mardi 31 juillet 2012


Le roi Yas n'était pas content du tout. Non seulement les pirates des grandes îles de la mer bleue continuaient leur razzia dans la province sans que ses troupes puissent les arrêter, non seulement son palais n'avançait pas en raison de l'incompétence de l'architecte, mais voilà qu'on venait lui rapporter des histoires de vols d'or et de pierres précieuses dans la plaine de Shoufsi. Il marchait à grand pas dans la boue qui aurait dû être un jardin devant un bâtiment à la façade effondrée.
- Grand Roi, ce n'est pas de ma faute si les pluies ont tout détrempé. Le mortier ne tient pas.
Plus habitué à vivre sous une tente et à changer de lieu tous les jours, le roi Yas contemplait le chantier.
- J'ai fait une erreur... Je t'ai fait confiance.
Dégainant son épée, il le décapita. Il y eut un mouvement de recul parmi certains courtisans qui le suivaient. Le roi Yas avait annexé cette province, il y a peu. Le roi local n'avait pas survécu aux combats, par contre beaucoup de ses courtisans avaient trouvé toutes les qualités au roi vainqueur. Seulement, ils déchantaient. Le roi Yas était violent, irascible et ses proches fonctionnaient sur le même mode. Le petit royaume de Tienne avait été englouti par la vague des armées du roi Tas. Devant le choix de se soumettre ou de mourir, le choix avait été souvent rapide. Seulement, les anciens courtisans de Tienne découvraient qu'il ne suffisait pas de se soumettre pour survivre. Le roi Yas avait décidé d'y faire sa capitale. Sa situation centrale et la beauté de ses maisons l'avaient séduit.
Avec son armure de cuir renforcé, il tranchait sur les nobles locaux en habits beaucoup moins martiaux.
- Toi, dit le roi Yas, en désignant un des tailleurs de pierre.
L'homme se leva. Il ne salua pas, ne baissa pas les yeux.
Un aide de camp se précipita pour le soumettre, le roi Yas leva la main, l'arrêtant dans son élan.
- Tu me sembles bien fier, pour un tailleur de pierre.
- Je viens du Karatkan.
Yas connaissait, cette ville royaume de réputation. Un homme, une vie aurait pu être leur devise. Tous y vivaient sur un pied d'égalité. Seule leur capacité dans la maîtrise de leur art les distinguait les uns des autres. Fiers et farouches, ils ne baissaient la tête devant personne
- Que penses-tu de cette construction?
- On ne fait pas un château dans une mare.
- Qu'aurais-tu fait?
- Il y a, là-bas, à une demi-journée de marche un bel endroit pour la pierre. J'aurais construit là.
- Alors, va et ne me déçois pas!
Le regard de l'homme brilla.
- Tu auras le château que tu mérites, roi Yas.
Sans rien ajouter, il fit demi-tour. Faisant signe à ses compagnons, ils ramassèrent leurs outils.
Le roi se tourna vers son grand conseiller.
- Qu'on lui donne ce qu'il demande!
Quittant le chantier sans se retourner, le roi Yas vit un cheval au galop qui arrivait. Il s'arrêta de marcher le temps que le cavalier démonte.
Celui-ci se jeta aux pieds du roi.
- Relève-toi et parle. Que dit le général?
Le messager se releva.
- Les pirates ont attaqué Toutkat, la ville aux cent fontaines. Ils remontent vers le nord. Sans bateau, nous ne pourrons jamais les combattre efficacement. Ils vont plus vite que nous. Le général Lujàn vous demande des troupes pour tenir la côte face à ces pirates de malheur.
- Pars et sois ma parole : dis-lui : ton roi vient à ton aide.
Le messager salua, sauta à cheval et au grand galop s'éloigna.
- Tïan, je pars avec la troupe. Fais préparer mes affaires.
Le grand conseiller salua et s'éloigna vers le camp du roi. Tout en marchant, le roi continua à recevoir les différents ambassadeurs des peuples soumis. Il écouta les compliments convenus des uns et des autres, accepta les tributs. Son regard fut attiré par un hobereau, un petit chef à voir sa tenue, à l'agitation contenue. Il pensa à un non-familier de la cour qui voulait lui parler, ou à un assassin cherchant un moment favorable, ce qui ne serait pas la première fois. Le dernier ambassadeur partait quand l'homme s'approcha. D'un geste qui semblait naturel, le roi mit la main sur la garde de son épée. Son geste déclencha la mise en alerte de toute sa garde. L'homme continua à s'avancer sans avoir l'air de remarquer ce qui se passait autour de lui. Voyant le roi qui semblait partir, il s'élança. Il n'avait pas fait deux pas qu'il fut plaqué au sol. Brutalement retourné, il fut désarmé et se retrouva avec une épée sur la gorge.
- Qui t'envoie?
Le roi avait fait demi-tour et regardait l'homme à terre
- C'est le lieutenant Hongüo qui m'a dit que votre oreille serait attentive.
Le roi revit le visage ravagé du lieutenant Hongüo quand celui-ci lui avait parlé de la fin de son officier devant le dragon. Il fit un geste et ses gardes relevèrent l'homme.
- Qui es-tu? demanda le roi.
- Je suis Aguege, maître de la terre des eaux dormantes. Mon fief est à une semaine de marche de Tichcou, où l'officier Tzenk rencontra le dragon. J'ai fait soumission à votre majesté quand la plaine de Shoufsi résistait encore.
Un conseiller du roi lui glissa un mot à l'oreille.
- Ah! C'est donc toi qui relèves les tributs de la plaine.
- Oui, Majesté, dit Aguege soulagé de se voir reconnu.
- Quelle est ta supplique?
- Je viens supplier votre majesté. Par la faute du dragon, nous ne pourrons payer le tribut prévu.
- Parle !
- Nous avions rassemblé l'or promis. Vous avez ma parole, Roi Yas. Le chariot était prêt à partir quand le monstre nous a attaqués. Il a soufflé son feu sur les hommes et les bêtes qui se sont enfuis. Les trois cavaliers de ta garde qui venaient surveiller le transfert ont tenté d'empêcher ce vol. Ils ont péri en combattant, l'épée à la main. J'ai ramené leurs dépouilles jusqu'ici.
En disant cela, Aguege montra un chariot plus loin sur le chemin. Le roi Yas fit un signe à un lieutenant qui partit inspecter le chargement.
- Continue ton récit !
- Quand je suis arrivé sur les lieux, le monstre s'était envolé avec le coffre dans ses griffes. Il repartait vers la montagne. Je vous jure, Majesté que mon récit est véridique, dit Aguege en s'agenouillant et en baissant la tête.
Le lieutenant revenait de son inspection. Le roi lui fit signe.
- Ce sont bien des soldats de la garde. Enfin ce qu'il en reste. Ils ont été salement brûlés. Leurs épées ont disparu.
Sans lever la tête, le maître de la terre des eaux dormantes reprit la parole.
- Le monstre les a prises. Il avait commencé à battre des ailes quand il s'est mis à renifler comme un chien sur une piste. Un archer a voulu tirer. La flèche ne l'a même pas fait sursauter, mais lui a mis le feu à la maison d'où venait le tir. Je l'ai vu gratter le sol pour récupérer les trois armes. Il les a prises dans sa gueule et les a plantées dans le coffre. C'est ce que m'a raconté mon régisseur qui a tout vu. Il tremblait encore quand je l'ai interrogé.
- Ton récit concorde avec les autres. Ce dragon devient une menace. Il est bon de s'en débarrasser.
Se tournant vers la cour, il cria :
- Jianme !
Un lieutenant sortit des rangs de la garde royale. Il s'inclina devant le roi.
- A tes ordres, Mon Roi !
- Prends une compagnie et va, ramène-moi la dépouille de ce dragon et l'or qu'il m'a pris. Venge ceux qui furent tués.
Plantant là les deux hommes, le roi Yas partit vers son campement.

samedi 28 juillet 2012


Le temps était passé. La végétation avait beaucoup poussé. En bas de la plus basse des terrasses, un fort avait jailli. Les habitants de Tichcou, réquisitionnés pour l'occasion, avaient peiné en charriant de la terre sous la garde des soldats du roi. Une motte haute comme plusieurs hommes s'élevait au pied des terrasses.
A deux portées de flèches, à peine visibles dans la végétation, des guerriers du Grand Royaume, observaient la scène. Portant des panières, les paysans avaient construit une rampe de terre pour que les tracks puissent manœuvrer rapidement. Cachés derrière les épineux, Mlaqui et Ivoho avaient pour mission de planter ces arbustes que la Solvette avait montrés au Prince, des stifcacs à épines géantes. Ces plantes robustes et peu exigeantes quant au sol qui les accueillait étaient aussi efficaces que des remparts. Le chemin, au-dessus des terrasses était devenu depuis la bataille du dragon un labyrinthe composé de tiges aussi dures que le métal et aux pointes acérées qu'aucune charge ne pourrait passer. Ils n'étaient jamais plus de deux mains de guerriers, observant les troupes ennemies, composées d'une dizaine de mains de cavaliers et de leurs montures. Le chemin de Tichcou avait été agrandi, balisé, maintenant un tracks pouvait le parcourir en moins d'une demi-journée.
Mlaqui tapa sur l'épaule d'Ivoho et lui fit signe de regarder. Une charge de deux mains de cavaliers venait de partir du fort. Utilisant les rampes construites, elle atteignit la terrasse supérieure avec un maximum de vitesse. Arrivés à proximité de la montée rocheuse recouverte de stifacs, les cavaliers lancèrent leurs javelots et repartirent aussi vite que possible. Une flèche vola. Un homme tomba. Mlaqui et Ivoho entendirent pleuvoir les javelots autour d'eux sans qu'un seul ne traverse la barrière épineuse. Ils se replièrent. Le prince ne voulait pas avoir de perte. Le scénario qu'ils venaient de voir était bien connu. Quand le guetteur en haut de sa tour pensait voir quelque chose, une charge partait, lançait les javelots et repartait à bride abattue. Toujours attentif à ces moments-là, un archer se faisait un devoir de répondre. Si aucun guerrier du Grand Royaume n'avait été blessé, on ne comptait plus les cavaliers touchés. Mlaqui s'immobilisa, d'un geste, il intima à Ivoho d'écouter. Il y eut un sifflement et, à quelques pas devant eux, un « tchac » puissant, trop puissant pour un arc. Courant jusque là, ils découvrirent une flèche géante. Interloqués ils s'entreregardèrent. Un sifflement leur fit reprendre la marche. C'est le tronc qui encaissa le deuxième choc. Il se fendit en deux sous l'impact. A l'abri derrière un rocher, ils observèrent la tour. Tout en haut, ils virent un arc géant sur un support. Ils virent les hommes le bander à l'aide de leviers.
- Il faut prévenir le prince !

Quiloma après avoir écouté le rapport, s'était déplacé jusqu'à la vallée. Du haut d'un promontoire, il observait le fort. On voyait la forme arrondie de l'arc géant. Le guetteur s'agita. Quiloma était trop loin pour comprendre ce qu'il disait. Il n'en avait pas besoin. Il savait. Mlaqui était parti dans les haies d'épineux pour provoquer une réaction. Il vit les tireurs s'affairer autour de l'arme. La flèche fila vers le haut. Il en apprécia la vitesse et nota la courbe de vol. Il la vit se planter. Il vit aussi la deuxième flèche partir. Les cinq soldats qui servaient l'arc géant, savaient parfaitement ce qu'ils avaient à faire. Il la vit se planter dangereusement près de Mlaqui. Il siffla l'ordre de repli. Le guetteur fit alors des grands gestes pour montrer sa direction. Aussitôt, l'arme pivota pour se placer face à lui. Le trait jaillit. Quiloma regarda la flèche arriver. Il était très loin, pourtant il la vit atteindre l'éboulis dans lequel il se cachait. Lui-même se replia. Une ombre lui cacha le soleil. Le dragon...
Il leva les yeux pour suivre la silhouette qui volait assez haut. Il resta un moment à contempler le vol gracieux, toujours aussi fascinant pour lui. C'est en baissant le regard qu'il vit la flèche monter droit vers le dragon. Il eut peur, juste un instant. Le dragon était trop haut, il ne pouvait être atteint. La lourde flèche ralentit, bascula et retomba. Le grand saurien ne sembla même pas s'en apercevoir, il continua son chemin vers la plaine.

Chan réglait des problèmes de voisinage, comme chaque année. Il fallait arbitrer les droits de pâturages et de culture des différentes terrasses. Le prince étranger lui avait fait savoir par Sstanch que les zones les plus basses leur étaient interdites. Il n'avait pas posé de questions, mais devait faire face au mécontentement des uns et des autres. Même si elles étaient loin, ces terres fertiles allaient manquer. Le début de la saison était un peu trop chaud et surtout sans pluie. Si la sécheresse arrivait, on allait manquer de fourrage. Comme toujours Rinca râlait appuyé par Chountic. C'était toujours la même chose. Le maître de ville en favorisait certains et en oubliait d'autres. Leurs tiburs valaient bien ceux des autres et avaient besoin d'autant d'herbe. Sstanch les vit s'éloigner en critiquant ouvertement. Il venait annoncer à Chan un nouveau passage du dragon pas loin de la ville. Il semblait aller vers Tichcou. Ni Chountic, ni Rinca ne se rappelèrent qui avait eu l'idée en premier, mais c'était une bonne idée. Un homme bien entraîné pouvait conduire un petit troupeau de tiburs vers Tichcou. La qualité de leurs bêtes était bien connue des habitants. Cela permettrait d'avoir des nouvelles et de l'argent. Ils rencontrèrent Bistasio, qui depuis la mort de Bartone, n'avait plus de maître et vivait de petits travaux à droite ou à gauche. Il fut rapidement d'accord pour emmener une dizaine de tiburs par le chemin des crêtes pour les vendre au marché de Tichcou et ramener argent et information.

Sans rien dire à personne, Bistasio prit le chemin des pâtures orientales, où il réunit un petit troupeau de tiburs en choisissant avec soins les bêtes qui allaient pouvoir faire le voyage. Le tibur, bien qu'habitué à la montagne, n'avait pas l'agilité des clachs. Le chemin qu'allait suivre Bistasio portait le nom de chemin des crêtes. Un clach y aurait été à l'aise, un homme devait faire attention et un tibur encore plus. Bistasio avait pris sa décision quand Rinca lui avait laissé entrevoir qu'il l'adouberait dans son clan s'il réussissait la mission. Les bruits de la ville racontaient une bataille entre les guerriers blancs et les gens venus de Tichcou. Le dragon y aurait joué un rôle. Bistasio concevait le dragon un peu comme un loup, un prédateur plus gros, plus fort mais un animal pas si différent du tibur. Bistasio avait pris son meilleur snaff. Cette bête qu'il avait dressé lui-même était le meilleur snaff de la région. Il était capable de rassembler un troupeau de tiburs presque sans ordre. Agé de deux hivers, il ne craignait pas de se confronter avec les loups. Bistasio le siffla.
- Tsin, on y va.
Le snaff se mit à courir autour des tiburs pour les mettre en marche. Bistasio voulait arriver au col du passage avant la nuit. Une petite pâture pourrait l'accueillir avec ses bêtes. Il avait déjà fait trois fois le trajet vers Tichcou par la route des crêtes. Bartone avait parfois eu des besoins qu'il n'aurait pu satisfaire à la ville et Tichcou lui avait offert un choix plus intéressant. L'après-midi se passa sans souci. Le soir tomba doucement. Il vit au loin la ville s'enfoncer dans la nuit. Il préféra ne pas faire de feu. Il remit des mousses dans son pot pour ne pas risquer de se trouver en panne de braise, mais il mangea froid.
Quand le jour se leva, il regarda la vallée suivante qui s'ouvrait devant lui. Encaissée, bordée de falaises aux parois raides, elle était la première vraie difficulté pour son troupeau. Le snaff dut insister en mordillant les jarrets de tiburs pour qu'ils s'engagent sur le chemin en corniche. Bistasio ouvrait la marche, tâtant le terrain quand il le trouvait trop instable. En fait il progressa sans réelle difficulté à part le vertige. Le bruit de l'eau bondissant dans la gorge sous ses pieds, l'accompagnait. Lentement le chemin remonta vers les sommets. Il atteignit en milieu de journée une plateforme à cheval sur une crête. Arrivé là, Bistasio s'arrêta. Le chemin s'interrompait presque. Il ne faisait plus qu'un demi-pied de large. Jamais un tibur ne pourrait passer par là. Il siffla son snaff. Lui caressant la tête, il lui donna l'ordre de garder le troupeau en l'empêchant de repartir en arrière. Lui-même s'accrochant à la paroi, passa en faisant rouler des cailloux dans le vide. Le bruit des pierres tombant se répercuta longtemps en dessous de lui. Il marcha un millier de pas avant de se retrouver dans un bois. Il sourit. S'emparant de sa hache, il s'attaqua à un arbre. Quand il eut coupé assez de branchages, il repartit en arrière tirant derrière lui les branches. Il sua sang et eau pour les mettre en place. Il n'eut fini qu'à la nuit. Il bivouaqua sur la plateforme à côté des tiburs, préférant attendre le jour pour se lancer dans la traversée. Sa nuit fut peuplée de cauchemars de tiburs chutant dans le vide. Le soleil le réveilla, il tremblait dans le froid du matin. Quand Tsin s'aperçut de son réveil, il vint chercher sa ration de caresses. Tout en mangeant son gruau, Bistasio regarda les tiburs d'un air songeur. Son rafistolage allait-il tenir sous le poids d'un tibur? Il passa un lien de cuir autour du cou du premier tibur. Il avait choisi le plus lourd, se disant que si celui-ci passait, tous les autres pourraient suivre. Il siffla son snaff, lui donnant l'ordre de le suivre. Il passa la partie qu'il avait réparée. Le lien de cuir se tendit. Le tibur renâclait, se refusant à mettre les sabots sur cet empilage de branches. Tsin gronda derrière lui sans le faire bouger. Bistasio siffla des ordres. Tsin s'attaqua aux jarrets du tibur. Ce dernier beugla et passa au galop. Bistasio prit peur en le voyant arriver si vite. Il se colla contre la montagne pour le laisser passer. Il n'essaya pas de le freiner courant derrière lui. Il ne put le contrôler qu'à son entrée sous la futaie. Le sentant se calmer, il le laissa là, repartant pour recommencer la manœuvre. La journée passa comme cela. Les autres bêtes voyant que le mâle dominant était passé, firent moins de difficulté pour s'engager sur le pont de bois. Il revint pour la dernière fois, réfléchissant à la manière de s'y prendre pour rassembler les tiburs qui s'étaient dispersés dans le bois. Si une horde de loups traînait par là, il allait perdre toutes ses bêtes. Il attacha la dernière femelle. De nouveau, comme les autres, elle marqua un temps d'arrêt devant l'enchevêtrement de branches et de feuillage. Tsin qui avait bien compris la manœuvre gronda en lui mordillant le jarret droit. Elle beugla un coup et s'élança sur les troncs. Glissant sur une bouse, elle perdit son appui antérieur. Elle se récupéra en partie en s'agitant posant les pattes d'une manière de plus en plus désordonnée. Bistasio la vit perdre l'équilibre, glisser, et chuter. Il n'eut même pas le temps de lacher le lien avant d'être attiré vers le vide. Il tomba à son tour. S'étalant de tout son long sur le chemin, il se cogna le menton sur le sol. Il perdit connaissance. C'est Tsin qui le réveilla en le léchant. Se frottant le menton, Bistasio regarda la gorge en dessous de lui. Il ne vit rien qui ressemble à une carcasse de tibur. Jurant tout bas, il descendit le chemin vers le bois accompagné de son snaff. Arrivé à l'orée de la forêt, il le lança à la chasse aux tiburs pour les rassembler. Il profita du temps libre qu'il avait pour faire du feu. Ce soir, il mangerait chaud. Bon chasseur, il avait préparé des collets qu'il avait posés plus tôt dans la journée. Il fut heureux de voir qu'il y avait du gibier qui l'y attendait.
Au troisième jour, il traversa des zones boisées entrecoupées d'éboulis où les tiburs renâclaient. Vu sa vitesse, il se dit qu'il lui faudrait encore au moins deux fois ce temps pour arriver à Tichcou. Il apprécia cette journée plus calme. La nuit le surprit dans une petite combe. Il entrava ses bêtes pour qu'elles ne se dispersent pas. Il entendit un hululement qui le mit mal à l'aise. Si les loups se mêlaient à son voyage, l'issue en devenait incertaine. Il repassa dans sa mémoire, le reste du parcours. Après cette combe, il lui fallait remonter sur la crête suivante, passer sur la pente nue du mont pelé et redescendre dans la vallée de Tichcou en empruntant une trace plus qu'un chemin qui descendait brutalement vers le fond de la vallée. Il dormit mal encore une fois, se réveillant plusieurs fois. Il alimenta régulièrement son feu. La nuit fut calme malgré ses craintes. Avec le jour, il remonta vers la crête qui conduisait au mont pelé. Il n'y avait pas vraiment de chemin mais les arbres assez espacés à cet endroit lui permettaient de ne pas perdre ses repères et d'aller dans la bonne direction. Il remarqua que les tiburs devenaient nerveux et que Tsin devait les ramener de plus en plus souvent dans la bonne direction. Il siffla des ordres à son snaff et partit en avant. L'autre côté de la crête avait cet aspect pelé qui avait donné son nom à la montagne. Le soleil y était brûlant. Il observa longuement. Rien ne semblait bouger. Le vent venait face à lui. Il se dit que c'était un signe favorable. S'il y avait une meute de loups, elle ne les sentirait pas.
Au loin, il vit un mouvement. Il plissa les yeux. Un troupeau, ça devait être un troupeau de clachs. Il grimaça. Des loups chassaient-ils les clachs? L'idée ne l'arrangeait pas. Il observa encore un moment. Le déplacement des bêtes ne semblait pas hâtif. Il entendit les tiburs arriver derrière lui. Leur souffle puissant signalait l'effort qu'ils faisaient pour grimper. Bistasio les laissa un peu se reposer avant d'entamer la traversée de la pente du mont pelé. Il en profita pour sortir de ses musettes de quoi se restaurer. Il contempla le paysage. Il n'était pas à l'aise. Le mont pelé avait mauvaise réputation. Les légendes disaient qu'il avait existé une époque où le mont pelé n'était pas désertique comme cela. Cela remontait à l'époque des combats entre Cotban et Sioultac quand Wortra se mêlait encore de ce qui se passait à la surface. Le mont pelé avait été le lieu de la dernière grande bataille. La région ne ressemblait pas à ce que Bistasio voyait devant ses yeux. Les légendes parlaient d'un plateau boisé. Cotban chauffait de plus en plus la région, jaunissant les feuilles avant leur temps. Les arbres en avaient alors appelé à Sioultac. Celui-ci comme à son habitude, avait répondu avec colère, lançant ses forces de nuages et de froid contre les hommes noirs de Cotban qui colonisaient la région petit à petit. La vague de froid avait fait beaucoup de morts. Les charcs eux-même, n'arrivaient pas à faire disparaître tous ces corps. Cotban avait répondu par un ouragan géant, Sioultac avait hurlé son blizzard. La vie sur la terre devenait infernale. Wortra s'en mêla. Poussant la terre devant lui, il fit monts et vallées coupant vents et blizzards. La légende dit que c'est sur le mont pelé que se concentrèrent ouragans et blizzards, lui arrachant sa couverture d'arbres sans pour autant le réduire à néant. Il ne restait du sol que cet amas de cailloux gris, chauffés à blanc face au soleil, glacés comme la mort sur l'autre face.
Bistrasio rangea ses affaires, se leva du tronc d'arbre tombé qui lui avait servi de siège et s'orienta vers la pente chaude du mont pelé. Il resta en alerte en entendant les tiburs renâcler à repartir dans cette direction. L'image des loups lui traversa l'esprit. Il ne voyait rien d'anormal devant lui. Le vent faible portait-il une odeur qu'il ne sentait pas mais à laquelle les bêtes étaient sensibles? Tsin faisait son travail en poussant les tiburs devant lui. Ils s'engagèrent avec peine sur la pente de cailloux roulant qui composaient le flanc du mont pelé. Ils gagnèrent une trace plus nette que les autres qui offrait une place plus sure pour poser leur sabot. En ce début d'après-midi, la chaleur était forte. Bistasio s'arrêta un instant, le temps de quitter sa pelisse et de l'attacher sur ses musettes. Ce furent les cris de Tsin qui lui firent lever la tête. Les tiburs refusaient d'aller plus loin. Le grand mâle faisait face au snaff et baissait la tête en tapant les pierres de ses antérieurs. Bistasio regarda derrière eux sans rien voir d'anormal. La pente caillouteuse abrupte filait en bas vers un quelconque précipice et prenait naissance en haut au pied d'une falaise de roche friable percée de cavernes. Y avait-il quelque chose là-haut? Bistasio se dirigea vers le troupeau pour aller aider son snaff. Il avait à grand peine passé un licol au grand mâle quand un bruit de cailloux roulant dans la pente le fit se retourner. Des loups ! Il lâcha le licol pour prendre son solide bâton pointu dans une main et son couteau dans l'autre. Les tiburs, eux aussi, avaient repéré la meute. Faisant demi-tour dans un grand bruit de cailloux ébranlés, ils partirent au galop. Le snaff vint se ranger contre la jambe de son maître en découvrant ses crocs.
- Non, Tsin, les tiburs, garde les tiburs!
Le snaff lui jeta un coup d'œil et partit à la suite du troupeau, laissant Bistasio faire face aux loups. Ceux-ci avançaient avec précaution. La proie était à leur portée. Il ne fallait pas se presser. Les cailloux pouvaient être de redoutables ennemis. Bistasio recula. Se retournant parfois pour voir le chemin qu'il suivait en marche arrière. Il avait fait ainsi deux bonnes dizaines de pas en arrière quand il vit le grand loup qui s'approchait de lui, s'arrêter et humer l'air. Il y eut un moment de flottement dans la meute. Bistasio le mit à profit pour continuer à s'éloigner, il se retourna même pour courir. Dans la pente au-dessus de lui deux loups se mirent en mouvement pour l'attraper. Les pierres se mirent à bouger. Le bruit s'amplifia au fur et à mesure que plus de cailloux dévalaient la pente. Bistasio entendant la cataracte de pierres se rapprocher de lui, sut qu'il ne pourrait pas se sauver. Il planta ses deux pieds dans le sol et fit face levant bien haut son bâton. Ce qu'il vit le laissa sans voix. Les deux loups qui le pourchassaient étaient en flamme. Hurlant, ils se roulèrent par terre, déclenchant une véritable avalanche. Le pierrier se mit en mouvement. Bistasio fut entraîné vers le bas. Tombant face contre terre, il tenta de planter son bâton et son couteau. Le bâton ne résista pas et se cassa. Les pierres autour de son couteau furent animées du même mouvement que les autres et partirent dans la pente. Bistasio se sentit prendre de la vitesse. Au loin, il vit les tiburs et Tsin parvenus à la limite de la forêt. Un bref sentiment de soulagement le saisit en pensant à son snaff qu'il avait recueilli tout petit pour l'élever. Bébé surnuméraire et chétif, il n'aurait pas survécu sans son aide. Bistasio l'avait nourri lui-même et lui avait appris tout ce qui en faisait le snaff exceptionnel qu'il était aujourd'hui. Il revint à la réalité, toujours allongé, il était transporté comme un frêle esquif sur une mer de pierres en furie. Le bruit était assourdissant. Il pensa à la barre rocheuse en dessous. Il allait aller s'écraser en bas. La peur lui tenailla le ventre. Toujours plus vite, il se sentit voler. Sentiment étrange qui lui aurait plu s'il ne signifiait sa mort prochaine. Il ferma les yeux.
Une main géante le saisit. Ouvrant les yeux, il vit l'ombre gigantesque au-dessus de lui. Ce qu'il avait pris pour une main était en fait une serre gigantesque. Bistasio vit le paysage d'en haut. Le mont pelé étendait ses pentes désolées sous ses yeux. Les griffes qui l'entouraient, le pressaient sans exagération. Il regarda cette patte couverte d'écailles rouges qui semblaient aussi brillantes et dures que les pointes des flèches des guerriers du froid. Le battement puissant des ailes du dragon les emmena vers le haut du mont. Le dragon avec sa charge, atterrit avec légèreté devant une grotte au-dessus du chemin que Bistasio et ses tiburs avaient suivi. Bistasio se retrouva debout à l'entrée d'une grande grotte.
- Je n'aime pas le goût des loups.
Bistasio regarda, sidéré, le dragon qui nettoyait ses griffes. Sa voix était aussi douce que lui était gros.
- As-tu un nom être debout?
- Je m'appelle Bistasio.
- Tous les êtres debout ont-ils un nom, être debout Bistasio?
- Oui, enfin je crois, je n'ai connu personne sans nom.
- Ta réponse est intéressante, être debout Bistasio. Toutes les choses et tous les êtres ont-ils un nom?
- Non, par exemple, mon snaff a un nom, les tiburs ont un nom, mais les clachs de la montagne, les loups, les arbres n'ont pas de nom propre.
- Et moi, alors, être debout Bistasio, quel nom me donnes-tu?
- Vous êtes un dragon.
- Est-ce un nom propre, être debout Bistasio?
- Non.
- Alors pour toi, je suis comme un loup ou un tibur.
- NON!
- Je sens ta peur, être debout Bistasio. Dans le lieu où tu habites, tout le monde a-t-il un nom?
- Oui, dans la ville, tout le monde a un nom.
- Des gens étrangers sont arrivés avec la neige là où tu habites. Avaient-ils un nom?
- Oui, mais je ne le connaissais pas. Le prince étranger le connaissait.
- Alors je pourrais avoir un nom que tu ne connaîtrais pas.
- Oui, Maître dragon.
- Tu m'appelles maître, être debout Bistasio. Est-ce un nom?
- Non, c'est parce que vous êtes au moins aussi fort et aussi puissant que le maître de ville qui nous dirige.
- L'enfant des étrangers avait-il un nom?
- L'enfant est mort, Maître dragon.
- Ta parole est vraie et pourtant elle contient le mensonge, être debout Bistasio.
Le dragon qui avait la tête à hauteur du visage de Bistasio, se releva brusquement. Il se tourna vers l'extérieur et souffla brutalement le feu dans la pente. Bistasio sursauta et se mit à trembler. A discuter avec le dragon, il en avait presque oublié le danger.
- Je n'aime vraiment pas ces loups, dit le dragon en se retournant vers Bistasio. On parlait de mensonge, être debout Bistasio.
Bistasio se sentit se liquéfier sous l'œil couleur or du grand saurien. Il lui raconta tout ce qu'il savait sur tout et tous.

mercredi 25 juillet 2012


Les deux groupes avaient fait leur jonction. Zothom était pâle mais tenait debout. Les deux konsylis tinrent conseil. Avec un blessé, ils ne pourraient aller aussi vite qu'ils le désiraient. Ils décidèrent d'envoyer Mlaqui en avance pour prévenir le prince. Deux hommes partiraient avec Zothom par la voie des crêtes, où les montures ne pouvaient pas aller. Les sept autres allaient retarder la traque autant que possible. Tout dépendait du nombre d'ennemis derrière eux. Profitant de la nuit assez claire, ils se mirent en marche. Zothom fut bientôt hors de vue.Endurant et rapide, si tout allait bien, il serait près du prince dans trois jours. Ils avaient le temps de préparer les pièges. Prudents, ils avaient reconnu les chemins en descendant.

L'officier ne décolérait pas. Deux morts, il avait eu deux morts et pas un ennemi de tué. Des traces de sang laissaient penser qu'il y avait eu un blessé. Le pisteur avait parlé de deux traces. Ses cavaliers mis à mal par des piétons. Cela le mettait en rage. Il ne pouvait laisser cela comme ça. Ses ordres étaient clairs. Il était là pour faire régner l'ordre du roi Yas. Après des années de guerres, il avait pacifié la plaine sous son autorité. Maintenant, il avait décidé d'envoyer ses troupes explorer et sécuriser les marges du royaume. Tzenk avait été détaché avec deux cents hommes pour reconnaître cette vallée. Pauvre et peuplée de paysans, plus préoccupés de survivre que de se battre, ils avaient remonté la vallée sans rencontrer la moindre résistance. Il avait entendu parler de Tichcou à plusieurs jours de marche comme étant la capitale de la région. Il y a deux jours, ils avaient rencontré des émissaires de ce gros bourg. Avec force courbettes, ils avaient invité les guerriers du grand roi à venir dans leur humble village pour s'y reposer. Tzenk avait souri devant tant d'obséquiosité. Accompagné de cent cavaliers, il avait fait route vers cette bourgade. Il devait juger si elle se prêtait mieux que le plateau qu'il avait repéré pour mettre un fort. Pendant son absence, les hommes restant devaient commencer les travaux pour un fort. Il avait renvoyé le chef du village qui n'arrêtait pas de s'excuser et de se disculper. Il avait failli le gifler. Il était évident que l'attaque ne venait pas de ces mous. Ce n'est pas avec leur ridicule milice de quinze hommes mal armés qu'ils auraient fait cela. Non, il avait en face de lui des guerriers, des vrais, entraînés, rapides et bien armés. Leurs flèches étaient curieuses. Des empennages en écorce, alors que partout dans la plaine et ici à Tichcou, ils utilisaient des plumes. Les légendes parlaient d'hommes étranges venus du froid. Guerriers redoutables, aux armes inhabituelles, ils avaient été surnommés les barbares blancs. Il regardait pensivement les plumes en écorce noire et blanche, un code de reconnaissance probablement. Leur forme vrillée était curieuse. Il n'avait jamais vu cela. La pointe était triangulaire, faite dans une matière noire et brillante. Les bords tranchaient mieux que les meilleures pointes des armuriers du royaume.
- Ils ne doivent pas être grands.
Tzenk se retourna pour regarder celui qui avait parlé.
- Non, sergent, l'allonge est courte, trop courte pour les gens d'ici et leurs grands arcs.
- Que fait-on? On part les traquer ?
- Oui, sergent. Les ordres du roi sont formels. Il faut sécuriser la zone. Faites-moi venir quelqu'un qui connaît bien la région. On va avoir ces barbares et leur faire payer cher. Dites aussi aux hommes que nous partirons demain à l'aube, cinq jours de vivre. On laisse vingt hommes ici.
Le sergent fit demi-tour après avoir salué.
- Ah ! Sergent, envoyez aussi un émissaire prévenir le reste de la troupe.

Une odeur chatouillait les narines du dragon. Qu'elle était agréable cette odeur! Plus, c'était un appel impérieux. Il se mit en vol. Sortant de la vallée, il trouva les courants du vent. Il repéra la direction d'où venait cet effluve merveilleux. Se laissant planer pour retarder le moment de la rencontre, il contempla le paysage en dessous de lui. Il repéra l'être debout Kyll. Celui-ci était assis sur un rocher semblant dormir. Malgré l'envie pressante qui sollicitait son odorat, il descendit.
Quand il se posa, Kyll lui jeta un regard curieux.
- Ton esprit est là mais ton corps est ailleurs, être debout Kyll.
- Je te vois aussi nettement. Je te croyais dans le monde réel.
- J'y suis aussi.
- Ainsi un dragon est entre les deux mondes.
- Non, être debout Kyll, je suis pas entre les deux mondes, je suis dans les deux mondes. Où est ton corps?
- Dans la caverne où j'habite, gardé par mes amis.
- C'est une bonne chose, être debout Kyll, comme cela tu ne risques rien avec les loups.
- As-tu toujours ta question?
- Oui, être debout Kyll. Dans la ville d'où tu viens, y a-t-il eu des faits inhabituels?
- Un dragon est arrivé.
Kyll sursauta en entendant rire le dragon.
- Tu dis de drôles de vérités, être debout Kyll. Maintenant je sais, dit le dragon en prenant son envol.
- Que sais-tu ? hurla Kyll.
- Qu'il est chez vous, lui répondit le dragon sans se retourner.

Mazoména et Ivoho venaient de finir le piège. Ils étaient assez contents d'eux. Ils repartirent en petite foulée. Le reste du groupe était plus loin en train de préparer d'autres pièges. Ils avaient mis les tomcats. Ils n'avaient aucun désir d'être pris pour des ennemis.

Tzenk et son détachement étaient partis en chasse à l'ennemi. Les attaquants avaient dû venir de la ville à trois jours de marche plus loin. Le maître de ville de Tichcou lui avait décrit cette bourgade comme une ville pauvre à la limite des terres désolées et froides. Elle avait un nom imprononçable.
Les habitants y vivaient dans une quasi-autarcie d'élevage, d'un peu d'agriculture et de mapche ou de quelque chose qui se prononçait comme cela. Il n'y avait pas d'échanges avec eux ou très peu. En échange de quelques têtes de bétails, ou de peaux de trappeurs, ils récupéraient ce qu'ils ne pouvaient pas faire. Depuis des générations, à Tichcou, on considérait que cette ville était un cul-de-sac pour ceux qui fuyaient la vie.
Le chemin était assez bien tracé, mais difficile pour les bêtes. Parfois étroit, il obligeait les cavaliers à avancer un par un. Un premier groupe faisait office d'éclaireurs. Tzenk et un sergent réglaient les détails de la marche en tête du détachement principal quand il vit arriver un cavalier.
- Commandant ! Commandant ! Venez voir.
Tzenk éperonna sa monture. L'homme avait fait volte-face et galopait dans l'autre sens. Après un millier de pas environ, Tzenk vit ses hommes, l'arc bandé ou l'épée à la main, en position de défense. Il démonta et l'arme à la main, courut les rejoindre.
- Que se passe-t-il sergent ?
Celui-ci pour toute réponse lui montra l'avant de la colonne. Il vit deux corps littéralement empalés, suspendus au-dessus du chemin.
- Qu'est-ce...
- Nous avancions, mon commandant, avec les précautions d'usage. Après un passage étroit, comme vous avez vu, nous reprenions le petit trot dans cet espace plus large quand c'est arrivé. Les pièges sont terriblement efficaces. Viant pistait et ce n'est pas, enfin ce n'était pas un débutant. Il n'a rien signalé avant de prendre l'épieu en travers du corps. Le sergent se releva doucement.
- Les éclaireurs reviennent. Ils font signe qu'il n'y a plus de danger.
Tzenk se releva en jurant. Il rengaina son arme et alla voir le lieu du drame. Il observa en connaisseur le piège.
- Ces salauds s'y connaissent, jura-t-il entre ses dents.
Deux hommes de moins, quatre depuis leur arrivée à Tichcou, alors qu'il n'y avait eu qu'un blessé par chute avant ça. La chasse allait être beaucoup plus dangereuse qu'il ne le pensait. Dans cet environnement, les montures n'étaient pas vraiment un atout.
Il ordonna d'enterrer les hommes et de continuer à pied. Il répartit les hommes en différents groupes pour une avancée en ordre dispersé pour éviter d'autres pièges.
- Ils ne doivent pas être très nombreux. Ils nous affaiblissent en évitant la confrontation. Sergent, dès que vous avez réparti vos hommes, reprenez la progression. Il nous les faut !

Le reste de la journée ne vit pas d'autre victime mais plusieurs alertes. Une seule fut vraie. Sur le chemin, personne n'avait rien remarqué. Ce furent les éclaireurs qui marchaient dans les buissons du bord de la route qui mirent en évidence les lianes du mécanisme. Le sergent laissa un homme et continua. Le regroupement se fit le soir. Une clairière accueillit hommes et bêtes. Tzenk doubla les sentinelles et imposa des postes de garde. Les soldats pour une fois ne manifestèrent pas leur mécontentement et allèrent couper les branches d'épineux pour faire des sortes de guérites pour les gardes. Quand il y eut un sifflement caractéristique d'une flèche, tout le camp fut en alerte.
A la lueur de la lune, tout le monde se mit en position de défense. On essaya de voir d'où venait l'attaque. Des flèches partirent en direction de bruits plus ou moins furtifs dans le sous-bois environnant. Tzenk comme les autres, chercha l'ennemi. Le reste de la nuit fut long mais calme. Quand le jour se leva, Tzenk fit le tour du camp. On lui signala deux blessés par des flèches amies et on lui montra la flèche à empennage en écorce plantée dans une de ses sacoches. De nouveau il jura. Les légendes avaient raison. Ces barbares étaient des diables.
La colonne reprit sa progression, les hommes toujours à l'affût malgré la fatigue, découvrirent assez facilement deux pièges. Le troisième fut fatal au pied d'un éclaireur. Occupé à chercher les pièges pour cavaliers, il ne vit pas la fosse remplie de petits pieux acérés...
Tzenk sentit la tension monter encore d'un cran dans son détachement. Il entendait certains décrire les tortures qu'ils prévoyaient pour leur faire payer ça. Durant la journée, ils détectèrent une dizaine de chausses-trappes. Le soir tomba sans qu'il trouve un bon endroit pour s'arrêter. Avec la nuit, la peur augmenta d'un cran. Pour le pisteur, les ennemis ne devaient pas avoir beaucoup d'avance sur eux. Préparer des traquenards demandait du temps. Cela voulait dire aussi, qu'ils ne fuyaient pas mais se repliaient en bon ordre. Tzenk avait conscience de ce fait. Les traces ne montraient pas une grosse troupe, une dizaine tout au plus. Il était sûr de pouvoir en venir à bout. Une question restait. Cela pouvait être une simple bande en razzia, mais cela pouvait être aussi les éclaireurs d'une armée. Il en discutait avec le lieutenant quand une des bêtes s'effondra dans un bruit sourd. Une flèche vibrait encore entre ses deux yeux. Tous les feux furent couverts, toutes les lumières éteintes. Dans le silence, on entendit distinctement le sifflement de la flèche et le râle sourd de l'homme quand il la reçut. Tzenk entendit plusieurs de ses hommes tirer dans la direction d'où venait le trait. Rien ne se passa. Une autre flèche vola. Il y eut un autre blessé.
- Ce n'est pas possible, mon commandant ! Il voit la nuit !
- Qu'on envoie une flèche enflammée !
Un des hommes fit ce que demandait le commandant. Le trait de lumière partit et alla se planter dans un tronc à cinquante pas de là. Alors qu'il volait, une autre flèche vint en retour pour se planter dans le bras de l'archer.
- Là, dans l'arbre, une silhouette !
Aussitôt une dizaine de flèches partirent dans cette direction. On entendit les chocs d'impact. Il y eut des bruits de branches cassées, de feuillages remués. D'autres flèches partirent mais l'obscurité avait englouti l'ombre entrevue. D'autres flèches enflammées furent tirées, bientôt un cercle de lumière vacillante entoura le bivouac.
- Heureusement que la forêt est humide, continuez à tirer qu'il ne puisse pas recommencer.
Quand une flèche s'éteignait, une autre était tirée. Tzenk fit un tour de quart pour les hommes. Lui-même alla se reposer pendant que le lieutenant prenait la première veille. Il entendit les cordes vibrer au départ des flèches. C'est le cri qui le réveilla. Se levant d'un bond, il regarda autour de lui. Le cercle de lumière était complet et pourtant un de ses hommes venait de s'écrouler. Tzenk jura. Non seulement, ils semblaient ne pas être gênés par le noir, mais en plus leurs arcs dépassaient ceux de son armée. Tout le monde s'était mis à couvert. Derrière le cercle de lumière, les feuillages bougèrent, puis le silence se fit. Tous les cavaliers étaient aux aguets. Le reste de la nuit fut long, très long.

Ivoho rejoignit le groupe sur le petit matin.
- Ils n'auront pas beaucoup dormi cette nuit.
- Toi non plus, dit son konsyli. Pars en avant, va jusqu'à la barrière rocheuse, là repose-toi. Nous allons les occuper pendant ce temps.
Ivoho partit au petit trot.
- Ils vont être fatigués, dit un konsyli.
- Oui, mais nous arrivons sur le premier plateau et là nous sommes désavantagés.
Le groupe avait repris sa progression. La vallée s'élargissait en un espace presque plat. On avait là les plus lointains pâturages du village. L'herbe y était belle. Des vastes terrasses aménageaient l'espace. Les cavaliers retrouveraient l'avantage des montures rapides. Pour les piétons qu'ils étaient, la zone était dangereuse. Ils traversèrent une série de plateformes. Il n'y avait pas beaucoup de possibilité d'arrêter une charge, de nombreux passages joignaient chaque niveau.
Courant toujours, ils traversèrent un bois et atteignirent une zone plus raide aux terrasses plus étroites. Les murs étaient beaucoup plus hauts et ne pouvaient être franchis par les cavaliers que par des rampes qui alternaient d'un côté et de l'autre. Pour les marcheurs qu'ils étaient, des échelles de pierre leur permettaient de gagner du temps. Ils décidèrent de piéger les rampes du haut...

- Cette forêt ne finira-t-elle jamais?
En posant cette question le sergent résumait l'état d'esprit des soldats. Obligés de marcher à pied, fatigués par les veilles nocturnes, l'humeur de la troupe n'était pas bonne. Il fallait progresser lentement pour éviter les pièges. La moitié de la matinée était passée sans que le moindre piège ne soit trouvé. Les éclaireurs signalèrent le changement de topographie. Tzenk arriva au bord de la forêt. Manifestement, ils arrivaient à proximité de la ville du haut. Ces terrasses n'étaient pas naturelles. En pente douce avec des petits murets de soutènement, elles devaient servir de pâtures ou de champs. Il n'y avait pas de trace d'utilisation récente, mais à cette altitude, la neige persistait encore en de nombreux endroits. Les paysans du coin n'avaient pas dû encore venir ici. L'espace dégagé, l'absence de possibilité de piège fit remonter le moral. Tzenk envoya des éclaireurs vers le bois visible au loin. Lui-même attendit le gros de la troupe.
Les cavaliers se remettaient en selle quand un messager arriva.
- Ils sont là ! Ils sont là ! criait-il.
Tzenk sentit l'adrénaline monter dans ses veines. Les éclaireurs avaient vu un petit groupe, cinq personnes, sur l'autre groupe de terrasses. Ils semblaient en train de creuser une fosse dans une des pentes de jonction.
- Allons-y mais en silence !
Le groupe avança rapidement. Les bêtes et les hommes piaffaient. Ils arrivèrent au bois. Tzenk fit installer sa troupe en ordre d'attaque. Il vit avec plaisir que malgré la fatigue, ils n'avaient perdu ni leurs habitudes, ni leur combativité. A travers les branchages, il voyait les cinq hommes creusant le sol. Il vit dans leur dos les arcs courts, il vit le faisceau des lances un peu en retrait.
Un éclaireur s'approcha de lui et murmura:
- Je n'ai vu aucun autre ennemi...mais on ne voit pas après la quatrième terrasse.
- Faites passer : que trente hommes nous nettoient cette racaille.
Les trente premiers cavaliers se préparèrent.
En entendant le bruit sourd des sabots battant le sol, les cinq guerriers ennemis se redressèrent. Tzenk admira l'entraînement. Il n'y eut aucune hésitation. D'un même mouvement, ils prirent chacun leurs deux lances courtes et se précipitèrent vers le mur de la terrasse suivante et... l'escaladèrent.
C'est à ce moment qu'il repéra les escaliers faits de pierres en saillie.
- Les archers, tirez !
Le groupe de vingt archers qui avait pris position à l'orée du bois, tira une volée de flèches. Aucune n'atteignit son but. Une deuxième volée suivit la première pendant que les cavaliers se rapprochaient au galop. Le dernier à prendre pied sur la terrasse supérieure trébucha sous l'impact et s'étala une flèche dans la cuisse. Les quatre autres se mirent en position et tirèrent sur le détachement qui passait en dessous de leur position. Tzenk jura quand il vit trois hommes blessés et une bête qui s'effondra entraînant son cavalier. Les guerriers ennemis n'avaient pas attendu. Repartant vers la terrasse suivante, ils escaladèrent les marches de pierre, aidant leur blessé qui continua vers l'amont. La charge ne s'arrêta pas au bout de la terrasse, mais prenant la pente, les bêtes lancées au galop continuèrent leur progression dans l'autre sens sur la terrasse supérieure. Pendant ce temps, les archers envoyaient volée de flèches sur volée de flèches, mais la distance les rendait très imprécises. De nouveau, il y eut quatre cavaliers mis hors de combat, un blessé et trois chutes. Le scénario se reproduisit. Tzenk voyait le blessé monter de terrasse en terrasse pendant que les quatre autres tiraient sur les cavaliers. Au troisième passage, un des cavaliers, avait délaissé sa lance et pris son arc. Il blessa un ennemi. Tzenk cria sa joie. On voyait l'homme, une flèche dans le flanc, tenter de rejoindre l'escalier suivant. La charge le cueillit alors qu'il avait gravi deux marches. Tzenk entendit son cri d'agonie, et il vit disparaître les autres. Au-dessus qu'y avait-il?
- A tous les hommes, chargez !
Tous les hommes éperonnèrent leurs montures. Tzenk compta sept terrasses. Le premier groupe était sur la quatrième quand lui était sur la première. Trop près des murs, il ne voyait pas ce qu'il se passait au-dessus. Il poussait sa monture au maximum de ses possibilités. Arrivé sur l'avant dernier degré, il tira sur les rênes de toutes ses forces en voyant le premier groupe d'attaque redescendant avec des blessés. Des hampes de flèches sortaient des corps effondrés sur les encolures. Tzenk compta une quinzaine de cavaliers. Il démonta quasiment au vol et saisissant son arc, il escalada les marches de pierres saillantes pour voir au-dessus. Les autres soldats firent de même sur les différents escaliers répartis le long du mur des terrasses. Ils découvrirent un long espace vide, au milieu duquel des montures erraient sans cavaliers. Quelques corps étaient allongés par terre hérissés de flèches. Il y avait trop de flèches pour quatre hommes ou même pour dix.
C'est alors qu'il les vit.

Quiloma était heureux d'être arrivé à temps. Dès que Mlaqui lui avait fait son rapport, il était parti avec tous les hommes disponibles. C'est au pas de course avec une double charge qu'ils avaient couvert le chemin qui descendait vers Tichcou. Arrivés à la première barrière rocheuse, ils avaient découvert les terrasses en contre-bas. Le chemin était abrupt et les cavaliers ne pourraient pas le monter facilement. C'était un endroit idéal pour installer une défense. Il commençait à faire les préparatifs quand il vit arriver Ivoho. Avec ces nouvelles informations, il changea de stratégie. Il laissa deux mains de guerriers pour couvrir leur retraite éventuelle et avec le reste descendit se positionner en bas de la barre rocheuse. Dans les touffes de végétation basse, ils étaient quasiment invisibles. Il vit arriver le blessé, il boitait bas avec une flèche dans la cuisse. Puis ce furent trois de ses hommes, deux konsylis et Mazoména courant à perdre haleine. La terrasse était large, très large, trop large pour qu'ils distancent les montures qui venaient de faire leur apparition à une des extrémités de la terrasse. Quiloma prit son arc, immédiatement imité par les vingt guerriers. La charge fut stoppée par une grêle de flèches aux pointes acérées avant qu'elle ne puisse atteindre les trois fuyards. A la première volée, ils s'étaient même arrêtés pour tirer à bout portant sur les cavaliers surpris. Mazoména évita de peu une lance ennemie. D'un même geste, il avait lâché son arc, tiré ses épées courtes et coupé les jarrets de la bête. Dans le combat au corps à corps qui l'opposa au cavalier tombé, il prit le dessus. Il l'achevait quand Quiloma et une partie des guerriers sortirent pour pousser le cri de guerre des guerriers du royaume du Dieu Dragon.
Quiloma vit les archers monter sur le mur de la terrasse. En voyant Tzenk, il fut certain de voir leur chef. L'uniforme chamarré se détachait du lot. A sa ceinture la longue épée reflétait trop bien les rayons du soleil. La garde en était manifestement ouvragée et décorée. Pour ses ennemis, Quiloma ne présentait pas de signe visible. Son anneau au doigt et les quelques traits de couleurs sur son uniforme couleur de forêt, le rendait semblable aux autres. La situation était pour le moment bloquée. Les arcs ne portaient pas assez loin, des piétons contre des cavaliers n'avaient aucune chance, d'autant plus qu'ils n'étaient que quatre mains de guerriers alors que Mlaqui avait parlé de deux fois dix mains de cavaliers. Il fit un geste et tous regagnèrent l'abri des arbustes.

Tzenk vit le mouvement. Ce petit homme devait être le chef de la bande. Pour le moment la situation était bloquée. Tzenk se doutait qu'il n'avait pas vu tous les hommes cachés dans les buissons de l'autre côté de la terrasse. Il lui fallait avancer mais vu la puissance de tir et la précision des archers, il allait y avoir beaucoup de victimes. Il fit faire un essai à ses archers. Des flèches furent tirées le plus loin possible. Elles se plantèrent plus de vingt pas avant les buissons. Tzenk vit un des guerriers d'en face sortir de son abri pour venir chercher la flèche et la ramener à son chef. Bientôt, il vit un archer s'avancer de vingt pas sur la terrasse herbeuse. Il visa soigneusement, leva son arc et tira. La flèche vint se planter à moins d'un pas devant lui.
- Nous défie-t-il, mon Commandant?
- Je ne sais pas, lieutenant. Mais leurs arcs sont plus puissants que les nôtres. Nous ne pourrons pas faire partir la charge de cette terrasse, il faudra commencer la course dans la pente. Nous devrions pouvoir les charger avant la nuit et nettoyer cette racaille. Je pense qu'ils se croient à l'abri dans leurs buissons, mais nous allons leur montrer comment les tracks chargent. Ils n'auront pas le temps de tirer plus de deux flèches que nous serons sur eux. Faites préparer les hommes.

Quiloma vit l'officier disparaître dans les escaliers vers la terrasse inférieure. Il fit le geste de rassemblement. Les konsylis arrivèrent.
- S'ils tentent quelque chose, c'est maintenant. Après la nuit sera trop proche. Leurs montures semblent rapides. Il faudra tirer plus vite que d'habitude. Nous sommes quatre mains, ils sont deux fois dix mains. Avec ceux que vous avez éliminés nous allons nous battre à quatre contre un. Préparez-vous.
Se tournant vers le chemin, il fit signe à Zothom.
- Préviens les deux mains restées au-dessus. Si nous sommes vaincus, il leur faudra tenir le plus longtemps possible et envoyer un message au Prince Majeur.
Il regarda Zothom, escalader le chemin en boîtant. Ils n'avaient pas eu le temps de retirer la pointe de la flèche de sa cuisse. Quiloma pensa à la Solvette. Il aurait bien aimé continuer un bout de chemin avec elle. A quatre contre un, la chance était faible. Reprenant sa place, il cria et tous les guerriers reprirent en chœur:
- Pour la gloire du Dieu Dragon, qu'il nous vienne en aide.

Tzenk entendit leur cri pendant qu'il ajustait la selle de son tracks.
- Entendez comme ils tentent de cacher leur peur. Sa majesté le roi Yas compte sur nous pour nettoyer cette contrée. Faites-lui honneur!
Cent bouches crièrent leur envie de tuer. Les tracks s'énervaient de l'ambiance. Ils allaient pouvoir galoper et c'est tout ce qui comptait pour eux. Quand ces lourdes bêtes se mettaient en action, la terre tremblait sous leurs sabots. Tzenk savait qu'ils seraient à leur pleine vitesse avant d'avoir parcouru la moitié de la terrasse. Il ajusta son armure, ses jambières puis monta en selle. Dégainant son épée, il fit un signe à sa troupe. Tous les hommes furent en selle en un instant. Ils se rangèrent cinq par cinq pour se lancer dans la pente. Ils savaient qu'ils se déploieraient pendant la charge. Quand Tzenk abaissa son épée en hurlant l'ordre de charger, un grondement sourd prit naissance.

Quiloma sut avant de les voir qu'une charge arrivait. Il avait senti les vibrations du sol. Ce fut comme un flot qui jaillit de la pente. Une première volée de flèches fut tirée, pour aller loin. Elle ne fit pas beaucoup de dégâts. Les archers n'attendirent pas de savoir ce qu'elle avait fait pour envoyer la deuxième. La troisième serait en tir tendu pour stopper le plus de bêtes. Avec un peu de chance il y aurait une quatrième salve, et puis ce serait le combat rapproché.
Attrapant sa troisième flèche, Quiloma l'encocha et arma. Son bras retomba.

L'odeur, la merveilleuse odeur se rapprochait. Volant assez haut pour en suivre les effluves, le dragon, de son œil perçant en vit l'origine. Un troupeau de clachs comme disait l'être debout Kyll. Il plongea. Son arrivée sur la pâture provoqua la panique dans le troupeau. Non, ce n'était pas des clachs, ou alors des clachs des plaines. Il fut étonné de les voir montés par des êtres debout. Lancées au galop, les lourdes bêtes ne pensèrent qu'à une chose en voyant et en sentant le dragon : fuir, fuir le plus vite et le plus loin possible. Le dragon vit les hommes tenter de maintenir leur monture sans y parvenir. Déjà la moitié des cavaliers était à terre, et les autres avaient fui. Seul restait en selle celui qui tenait ce qui l'avait attiré. Le dragon vit l'or de l'épée ainsi que la pierre qui l'ornait. Il ne les vit pas vraiment, car l'être debout tenait la chose à deux mains. Il en vit l'aura de son désir. D'un coup de patte, il désarçonna le cavalier. Ce dernier fit un roulé-boulé et se mit hors de portée. Le dragon, tout occupé par sa recherche, ne prêta pas attention aux hommes qui arrivaient la lance à la main pour défendre leur officier. Quand la première lance s'enfonça dans son aile le dragon poussa un cri. Il tourna la tête et vit ces êtres debout, tout de rouge auréolés, voulant sa mort. Il hurla sa colère vis-à-vis d'eux. Ils insistèrent d'autres lances se plantèrent. Bougeant frénétiquement les ailes, il déstabilisa la majorité de ses agresseurs. L'homme à l'épée s'était remis debout. L'odeur, l'odeur était là, à portée de lui. Le dragon sentit la rage monter en lui. Il en fit son souffle brûlant. Ce fut sa première flamme. Lui-même en fut surpris. Cette nuée ardente ne laissa aucune chance aux hommes qui l'attaquaient. Il n'y eut plus sur la terrasse que des morts, un dragon et un officier debout. Ce dernier avait récupéré un des lourds boucliers de bois sur un tracks mort. Il faisait face. Il savait qu'il n'avait aucune chance mais il faisait face. Tous ses hommes étaient morts ou en fuite, en face de lui un monstre de légende plein de rage. Il allait mourir mais pas sans combattre. Il se précipita en avant en se disant qu'il risquait moins le feu en étant contre la bête. Son épée s'abattit sur un des doigts du dragon. Sous le choc, le dragon rentra une griffe, mais explosa une partie du bouclier. L'autre partie disparut dans sa gueule quand l'homme s'en servit pour se protéger. Un coup de griffe le déchira dans le dos descendant jusqu'à sa cuisse. Tombant à genoux, il leva une dernière fois son épée mais le dragon de son autre patte le cloua au sol. Détachant l'épée de la main, il jouit de la possession de ce nouveau trésor. Cette chose avait moins de puissance que son anneau précieux, mais son odeur en était plus qu'agréable. Il pensa que ces êtres debout qui avaient de l'or et des pierres étaient peut-être une source pour compléter son trésor. La douleur commença à se réveiller. Lui revint en mémoire la douleur quand il avait conquis l'anneau. Trouver des trésors devait-il être toujours douloureux? C'est à se moment qu'il les remarqua. D'autres êtres debout sortaient des buissons, armés eux aussi.
Le dragon gronda. Un être debout s'avança. Il mit un genou en terre et levant les bras montra un bâton rouge. Le dragon sentit un bâton de pouvoir. Manifestement, il n'était pas entier et manquait de puissance, mais celui qui l'avait fait savait ce qu'il faisait.
- Qui es-tu, être debout?
- Quiloma, prince neuvième du Grand Royaume, détenteur d'un des fragments du Maître Bâton.
- Viens-tu du pays de l'être debout Mandihi?
- Le marabout Mandihi est un grand maître dans le Grand Royaume.
- Tu ne sens pas l'or, être debout Quiloma. Pourtant j'en sens encore.
- Les hommes qui t'ont attaqué, maître Dragon, en possèdent. Ils s'en servent comme monnaie.
- Ne recherches-tu pas l'or, être debout Quiloma?
- Non, maître Dragon, mon peuple est pauvre d'or mais riche du service auprès de ceux qui sont comme toi. Désires-tu que nous soignons tes blessures?
- Sais-tu soigner les dragons?
- Notre peuple a cette connaissance et il me l'a enseignée.
- Alors, être debout Quiloma, j'accepte.
Quiloma s'approcha du dragon, il admira sa couleur. Du rouge se glissait dans sa robe juvénile. Les flammes qu'il avait produites, devaient être récentes. Le dragon n'était pas mature mais il avait maintenant ses capacités d'adulte. Quiloma fit signe à ses hommes de ramasser l'or qui pouvait rester sur les combattants morts, ainsi que ce qui pouvait être utile. Pendant qu'ils s'éloignaient avec quelques guerriers, il débarrassa les ailes du dragon des pointes de lance qui y étaient fichées. L'œil jaune les fixait. Sortant un baume de son sac à dos, Mlaqui entreprit de masser les plaies. En entendant le sourd ronflement qui sortait de la gorge du dragon, il s'arrêta. Quiloma lui fit un geste impérieux. Mlaqui reprit son ouvrage en jetant des regards pas très confiants vers le dragon qui fermait à moitié les yeux. A voix basse, Quiloma lui dit :
- Il est content, il ronronne.
Cela ne dura pas, levant brusquement la tête, il gronda :
- Je sens l'or et certains y touchent !
- Oui, maître Dragon, nous servons les dragons depuis des générations. C'est pour cela qu'il n'y a pas d'or chez nous, il vous est réservé. Comme le dit notre Règle, nous allons collecter ce qui est trop petit pour le maître Dragon. Vois celui qui tisse le panier qui te permettra de l'emporter jusqu'à ton domaine.
- J'espère pour toi, être debout Quiloma, sinon mon courroux sera grand.
- T'ai-je menti, maître Dragon?
- Pas encore, être debout Quiloma, mais je reconnais que tes soins sont forts appréciables.
Le dragon se laissa faire sans pour autant quitter des yeux, ceux qui récupéraient armes, bagages et or sur les dépouilles.
- Là-bas, des êtres debout nous regardent, dit le dragon.
Quiloma regarda vers l'extrémité de la terrasse. Des têtes semblaient surgir du mur pour redisparaître.
- Ils ne reviendront pas, maître Dragon. Pas tant que tu es là.
Les premiers guerriers revinrent déposer des pièces d'or sous le museau du dragon. Celui-ci ne les quittait pas des yeux. Sa haute stature dominait toute la terrasse. Pendant que Mlaqui et Quiloma prenaient soin de ses ailes, les autres rassemblaient les corps des morts en un seul tas.
- Nous avons fini, maître Dragon. Notre Règle dit que les dragons brûlent le corps des ennemis morts. Veux-tu procéder ainsi?
- N'y a-t-il plus d'or à récupérer ?
- Tout est dans le panier. Veux-tu que je mette l'épée avec?
- Fais ce que tu dis, être debout Quiloma, je vais me restaurer, ces clachs des plaines semblent appétissants.
Sous le regard effaré du lieutenant de Tzenk qui regardait, le dragon engloutit l'une après l'autre plusieurs carcasses de tracks. Il le vit revenir vers les corps de ses compagnons que les barbares avaient mis en tas. Il ne put retenir un cri quand il vit que le souffle brûlant du monstre consumait les dépouilles. Ne pouvant en supporter davantage, il donna l'ordre de repli aux survivants. C'est de leur récit que les vieilles légendes purent se nourrir pour reprendre force. Le roi Yas fit même venir le lieutenant à sa cour pour avoir le rapport d'un témoin oculaire. Ayant d'autres priorités qu'une vallée perdue, il n'envoya qu'une petite troupe avec pour mission d'ériger un mur pour couper la route aux barbares. C'est à cette époque que surgit à nouveau la légende qui promettait gloire, puissance et royaume à celui qui serait vainqueur du dragon. Dans la tête de nombreux chevaliers de la cour du roi Yas, naquit le désir d'aller occire ce monstre.

dimanche 22 juillet 2012


Les habitants avaient emmené les troupeaux vers les pâturages extérieurs. Sous la direction du prince extérieur, ils s'étaient mis à renforcer la palissade par endroit. Ils ne comprenaient pas pourquoi à tel endroit ou à tel autre mais Sstanch approuvait, donc Chan approuvait. Les sorciers avaient dit de ne pas avoir peur et de suivre les instructions. Les habitants râlaient, un peu mais s’exécutaient. Les premiers jours, tout se passa calmement. Puis il y eut la première attaque. Un gardien de tiburs revint affolé. Il était à une journée de marche de la ville. Il raconta comment le dragon avait emporté un des tiburs et dispersé les autres. Il y eut des discussions sans fin entre les chefs de maisons. Fallait-il prendre le risque de les laisser dans les pâturages ou le risque de les ramener dans la ville ? Chacun y alla de ses arguments et de ses raisonnements. Ce fut le prince des extérieurs qui trancha. Il fit venir le gardien. Avec Muoucht, il l'interrogea. Il ne fut pas satisfait. Il avait bien senti la peur de l'homme. Plus il l'interrogeait et plus l'homme paniquait. Ses réponses devenaient confuses et sans valeur de témoignage. Sstanch qui était présent, lui conseilla de demander à la Solvette pour que l'homme soit moins effrayé.

- L'as-tu interrogé?
- Même pas, il avait trop besoin de raconter sa rencontre.
La Solvette avait servi une tasse d'infusion à Quiloma.
- Tu as mauvaise mine. Tu te fatigues trop, dit-elle.
- Si une armée arrive, il faut que nous soyons prêts. Mais parle-moi du dragon.
- Le gardien de tiburs était sur la pâture de la combe verte. Il faut une journée de marche vers le soleil couchant pour l'atteindre. Non loin de là, il y a la cascade de la rivière Sianpô qui débouche d'une gorge inaccessible. Il a cru que la montagne bougeait. En fait c'était le dragon. Celui-ci volait assez haut. Pourtant le dragon a piqué vers lui dès qu'il l'a vu. Le gardien s'est précipité à terre, croyant sa dernière heure arrivée. Le dragon l'a survolé mais s'est attaqué à un tibur, un jeune et l'a emporté dans les airs.
- Il a vu vers où il est reparti?
- Il pense qu'il volait vers les gorges de la Sianpô. Il avait trop peur pour bien regarder, mais c'est par là qu'allait le dragon.
- Il a peut-être son refuge par là. Il faut que j'y envoie des hommes, dès que sera réglé ce qui nous vient.
- Ce dragon est-il aussi important que cela?
- Plus que cela. Il n'y a plus de dragon depuis des saisons. Un dragon... Un dragon c'est la présence du dieu Dragon sur terre. Si le dieu Dragon revient...
Les yeux de Quiloma brillaient de toute la force de leur espérance. Il n'avait pas les mots pour décrire ce qu'il attendait d'un tel avènement. La Solvette n'avait pas besoin des mots pour comprendre ce qu'il ressentait. Elle vibrait en résonance du frisson qui le parcourait.
- Veux-tu que je demande aux charcs d'aller voir ce qui se passe dans cette vallée?
- Tu pourrais?

Le konsyli déploya ses hommes autour du village de Tichcou. La bourgade était plus grande que celle d'où il venait. Il avait repéré l'autre groupe sur l'autre versant de la vallée. Ils avaient découvert un village qu'ils jugèrent indéfendable. Les remparts n'étaient pas assez hauts, ni en bon état. Méfiants, les groupes restèrent à l'affût à l'extérieur. Ce n'est pas avec dix hommes qu'ils pouvaient investir une ville et ils ne connaissaient pas les forces propres de la milice qui ne devait pas manquer d'exister.
Une première nuit était passée. Une agitation certaine régnait dans ce gros village. On montait des arcs de fleurs coupées et de branches de résineux. Les guetteurs étaient inattentifs à tout ce qui n'était pas sur la route. Les guerriers blancs purent ainsi améliorer leur entraînement dans ce milieu qui ne leur était pas habituel. Mlaqui était tout près de la route quand il vit arriver le détachement de cavaliers. Ils étaient richement vêtus. Mlaqui surplombait la route. Il était allongé sur la mousse, sur le talus, la tête sous des fougères. Les bêtes renâclèrent un peu en passant sous sa position. Les cavaliers jetèrent des regards tout autour mais comme leurs montures ne semblaient pas très inquiètes, ils restèrent en posture de repos. Mlaqui compta les ennemis potentiels et examina leur équipement, épée longue, lance longue, arcs longs mais des flèches mal empennées, des sacoches posées sur la monture mais rien sur leur dos. Il attendit que la colonne ait disparu après le tournant du chemin pour bouger. Toujours aussi discrètement que possible, il regagna le reste de son groupe.
- Alors Mlaqui ?
- Deux fois dix mains de cavaliers. Ils sont négligents. Les harnachements ne sont pas tous complets. Ils sont avachis sur leurs montures, trop confiants. Ils doivent avoir l'habitude de la plaine où leurs bêtes sont des avantages, en forêt, ce sera une autre histoire.
Ivoho prit la parole :
- Je les ai vus entrer dans le village. Ils étaient sur le qui-vive. Je n'aimerais pas les combattre.
- On observe encore un jour et on rentre faire un rapport.
Sur ces mots du Konsyli, chacun regagna son poste d'observation.

La catastrophe eut lieu le lendemain.
Zothom s'était trop approché du village. Il observait le camp des cavaliers quand il entendit le cri. Un des guetteurs du village tendait le doigt dans sa direction en hurlant. Immédiatement un autre guetteur banda son arc et tira. Zothom dégagea à toute vitesse. La flèche se planta à l'endroit qu'il venait de quitter. Deux cavaliers émergèrent sous l'arc de fleurs et de branches en hurlant. Zothom n'avait pas besoin de connaître la langue pour savoir qu'ils hurlaient sus à l'ennemi. Il courait en sachant qu'il ne pourrait pas distancer les rapides animaux. Des yeux, il cherchait la zone la plus dense du bois. Malheureusement, il savait que derrière ce bois, il y avait des champs et là il n'avait aucune chance. Bientôt, il entendit se rapprocher le piétinement des sabots derrière lui. Une flèche passa en sifflant à quelques coudées de sa tête. Une autre flèche siffla. Un galop stoppa. Zothom se retourna et fit face. Un des cavaliers tenait son cou. Un empennage en sortait, deux écorces noires, une blanche. Zothom comprit, un guerrier de l'autre groupe était dans le bois. L'autre cavalier baissa sa lance et chargea. Zothom bougea comme face à un gowaï chargeant. Il ne fut pas tout à fait assez rapide, la lance longue lui transperça le flanc, mais son épée coupa les jarrets de la monture. Le cavalier fit un roulé boulé et se releva en dégainant son épée. Une flèche noire et blanche vint se planter dans sa cuisse. Il hésita mais en cassa le bois et attaqua quand même. Zothom était tombé à terre,coincé par la lance fichée dans le sol. Voyant l'autre hésiter, il coupa la hampe. Il eut juste le temps de se mettre debout avant la première attaque. Il para sans difficulté. Les deux adversaires se firent face. Zothom dit :
- Bon cavalier mais mauvais guerrier !
L'autre lui répondit quelque chose qu'il ne comprit pas. Levant son épée longue, il attaqua. La flèche le cueillit en pleine course. Entrant par un œil, elle le bloqua dans son élan. Il fit un dernier pas et s'effondra à genoux.
- Viens, on n'a de temps à perdre ! D'autres vont arriver!
Zothom se retourna pour voir Ivoho descendre d'un arbre. Passant son bras sous celui de Zothom, ils reprirent la direction des champs. En arrivant près d'un fossé dans lequel courait un ruisseau, ils entendirent des cris et des piétinements assez loin derrière eux.
- Ils ont trouvé les corps, murmura Ivoho.
- Ils vont se mettre en chasse.
- Oui, mais la nuit va bientôt arriver. Ce ruisseau va leur faire perdre nos traces.
Ils repartirent en silence. Non loin de là, ils pouvaient voir des paysans debout s'interrogeant sur les bruits qui agitaient le bois.

jeudi 19 juillet 2012


Les travaux des champs battaient leur plein. Les hordes de Sioultac semblaient loin. Du haut de la tour, Eéri voyait les habitants se démener dans la campagne. Il fallait renforcer les terrasses, planter la première pousse. Il voyait des dos courbés partout. Le prince neuvième les avait ré-équipés. Il était maintenant habillé légèrement. Malgré cela, il trouvait qu'il faisait bien chaud. Il avait gardé ses armes. Il avait essayé les arcs longs et les lances locales, mais avait préféré conserver, comme tous les autres, ses deux lances courtes. Depuis qu'il était là, Eéri avait changé d'opinion. Il était arrivé sûr de sa force et de son bon droit. Il était toujours sûr de sa force, mais avait changé d'avis sur les villageois. Ils ne croyaient pas ce que lui croyait, leurs dieux et leurs croyances étaient différents mais au fond, il commençait à bien les aimer, surtout Cilfrat. Il se rappelait son premier sourire lors de cette grande fête un peu folle, comment elle l'avait entraîné dans un coin paisible. Il n'avait pas compris ce qu'elle disait, mais très bien ce qu'elle faisait. Il avait cru au départ à une exception dans sa vie. Puis il s'était mis à la rencontrer partout, chez le forgeron, chez les différents marchands, parfois simplement elle était là et le regardait. Un soir avec les quelques mots qu'il savait de la langue locale, il lui avait adressé la parole. Elle avait essayé de répondre avec les quelques mots qu'elle croyait savoir dans la langue des guerriers. Il avait été ému plus qu'il ne pensait par sa présence. Ils s'étaient vus plus souvent. Son konsyli l'avait vu et n'avait rien dit. Les gens du village ne semblaient pas hostiles à ce qu'il la voit. Quant au forgeron, il avait toujours un sourire quand il le voyait tourner autour de sa forge.
Eéri pensait à tout cela en guettant du haut de la tour. Il avait pris le troisième quart, quand la journée était la plus chaude. Cela lui libérerait la soirée pour sa promenade en ville vers la forge. C'est son instinct plus que son savoir qui lui fit remarquer ce nuage de poussière. La flèche à empennage rouge et blanc vint se planter à une main de la tête de Gara. Celui-ci la retira du bois et rentra dans le temple.
- Prince, des ennuis en perspective, dit-il en montrant la flèche à Quiloma. Eéri vient d'envoyer une flèche d'alerte.
Quiloma faisait des exercices avec les guerriers sur la place intérieure. Sstanch avait obtenu d'y participer une fois par semaine avec ses hommes. Il vit arriver Gara avec la flèche et comme toujours fut étonné de la promptitude de la réponse des guerriers. Deux mains d'hommes furent prêts dans l'instant et les deux Konzylis vinrent aux ordres. Quiloma les précéda au pas de course. Intérieurement, il sentit la colère monter en lui quand il dut ralentir avant d'arriver à la tour. Il se força à soutenir l'allure. Il monta à la tour, rejoignant Eéri.
- Mon prince, regardez !
Quiloma scruta l'horizon. Vers le village de Tichcou, une colonne de poussière s'élevait près du centre de la vallée.
- On dirait la trace d'une colonne en marche.
Quiloma se retourna pour voir qui avait parlé. Sstanch, la main en visière au-dessus des yeux, regardait au loin. Sa fréquentation des guerriers blancs lui avait permis d'apprendre les rudiments de la langue.
- Des soldats ? demanda le prince.
- Probablement avec des montures pour faire une telle poussière.
- Il faut des renseignements, dit Quiloma en redescendant.
Les mouvements des deux mains de guerriers prêts à partir n'étaient pas passés inaperçus et des habitants s'étaient approchés pour avoir des nouvelles.
Quiloma donna ses ordres et les deux groupes partirent en petite foulée. Se tournant vers Sstanch, il dit :
- Préviens ton chef que je veux le rencontrer. Qu'il vienne à l'heure où le soleil se couche.
Puis Quiloma suivi de ses gardes partit vers le bas du village.

Chan était inquiet. Sstanch lui avait rapporté ce qu'il avait vu.
- Cela fait des saisons et des saisons qu'on n'a vu personne monter de la plaine. La dernière fois, c'était mon père qui les avait reçus. Nous sortions d'un long hiver où les hordes de Sioultac nous avaient laminés. La troupe qui était arrivée, n'avait pas bien fière allure. Il faut dire qu'il pleuvait depuis des jours et des jours. Leur chef quand il a vu notre ville, n'est pas resté plus de trois jours. Nous avons eu du mal à leur donner de quoi refaire leurs réserves de route. Pour être précis, ils ne nous ont pas vraiment demandé, ils ont exigé et pris ce qui leur fallait. Nous avons été heureux de les voir partir. Il y a eu beaucoup de morts cette saison-là faute de nourriture.
Sstanch debout, écoutait le maître de ville qui buvait son malch dans la maison commune. Il était monté de la plaine, il y a bien des saisons, suivant en cela Hut le fondateur. Il avait été soldat et même sous-officier dans la plaine. Il avait eu son content de batailles et de morts. Lors d'un hiver alors qu'il rentrait dans ses foyers, il avait trouvé le village ravagé par la guerre. Beaucoup des siens étaient morts. Il avait compris que la paix ne serait pas pour eux avant longtemps. Il avait alors convaincu toute la maisonnée de partir aux premiers réchauffements avant que ne recommencent les campagnes guerrières. C'est ainsi qu'ils étaient arrivés à la ville. On ne pouvait aller plus loin. Le froid était encore trop intense. Les habitants avaient besoin de main d'œuvre. Ils étaient restés, avaient fait souche, adoptant les coutumes locales. Sstanch avait été remarqué pour sa capacité à manier les armes et à se battre. On l'avait recruté pour diriger les quatre hères qui servaient de milice. Ils avaient rechigné à se mettre sous les ordres d'un étranger, mais comme aucun d'eux ne savait le dixième de ce que savait Sstanch, ils s'étaient soumis.
Ce que Sstanch avait vu, lui rappelait trop les tours du guet en haut des donjons et les colonnes de poussières annonciatrices de malheur. Il en avait fait part à Chan. Celui-ci continuait son monologue.
- Il faut prévenir les maisons. II va falloir cacher les provisions et les bêtes. Heureusement Cotban nous est favorable cette année. Les pâturages éloignés sont dégagés. Ils suffiront pour nourrir les bêtes le temps qu'ils resteront. Qu'a dit le prince?
- Rien comme à son habitude. Il a envoyé une dizaine d'hommes. Il faut trois jours pour descendre, quatre pour remonter, plus le temps de voir sur place. Nous les reverrons dans dix jours.
- Il faut aussi voir avec les sorciers. Qu'est-ce que vont dire les esprits?


Quiloma arriva chez la Solvette. Il ressentait toujours cette émotion au moment où il était devant la porte. Il frappa. Ses gardes avait remarqué cette habitude chez leur prince qui autrement entrait partout sans attendre. La Solvette vient lui ouvrir. L'enfant dormait sur son ventre dans un repli de sa robe, à moins que ce ne soit dans un châle habilement noué.
- Bonsoir, Solvette.
- Tremba, Quiloma.
Quiloma appréciait quand elle lui parlait dans sa langue. Un sourire éclaira son visage.
- J'ai besoin de tes connaissances.
- Entre, je vais nous faire une infusion pour nous aider à voir clair.
Quiloma avait découvert que la Solvette connaissait des plantes qui l'aidaient à réfléchir et à prendre de bonnes décisions.
Bislac, les voyant se diriger vers la pièce du fond, prit sa béquille et se dirigea vers la porte, le jako sur ses talons. Il pensa qu'il allait faire un tour du côté de chez Kalgar. La forge et le métal fondu commençaient à lui manquer.
Assis de chaque côté de la table, il tenait leur bol fumant dans les mains.
- Eéri a vu. Votre homme de guerre a compris. Une armée vient vers nous.
- J'ai entendu la nature porter la nouvelle de cette perturbation. Ils ne respectent pas le pays qu'ils traversent.
- Sais-tu combien ils sont?
- Non, tu sais que mon savoir n'est pas de cet ordre. Ils se sentent forts. Ils veulent soumettre tout à leur volonté. La nature n'aime pas cela.
- Il va falloir faire la guerre et mon corps ne me donne plus satisfaction.
- Fais-tu les exercices que je t'ai conseillés.
- Oui, deux fois par jour. Je suis plus souple mais je ne suis plus capable de mener mes hommes comme avant.
- Je sens ta tristesse.
- Pire, suis-je encore digne d'être prince?

En apprenant la nouvelle Natckin avait convoqué Tonlen pour un rite divinatoire. A part Tasmi, et les maîtres sorciers, tous les autres avaient été mis à l'écart. Natckin ne voulait pas que des bruits affolants circulent. Il tenait le centre du dispositif. Comme toujours Tasmi était un pas derrière son épaule droite. Le rituel commença. Natckin ne pouvait ignorer la peur des uns et des autres. Encore des étrangers, peut-être moins étranges que les extérieurs. Lui-même ressentait la tension. Le spimjac brûla. Son odeur apaisante lui fit retrouver un peu de sérénité. Les piliers, comme on appelait les sorciers qui entouraient l'officiant, commencèrent la mélopée de la divination. Natckin et Tasmi utilisèrent leur souffle. Tonlen ne quittait pas la scène des yeux.
Natckin sentit sa perception se modifier. Le monde réel devint plus brumeux. Il eut le sentiment de flotter au-dessus de lui-même. Il se retourna. Tasmi flottait, brillante silhouette derrière lui. Il le vit s'éloigner guidé par un esprit encore plus brillant qu'il ne reconnut pas. Il pensa le prendre par l'épaule. Cela se fit. Il lui sembla voler au-dessus d'un monde qu'il entrevoyait. Les ombres des montagnes devenaient moins hautes. Ils se stabilisèrent au-dessus d'un groupe de points, rouge et jaune, qui oscillaient. Il pensa aux guerriers blancs dont Chan lui avait annoncé le départ vers Tichcou. Mais déjà leur voyage reprenait. De nouveau des ombres floues défilèrent sous les trois silhouettes lumineuses. Natckin ressentait un certain vertige à aller aussi vite. Bientôt ils furent à la verticale d'un ensemble de petites flammes multicolores. Il fut évident pour Natckin qu'il était à Tichcou. A travers Tasmi, il sut que la peur habitait ce lieu. De nouveau, il fut entraîné par ses compagnons. A travers la brume de son regard, il vit la forêt et une troupe en marche, dont les flammes vitales rouges et marron palpitaient au rythme des bêtes qui les portaient. La peur aussi les habitait. Il pouvait en sentir les palpitations. L'esprit guideur s'arrêta. Sa pensée s'imposa à Tasmi et Natckin.
- Si comme eux vous palpitez de peur, alors vous disparaîtrez !
La rupture du lien fut douloureuse. Natckin reprit conscience. Il était soutenu par deux personnes, Tasmi aussi. Il regarda vers Tonlen. Le voyant réveillé, celui-ci s'approcha :
- La peur vous a accompagnés, mais les esprits ont révélé qu'elle ne doit pas être notre compagne.
- Qu'ont-ils révélé de plus?
- Malheureusement rien.