sont nombreux ?
   - Nul homme ne le sait, les temps sont trop anciens pour nos mémoires. Les dieux doivent savoir mais nul ne les interroge, ils disent ce qu’ils veulent bien quand ils veulent bien.  
Riak fut déçue de la réponse. Elle enchaîna quelques banalités et repartit chercher Lascetra. Peut-être aurait-il des réponses ?
Elle le trouva entouré d’autres grands savoirs. Tous sursautèrent à l’arrivée de Riak et de ses fauves. Ils se levèrent brusquement pour la saluer.
   - Ma Reine, que puis-je ...?
   - J’ai des questions…
Tous les grands savoirs s’éclipsèrent laissant la reine et Lascetra seuls dans la pièce.
   - Qu’est-ce qu’un Rmanit ?
Lascetra fut surpris par la question.
   - Vous avez rencontré un Rmanit ? Ce n’est pas possible. Les dieux eux-mêmes ne les ont pas connus.
Riak raconta à Lascetra la journée de la veille et l’arrivée du géant et des dégâts qu’il avait faits.
   - Vous avez réveillé un Rmanit ! Je n’en crois pas mes oreilles. Le dieu des dieux les a créés pour l’aider dans son œuvre de création. Il est le seul à connaître leur nature.
   - Comment les détruit-on ? Les léopards n’ont rien pu !
   - Nul ne le sait, ma Reine. Quand le dieu des dieux a créé les dieux, il ne leur a pas révélé son secret. Quand ils sont nés, il ne restait que Rma le tisseur de temps.
   - Ce n’est pas possible ! On ne peut pas le laisser détruire le monde !
Lascetra eut un regard empli  de crainte et de compassion. Pour la première fois de sa vie, son savoir était inutile. Il ne connaissait pas l’important secret des Rmanit. Il ne savait pas comment les arrêter. avec presque des sanglots, il avoua :
   - Je ne sais pas, Ma Reine. Je ne sais pas.
Riak était plus que déçue. Elle n’aurait jamais cru cela possible. Celui qui portait le savoir le plus abouti ne connaissait pas la réponse. Koubaye lui manqua terriblement en cet instant. Où était-il pour qu’elle ne sente plus sa présence comme avant ? Qu’était-il devenu ? Était-il de nouveau sous la montagne dans ce lieu improbable que lui avait décrit Résal ?  Elle ne savait pas quoi faire. Elle détourna la conversation en interrogeant Lascetra sur les affaires du “royaume”, comme elle désignait avec une certaine ironie la petite partie de territoire qu’elle contrôlait. Elle sentit que son interlocuteur  retrouvait son équilibre. Il lui fit un rapport de ce qui se passait au sein du gouvernement et des problèmes qu’ils rencontraient. Elle l’écouta d’une oreille distraite tout en réfléchissant à ce qu’elle allait pouvoir faire. Comme il se perdait dans ce qu’elle pensait être des détails, elle l'interrompit en l’assurant de sa confiance. Elle s'éclipsa dès qu’elle put.
Elle demanda à Tchibaou de la conduire sur les traces du Rmanit. Elle se retrouva sur un terrain nu et aplani. Non loin d’elle,  lui tournant le dos, le géant continuait sa besogne en terrassant la terre, broyant et enfouissant tout ce qui se trouvait dessus. Elle remarqua les seigneurs non loin de là. Elle entendit leurs cris quand ils la remarquèrent. Le Rmanit entendit lui aussi et, immédiatement, se mit à réagir. En trois pas, il fut sur eux et les écrasa proprement. Riak n’avait pas attendu. Ses fauves l’avaient transportée en avant de la trace. Dans le bosquet encore debout, Riak observa ce qu’avait fait le géant. Comme elle le pensait, la trace était droite, traçant une ligne depuis le lieu de son réveil. Elle fit demi-tour et courut droit devant elle. À la mi-journée, elle arriva à un village, ou plutôt à un hameau. Il y avait là quelques pauvres masures. Les quelques habitants furent effrayés par son arrivée. Mal habillées, les femmes mirent derrière elles les enfants pour les protéger. Riak remarqua qu’elles cachaient leurs mains derrière leur dos. Elle en déduisit qu’elles devaient serrer un couteau, prêtes à se défendre.
   - Je ne vous veux pas de mal, annonça-t-elle. Je viens vous prévenir du danger.
   - Que veux-tu, sorcière aux cheveux blancs ? Fous le camp ! T’as rien à foutre ici !
Riak haussa les épaules. Elle désigna la direction d’où elle venait :
   - Le mal viendra de là ! Un géant arrive et il dévaste tout.
Riak lut une totale incompréhension dans le regard de ses interlocutrices. Un homme arriva en courant une hache à la main. Derrière lui un gamin le suivait en haletant. En hurlant, il attaqua Riak sans attendre. Elle évita sans peine la charge du forcené. Quand il recommença toujours criant, elle le fit tomber à terre et lui colla l’épée sur la gorge. Elle mit le pied sur la main qui tenait la hache. À ce moment-là, les léopards sortirent des buissons, terrorisant les gens présents. Les gamins hurlèrent de terreur, s’accrochant aux jambes de leurs mères quand les jeunes léopards s’approchèrent. Les femmes sortirent les couteaux et  menacèrent les fauves en tremblant. Riak cria :
   - ÇA SUFFIT !
Le cri de Riak figea la scène. Elle se tourna vers l’homme à terre :
   - La mort arrive vers vous ! Tu comprends ?
L’homme fit oui de la tête. Riak retira son épée. Il se releva en laissant la hache au sol. Les léopards s’écartèrent du groupe en grondant, comme à regret. Elle n’attendit pas de savoir ce qu’ils allaient faire. Elle repartit au pas de course. Elle s’aperçut que la route du Rmanit longeait le fleuve. Il semblait remonter vers l’amont. Riak pensa à Clébiande. Elle eut peur pour la ville. Si on ne pouvait l’arrêter, il fallait protéger les populations Elle regarda le fleuve au bord duquel elle s’était arrêtée. Elle en était séparée par quelques arbustes. Les bateaux allaient et venaient sans hâte. Ignoraient-ils le danger ? Elle s’approcha un peu de la berge et se laissa voir. Immédiatement, une barque se dérouta. Les rameurs semblaient mettre toute leur énergie à rejoindre le bord. Elle les attendit. Dès qu’il fut à portée de voix, le chef de bord mit un genou sur le pont en disant :
   - Bébénalki ?
   - Je suis !
Dans un ensemble parfait, les rameurs freinèrent la barque pour qu’elle vienne atterrir en douceur près de Riak.
   - Quelles sont les nouvelles sur le fleuve ?
Riak posa la question tout en montant à bord. La capitaine lui tendit une main qu’elle dédaigna, préférant bondir seule. Elle ne lui laissa pas l’occasion de répondre, se retournant vers la berge, elle cria aux léopards de l’attendre en amont près du Rmanit. Elle reposa sa question au marin.
   - On a vu passer la vague et comment la déesse a détruit nos ennemis. La nouvelle du combat est arrivée à Clébiande et je remonte voir ce qu’il se passe pour le compte des chefs. On a entendu parler d’un géant de pierre détruisant tout. Les nouvelles sont contradictoires. Certains disent qu’il est au service des seigneurs, d’autres à votre service, Bébénalki. Le peuple des tréïbens voudrait savoir.
   - Il n’est ni pour nous, ni contre nous. Il est, et nul ne peut en dire plus. Il détruit tout sur son chemin. Il faut annoncer le danger. Maintenant remontez-moi au-dessus du géant. La guerre avec les seigneurs n’est pas finie.
   - Les cris-paroles disent que beaucoup sont morts.
   - Oui, beaucoup sont morts, mais beaucoup de nos braves sont morts aussi. Ils ont perdu la bataille mais pas encore la guerre.
Le capitaine fit un geste et ses rameurs se mirent en devoir de faire bouger la barque. Ils reculèrent rapidement. Sans se faire prier, les rameurs forcèrent sur les avirons, trop fiers de transporter la Bébénalki. N’ayant pas à encourager ses marins, le capitaine cria des paroles-cris qui furent relayées de barges en bateaux. Bientôt tout le peuple des tréïbens connaîtrait les nouvelles et la présence de l’envoyée de la déesse à son bord.
Riak, debout à la proue, les cheveux au vent, regardait vers l’avant, guettant la haute silhouette du géant. Elle découvrit le Rmanit de loin. Il s’agitait. Ses grands gestes balayaient autour de lui, comme un homme chassant les insectes. Derrière elle, l'ahanement des rameurs en plein effort. La barque semblait voler sur l’eau, aidée par le courant rapide dans cette partie du fleuve. Bientôt, elle vit le Rmanit entouré d’hommes le harcelant. À leurs uniformes, elle reconnut des seigneurs. Elle regarda le capitaine et, par gestes, lui fit signe d’avancer. Elle se fit débarquer en aval au bord de la zone dégagée par le géant. Il lui fallait régler ce problème avant de s’occuper des seigneurs. Le Rmanit se dirigeait vers Clébiande. Riak devait sauver son peuple.

Kaja avait passé une très mauvaise nuit, comme les autres. Leur bivouac avait été particulièrement inconfortable. Ils avaient manqué de tout. Heureusement des fidèles avaient traversé le fleuve pour aller chercher des provisions et des tentes. À la première heure, il avait envoyé des éclaireurs surveiller le géant. Ils étaient revenus affolés, racontant comment il leur avait lancé un arbre. Kaja avait eu une idée. Avec toutes les cordes qu’ils avaient trouvées, ils allaient le piéger et l’attacher. L’approche avait pris du temps. Le géant, tout occupé à sa tâche de terrassement, ne les avait pas entendu venir. Ils avaient agi le plus vite possible mais les cordes s’étaient vite révélées trop courtes et trop fragiles. Au total, l’expédition s’était révélée être un fiasco. Le moral de ses troupes avait plongé dans un abîme qui semblait sans fond. De retour au bivouac, Kaja se maudit de sa précipitation. Son idée était peut-être bonne, mais il fallait des cordes plus longues et plus solides… et plus d’hommes. Le géant avait quitté le lieu du combat. Il aurait dû y penser et s’occuper en premier des rebelles avant de chercher à l’arrêter. Dans la bataille, les rebelles avaient probablement perdu plus d’hommes que lui, mais leur camp était intact. Clébiande n’était pas loin. Kaja considéra que la ville et ses forts représentaient un lieu idéal pour se regrouper et s’y réfugier. Il envoya des coursiers porter ses ordres aux barons survivants. Lui pourrait se mettre en route, accompagné de ses gayelers, dès le lendemain. À marches forcées, ils pouvaient rejoindre Clébiande en deux jours. Il fallait se regrouper, récupérer des troupes et régler le sort de cette sorcière aux cheveux blancs si le géant ne le faisait pas d’ici-là. La sorcière avait réveillé ce fils de la terre. Kaja ne savait pas ce qu’il était, ni comment le détruire. Il en était réduit aux suppositions. Pour être aussi dur, il était en pierre. Pour être aussi fort, il avait un dieu pour créateur. L’Arbre Sacré, qui plongeait ses racines au cœur du cœur de la terre, lui inspirerait la solution. Il en était là de ses réflexions quand il entendit un des gayelers se plaindre. Kaja prêta l’oreille. Les paroles étaient indistinctes.
C’est au cours d’une réunion avec ses officiers qu’un lieutenant fit la remarque :
   - Les hommes pensent que l'on fuit devant l’ennemi.
Kaja lui fit préciser. Il comprit alors que pour la majorité de son armée, partir signait la défaite. Malgré les morts et les blessés, il fallait combattre et en finir avec la rébellion et le géant suscité par la sorcière.
Les officiers étaient partagés. Se regrouper à Clébiande était l’option la plus sûre, mais cela pourrait permettre à la sorcière de présenter la bataille de la veille comme une défaite. Si se battre voulait dire encore beaucoup de morts et de blessés, cela voulait dire aussi que le roi ne lâchait rien de son royaume. Le géant était vécu comme une punition des dieux.
Kaja y pensa une bonne partie de la nuit. Avant de finir par s’endormir, il lui sembla impossible de laisser le possible bénéfice d’une victoire à cette soi-disant reine. Il allait combattre le géant et le vaincre et puis elle subirait le même sort. Cette pensée le détendit assez pour qu’il s’endorme.
Au petit matin, il changea ses ordres. Les Barons survivants et leurs hommes allaient rejoindre Clébiande. Là, ils se prépareraient à la prochaine bataille. En attendant, avec ses gayelers, il allait combattre le géant.
Il mit du temps à rejoindre le lieu du combat. Le géant avait bien avancé dans la nuit. Sa trace était facile à suivre. Le monstre de pierre allait tout droit. Sous la lumière naissante, il détruisait un hameau avec lenteur, mais efficacité. Ceux qui habitaient là, dans ce qui était une forêt, devaient être des charbonniers. Il en vit un de loin qui observait la destruction des pauvres masures. Il vit l’homme lever un poing vengeur vers le géant et s’en aller en courant quand le géant fit un pas en avant. Comment allait-il attaquer cette masse de pierre ?
Il fit mettre ses hommes en protection autour du hameau à moitié détruit. Le géant était indifférent à leur présence. Il continuait à malaxer de ses mains immenses la terre et tout ce qu'elle portait. Sa silhouette ne ressemblait pas à celle d'un homme. Ses jambes courtes et ses bras trop longs évoquaient davantage certains petits singes. Son torse avait la largeur de certaines tours. Ses mains étaient particulières. Grandes, massives, épaisses, on les sentait faites pour creuser et broyer. Kaja attaqua le géant par derrière. Il tapa avec Émoque là où un homme aurait eu son talon d’Achille. Il ressentit douloureusement le choc dans son bras. Le géant se figea sur place. Les mains encore pleines de terre, il se tourna vers Kaja. Il chercha ce qui l’avait frappé. Kaja n’avait pas attendu la réaction pour se précipiter de l’autre côté. Il avait frappé l’autre cheville provoquant un autre choc violent dans son épaule. Le géant laissa tomber ce qu’il portait, tentant de saisir celui qui l’avait frappé. Kaja le trouva moins rapide que dans la bataille. Lui manquait-il les éclairs de Youlba ?
Sans s'appesantir, il revint à la charge, encore et encore. Le géant tournait sur lui-même pour tenter de bloquer son agresseur. Sa relative lenteur le desservait. Kaja attaquait déjà par ailleurs. Cela dura un moment mais bientôt les coups d'Émoque manquèrent de puissance. Kaja sentit son rythme baisser. Il continua néanmoins malgré la fatigue de ses muscles. Il continua jusqu’à ce coup qui le laissa effondré sans souffle. Le géant l’avait simplement touché. Respirant à peine avec peine, il vit l’être de pierre se détourner et reprendre son activité destructrice. Les gayelers qui l’accompagnaient, et qui avaient pris position tout autour, vinrent le relever. Leurs mouvements leur attirèrent la fureur du géant. Ils coururent se mettre à l’abri en portant leur roi. Le géant reprit son activité. S’il ne se pressait pas, ses larges mains déblayaient une quantité considérable de terrain. Les gayelers tentèrent de lutter contre lui. Leurs coups étaient inefficaces. Le géant semblait ne pas les sentir. De temps à autre, quand il déracinait un arbre, il s’en servait comme d’un chasse-mouches pour éloigner ses agresseurs.