dimanche 22 juillet 2012


Les habitants avaient emmené les troupeaux vers les pâturages extérieurs. Sous la direction du prince extérieur, ils s'étaient mis à renforcer la palissade par endroit. Ils ne comprenaient pas pourquoi à tel endroit ou à tel autre mais Sstanch approuvait, donc Chan approuvait. Les sorciers avaient dit de ne pas avoir peur et de suivre les instructions. Les habitants râlaient, un peu mais s’exécutaient. Les premiers jours, tout se passa calmement. Puis il y eut la première attaque. Un gardien de tiburs revint affolé. Il était à une journée de marche de la ville. Il raconta comment le dragon avait emporté un des tiburs et dispersé les autres. Il y eut des discussions sans fin entre les chefs de maisons. Fallait-il prendre le risque de les laisser dans les pâturages ou le risque de les ramener dans la ville ? Chacun y alla de ses arguments et de ses raisonnements. Ce fut le prince des extérieurs qui trancha. Il fit venir le gardien. Avec Muoucht, il l'interrogea. Il ne fut pas satisfait. Il avait bien senti la peur de l'homme. Plus il l'interrogeait et plus l'homme paniquait. Ses réponses devenaient confuses et sans valeur de témoignage. Sstanch qui était présent, lui conseilla de demander à la Solvette pour que l'homme soit moins effrayé.

- L'as-tu interrogé?
- Même pas, il avait trop besoin de raconter sa rencontre.
La Solvette avait servi une tasse d'infusion à Quiloma.
- Tu as mauvaise mine. Tu te fatigues trop, dit-elle.
- Si une armée arrive, il faut que nous soyons prêts. Mais parle-moi du dragon.
- Le gardien de tiburs était sur la pâture de la combe verte. Il faut une journée de marche vers le soleil couchant pour l'atteindre. Non loin de là, il y a la cascade de la rivière Sianpô qui débouche d'une gorge inaccessible. Il a cru que la montagne bougeait. En fait c'était le dragon. Celui-ci volait assez haut. Pourtant le dragon a piqué vers lui dès qu'il l'a vu. Le gardien s'est précipité à terre, croyant sa dernière heure arrivée. Le dragon l'a survolé mais s'est attaqué à un tibur, un jeune et l'a emporté dans les airs.
- Il a vu vers où il est reparti?
- Il pense qu'il volait vers les gorges de la Sianpô. Il avait trop peur pour bien regarder, mais c'est par là qu'allait le dragon.
- Il a peut-être son refuge par là. Il faut que j'y envoie des hommes, dès que sera réglé ce qui nous vient.
- Ce dragon est-il aussi important que cela?
- Plus que cela. Il n'y a plus de dragon depuis des saisons. Un dragon... Un dragon c'est la présence du dieu Dragon sur terre. Si le dieu Dragon revient...
Les yeux de Quiloma brillaient de toute la force de leur espérance. Il n'avait pas les mots pour décrire ce qu'il attendait d'un tel avènement. La Solvette n'avait pas besoin des mots pour comprendre ce qu'il ressentait. Elle vibrait en résonance du frisson qui le parcourait.
- Veux-tu que je demande aux charcs d'aller voir ce qui se passe dans cette vallée?
- Tu pourrais?

Le konsyli déploya ses hommes autour du village de Tichcou. La bourgade était plus grande que celle d'où il venait. Il avait repéré l'autre groupe sur l'autre versant de la vallée. Ils avaient découvert un village qu'ils jugèrent indéfendable. Les remparts n'étaient pas assez hauts, ni en bon état. Méfiants, les groupes restèrent à l'affût à l'extérieur. Ce n'est pas avec dix hommes qu'ils pouvaient investir une ville et ils ne connaissaient pas les forces propres de la milice qui ne devait pas manquer d'exister.
Une première nuit était passée. Une agitation certaine régnait dans ce gros village. On montait des arcs de fleurs coupées et de branches de résineux. Les guetteurs étaient inattentifs à tout ce qui n'était pas sur la route. Les guerriers blancs purent ainsi améliorer leur entraînement dans ce milieu qui ne leur était pas habituel. Mlaqui était tout près de la route quand il vit arriver le détachement de cavaliers. Ils étaient richement vêtus. Mlaqui surplombait la route. Il était allongé sur la mousse, sur le talus, la tête sous des fougères. Les bêtes renâclèrent un peu en passant sous sa position. Les cavaliers jetèrent des regards tout autour mais comme leurs montures ne semblaient pas très inquiètes, ils restèrent en posture de repos. Mlaqui compta les ennemis potentiels et examina leur équipement, épée longue, lance longue, arcs longs mais des flèches mal empennées, des sacoches posées sur la monture mais rien sur leur dos. Il attendit que la colonne ait disparu après le tournant du chemin pour bouger. Toujours aussi discrètement que possible, il regagna le reste de son groupe.
- Alors Mlaqui ?
- Deux fois dix mains de cavaliers. Ils sont négligents. Les harnachements ne sont pas tous complets. Ils sont avachis sur leurs montures, trop confiants. Ils doivent avoir l'habitude de la plaine où leurs bêtes sont des avantages, en forêt, ce sera une autre histoire.
Ivoho prit la parole :
- Je les ai vus entrer dans le village. Ils étaient sur le qui-vive. Je n'aimerais pas les combattre.
- On observe encore un jour et on rentre faire un rapport.
Sur ces mots du Konsyli, chacun regagna son poste d'observation.

La catastrophe eut lieu le lendemain.
Zothom s'était trop approché du village. Il observait le camp des cavaliers quand il entendit le cri. Un des guetteurs du village tendait le doigt dans sa direction en hurlant. Immédiatement un autre guetteur banda son arc et tira. Zothom dégagea à toute vitesse. La flèche se planta à l'endroit qu'il venait de quitter. Deux cavaliers émergèrent sous l'arc de fleurs et de branches en hurlant. Zothom n'avait pas besoin de connaître la langue pour savoir qu'ils hurlaient sus à l'ennemi. Il courait en sachant qu'il ne pourrait pas distancer les rapides animaux. Des yeux, il cherchait la zone la plus dense du bois. Malheureusement, il savait que derrière ce bois, il y avait des champs et là il n'avait aucune chance. Bientôt, il entendit se rapprocher le piétinement des sabots derrière lui. Une flèche passa en sifflant à quelques coudées de sa tête. Une autre flèche siffla. Un galop stoppa. Zothom se retourna et fit face. Un des cavaliers tenait son cou. Un empennage en sortait, deux écorces noires, une blanche. Zothom comprit, un guerrier de l'autre groupe était dans le bois. L'autre cavalier baissa sa lance et chargea. Zothom bougea comme face à un gowaï chargeant. Il ne fut pas tout à fait assez rapide, la lance longue lui transperça le flanc, mais son épée coupa les jarrets de la monture. Le cavalier fit un roulé boulé et se releva en dégainant son épée. Une flèche noire et blanche vint se planter dans sa cuisse. Il hésita mais en cassa le bois et attaqua quand même. Zothom était tombé à terre,coincé par la lance fichée dans le sol. Voyant l'autre hésiter, il coupa la hampe. Il eut juste le temps de se mettre debout avant la première attaque. Il para sans difficulté. Les deux adversaires se firent face. Zothom dit :
- Bon cavalier mais mauvais guerrier !
L'autre lui répondit quelque chose qu'il ne comprit pas. Levant son épée longue, il attaqua. La flèche le cueillit en pleine course. Entrant par un œil, elle le bloqua dans son élan. Il fit un dernier pas et s'effondra à genoux.
- Viens, on n'a de temps à perdre ! D'autres vont arriver!
Zothom se retourna pour voir Ivoho descendre d'un arbre. Passant son bras sous celui de Zothom, ils reprirent la direction des champs. En arrivant près d'un fossé dans lequel courait un ruisseau, ils entendirent des cris et des piétinements assez loin derrière eux.
- Ils ont trouvé les corps, murmura Ivoho.
- Ils vont se mettre en chasse.
- Oui, mais la nuit va bientôt arriver. Ce ruisseau va leur faire perdre nos traces.
Ils repartirent en silence. Non loin de là, ils pouvaient voir des paysans debout s'interrogeant sur les bruits qui agitaient le bois.

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