vendredi 30 août 2013

De nouveau le fort de Moune fonctionnait en circuit fermé. La délégation du pays de Pomiès restait bloquée dans ses quartiers. Sariska n'avait pas élevé la voix mais avait tancé sa fille de belle manière. Chioula depuis restait confinée dans ses appartements. Kolong essayait de la consoler. Chioula se sentait à la fois coupable de s'être perdue et d'avoir fait courir des risques importants à tout le monde et heureuse d'avoir rencontré le prince aux yeux d'or et de lui avoir donné la main. Si la culpabilité laminait son moral, elle ne rêvait que de rencontrer à nouveau le prince Lyanne.

Son père rongeait son frein. Avant la funeste aventure de sa fille, il avait appris que le roi-dragon était reparti pour la Blanche. Elle lui avait bien parlé d'un prince Louny mais les serviteurs ne voyaient pas de qui elle voulait parler. Sariska pensait à un de ses personnages secrets que tous les royaumes connaissent et qui fait le sombre travail qu'on ne peut faire ouvertement. Il pensait aussi que bientôt, ils ne pourraient plus rejoindre la capitale. Si les tempêtes se succédaient, ils allaient être immobilisés ici. Il voyait déjà le temps où ils seraient obligés de manger les macocas pour survivre. Ce qui le mettait le plus en colère était de ne pas remplir sa mission auprès du roi-dragon. Cela faisait déjà beaucoup trop de lunaisons qu'était mort son prédécesseur. Les ennemis du pays de Pomiès étaient nombreux à la cour. Sariska passait ses journées à ruminer ces sombres pensées, priant pour que le temps redevienne clément pour partir au plus vite à la capitale. Il accusait tout le monde tour à tour, même s'il était le seul responsable de leur arrivée au fort de Moune. Il en voulait particulièrement à son prédécesseur, homme arriviste qu'il n'avait jamais aimé.

Chioula une nouvelle fois pleurait. Kolong lui avait entouré les épaules de ses bras et la consolait du mieux qu'elle pouvait. Elle en était à se demander comment elle allait faire pour consoler sa maîtresse quand on frappa à la porte. Elle alla ouvrir. Un serviteur en rouge, la livrée du roi-dragon selon ce qu'avait appris Kolong, s'inclina jusqu'à terre et donna un plaque de glace puis se retira sans un mot. Kolong fut tellement surprise qu'elle en oublia de poser des questions. Elle ramena la plaque à Chioula avec des yeux qui racontaient son incompréhension. Chioula prit la plaque entre les mains. Elle tenait un morceau de glace transparente entourée d'un bord blanc. Elle échangea avec Kolong le même regard d'étonnement. Elle souleva la plaque pour en voir la pureté quand elle vit les signes. Vivement elle se leva et alla se poster près de la lumière. Dans l'épaisseur même de l'objet apparaissait des signes rouges qui se précisèrent devenant des mots et des phrases. Chioula lut avidement en pensant que cela ne pouvait venir que du prince Lyanne.

- INVITÉE, je suis invitée !

Kolong qui admirait la graphie des signes mais qui ne savait pas lire, vit s'illuminer le visage de Chioula. Elle pensa que les jours sombres allaient bientôt prendre fin.

Tout le reste de la journée fut consacré aux préparatifs. Elle voulait paraître sous son plus beau jour. Le choix de la robe fut le plus difficile. Elle avait un vêtement rouge qui la mettait en valeur mais pouvait-elle mettre cette couleur qui évoquait le roi-dragon? Elle sortit d'autres tenues mais au final revenait toujours vers sa première idée. Elle discuta avec Kolong de ce que diraient les autres convives en la voyant ainsi parée. Kolong était d'avis de mettre la robe bleue qui allait si bien avec ses yeux. La discussion entre les deux femmes dura tout l'après-midi. Finalement à l'heure du choix elle opta pour le rouge. Avec sa coiffure à la mode du pays de Pomiès, Chioula se trouva une belle allure. Elle ferait honneur à son pays et à son père, elle l'espérait. Plus l'heure du dîner approchait, plus elle était nerveuse. Saurait-elle se conduire devant le dragon? Fallait-il lui dire « Majesté » ? Chez elle, elle maîtrisait tous les codes. Elle avait reçu toutes les consignes pour bien se comporter avec un roi-dragon. Son inquiétude venait de ce que lui avait déclaré son maître du protocole en lui disant :
- Je vous transmets tout ce que j'ai trouvé dans les vieux grimoires. Aujourd'hui personne ne peut dire ce que fera le roi-dragon.
Quand le serviteur vint la chercher, elle était remplie d'inquiétude. Elle répéta dans sa tête la succession de mouvements composant la révérence. Ils symbolisaient la danse de soumission des dragons. Tout vassal était tenu de le faire, en ces occasions, dès son introduction dans la salle où se tenait le roi-dragon. Pendant tout le trajet, elle se prépara. Elle arriva devant les grandes portes de la salle du trône. Elle fut surprise de ne pas s'arrêter. Cela la déstabilisa. Elle marqua un petit temps d'arrêt puis accéléra le pas pour rattraper le serviteur. Ils s'enfoncèrent dans une succession de couloirs qui lui firent perdre son orientation. Le serviteur lui demanda de descendre un escalier. Chioula fut étonnée qu'il ne l'accompagne pas. À son regard étonné, il répondit que quelqu'un l'attendrait en bas.

Manifestement les marches menaient sous terre. La roche avait été creusée. Une porte à double battant lui barrait le passage. Le plus étonnant pour elle fut de ne voir personne. Elle descendit les deux dernières marches en se demandant ce qu'elle devait faire, attendre ou frapper pour entrer?

Elle avait à peine posé le pied sur le sol rocheux qu'elle vit les portes s'ouvrir. Elle entra.

À l'écho de ses pas, la salle semblait vaste. Elle était surtout sombre. La seule tâche de lumière venait de deux torchères plus loin sur la droite. Une table était dresssée, avec deux couverts.

Chioula était déstabilisée. Elle s'attendait à un repas officiel avec toute la délégation et se retrouvait à dîner en tête-à-tête dans une salle qui aurait contenu le palais du noble Szeremle. Elle avança à petits pas vers la zone lumineuse. Elle sentait une puissance énorme autour d'elle. Était-elle dans l'antre du dragon ? Elle le pensait. Un peu en retrait elle devina la silhouette d'un homme qui se précisa quand il arriva près de la torchère. Elle fut soulagée de voir le prince Lyanne. Il arborait un sourire qui lui fit chaud au cœur. Elle se mit à marcher plus vite.

- Bonsoir, Prince lyanne !

- Bonsoir, Princesse Chioula. Le rouge vous va à merveille.

Chioula sentit la chaleur lui envahir les joues.

- Cet endroit est surprenant. Quand on voit le fort, on ne peut se douter de ce qui est en dessous.

- Celui qui a construit ce lieu a découvert cette caverne en creusant. Elle a beaucoup plu au roi-dragon. Il l'a aménagé selon ses goûts... Mais approchez, Princesse. Prenez place.

Un serviteur sortit de l'ombre en silence pour lui tenir son siège.

Chioula vécut le temps du repas sur un nuage. Entre les mets, délicieux, les boissons relevées et les parfums qu'elle sentait autour d'elle, elle avait la tête qui tournait un peu. A la fin du repas, elle avait posé sa main sur la main du prince qui ne l'avait pas enlevé.

Cela avait duré un bon moment. Puis le prince avait dit :

- Princesse Chioula, je pense qu'il est préférable que vous regagniez vos appartements. Il est des choses que vous ignorez et que vous devriez savoir avant d'aller plus loin.

Chioula n'avait entendu que la fin. « Aller plus loin » : elle en rêvait déjà.

Lyanne la regarda partir. Il était ému. Elle n'avait toujours pas compris qu'il était le roi-dragon. Jusqu'où pouvait-il aller avec elle sans lui faire de mal ?


vendredi 23 août 2013

Chioula n'avait pas revu le prince Louny depuis cette nuit fabuleuse sur la terrasse du donjon. Elle s'interrogeait beaucoup. Kolong ne savait quoi lui dire. Ce prince Louny semblait exister sans exister. Chioula l'avait vu mais les autres semblaient ne pas connaître son existence.
Son père était invisible. Il supervisait les préparatifs du départ. Il avait été très inquiet d'apprendre que pour aller à la capitale, il leur faudrait passer par le chemin à travers les Montagnes Changeantes. La caravane du pays de Pomiès comportait une centaine de Macocas. Il fallait coordonner tous les groupes qui composaient le convoi. Les maîtres d'attelage et les soldats se haïssaient cordialement. Chacun trouvant que sa profession devait être à la première place des préoccupations du noble Sariska. La peur régnait dans les écuries. Aucun d'eux n'avait traversé les Montagnes Changeantes. Si les soldats étaient prêts à obéir pour y passer, les maîtres d'attelage voulaient faire le détour de quelques lunes nécessaires pour passer au loin. Sariska avait fini par donner sa parole de demander des guides au roi-dragon. Malheureusement, le roi-dragon était parti inspecter les territoires situés vers le désert mouvant. On ne savait pas quand il serait de retour. Sariska en fut contrarié et n'écouta que d'une oreille encore plus distraite les babillages de sa fille lui racontant comment elle avait été se promener dans la forêt et comment elle avait à nouveau rencontrer le meute première. Elle expliquait comment la louve aux yeux rouges semblait la comprendre :
- Vous auriez vu, Père, comment elle penchait la tête sur le côté. On aurait vraiment dit qu'elle écoutait. Je lui ai dit le bien que je pensais de ce prince que j'avais rencontré en sa présence.
- C'est bien, ma fille, c'est bien, répondit Sariska, qui se tourna vers son voisin de droite pour lui parler du taux de change entre la monnaie du pays de Pomiès et celle du pays Blanc.
Quand elle quitta la table, Chioula ressentait une grande nostalgie de son pays. Elle avait quitté le lieu de son enfance depuis des lunes. Sans l'erreur de son père, elle n'aurait jamais été ici et n'aurait jamais connu ce prince. Même avec Kolong pour la servir, elle se sentait bien seule. Profitant de la lumière et du soleil, elle était sortie se promener. Perdue dans ses pensées, elle n'avait rien dit et les gardes de la phalange du roi-dragon ne l'avait ni arrêtée ni interrogée. Elle avait été naturellement vers le bois et s'était enfoncée sous les frondaisons. Elle avait marché sans réfléchir à la direction de ses pas toute occupée à rêver de ce qu'elle allait faire à La Blanche. Quand elle avait demandé à partir, le monde l'attirait mais maintenant dans ce fort loin de tout, elle avait fait une rencontre qui bouleversait ses plans. Ce prince Lyanne devait avoir un secret à cacher pour garder ainsi sa présence aussi secrète. La marche dans la forêt lui avait fait du bien, elle se sentait plus calme. C'est en décidant de rentrer qu'elle comprit qu'elle était perdue.
Chioula ne paniqua pas. Elle ne pouvait pas être loin du fort de Moune. Elle s'était simplement promenée sans chercher à couvrir de la distance. Elle fit demi-tour et retourna sur ses pas. Elle pensa reconnaître là un arbre, là un rocher. Quand la lumière baissa, elle n'avait pas retrouvé la plaine. Le froid se fit plus mordant.
Au fort de Moune, la peur s'était installée dans toute la délégation du pays de Pomiès. Le noble Sariska avait remué tout le fort. En l'absence du roi, la phalange Louny s'était mise à son service. Dès qu'il était apparu que la princesse Chioula n'était pas dans le fort ni à sa proximité, des patrouilles étaient parties dans toutes les directions pour essayer de trouver des traces. Une  main d'hommes était revenue en signalant des pas dans la neige partant vers la combe. Galvir, en tant que prince-dixième responsable de la phalange Louny, avait pris en main l'organisation des recherches.
- Préparez des torches. Il faut la retrouver avant qu'elle n'aille trop loin.
Sariska vit de la crainte dans les yeux de Galvir. Il l'interrogea :
- Que risque-t-elle ?
- En premier, le froid, mais en second, elle risque de dépasser la frontière des Montagnes Changeantes. Naturellement, les gens suivent la pente et descendent. La combe finit par rejoindre un ruisseau qui marque la frontière entre notre monde et les Montagnes Changeantes. Malheur à elle si elle la dépasse. Il faut la retrouver !
Les yeux de Sariska s'étaient agrandis. Dans son ventre, il sentit la morsure intense de la peur. Jamais, il ne pourrait se pardonner s'il arrivait malheur à Chioula.
Chioula était dans une petite vallée. Le ruisseau était gelé. Le soleil passa sous une barre de nuages et éclaira la combe. Chioula regarda autour d'elle pour essayer de se repérer. La plaine était-elle à droite ou à gauche ? Elle pensa au mot plaine et décida de descendre. Derrière elle la forêt était à quelques pas, de l'autre côté du ruisseau, le feu avait dû ravager la pente. Les fûts des arbres étaient noirs et secs. Tout semblait noir ou blanc. Elle frissonna. Le froid était intense mais n'expliquait pas toute sa réaction. Ce paysage lui évoquait les noires légendes de son pays. Les esprits mauvais habitaient un tel lieu. Elle reporta son regard vers la forêt cherchant un passage vers l'aval. Le soleil allait se coucher. Elle vit un trou. Elle pensa que le mieux était de se protéger là pour la nuit et de voir demain. Elle se dirigea vers cette grotte à la lumière du crépuscule. Elle allait l'atteindre quand elle entendit ce qu'elle redoutait : les loups !
Galvir avait pris la tête de ses troupes. Ils marchaient en ligne s'écartant doucement les uns des autres pour couvrir plus de terrain. Sariska marchait entouré de ses soldats.
- Il n'a pas l'air d'avoir entendu les loups, dit Bouyalma.
- Dans le cas contraire, il fera comme s'il ne les avait pas entendus. Il sait que sa fille a peu de chance de résister à la nuit et aux loups, sans parler des Montagnes Changeantes, répondit Galvir. Il ne peut pas admettre la réalité.
- Jusqu'à quand continuons-nous ?
- Tu as vu le ciel ? La tempête sera là en fin de nuit. Il faut que nous soyons de retour avant sinon ce n'est pas un mort que nous aurons mais toute la phalange.
Sariska n'avait pas entendu cet échange et marchait avec le soutien de ses hommes.
- Là ! J'ai trouvé la trace, dit un des pisteurs du pays de Pomiès.
Le détachement se lança à sa suite.
Chioula avait repéré les loups avant qu'ils ne la sentent. Ce n'était pas la louve aux yeux rouges mais une meute de loups gris. Elle vit qu'ils évitaient soigneusement d'aller de l'autre côté du ruisseau. Quelque chose semblait leur faire peur. Elle vit un des loups renifler le sol. Il avait trouvé son odeur. Chioula n'était plus qu'à une centaine de pas de la grotte. L'autre côté du ruisseau était plus près. Elle hésita. Les loups qui venaient de la repérer se mirent à courir. Chioula souleva sa robe et à grandes enjambées se prépara à sauter par dessus le ruisseau.
- Je serais vous, j'éviterais de passer.
Chioula s'arrêta net. Semblant surgir de nulle part, le prince aux yeux d'or venait de se matérialiser juste de l'autre côté du ruisseau. D'un bond il passa le lit où l'eau ne coulait déjà plus en ce début de la saison froide. Les loups qui avaient forcé l'allure, freinèrent aussi fort qu'ils purent et s'enfuirent en poussant des jappements de peur. Chioula regarda le prince aux yeux d'or avec d'autres yeux. Non seulement, il parlait aux loups noirs mais il faisait peur aux autres loups.
- Vous êtes un homme précieux prince, dit-elle, cachant sa peur autant qu'elle le pouvait.
- Nombreux sont ceux qui me le disent, princesse. Que faisiez-vous si loin du fort ?
- Je me suis perdue pendant ma promenade, répondit-elle d'un ton léger.
Lyanne éclata de rire. Il sentait la peur de Chioula mais admirait la manière dont elle essayait de maîtriser la situation.
- Saviez-vous que certains loups sont infréquentables ? demanda-t-il avec un petit sourire narquois. Mais s'attarder ici serait dangereux même si votre compagnie est agréable, princesse. La tempête arrive. Nous avons juste le temps de rentrer.
La nuit était maintenant complète. Les nuages qui couvraient le ciel, avaient mangé la lumière. Chioula trébucha dans l'obscurité. Elle mit les mains en avant pour protéger sa chute, mais rencontra un appui qui se révéla être la main de Lyanne.
- Permettez-moi de vous raccompagner, princesse.
Sous le regard étonné de Chioula, de la lumière dorée sembla couler du bâton pour se répandre à terre. S'ils marchaient dans la nuit, leurs pieds se déplaçaient dans une flaque de lumière. Tenant fermement la main de Lyanne, Chioula avançait avec assurance.
Bientôt, ils virent à travers les arbres des lueurs de torches qui venaient vers eux.
- Voici vos sauveteurs, princesse. Permettez-moi de me retirer.
Chioula retira sa main à regret. La lumière cessa de couler du bâton. Elle eut l'impression que l'obscurité était encore plus forte. Pourtant les porteurs de torches étaient si près qu'elle entendait leurs voix. Il y eut un violent coup de vent qui la déstabilisa un peu et puis le calme revint.
- PAR ICI, Noble Sariska, nous l'avons trouvée.
Chioula se trouva entourée d'une foule qui exprimait bruyamment sa joie. Galvir qui arriva peu après, donna l'ordre du retour.
- La tempête arrive. Rentrons, nous serons mieux au fort pour attendre le retour du soleil.

vendredi 16 août 2013

Les jours suivants furent décevants pour Chioula. Elle ne rencontra pas le prince aux yeux d'or. Kolong avait pour ordre de se renseigner. À chacun de ses retours, Chioula la bombardait de questions. Kolong était désolée. Elle n'avait jamais de réponse, ou des réponses contradictoires. Certains serviteurs ne savaient pas de quel prince leur parlait Kolong. Pour eux, il n'y avait que les princes-dixièmes qui dirigeaient les phalanges au fort de Moune. Quand elle insistait, la réponse invariable était que seul le roi-dragon avait des yeux comme cela. Quand elle interrogeait les serviteurs en livrée rouge, elle recueillait des réponses positives. Oui, ils voyaient bien de qui elle parlait, mais ils ne pouvaient pas dire où était ce prince aux yeux d'or. Ils précisaient que le prince partait souvent chasser ou surveiller les alentours. Kolong avait glissé qu'elle avait rencontré la meute de loups noirs en essayant de soutirer des renseignements au serviteur qui semblait leur avoir été alloué.
- Vous avez bien de la chance si le prince vous a présentées à RRling. Cette meute est célébrée dans nos légendes. C'est elle qu'on appelle la meute première. Elle existait déjà quand est né le premier roi-dragon...
Kolong l'avait interrompu. Les légendes étaient fort intéressantes et fort belles, mais le prince...
- Ah, le prince ! Il est parfois très occupé et même nous devons attendre pour avoir nos ordres.
- Peut-être savez-vous son nom ?
- Il n'est personne ici qui oserait le prononcer.
Kolong n'avait pas réussi à en savoir plus. L'homme s'était assez brusquement éclipsé et depuis cette rencontre semblait l'éviter.
De son côté Chioula avait essayé d'en savoir plus par son père, mais celui-ci était en discussion fréquente avec les conseillers du roi-dragon, quand il n'était pas à la chasse. Il avait dit à sa fille :
- Je ne l'ai pas rencontré, mais j'en parlerai au roi-dragon ou à ses conseillers lorsque l'occasion s'en présentera.
Chioula avait remercié son père mais ne le croyait absolument pas. Elle savait qu'il oublierait, comme il oubliait toujours ses anniversaires et les rendez-vous avec sa fille.
Le seul point positif était l'apparition tous les soirs après le dîner de la vasque de pierre et de l'eau chaude. Son père lui avait fait comprendre que c'était un luxe inouï que ce cadeau du roi-dragon. Obtenir une telle quantité d'eau chaude demandait beaucoup de bois à moins que le fort de Moune ne dispose d'une source chaude comme au pays de Pomiès, ce qui ne semblait pas être le cas.
Chioula se délassait dans son bain quand un serviteur vient avertir qu'allait commencer le merveilleux spectacle du passage des âmes des rois-dragon.
L'homme était reparti avant qu'elle ait pu l'interroger. Il avait juste précisé que cela se passait sur la terrasse du donjon et que quelqu'un la conduirait dès qu'elle serait prête.
Chioula avait tant pressé Kolong qu'elle avait refusé de mettre les lourds habits préférant une tenue plus légère. Kolong l'aida tout en désapprouvant. Une question se présenta à son esprit. Qu'avait-elle à courir comme cela au point d'oublier les convenances ? Kolong avait déjà la réponse. Elle voyait sa petite vouloir agir comme une grande. En avait-elle les moyens ? Devant l'impatience de Chioula, elle céda, l'habillant de choses légères qui, à son idée, n'avaient pas leur place sur une terrasse en plein hiver...
C'est le cœur battant que Chioula emboîta le pas au serviteur. Celui-ci marchait d'un pas silencieux. Chioula se prit à faire de même, jouant à celle qui avait un rendez-vous secret. Elle se prit tellement au jeu qu'elle sursauta quand elle entendit un bruit. Elle faillit se jeter dans un recoin pour se cacher. Intérieurement, elle riait de ses inventions. Le serviteur imperturbable avait continué son chemin. Quand elle déboucha sur la terrasse du donjon, l'obscurité la saisit. Le serviteur s'était effacé pour la laisser passer, cachant par la même occasion la lumière. Elle tâta du pied le sol devant elle, ne devinant rien. Elle eut un instant d'angoisse avant que ses yeux ne s'habituent un peu. La terrasse du donjon était plus grande qu'elle ne l'imaginait. Tout autour des crénelures assez hautes la protégeaient du vent. Elle essaya de deviner s'il y avait quelqu'un.
- Par ici, princesse Chioula.
Son cœur s'accéléra. Le prince aux yeux d'or était là. Elle se dirigea lentement vers l'origine du son. Dans la pénombre, elle devina sa silhouette appuyée sur un créneau. Il regardait le ciel.
- Vous arrivez à temps, cela n'a pas encore commencé.
- Le serviteur m'a parlé du passage des âmes des rois-dragon.
- Quitter le chemin tracé vous a été favorable, princesse. Ce spectacle est rare. Monocarna a senti que cela allait se produire.
- Qui est Monocarna ?
- Pardon, princesse. J'oubliais que vous veniez d'arriver. Les rois-dragon sont accompagnés d'un marabout. Monocarna est celui qui est au service du roi-dragon. Son savoir et sa sagesse sont grands.
Chioula regardait le prince mais celui-ci avait les yeux fixés sur le lointain. Chioula avait tenté de voir autour mais la nuit était noire. Elle avait tout naturellement reporté ses yeux sur la seule chose qu'elle distinguait : la silhouette du prince. Le silence s'installa et le froid. Le temps passa suffisamment pour qu'elle sente le froid. Elle frissonna. Pour s'occuper, elle demanda :
- Qu'est-ce que le passage des âmes des rois-dragon ?
- Les rois-dragon ne meurent pas comme on peut l'entendre pour le commun des hommes. Leur temps sur terre est limité. Ce ne sont pas des dieux. Il est long, très long, mais limité. Un jour, ils s'endorment et dorment trop longtemps. Le temps est alors venu pour eux du grand repos. Le corps du roi-dragon est emmené dans les Montagnes Changeantes par une phalange tirée au sort. Nul ne sait ce qu'il se passe alors.
- Les guerriers de la phalange ne le racontent-ils pas ?
- C'est un voyage sans retour. Cette phalange sera honorée dans les mémoires et dans les chants.
- Mais c'est terrible !
- C'est l'honneur suprême pour une phalange que d'accompagner son roi-dragon dans le grand voyage qui est le sien lors de son grand sommeil. Les légendes disent que le Dieu-Dragon, lui-même l’accueille. C'est au départ du premier roi-dragon que sont apparus les signes de leur passage. Regardez !
Le prince aux yeux d'or pointa le doigt vers le ciel. Chioula leva les yeux. Un incroyable spectacle s'offrait à elle. De lumineux serpents ondoyaient dans le ciel courant d'un bout à l'autre de l'horizon.  Elle en vit des verts somptueux, des rouges aussi éclatants que les écailles du roi-dragon actuel, des jaunes où l'or s'alliait au soleil. Chioula battit des mains. Les âmes des rois-dragon dansaient sous ses yeux un ballet extraordinaire qui embrasait tout l'horizon. Le plus étonnant pour elle fut le silence de leurs déplacements. Comment d'aussi gros êtres de lumière pouvaient-ils bouger sans bruit ? Elle en fit la remarque à Lyanne.
- C'est un des mystères de notre monde. J'admire leur vol, leur souplesse, et leur rapidité est merveilleuse. J'aimerais pouvoir faire comme eux...
- Moi aussi, coupa Chioula. Cela doit être une expérience inoubliable que de pouvoir le faire.
Elle frissonna une nouvelle fois.
Lyanne le remarqua. Dégrafant sa cape, il en couvrit les épaules de Chioula.
- Le pays Blanc est plus froid que le Pays de Pomiès, princesse. Vous êtes bien légèrement vêtue.
- Mon impatience à venir m'a fait négliger ce détail. Je ne regrette pas, prince. Vous êtes au moins prince pour vous promener comme cela dans le fort. N'est-ce pas ?
Cela fit rire Lyanne.
- Oui, princesse Chioula.
Ils restèrent ainsi côté à côte, à regarder cette danse nocturne. Chioula avait essayé de compter le nombre d'âmes qu'elle voyait. Elle s'était perdue, l'esprit trop occupé à essayer de tout regarder. Parfois rien ne se passait pendant quelques minutes, parfois un seul ruban de lumière s'étirait paresseusement sur la voûte étoilée, le plus souvent, les tracés lumineux arrivaient de tous les côtés, ne laissant aucun répit au spectateur. En regardant une âme de dragon jaune au-dessus de sa tête, Chioula s'était un peu reculée. Elle avait heurté Lyanne qui n'avait pas bougé. Elle avait gardé cette position contre lui, entre plaisir de sentir ce corps contre le sien et crainte qu'en en parlant, cela s'arrête.
Le nombre de passage diminua. Le temps entre deux manifestations laissait au froid le temps de mordre. Lyanne dit :
- Peut-être est-il temps pour vous de redescendre, princesse. Le froid mord beaucoup.
Chioula qui frissonnait en permanence acquiesça.
- Permettez-moi de prendre congé, prince... Prince ?
- Disons : prince Louny.
- Bien. Permettez-moi de prendre congé, Prince Louny.
Lyanne la conduisit jusqu'à la porte. Un serviteur l'attendait avec une lumière pour la guider dans les escaliers. Chioula jeta un dernier coup d’œil en arrière sur la silhouette du prince Louny aux yeux d'or.
Lyanne regarda la princesse descendre et ferma la porte. Resté seul, il s'approcha des créneaux et se jeta dans le vide.
Par une fenêtre plus bas, Chioula vit le grand dragon rouge brillant alors qu'il s'élançait vers le ciel.

vendredi 9 août 2013

La tempête avait profité de la nuit pour s'éloigner. Un soleil pâle surgit bas sur l'horizon. Lyanne était debout sur les remparts. Le vent soufflait encore. L'appel de l'air fut le plus fort. Il décolla pour aller jouer avec. Plus bas à travers les glaces, deux paires d'yeux le suivaient.
- Le dragon est parti, dit Kolong.
- Peut-être va-t-il rejoindre la Blanche, répondit Chioula. Lui au moins n'a pas à se traîner au rythme de macocas.
Elles regardèrent un moment le grand saurien qui volait.
- Il a l'air de prendre plaisir à voler, fit remarquer Chioula. Ça doit être une expérience intéressante.
- Ah non ! dit Kolong, la dernière fois que tu as dit cela, je me suis retrouvée à courir les routes. À  mon âge, cela n'a rien d'amusant.
Les deux femmes se dirigèrent vers la grande salle. La table était dressée avec des victuailles. Des gens étaient attablés pour le premier repas du matin. Chioula aperçut son père. Elle se dirigea vers lui. Un serviteur s'avança vers elle pour écouter ses désirs.
- Nos macocas sont encore très fatigués. Nous allons demeurer ici quelques jours. Le roi-dragon nous accorde l'hospitalité, dit son père.
Chioula en fut heureuse. Le prince aux yeux d'or n'était pas là. Rester ici lui permettrait de le revoir. Ils parlèrent un moment de tout et de rien. La matinée avançant, elle décida d'aller se promener dans la plaine.
Le soleil luisait doucement à l'horizon. Il ne réchauffait pas, on était déjà trop avancé dans la saison, mais donnait à toute chose un aspect tellement plus brillant qu'il éveillait les sens. Accompagnée de Kolong et de deux gardes du pays de Pomiès en habit bleu, elle se dirigea vers la forêt. Les résineux lui rappelaient les forêts de ses montagnes. Elle entra avec plaisir sous les frondaisons. C'était une espèce différente au bois plus rouge dont les branches basses avaient disparu. Kolong la suivait :
- Est-ce bien raisonnable ? Nous ne savons rien de ce qui vit dans ces bois.
Les deux gardes étaient devenus nerveux en passant derrière le rideau d'arbres de la lisière. La lumière était beaucoup plus faible, bien que quelques taches de soleil çà et là, donnaient un éclairage étrange. Le plus âgé avait jeté un coup d’œil en arrière juste avant de suivre sa maîtresse pour prendre ses repères. Il avait noté la position du fort, des montagnes. Il avait même vu le dragon rouge voler au-dessus de la plaine. Peut-être chassait-il ? Il avait fait signe à son compagnon. Les deux alors avaient dégainé leur dague aussi discrètement que possible. Les légendes parlaient de dragon mais aussi de grands fauves à la fourrure blanche, aussi dangereux à eux tout seuls qu'une meute de loups. Devant eux les deux femmes avançaient vers la lumière d'une clairière sans avoir l'air de se douter des pensées de leurs anges gardiens. Un arbre tombé leur servit de siège. Chioula souriait. Cet endroit avait quelque chose de merveilleux. Elle pensa que puisque le roi-dragon avait entendu son désir de bain, peut-être pourrait-elle lui demander le droit de venir ici de temps en temps, juste pour le plaisir d'être là et de se sentir bien. Elle fut tirée de ses rêveries par un cri :
- Des loups !
 Elle entendit le glissement des lames sortant du fourreau. Les deux gardes se mirent de part et d'autre faisant face. Déjà une dizaine de silhouettes noires s'avançaient sans se presser, comme sûres de leur force.
- Ne bougez pas, Princesse ! S'ils ne sont pas en chasse, ils passeront leur chemin.
Chioula osait à peine respirer. Kolong la serrait contre elle. Des loups noirs !
Restant à bonne distance, la meute entreprit de les encercler. Chioula savait qu'elle pouvait compter sur la fidélité de ses gardes et sur leur vaillance. Elle pensa avec angoisse, que face à une meute, leur petit groupe n'avait aucune chance.
- Allons, RRling, ce sont des invités !
La voix surprit Chioula. Elle fut encore plus étonnée de voir la plus grande des bêtes noires s'avancer tranquillement, son regard rouge brillant dans la pénombre. Elle passa non loin d'un des gardes sans même lui jeter un coup d’œil. Chioula se tourna pour la suivre et découvrit le prince aux yeux d'or qui marchait d'un pas tranquille tout en jouant avec un bâton. Elle l’interpella :
- Vous connaissez ces bêtes ?
- Le mot est peut-être mal choisi. RRling est la meute et cette louve mon interlocutrice.
Chioula eut un regard admiratif.
- Je croyais que cela n'existait que dans les légendes.
La louve qui avait rejoint Lyanne, se frottait à lui en signe de bienvenue. Il lui caressa la tête.
- Regarde bien cette dame RRling...
Comme si elle comprenait la louve darda ses yeux rouges vers Chioula.
-... C'est une invitée qui a le droit à ton respect et ta protection.
Tout en parlant à RRling, Lyanne s'approchait de Chioula. Les autres loups s'étaient couchés par terre en rond autour d'eux. Elle se sentit comme hypnotisée par ces yeux, à moins que ce ne soit le bâton qui semblait avoir sa vie propre. La louve fut bientôt à quelques pas d'elle. Chioula sentit Kolong se recroqueviller sur elle-même. Elle regarda la louve. Les yeux rouges plongèrent dans les yeux bleus. Le temps sembla suspendu.
- Je vois, Princesse Chioula, que vous jouez votre jeu avec tout le monde.
Chioula bâtit des paupières et releva la tête vers Lyanne. Elle semblait juste un peu perdue. Un sourire lui vint aux lèvres :
- Auriez-vous eu peur de moi que vous m'envoyez votre compagnon de jeu ?
- Je voulais simplement que RRling vous connaisse. Dans cette région, la meute se promène et surveille ce qu'il se passe. Maintenant vous allez pouvoir découvrir ces bois sans crainte. RRling veillera.
Lyanne fit demi-tour et s'éloigna. Chioula se mordit les lèvres.
- Prince !
Lyanne se retourna :
- Pourquoi m'appelez-vous prince ?
- N'êtes-vous pas de la famille du roi ? Vos yeux semblent l'indiquer.
- Je suis de la famille du roi-dragon en effet. Il semble tenir à votre confort puisque c'est pour répondre à son désir que je suis ici.
- Le roi-dragon est bien impressionnant, dit-elle en se rapprochant de Lyanne.
- En effet, princesse Chioula. Être dragon a bien des avantages...
- Je l'ai rencontré pendant l'audience qu'il accordait à mon père, le Noble Sariska, ajouta-t-elle avec quelques précipitations quand elle vit à nouveau que Lyanne semblait vouloir repartir.
Lyanne la regarda dans les yeux :
- J'ai entendu tous les couloirs du palais en parler.
Chioula fit un début de grimace pour montrer qu'elle avait bien compris que son attitude avait heurté les gens du royaume Blanc.
- Pourtant, le roi-dragon ne semble pas m'en tenir rigueur. J'en ai pour preuve votre présence.
- Le roi-dragon tient à ce que ses hôtes soient honorés en son palais.
Chioula ressentit de la panique. Le prince aux yeux d'or semblait avoir été choqué par son attitude. Elle essaya de se justifier :
- Il faut mettre mes gestes sur le compte de ma méconnaissance de vos coutumes. Je n'avais nulle envie de vous choquer.
- Votre inexpérience et votre jeunesse semblent effectivement les seules en cause. Rassurez-vous,  princesse, le roi-dragon est jeune aussi et sait la difficulté à être comme il faut où il faut. Mais je vous laisse, princesse. D'autres tâches m'attendent.
- Nous reverrons-nous ?
- Le fort de Moune est petit. Nous nous croiserons sûrement, peut-être même bientôt.
Chioula n'osa l'interroger. Elle regarda Lyanne partir. RRling qui s'était allongée le temps de leurs échanges, lui emboîta le pas. Il ne resta bientôt que les quatre habitants du pays de Pomiès dans la clairière.

vendredi 2 août 2013

Chioula ne décolérait pas. Elle était dans sa chambre, certes devant un excellent déjeuner mais dans sa chambre. Elle rageait d'autant plus qu'elle était sûre que ce prince aux yeux d'or serait attablé avec le roi-dragon et son père. Et pendant ce temps, elle se morfondait ici entre quatre murs. Si celui qui la servait était d'un zèle irréprochable, elle le traitait pourtant très mal, malheureuse qu'elle était. Cet état intérieur renforçait sa colère contre elle, contre son père, contre le chef du protocole qui avait réussi à arriver à ses fins, contre le monde entier. Pourtant dehors la tempête s'apaisait.
Le dessert arriva. C'était un délicat entrelacs de friandises montées sur un plateau porté par un serviteur en livrée rouge qui déclara en posant son fardeau :
- Le roi-dragon a donné des ordres pour vous, princesse, « afin que soit apaisée votre ire », a-t-il ajouté, «  et que le bleu de vos yeux ne se trouble pas ».
Chioula se sentit sourire.
Le roi-dragon avait pensé à elle. Si l'idée en était agréable, quel en était le sens réel ? La mythologie autour des dragons était floue. Il y avait tellement longtemps que le dernier roi-dragon avait disparu. On disait tout et son contraire. L'aspect de la bête était extraordinaire et la vue de la mâchoire suffisait à impressionner n'importe qui. Quelle relation pouvait exister entre un dragon et une humaine ?
Le dessert était une merveille de douceur et de goût. Tout en le dégustant ses pensées revinrent vers le dragon. Il était fascinant. Jamais elle n'aurait pu imaginer cela. Il était fascinant et inquiétant. On sentait la force et la puissance. Et puis ne disait-on pas qu'il crachait le feu ? Cela devait être merveilleux de voir cela. Lui revinrent en mémoire les légendes du pays de Pomiès qui avait été soumis par le feu craché par un roi-dragon avant d'être ravagé par les armées des guerriers blancs. Elle pensa qu'elle vivait une soirée curieuse. Elle était mal à l'aise. Elle n'avait jamais connu cela.
Princesse, née dans le palais du Seigneur de Pomiès, elle avait vécu une vie protégée, pouvant faire ce qui lui plaisait. Sariska était un proche de Szeremle. Sa mère, la noble Jaïsalmer, l'avait laissée faire ce qu'elle voulait, ou presque. Elle avait vécu dans un pays froid mais tempéré par la présence de sources chaudes, le climat de la ville de Pomiès était moins rude que celui de la Blanche. C'est ce que tout le monde lui avait dit. Elle avait droit d'aller se promener au Noble Jardin. C'était un endroit merveilleux, un peu chaud à son goût, mais rempli de fleurs aux senteurs étranges et aux couleurs éclatantes qu'une armée de jardiniers entretenait pour le plaisir du Seigneur de Pomiès. La source chaude qui sortait en son centre était dirigée vers le palais un peu en contre-bas, coulant entre des murs à qui elle laissait de sa chaleur.
La nuit tombait maintenant sur le pays Blanc. Les journées étaient de plus en plus courtes. Le serviteur en livrée rouge vint avec une lampe. Elle qui n'avait vécu qu'entourée de gens se sentait bien seule. Elle commença à regretter son impulsion d'avoir voulu partir. À cette heure-là, elle se serait glissée dans un bain chaud et aurait somnolé un moment avant que ses suivantes ne viennent la masser avant d'aller dormir.
- Ah ! Mais quel pays !
Chioula sursauta.
- Ya même pas de quoi faire couler un bain !
Celle qui venait de rentrer en râlant, était un petit bout de bonne-femme rond et jovial. Le serviteur en livrée rouge s'éclipsa prestement.
- Ne t'énerve pas, Kolong. Tu sais comme moi que les gens d'ici n'ont pas nos traditions.
- Oui, je sais bien, ma petite Chioula, mais ce voyage est interminable. Et je ne suis plus aussi jeune que toi pour supporter ce climat infernal...
- Tu exagères, Kolong. Je t'avais proposé de rester à Pomiès.
- En te laissant pour affronter toute seule, ces barbares adorateurs de dragon !
- Je n'étais pas seule, j'étais avec mon père.
- Ah oui ? Parlons-en ! Grâce à lui nous nous sommes égarés dans ces montagnes. Sans la patrouille nous ne serions jamais arrivés à l'abri avant la tempête.
Chioula se mit à rire. Kolong la servait depuis toujours et râlait depuis toujours. Chioula ne regrettait pas de l'avoir avec elle. Kolong l'aida à se préparer pour la nuit. Elle la fit asseoir pour lui brosser les cheveux. C'était la cérémonie traditionnelle de chaque soir. Kolong aimait ces moments avec la petite. Elles parlaient de tout et de rien, surtout des petits événements. C'est comme cela qu'elle apprit la rencontre avec le prince aux yeux d'or. Elles en étaient à discuter de l'éviction de Chioula du repas quand on frappa à la porte. Les deux femmes se regardèrent interloquées. Kolong alla ouvrir.
- Le roi-dragon a entendu et donné ses ordres, dit le serviteur en livrée rouge en s'inclinant.
Il y eut un nouvel échange de regard entre les deux femmes. L'homme entra suivi d'une cohorte de serviteurs portant une vasque en pierre et des seaux et des seaux d'eau chaude.
Sous le regard ravi des deux femmes, ils installèrent la vasque. Bientôt le bain fut prêt. Les serviteurs sortirent en s'inclinant.
- Le roi-dragon vous souhaite de prendre plaisir à ce bain, déclara le serviteur en livrée rouge en fermant la porte.